La Presse Anarchiste

Pourriture sociale

L’éd­i­fi­ant spec­ta­cle auquel nous assis­tons depuis plus de deux mois n’a pas encore pris fin. Cette fois, c’est au com­plet ; la société poli­tique au milieu de laque­lle nous grouil­lons a enfin pro­duit et mon­tre son œuvre putré­fi­ante : Pas un de ses ver­moulus éch­e­lons soci­aux qui en sorts indemne, pas un des imposants piliers sur lesquels elle repose qui n’ait reçu sa large éclabous­sure de fange, pas une des sacro-saintes insti­tu­tions qui la coor­don­nent qui n’ait démon­tré l’i­nanité de son exis­tence et la néces­sité fatale d’un com­plet rasement.

Au parox­ysme de ses fureurs de lucre, l’or­dre social dont nous crevons appa­rait sous toutes ses faces, dans tous ses plus hideux refonds. Pour en être arrivé a une sem­blable incon­science d’im­pudeur hys­térique, il faut que son effon­drement soit tense.

Séna­teurs : d’And­lau, députés : Wil­son, généraux : Caf­farel, con­seillers : Lefeb­vre Ronci­er, médecins : Castel­nau, jour­nal­istes : Crouzet, demi-monde : Limouzin-Ratazzi, peu­ple-lie : Lorenz – offerts en holo­causte à la Décrépi­tude humaine – vien­nent d’in­car­n­er en eux la syphilis sociale.

Prési­dence, représen­ta­tion nationale, délé­ga­tion com­mu­nale, armée, patrie, famille, hon­neur, morale, – autant en emporte le vent : insti­tu­tions inutiles, mots creux n’ayant jamais servi qu’a leur­rer le peu­ple farcineux et d’un poids fort léger sur la con­science des exploitants-dupeurs.

Man­dats élec­toraux, déco­ra­tions, secrets d’É­tat, invi­o­la­bil­ité des cadavres, hon­or­a­bil­ité pro­fes­sion­nelle, – billevesées, ori­peaux, vieilles défro­ques dont le bazardage s’ad­juge a l’encan.

Du haut en bas de la « fameuse échelle sociale », tous décrépis, gan­grenés, pourris !

En haut – Dig­ni­taires de tous poils déchi­que­tant à pleines dents le lam­beau de pou­voir dont on les a chargés ! Mag­is­trats de tous ordres se vau­trant béate­ment dans la fangeuse iniq­ui­té qu’ils représen­tent ! Soudards de toute encolure ven­dant sans ver­gogne cette patrie, pros­ti­tuée famélique aux cro­chets de laque­lle ils se gavent ! Trafi­quants de tous cal­i­bres volant, dilap­i­dant, empoi­son­nant tout ce qui tombe à la portée de leurs insa­tiables tentacules !

En bas – La bour­geoisie pro­lé­tari­enne con­quérant glo­rieuse­ment, chaque jour, quelqu’un des vices de ses dirigeants. Ram­pante, avilie, domes­tiquée, la veu­lerie ouvrière s’ingé­ni­ant a s’en­tre-dévor­er, éle­vant a la hau­teur d’in­sti­tu­tions sociales, ser­vil­ité, plat­i­tude, men­songe et tartuferie, sat­is­faisant, par les plus fourbes moyens, a l’ap­pétit des igno­bles pas­sions dont ses maitres l’ont infectée.

En haut, négoce et traf­ic de la Légion d’hon­neur, en bas, décrochage avilis­sant du Mérite du tra­vail ; ici, fraude pour l’ex­emp­tion du ser­vice mil­i­taire, là, vente de plans et de secrets d’É­tat : pro Patria. Au faîte de l’échelle, cupid­ité, cor­rup­tion, vol, rouerie, carie, décrétés moral­ité et san­ité ; au pied, courbette, indig­nité, déla­tion sanc­ti­fiées mérite, dev­enues seules chances de vie. – Le tout s’é­ta­lant au grand jour, sous le cou­vert de la Loi et des sabres qui la pro­tè­gent : tel est le bilan.

Nous ne nous éton­nons pas, nous constatons.

Et pourquoi donc crier a la pro­fa­na­tion, a l’hor­reur, a l’abom­i­na­tion de la déso­la­tion ? Un peu­ple a le gou­verne­ment et la société qu’il mérite.

