Après le Conclave. — Le Vatican et l’Europe.
L’élection du cardinal Ratti à la suprême dignité ecclésiastique a suscité bien des commentaires. Certains journaux « républicains », l’ont représenté comme germanophile, d’autres comme francophile, comme l’Écho de Paris par exemple, toujours bien informé. On dit que son élection était désirée par le Quai d’Orsay.
En 1915, nous conte l’Europe Nouvelle, il aurait « regretté » que son âge et sa fonction lui interdissent de prendre un fusil pour aller combattre le « tedesco » abhorré. La même revue prête au nouveau Pape des tendances libérales.
Toutes ces considérations, subtilement politiques n’ont qu’un défaut : c’est d’être exclusivement politiques. Dès qu’un événement surgit, les partis s’en emparent, le déforment selon les besoins de leur cause, et l’exploitent au mieux de leurs intérêts particuliers.
Mais quand il s’agit d’un fait aussi important pour l’Église qu’un Conclave, on peut affirmer, sans crainte d’erreur, que les journalistes, qu’ils soient de droite ou de gauche, négligent la vérité fondamentale, à savoir : qu’un Pape, quel qu’il soit, ne peut avoir d’autres désirs, d’autres directives que les intérêts de l’Église Romaine — et ceci est absolu.
Qu’il ait pris le nom de Pie XI, c’est certes une indication ; mais ceux qui l’ont commentée ignoraient certainement l’histoire des Papes. Les premiers Pie furent des érudits ; le cardinal Ratti est un érudit et Pie II comme Pie XI écrivirent des ouvrages religieux dont la documentation fait, paraît-il, autorité. Pie V fut un saint, Pie VII est célèbre par ses démêlés avec Napoléon, Pie IX par son intransigeance et le dogme de l’Immaculée-Conception. Quant à Pie X (Sarto), s’il fut un mystique pacifique, on ne peut dire qu’il fût un lettré, étant donné le mépris bien connu dans lequel le tenaient les Romains cultivés.
Ces données sont donc contradictoires, et il serait téméraire d’induire une psychologie politique de faits aussi peu probants.
Il en va autrement de Mgr Ratti. Achille Ratti est milanais. Il fut bibliothécaire de la célèbre Ambrosienne. Jusqu’en 1910, il mena une vie toute d’étude et d’érudition, et lorsque, cette année-là, Pie X l’appela à Rome, ce fut pour s’occuper de la Bibliothèque vaticane.
C’est Benoit qui, reconnaissant la grande intelligence de son bibliothécaire, le désigna comme visiteur apostolique en Pologne. Cela se passait en août 1918 ; quelques mois tard, Mgr Ratti s’installait comme nonce à Varsovie. Quand les armées rouges menacèrent la capitale polonaise, il ne quitta point Varsovie, ayant sans doute à ce sujet des instructions du Vatican, sachant, en outre, qu’il avait peu de chose à redouter. Il fut, par la suite, cardinal-archevêque de Milan et c’est à ce titre qu’il inaugura l’Université Catholique de cette ville. Il fit, à ce sujet, un discours fort indicatif et dans lequel Ratti se révèle connue désireux de conduire les catholiques vers un grand effort intellectuel. « Tout par la science », disait-il. Pauvre science!…
Le fait d’être un homme au courant de la politique de l’Europe centrale, et particulièrement des questions polonaises et russes, est une indication précise. Si l’on y ajoute ce souci évident d’asservir les forces intellectuelles aux intérêts de l’Église, on aura les deux directives principales du nouveau pontificat.
J’ai déjà signalé la publication par la revue Les Lettres d’une étude très documentée sur l’Église russe et son rattachement possible à l’Église romaine ; voici qu’à son tour la Croix publie un long article sur l’Église gréco-russe. C’est là, évidemment, un symptôme des préoccupations majeures de l’Église.
Le tzar, chef de l’Église orthodoxe, ayant disparu, les moujiks étant, malgré les pancartes de Lénine, demeurés fort religieux, les soldats rouges de même, et les popes, plus occupés de vodka que de hautes spéculations politiques, il est probable qu’à Gènes la question religieuse sera agitée, dans la coulisse pour le moins, entre l’envoyé du Pape du Kremlin et celui du Pape de Rome.
La Russie est pour l’Église un immense champ d’âmes et de corps ; plus de 100 millions de fidèles et de cotisants ; c’est un beau morceau ; attendons-nous à ce qu’un effort considérable soit fait pour le conquérir.
Attendons-nous aussi à voir les intellectuels catholiques accentuer la vigueur de leur action. Mais, malgré les douleurs « rédemptrices » entassées par la guerre, il est douteux que leur succès soit grand dans un pays où tous les scepticismes triomphent de toutes les actions.
G.