La Presse Anarchiste

L’économie politique

La science éco­no­mique doit être consi­dé­rée comme une des par­ties de la science sociale néces­saire au pro­grès du bien-être de l’hu­ma­ni­té. Cette science, déter­mi­nant les lois de la pro­duc­tion et de la consom­ma­tion par la méthode expé­ri­men­tale, qui n’ad­met pour vrais que les faits dont l’ob­ser­va­tion ou l’ex­pé­rience ont démon­tré la réa­li­té, n’est pas à contester.

Ce qui est contes­table, c’est l’É­co­no­misme, cette reli­gion du hasard, qui éta­blit sur des cir­cons­tances tran­si­toires des prin­cipes per­ma­nents et qui fait décou­ler de ces prin­cipes la science éco­no­mique aux lois natu­relles immo­biles et aux phé­no­mènes immodifiables.

Les phi­lo­sophes, et après eux les éco­no­mistes, ont consi­dé­ré une nation comme une col­lec­tion d’hommes qui, se dis­tin­guant par une com­mu­nau­té d’o­ri­gine, vivent en socié­té. La socia­bi­li­té étant un trait carac­té­ris­tique de l’es­pèce, l’in­di­vi­du devient une abs­trac­tion comme cor­ré­la­tif à la réa­li­té de la socié­té, d’où découlent des lois qui sont l’ex­pres­sion des rap­ports. Cer­tains d’entre eux ont été consi­dé­rés par l’é­co­no­mie poli­tique comme des lois natu­relles qu’elle a eu pour but de déter­mi­ner en trai­tant de la nature, de la for­ma­tion, de la consom­ma­tion et de la dis­tri­bu­tion des richesses des nations.

Par richesses, les éco­no­mistes entendent ce qui pro­vient des biens natu­rels trans­for­més par le tra­vail en choses utiles qui, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, pro­duisent du plai­sir ou empêchent de la peine. Ils assignent donc comme but : de créer des uti­li­tés pour satis­faire les besoins, tout en pro­dui­sant plus avec le moins de tra­vail possible.

La pro­duc­tion des richesses s’ob­tient par la terre, le tra­vail et le capi­tal, appe­lés ins­tru­ments de pro­duc­tion, en appli­quant le tra­vail à la terre et en employant le capi­tal à assis­ter le travailleur.

La terre est consi­dé­rée comme la source des maté­riaux. La terre (ou la mer), en plus de la matière et des pro­duits qu’elle donne, est éga­le­ment un agent natu­rel en dimi­nuant la peine ou l’ef­fort des travailleurs.

Le tra­vail est tout exer­cice men­tal ou phy­sique que font les hommes pour s’ap­pro­prier les choses qui les entourent ; – par suite, dans les meilleures condi­tions : par la science, ou connais­sance de la cause des choses, par la divi­sion du tra­vail, ou orga­ni­sa­tion simple ou com­plexe du travail.

Le capi­tal est la réserve néces­saire, sinon pour tra­vailler mieux, du moins pour tra­vailler plus éco­no­mi­que­ment et avec suc­cès. Consi­dé­ré comme du tra­vail accu­mu­lé par l’é­pargne, il se divise en : capi­tal fixe, ce qui doit durer sous forme d’ou­tils, de machines, d’a­te­liers, de matières pre­mières devant ser­vir à la repro­duc­tion ; – capi­tal cir­cu­lant, ce qui consiste en nour­ri­ture, vête­ments, com­bus­tible choses néces­saires pour sou­te­nir le tra­vailleur pen­dant qu’il est à l’œuvre.

La richesse est dis­tri­buée entre la terre, le tra­vail et le capi­tal. Si une seule per­sonne réunit ces trois ins­tru­ments de pro­duc­tion, elle obtient la tota­li­té, et s’il y a deux ou trois per­sonnes, le par­tage s’ef­fec­tue en deux ou trois parts, non d’une façon égale, mais selon cer­taines lois sui­vant les­quelles la dis­tri­bu­tion a lieu.

