La Presse Anarchiste

Deux poèmes

Le Fond

Bouche sans voix, le vent plom­bé, le fond.

Le fond de quoi ? Le fond de la bouteille
Ou d’une quel­conque merveille.

Le fond du cor ago­ni­sant, le fond des bois,
Le fond des yeux (vide, comme tu vois).

Le fond de l’étendue (adieu mésange verte
Qui plon­geais à la découverte).

Le fond de l’heure où le temps est blotti
Si ter­ri­fiant, si petit.

Le fond de l’antre où les bêtes s’assemblent,
Le fond du sac et celui (que vous semble ?)
Qu’une larme laisse incomblé…

Le fond d’où je vins appelé,
Le fond du ciel et son aire lacustre,
Le fond de culotte, le rustre !

Oui c’est le fond comme les rêves font,
Rien n’y pèse, tout s’y confond.

Le fond de la mémoire han­té de figues mûres,
Le fond d’une pen­sée et sa double figure,
Le fond des âges, mais pardi !
Le fond de la semaine avec un samedi,
Le fond des âmes le dimanche,
Le fond du péché (qu’on y penche).

Le fin du fond, le fond sans fin,
Le fond qui mange la faim.

Ce qu’est le fond, ce qu’il propose ?
Un mot pour le dire – s’il l’ose !

À la durée

Tou­jours l’aveu d’une durée
Et cela qui cerne la mort…
Bouche belle de foi jurée,
Inno­cente cla­mant si fort

Que l’aurore même se plie
Aux sor­ti­lèges d’une voix !
Ain­si va le fleuve, la vie
Qui se délivre, que tu vois.

C’en est fait de l’impatience
Et d’un monde qui fut hagard ;
À peine une ombre de l’enfance
Pro­mène encore son regard…

Ce qu’il faut dire est à mesure
Que tu t’avances plus ouvert.
Un visage, comme une épure,
Sou­rit, enseigne l’univers.

Ce qu’il faut dire – mais connaître ?
Connais ce peu que tu pressens !
Une aube nue à la fenêtre
A les yeux, la bouche du sang.
Créa­ture… si mesurée
Et si gra­cile, jeune front !
Je te nomme toute, durée
Où sont les choses qui seront.

Gil­bert Trolliet

La Presse Anarchiste