La Presse Anarchiste

Réunion d’industriels du cuir et de la chaussure

Ils ont ban­que­té de façon gran­diose le 14 août der­nier, à Nan­cy. Il y avait là toutes les « têtes » des grou­pe­ments patro­naux invi­tés, à l’oc­ca­sion de l’ex­po­si­tion, par la Chambre syn­di­cale des fabri­cants de chaus­sures de cette ville.Les dis­cours abon­dèrent. Nous les trou­vons publiés in exten­so dans le Moni­teur de la Cor­don­ne­rie (29 août).
Les dis­cours de ban­quet ne méritent pas grande atten­tion, dira-t-on ? Peut-être. Mais, peut-être, aus­si, convient-il de les regar­der d’as­sez près. Ceux-là nous paraissent signi­fi­ca­tifs d’un état d’es­prit d’u­nion, d’en­tente pour la résis­tance, pour l’at­taque même, qui mérite l’in­té­rêt des mili­tants ouvriers.

Écou­tez M. Picard, pré­sident du banquet :

La grande faci­li­té des moyens de com­mu­ni­ca­tion dont nous jouis­sons aujourd’­hui et qui ne fait que s’aug­men­ter de jour en jour, l’in­tro­duc­tion de plus en plus géné­rale des machines dans notre indus­trie ont ten­dance à uni­fier nos moyens d’ac­tion ; ce nou­vel état de choses doit nous rendre de plus en plus soli­daires les uns des autres. Le mal de l’un aujourd’­hui est appe­lé à deve­nir le mal de l’autre demain ; c’est pour­quoi nous devons ne pas nous mon­trer indifférents.

Après cette évo­ca­tion du mal com­mun, grand appel au concours effec­tif à appor­ter aux syn­di­cats patro­naux et demande qu’un pro­gramme d’ac­tion soit dres­sé par les syn­di­cats régio­naux et par le syn­di­cat géné­ral. Ce qui importe, à ses yeux, à cette époque de spé­cia­li­sa­tion des ouvriers et de divi­sion du tra­vail, c’est de créer des cadres pour ce per­son­nel. Le moyen : la fon­da­tion d’une école pro­fes­sion­nelle, des­ti­née à four­nir des chefs de service.

M. Bois­se­lier, de Paris, mélange agréa­ble­ment le lyrisme avec la son­nante réalité :

Ah ! ce mot de syn­di­cat, comme il est grand ! il est infi­ni comme l’espace.
Lors­qu’en allant au fond de nos pen­sées et de notre rai­son­ne­ment nous entre­voyons le sens réel du syn­di­ca­lisme, lorsque nous conce­vons les heu­reux effets que pour­rait avoir pour nous tout ce que com­porte l’é­vo­ca­tion de sa puis­sance, quand songe à cela, on se voit bien petit.

[…]

Mais cepen­dant qu’a­vons-nous fait de mar­quant jus­qu’à pré­sent ? Rien ou presque rien ; qu’a­vons-nous à faire ? tout.

Nous ne devons pas perdre de vue que la consé­quence logique du com­merce et de l’in­dus­trie est de réa­li­ser des bénéfices.

Dans cette chasse aux béné­fices, les inté­rêts sont res­tés long­temps oppo­sés de fabri­cant à fabri­cant, de fabri­cant à fournisseur.

Pour tra­vailler à ses inté­rêts, il faut cher­cher d’autres moyens que la concur­rence, pro­clame M. Celle, de Lyon.

M. Gus­tave Caen, l’or­ga­ni­sa­teur des expo­si­tions de cuirs et peaux, déclare, lui, que la « carac­té­ris­tique de l’é­poque que nous tra­ver­sons est l’en­tente entre l’in­dus­triel et ses four­nis­seurs ». Il fait res­sor­tir la com­mu­nau­té d’in­té­rêt qui existe entre les tan­neurs, cor­royeurs, mégis­siers et les fabri­cants de chaussures.

Pour clore la série des dis­cours, M. Cor­dier, l’âme du lock-out de Fou­gères ; ses paroles — celles que l’on repro­duit tout au moins — sont ano­dines. Il est dif­fi­cile de croire, cepen­dant, qu’il n’a pas pro­fi­té de cette réunion patro­nale pour van­ter la lutte à outrance et pour recueillir des adhé­rents à sa caisse noire contre les grèves.

La signi­fi­ca­tion véri­table de ce ban­quet et de ces dis­cours est don­née par le Moni­teur de la Cor­don­ne­rie ; il le fait net­te­ment, sans expli­ca­tions sur les moyens, certes, mais sans voiles sur la décision :

« Le régime de l’i­so­le­ment a vécu, et s’obs­ti­ner à res­ter iso­lé de nos jours équi­vau­drait au sui­cide, car, en nos temps actuels, les mêmes maux frappent tous les indus­triels d’une grande indus­trie, bien heu­reux quand ils n’at­taquent pas le corps social tout entier. À ces attaques géné­ra­li­sées, il faut pou­voir répondre par une défense en com­mun, par un fais­ceau de forces qui ne peut être que la résul­tante des forces indi­vi­duelles mises au ser­vice de tous. Le Moni­teur ne peut donc que se réjouir d’en­tendre de tels appels dont, veuillez le croire, il se fera l’ardent pro­pa­gan­diste. Plus d’i­so­le­ment, tout par l’U­nion, telle doit être la devise de tout indus­triel digne de ce nom. »

Atten­dons. Nous ne tar­de­rons pas à consta­ter dans les faits que les patrons s’or­ga­nisent de plus en plus ; et ce plan d’ac­tion géné­rale dont ils parlent nous sera révé­lé par des mani­fes­ta­tions iso­lées ou locales ; il s’a­git qu’elles ne nous sur­prennent pas et que nous soyons prêts.

C. Voi­rin.


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