La part des pos­ses­seurs de la terre, pour l’u­sage d’un agent natu­rel, se désigne par rente ; celle des capi­ta­listes, pour l’ap­port de leur capi­tal, consiste en pré­lè­ve­ment sur le pro­duit ter­mi­né et livré, s’ap­pelle inté­rêt ; celle des tra­vailleurs, pour ce qui paie réel­le­ment la peine du tra­vail, se nomme salaire, dont le taux est fixé selon les lois de l’offre et de la demande qui en déter­minent la valeur1L’é­co­no­mie poli­tique dont nous indi­quons ici très som­mai­re­ment les points géné­raux, sera reprise dans cha­cune de ses par­ties : le Capi­tal, le Salaire, l’Offre et la Demande, la Valeur, L’É­change, etc., qui feront l’ob­jet d’é­tudes sociales trai­tées suc­ces­si­ve­ment trai­tées dans nos pro­chains numé­ros..

Pré­oc­cu­pé, exclu­si­ve­ment de la richesse, l’é­co­no­misme, qui jus­ti­fie et consacre la féo­da­li­té capi­ta­liste, traite :

De la richesse dans l’in­té­rêt des indi­vi­dus et de la socié­té, – en admet­tant que le plus grand nombre manque du néces­saire pour per­mettre à quelques-uns de pos­sé­der le super­flu ; de la pro­duc­tion et de la dis­tri­bu­tion des richesses, – en accep­tant que le pro­duit revienne à des oisifs dans sa presque tota­li­té, sous forme d’in­té­rêts, de rentes, et ce, au détri­ment des pro­duc­teurs dont la minime part est le salaire, c’est-à-dire le strict néces­saire per­met­tant la conser­va­tion et la repro­duc­tion de l’es­pèce ; de la consom­ma­tion des richesses, – en jus­ti­fiant le famé­lisme de mil­liers d’in­di­vi­dus pour quelques-uns cre­vant de pléthore.

Les prin­cipes qui ont ins­pi­ré les éco­no­mistes semblent être ceux émis par Aris­tote dans son livre La Poli­tique, que l’on peut consi­dé­rer comme résu­mant toute la science éco­no­mique jus­qu’au XVIIIe siècle : « La Nature a créé cer­tains êtres pour com­man­der et d’autres pour obéir. C’est elle qui a vou­lu que l’être doué de pré­voyance com­man­dât en maître, et que l’être capable, par ses facul­tés cor­po­relles, d’exé­cu­ter des ordres, obéit en esclave, et c’est par là que l’in­té­rêt du maître et celui de l’es­clave se confondent ». Cer­tains termes chan­gés, le fond est tou­jours le même et, en plus, avec le but d’é­ta­blir scien­ti­fi­que­ment des lois qui pré­sident et concourent à l’or­ga­ni­sa­tion du vol, de la spo­lia­tion, de l’ex­ploi­ta­tion de l’homme par l’homme.

L’é­co­no­mie poli­tique, comme science, ne date que du siècle der­nier, avec les phy­sio­crates Ques­nay, Tur­got, Gour­nay qui le pre­mier émit le fameux Lais­sez faire, lais­sez pas­ser. Ques­nay, le fon­da­teur de la nou­velle école éco­no­mique, cherche à éta­blir une science d’a­près les lois natu­relles et constantes qui régissent les socié­tés humaines où « l’au­to­ri­té sou­ve­raine doit être unique et supé­rieure à tous les indi­vi­dus de la socié­té ». Son sys­tème éco­no­mique consiste dans une divi­sion de la nation en trois classes : la classe pro­duc­tive, tous ceux qui se consacrent à l’a­gri­cul­ture ; la classe des pro­prié­taires, tous ceux qui vivent de la rente ou du pro­duit net de la terre ; la classe sté­rile, les indus­triels, com­mer­çants, domes­tiques qui n’aug­mentent pas la richesse de la nation. Il fait sup­por­ter tous les frais du gou­ver­ne­ment à l’a­gri­cul­ture, comme étant la seule source de richesse de la nation.

Mais la science éco­no­mique ne trouve son réel déve­lop­pe­ment que dans le livre ; paru en 1776, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, par Adam Smith2Ortho­gra­phié « Adam Schmith » dans le texte ori­gi­nal, (note du site inter­net La-presse-anar­chiste). Le pre­mier, il explique les prin­cipes fon­da­men­taux de l’é­co­no­mie poli­tique, il découvre la puis­sance créa­trice du tra­vail comme source prin­ci­pale de la richesse, il décrit la divi­sion du tra­vail et en déduit les avan­tages, il constate le rôle utile des machines, tou­te­fois sans en pré­voir toute la force accé­lé­ra­trice ni les résul­tats. Bien qu’é­ta­blis­sant la néces­si­té du haut salaire, il est par­ti­san du sta­tu quo régi par les lois de l’offre et de la demande.

Les idées et les prin­cipes d’A­dam Smith sont conti­nués par Mal­thus qui, ajou­tant une théo­rie sur la popu­la­tion, repré­sente la misère comme une fata­li­té inévi­table. Il consi­dère la force d’une nation, non pas sur la quan­ti­té des habi­tants, mais par le rap­port de la popu­la­tion à la quan­ti­té d’a­li­ments dis­po­nibles il en fait résul­ter la néces­si­té de mettre un obs­tacle à l’aug­men­ta­tion de la popu­la­tion qui tend à s’ac­croître en rai­son géo­mé­trique, tan­dis que les sub­sis­tances ne s’ac­croissent qu’en rai­son arithmétique.

Toutes ces théo­ries sont reprises par Ricar­do qui en élar­git le champ par ses déduc­tions logiques et rigou­reuses. Il constate l’op­po­si­tion des inté­rêts anta­go­nistes dans une nou­velle théo­rie de la rente, à laquelle il donne pour prin­cipe fon­da­men­tal que la pro­prié­té doit se vendre ou se louer d’au­tant plus cher qu’elle rap­porte davan­tage, et, que le prix des mar­chan­dises se fonde sur la quan­ti­té de tra­vail qu’elles exigent.

Jus­qu’i­ci, c’est l’an­cienne méthode méta­phy­sique basée sur des abs­trac­tions, J.-B. Say y sub­sti­tue la méthode expé­ri­men­tale ou d’ob­ser­va­tion, en déter­mi­nant plus exac­te­ment la science éco­no­mique qu’il popu­la­rise en France, par une cer­taine clar­té dans ses défi­ni­tions deve­nues plus pré­cises. Mais il incarne en lui le dog­ma­tisme éco­no­mique bour­geois en repré­sen­tant le capi­tal comme du tra­vail accu­mu­lé par l’é­pargne et comme la source unique de la richesse, en pres­cri­vant le mini­mum de salaire à accor­der aux travailleurs.

Les autres éco­no­mistes, les épi­gones Senier, Mac Culloch, G. Gar­nier, Dunoyer, Ch. Comte, Bau­drillart, Carey, ne font que s’ins­pi­rer des quatre pères du nou­vel évan­gile bour­geois et, à part quelques sur­en­ché­ris­se­ments dans des défi­ni­tions sou­vent féroces, ils n’ap­portent ni décou­vertes ni chan­ge­ments à l’é­co­no­misme. Les inter­ven­tion­nistes Sis­mon­di, Droz, Adolphe Blan­qui, Ramon de la Sagra, de Lave­leye, J.-S. Mill, sans chan­ger les prin­cipes fon­da­men­taux de l’é­co­no­mie poli­tique, font cepen­dant cer­taines cri­tiques à l’or­tho­doxie éco­no­mique, sur la réa­li­té et l’ef­fi­ca­ci­té de ses résul­tats que celle-ci fait décou­ler des lois dites natu­relles et immuables. Ils repré­sentent : que la science de la richesse ne sau­rait consis­ter en ce que la grande masse sociale soit vouée à la misère pour que quelques-uns puissent s’en­ri­chir, qu’il n’est pas néces­saire de sou­mettre le gou­ver­ne­ment des socié­tés aux lois de la pro­duc­tion, de la for­ma­tion et de la consom­ma­tion éta­blies par les éco­no­mistes, et que « la vieille éco­no­mie poli­tique est limi­tée et tem­po­raire dans sa valeur, sur­tout lors­qu’elle admet que la pro­prié­té indi­vi­duelle et l’hé­ri­tage sont des faits iné­luc­tables et que la liber­té de pro­duc­tion et d’é­change est le der­nier mot du progrès ».

