La Presse Anarchiste

Notre enquête sur le « Fonctionnarisme Syndical »

Nous avons fait par­ve­nir le n°1 de la Revue anar­chiste à un cer­tain nombre de syn­di­ca­listes, dont nous avons sol­li­ci­té la réponse.

Voi­ci la liste de ces syndicalistes :

Barthes, Bas­tien, Bel­lugue, Ber­rard, Bes­nard, Ber­thet, Bott, Bou­doux, Bouët ; Cadeau, Car­pen­tier, Cas­teu, Cha­ve­rot, Lucie Col­liard, Colo­mer, Content, Dela­grange, Des­car­sin, Dudi­lieux, Fargue, Fiquet, Fis­ter, Flan­drin, Four­cade, Godon­nèche, Gour­deaux, Gué­ri­neau, Marie Guillot, Her­clet, Hubert, Jac­que­min, