Ce qui constitue, paraît-il, le caractère impersonnel d’un exposé doctrinal, c’est le procédé des allusions savantes et des insinuations erronées. Sil faut en croire les promoteurs du Socialisme, cette revue d’allure doctrinale, — un peu lourde — devait se contenter de « développer, à l’aise, la doctrine socialiste ». Il s’agissait d’«étudier les faits du jour au point de vue de la doctrine socialiste, sans opposer personnes à personnes, ni clans à clans ». Ce sont là des affirmations qui font toujours bien pour masquer une manœuvre habile en s’abritant derrière les poires. Çà ne peut pas réussir chez les socialistes.
Ce sont là par conséquent des promesses que le Socialisme ne pouvait tenir. Ses rédacteurs sont bien obligés d’abandonner le terrain doctrinal, le terrain des principes, comme nous disons, nous autres, en style idéologique, pour s’occuper un peu des personnes et des clans. Un peu, beaucoup, passionnément ?
S’il en était autrement, à quel aveuglement funeste faudrait-il attribuer l’article du Compère-Morel, intitulé « Socialisme et Anarchie », et l’empressement de cet apôtre du socialisme rural à taper sur des anarchistes… qui s’ignorent. Compère-Morel s’indigne contre ceux qui « déblatèrent dans nos propres organes contre les résolutions des Congrès ! » Ah çà, et vous ! brave citoyen, est-ce que vous ayez cessé de vitupérer contre la résolution de Nancy concernant la collaboration des syndicalistes à l’Humanité ?
Dans le même numéro, nous avons un article du citoyen Nivet qui semble un plaidoyer pro domo : « Qu’est-ce qu’un sectaire ? » Eh ! eh ! citoyen Nivet, est-il bien prudent de rajeunir cette épithète qu’en d’autres temps les pontifes du socialisme se jetaient à la tête. Ignorez-vous qu’au sein de l’Unité il est seulement permis de parler de tendances, et qu’à moins de donner un démenti à Bracke il vous est interdit de parler de « clans ».
La manière de notre ami Grados est moins forte et moins tapageuse. Au lieu d’une charge à fond, nous n’avons qu’un mouvement tournant, une reconnaissance tout au plus, esquissée entre deux tirets. Voici l’antipatriotisme et le syndicalisme mis en parallèle avec le millerandisme, le féminisme, etc., etc. Ce sont ces fameux à‑côté qui brisent l’effort de l’armée révolutionnaire, et nous sommes accusés d’êtres « les complices — volontaires ou non, de la conservation capitaliste ». Çà, mon vieux, il faudrait le prouver.
Veut-on savoir comment pareille « déviation » serait possible ? « On peut fort bien être… le plus farouche ennemi des guerres et des frontières, le plus enragé protagoniste de l’organisation syndicale… et rester, malgré toutes ces vertus réunies, le plus fanatique des conservateurs. » Parbleu ! on peut aussi fort bien être guesdiste, et rester de bonne foi !
J’ai connu autrefois un Grados en qui j’aimais une conscience honnête, ferme et pondérée. La « lutte de classe » s’exprimait par sa bouche, et j’aimais à me rencontrer à ses côtés dans la propagande pour lutter contre les déviations d’alors, contre le millerandisme et le réformisme. Alors, — et c’était presque hier, tous les socialistes révolutionnaires, guesdistes compris, ne craignaient pas de s’unir dans les Syndicats aux anarchistes pour réagir contre les partisans de la paix sociale. Et Marius André préconisait cette tactique en termes non équivoques, dans des articles du Socialiste qu’il serait facile de retrouver.
À qui espère-t-on faire prendre le change ?
À qui fera-t-on croire que nous ayons rien retranché de nos affirmations communistes ?
Est-ce après que la C.G.T., à son Congrès d’Amiens, a solennellement confirmé et commenté l’article de ses statuts sur la suppression du salariat et la transformation de la propriété qu’on espère par des insinuations misérables équivoquer sur la valeur socialiste du syndicalisme ? Ne serait-il, pas plus honnête, moins puéril et moins dangereux de discuter nos opinions comme une hypothèse, comme une méthode, comme un point particulier du socialisme et non comme un à‑côté, du socialisme ?
S’il plaît à Guesde, pour des raisons de méthode, pour des questions de tactique, de convenances personnelles et de prépondérance, de faire aujourd’hui le contraire de ce qu’il faisait hier, libre à lui ! S’il lui plaît de s’allier dans la question syndicale avec Basly, avec Delesalle et avec Brousse, avec tous ceux que nous combattions ensemble hier au nom de la lutte de classe, libre à lui. Mais j’ai bien peur qu’il travaille surtout pour les bateleurs de la paix sociale et les requins du gouvernement.
Quant à nous, nous restons ce que nous étions hier. Nous continuerons à dire ce que nous disions au Congrès de Lille en défendant la grève générale. Et nous n’aurons pas besoin d’invoquer sentencieusement la lueur de la doctrine pour empêcher qu’on dise des bêtises sur notre compte, ne permettant à personne, pas même à Grados, de se refaire à nos dépens une virginité révolutionnaire.
H. Boulay