Pour éta­blir les lois éco­no­miques concor­dant avec les lois natu­relles, pour en démon­trer les déve­lop­pe­ments, par l’a­na­lyse des causes et des effets qui gou­vernent le monde éco­no­mique, par la méthode, l’ordre, la clar­té appor­tés dans les défi­ni­tions, les éco­no­mistes ont four­ni de réels maté­riaux à la science sociale. Mais par l’u­sage et les résul­tats, ils ont démon­tré l’im­puis­sance de leur sys­tème éco­no­mique basé sur une divi­sion arbi­traire de la pro­duc­tion en deux groupes bien dis­tincts : ceux qui font tra­vailler et ceux qui travaillent.

Il ne pou­vait en être autre­ment. Leurs sys­tèmes deve­naient l’ex­pres­sion de leur per­son­na­li­té, ils s’in­car­naient en eux les phy­sio­crates, presque tous pro­prié­taires, don­naient la prio­ri­té à la terre et J.-B. Say, qui avait pas­sé par l’in­dus­trie et le com­merce, la don­nait au capi­tal. De même les plus libé­raux, ceux par exemple qui reje­taient toute inter­ven­tion de l’É­tat dans les rap­ports éco­no­miques : ils jus­ti­fiaient les mono­poles, ils consa­craient une sorte d’ex­cep­tions pour cer­tains indi­vi­dus qui, de par leur posi­tion, ten­draient tou­jours à en abu­ser – et l’a­bus infirme toute idée de libéralisme.

Avec de réelles connais­sances scien­ti­fiques, les éco­no­mistes pos­sé­daient une somme égale de pré­ju­gés inhé­rents à une classe pri­vi­lé­giée. Aus­si ont-ils été consi­dé­rés comme les prêtres d’une nou­velle reli­gion bour­geoise à éta­blir en for­mu­lant la norme qui déter­mine des inté­rêts anta­go­nistes. Dans leur dog­ma­tique myo­pie, pour sau­ve­gar­der leurs pri­vi­lèges, ils ont fait sur­gir le ter­rible pro­blème affé­rent à la lutte des classes, dont la solu­tion sera l’a­néan­tis­se­ment de leurs spé­cieuses théories.

Comme pri­vi­lé­giés de la socié­té, ils ont défen­du l’om­ni­po­tence et les inté­rêts de leur classe en se don­nant pour mis­sion de jus­ti­fier les inéga­li­tés sociales qui résultent de la nais­sance et de l’hé­ri­tage, du tra­fic et de la spo­lia­tion, de sanc­ti­fier une socié­té où la pro­prié­té est le droit d’u­ser et d’a­bu­ser, ce droit étant réser­vé à des finan­ciers, bour­siers, agio­teurs qui le trans­mettent à leurs des­cen­dants abâ­tar­dis avec des besoins plus grands, des vices raf­fi­nés, des goûts de lucre et d’op­pres­sion ren­dant l’i­ni­qui­té sociale de plus en plus monstrueuse.

Julen­dré.

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    L’é­co­no­mie poli­tique dont nous indi­quons ici très som­mai­re­ment les points géné­raux, sera reprise dans cha­cune de ses par­ties : le Capi­tal, le Salaire, l’Offre et la Demande, la Valeur, L’É­change, etc., qui feront l’ob­jet d’é­tudes sociales trai­tées suc­ces­si­ve­ment trai­tées dans nos pro­chains numéros.
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    Ortho­gra­phié « Adam Schmith » dans le texte ori­gi­nal, (note du site inter­net La-presse-anarchiste)

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