Comment ces fédérations se formeront-elles?… Prenez un sac de sable, imprimez-lui une secousse, chaque grain se tassera et gardera la position qui lui sera la plus naturelle.
Eh bien, pour les fédérations, il en sera de même, chaque individu se groupera avec les individus dont les tempéraments lui conviendront le mieux. Les individualistes formeront une ou plusieurs fédérations spéciales, sans organisation, les autres istes se grouperont, se solidariseront avec les individus qui leur plairont sans autre mobile que leur volonté.
Puis, peu à peu, s’il est permis de prévoir la marche que suivra l’humanité, les hommes, encore en proie aux préjugés autoritaires et communistes, auront de plus en plus conscience de leur personnalité, ils ne voudront plus être liés par quoi que ce soit aux autres hommes, ils seront chacun une société, tout pouvoir aura disparu, l’anarchie existera réellement pour tous!…
Qu’ils en veuillent ou non les socialistes seront contraints d’accepter le fédéralisme, leur doctrinarisme pourra peut être en souffrir mais la liberté sera enfin un fait et non une abstraction.
Comme des objections pourraient m’être adressées, dans un prochain article j’examinerai comment pourra se faire la consommation, la production et surtout l’échange dans l’individualisme.
Production, consommation, échange
Nous nions le gouvernement de
l’État, parce que nous affirmons, ce à
quoi les fondateurs d’État n’ont
jamais cru, la personnalité de
l’autonomie des masses
P.-J. Proudhon
Ce que sera le lendemain de la révolution ! Je ne le sais pas, je n’ai pas la prétention de le prophétiser, mais, ce que je puis dire et écrire, c’est que ce lendemain devra être dégagé de tout autoritarisme quel qu’il soit et démontrer que la liberté, toute la liberté, c’est-à-dire l’Individualisme, loin d’être une utopie est au contraire la seule forme sociale compatible avec l’esprit de progrès qui se manifeste de plus en plus.
C’est pour cela que je vais essayer de prouver que l’Échange, la Consommation et la Production se feront harmoniquement le jour où l’Égoïsme sera le seul sentiment, si sentiment il y a, qui guidera les hommes.
La plupart des communistes veulent réglementer la Production et l’Échange au moyen des bons de travail, des commissions de statistiques. Ce système est vicieux, comme tout système, parce qu’il réglemente tout, qu’il détruit l’initiative individuelle, qu’il est, par conséquent, autoritaire.
Des objections irréfutables leur ont été posées, on leur a dit comment établirez-vous la valeur du travail, par heures, par résultats ou par forces dépensées ? Tous ces systèmes sont mauvais, archi-mauvais ; il y a des branches d’industries auxquelles on ne peut être occupé un trop long espace de temps, vu la force qu’il faut y dépenser ; supposons que vous établissiez une valeur uniforme des heures de travail : celui qui sera employé dans une fonderie, aura besoin de se reposer au bout de quatre heures, tandis que le bijoutier ne sera à peine fatigué après avoir passé dix heures à l’établi. L’un, — plus vigoureux et plus fatigué qui aurait beaucoup plus besoin que l’autre de consommer, — n’aura que quatre bons de travail à dépenser ; l’autre, — plus chétif, consommant bien moins que le premier, — aura dix bons ne craignez-vous pas, hommes à systèmes sociaux, que le second économise, et qu’il s’établisse ainsi une nouvelle aristocratie : l’aristocratie des bons de travail.
Si vous vous rejetez sur la deuxième alternative, — le paiement en rapport des résultats ; comment établirez-vous la valeur de tel ou tel objet . Je fais des sabots : je prétends qu’une paire de mes sabots vaut deux bons, comment me prouverez-vous qu’elle n’en vaut qu’un ? Supposons que vous établissez un décret taxant la valeur de chaque produit, chose impossible ; d’abord, parce qu’il faudrait remanier ce décret journellement, rapport aux machines qui s’inventent tous les jours et qui activent la production, rapport aux récoltes qui peuvent être très bonnes ou très mauvaises ; ensuite, parce que ce décret, ressuscitant l’antagonisme des intérêts, mécontenterait tout le monde, chacun prétendant que le produit de son travail est supérieur, en qualité, à celui de son voisin ; si vous décrétez qu’un tableau vaut dix bons ; est-ce que cela sera juste ? Non, car un Puvis de Chavanne, un artiste consciencieux, passera plusieurs mois pour produire un chef-d’œuvre de vérité et d’originalité, tandis qu’un Cabanet, un barbouilleur plus ou moins classique, qui ne se donnera pas la peine de reproduire ce que lui montre ses yeux, bâclera une légende romaine quelconque en quelques semaines.
Quant à réglementer la Production et l’Échange par la dépense des forces, il ne faut pas y penser : 1° parce qu’il est impossible de trouver un baromètre pour cela ; 2° parce que l’homme faible, à travail égal, dépensera beaucoup plus de force que l’homme fort et que celui-ci ne voudra pas avoir moins de bons que son collègue ; 3°parce qu’il faudrait distinguer deux sortes de forces : l’intellectuelle et la matérielle et que, je le répète, on n’a pas encore trouvé un baromètre pour mesurer l’une et l’autre.
Si, voyant l’impossibilité de réaliser leur utopie, les communistes s’en remettent à la loi de l’offre et de la demande, la société bourgeoise en sera la résultante fatale.
Eh bien, pour éviter de retomber dans les misères et l’esclavage que nous subissons, à cet autoritarisme, à cet absorption de l’individu dans l’État, il faudra opposer la liberté individuelle, à ce doctrinarisme qui prévoit tout, sauf les impossibilités, il faudra substituer le jeu des individualités librement groupées, fédéralisées ou individualisées ; et surtout détruire dans le cerveau de l’individu ce préjugé qu’un pain vaut quatre sous, un bifteck six ; pour le remplacer par l’idée naturelle que la valeur n’est que fictive, de convention, et qu’il est de son intérêt de n’en attacher aucune, à quoi que se soit. Je vais le démontrer
(À suivre)
G. Deherme