Pourquoi s’ob­stin­er a ne pas com­pren­dre que l’ab­jecte human­ité qu’on a devant les yeux n’est que le fétide excré­ment des gan­greneuses insti­tu­tions qui la régis­sent ? Dans une société où l’ac­ca­pare­ment, la bassesse et l’an­thro­pophagie s’in­ti­t­u­lent ver­tus, ou la vilénie reste seule pro­pre a assur­er l’ex­is­tence, com­ment ne pas atten­dre d’aus­si dégradants sen­ti­ments des hommes qui la com­posent ? Toute cause pro­duit son effet : tant que l’ap­pro­pri­a­tion indi­vidu­elle sub­sis­tera, tant que hochets, rubans, médailles ou stat­ues seront l’emblème qual­i­fie du mérite et de l’hon­neur, tant que fron­tières et patrie exciteront au mas­sacre des hommes entre eux, tant qu’un ves­tige d’au­torité plan­era sur la mul­ti­tude, il en sera tou­jours de même !

À quoi bon s’évertuer à le répéter à nou­veau, et même à ceux qui n’ont que déboires et décon­v­enues à essuy­er dans cette déli­rante course au clocher ? Quand on fait appel à la dig­nité d’homme de ces derniers, qu’on les con­vie a la néces­saire purifi­ca­tion, au bal­ayage soigneux de toutes ces mas­ca­rades impu­dentes à robes ou à cor­dons, de cette fer­raille inso­lente, de cette avilis­sante ferblanterie, de tous ces grotesques panach­es, – sauve­g­arde, refuge et fau­teurs de la cor­rup­tion, de l’iniq­ui­té et de la mis­ère sociales, – tous rient cafarde­ment et font la sourde oreille. Atteints de la con­ta­gion, ils met­tent toute leur appli­ca­tion a imiter leurs men­tors, s’épuisant en efforts pour obtenir leur hon­teuse per­fec­tion, les dépas­sant sou­vent en turpi­tude quand ils on ont l’oc­ca­sion. Puisque bar­bot­ter dans le puant ruis­seau leur plait, tout est bien ! Pour­ris, eux aus­si, ou en bonne voie de pour­ri­t­ure. Tels maitres, tels valets ! Con­tin­uez vils émules !

Et vous – ô dirigeants qu’elle choisit et révère ! – puisqu’elle est inca­pable ou de com­préhen­sion ou de révolte, puisque son avachisse­ment est encore si com­plet qu’elle s’avoue impuis­sante à souf­fler sur vos châteaux de cartes, puisqu’elle est a l’abri des rancœurs, du dégout que devrait lui inspir­er la vue d’aus­si nauséabonds tableaux, puisqu’elle-même n’a qu’un désir : attein­dre l’éthérée sphère de vos orgies balt­haz­ari­ennes et puisqu’en atten­dant, tou­jours, de bonne grâce, la crasse pop­u­lace vous tend l’é­chine, ton­dez, ton­dez-la donc, et ne vous gênez pas ! vous auriez mau­vaise grâce.

Mais alors, hon­nêtes cra­puleux, moral­istes dépravés, pros­ti­tu­teurs éhon­tés d’hon­neur, de famille et de patrie – mots dont vos bouch­es sont pleines, – traineurs de sabres, ban­quistes et ras­taquouères cos­mopo­lites, jetez bas les masques ! Ne cou­vrez plus de vos mains rapaces vos facies de satyres aux seuls noms de social­isme et d’A­n­ar­chie ! Ne par­lez plus de chaos, de désor­dre ! Ne feignez plus la peur d’un retour à la vie prim­i­tive et sauvage ! Les appréhen­sives visions qui vous hantent n’ap­procheront jamais de la hideuse réal­ité que nous offre le spec­ta­cle de votre insigne dépravation.

Tous, sat­urez vos démo­ni­aques désirs sans remords, viciez et cor­rompez sans crainte tout ce qui vous entoure et vous envie. Rejetez toute pudeur pour mieux jouir de vos derniers sabbats.

Car le jour est proche où la par­tie saine et suff­isam­ment nom­breuse des non cor­rom­pus, des réfrac­taires, des parias, des hors votre Société, opér­era le bouage de toutes les syphili­tiques insti­tu­tions qui vous con­sument. – Ce jour-là, vos pesti­len­tielles charognes iront rejoin­dre vos éphémères sac­er­do­ces dans un reviv­i­fi­ant auto-da-fé, dont la flamme incan­des­cente servi­ra de foy­er purifi­ca­teur à la libre Humanité !

A. Carteron.


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