Que veut être cette revue ? allez-vous vous demander à la réception de ce premier numéro.
La Vie Ouvrière sera une revue d’action. Une revue d’action ? Parfaitement ; si bizarre que cela puisse sembler. Nous voudrions qu’elle rendît des services aux militants au cours de leurs luttes, qu’elle leur fournisse des matériaux utilisables dans la bataille et dans la propagande et qu’ainsi l’action gagnât en intensité et en ampleur. Nous voudrions qu’elle aidât ceux qui ne sont pas encore parvenus à voir clair dans le milieu économique et politique actuel, en secondant leurs efforts d’investigation.
Nous n’avons ni catéchisme ni sermon à offrir. Nous ne croyons même pas à la toute puissance de l’éducation ; car nous croyons que la véritable éducatrice c’est l’action.
Les camarades qui se sont rencontrés autour de la Vie Ouvrière — et en forment le noyau — ne partagent pas toutes les mêmes opinions. Il en est qui appartiennent au Parti socialiste et y militent activement ; d’autres consacrent tout leur temps et toute leur activité au mouvement syndical — c’est la majorité ― ; d’autres, enfin, sont anarchistes et ne s’en cachent nullement. Mais tous, nous sommes unis sur le terrain syndicaliste révolutionnaire et nous proclamons nettement antiparlementaires. Tous aussi, nous croyons qu’un mouvement est d’autant plus puissant qu’il compte davantage de militants informés, connaissant bien leur milieu et les conditions de leur industrie, au courant des mouvements révolutionnaires étrangers, sachant quelles formes revêt et de quelles forces dispose l’organisation patronale, et… par dessus tout ardents !
C’est pour ces militants que nous avons fondé la Vie Ouvrière et c’est eux qui en rédigeront la plus forte partie, parlant, au fur et à mesure des événements, de ceux auxquels ils auront été mêlés. Ainsi se produira un échange extrêmement profitable de connaissances précises sur chaque région, sur chaque industrie.
Dans ce premier numéro, on lira une étude de Schmitz, le secrétaire du syndicat de la maçonnerie de la Seine, sur la dernière grève des maçons parisiens. Dans le prochain, le commencement d’une grosse monographie sur la grève des Boutonniers de l’Oise par le comité exécutif des Tabletiers de l’Oise et un article de H. Normand sur le Congrès des Maîtres-Imprimeurs. Dans les suivants, dés études de Merrheim sur les sardiniers bretons ; de Savoie sur la suppression du Travail de Nuit dans la Boulangerie ; de P. Marie sur le Subventionnisme et les Syndicats ; de G. Yvetot sur les unions régionales de syndicats ; de L. Monnier sur le Lock-Out des verriers de Normandie ; de Villeroux sur la grève des chapeliers de la région d’Espéraza ; de Bled sur la grève des maraîchers de Seine-et-Oise ; de Paul Ader sur le Trust du Vin ; de Humbert sur les grèves de coupeurs en chaussures. à Nancy et le rôle de l’« United Shoe Machinery » ; de G. Dumoulin sur les Conventions d’Arras ; de Maraux sur la grève des typos de 1906 ; de Ch. Delzant sur la suppression du Travail de Nuit dans la Verrerie ; de L. Vignols sur les Terre-Neuviens, etc., etc.
À côté de ces monographies de grèves et de ces études de questions syndicales ou économiques, nous ferons une large place aux questions morales, aux questions d’éducation, d’hygiène, etc.
Picton, qui est instituteur, parle dans ce numéro des progrès que fait parmi les instituteurs l’idée de l’adaptation de l’enseignement primaire aux besoins de la classe ouvrière. Cette idée nous est chère. Au prochain numéro, Léon Clément examinera les essais d’éducation de l’enfance tentés dans les groupes anarchistes, les syndicats, les coopératives. Puis, puis… bien des choses sur ces sujets qui nous sont promises et d’autres qui ne le sont pas catégoriquement encore.
Nous nous faisions une joie de publier dans ce premier numéro un récit des événements de Barcelone qu’Anselmo Lorenzo, sur la demande de notre ami James Guillaume, avait promis d’écrire. Lorenzo, malheureusement, fut par la suite arrêté et emprisonné. Pour remédier à cette lacune, Cratès qui déshabillera pour nous les questions diplomatiques et en montrera le corps économique, nous a donné une étude d’un gros intérêt sur les dessous financiers de la guerre au Maroc et nous en donnera une nouvelle pour le prochain numéro sur l’explosion populaire qui répondit à la levée de troupes en Catalogne.
Nous publierons, dans les numéros suivants, des articles de Wintsch sur la levée du boycott Vautier qui a mis aux prises, en Suisse, révolutionnaires et réformistes ; de Chr. Cornelissen sur l’orientation générale du syndicalisme ; d’un camarade suédois sur le lock-out de Suède ; de Brupbacher, sur le syndicalisme à Zurich, etc.
Nous tâcherons, en somme, de faire de la Vie Ouvrière une revue intéressante et vraiment précieuse pour les militants ouvriers.
Il faut qu’elle vive ! Il importe pour cela de recueillir 1000 abonnés.
Jamais vous n’y parviendrez, nous ont dit des amis pessimistes : on ne lit pas dans les milieux ouvriers ; ou bien on ne lit que ce qui est bruyant et épicé. Or vous ne serez ni l’un ni l’autre. Puis, c’est une somme : dix francs par an !
Des camarades au courant de la librairie nous ont dit, eux : dix francs par an, une revue de 64 pages tous les quinze jours ; mais vous êtes fous ! Vous avez donc de l’argent à jeter à la rue ?
Nous ne sommes pas optimistes ; nous ne sommes pas fous ; nous n’avons pas d’argent à jeter dans la rue. Et nous savons que nous n’atteindrons jamais qu’un public restreint. Mais ce public de militants, de sympathiques, d’hommes désireux de s’informer viendra sûrement à nous si nous lui présentons une revue sérieusement documentée, vivante, passionnée même.
Nous y travaillons à une demi-douzaine de camarades depuis deux mois ; d’autres ne nous ont pas ménagé leur concours occasionnel ; que ceux qui le peuvent se joignent au noyau. Que les autres nous aident dans la mesure de leurs moyens et du temps dont ils disposent. Que chacun s’efforce et la Vie Ouvrière reflétera exactement notre vie sociale si tumultueuse, si riche de force et d’espoir ; et la Vie Ouvrière atteindra son 1000e abonné, bouclant son budget, ne demandant à chacun pour vivre que le montant de son abonnement.
Pour le « noyau » :
Pierre Monatte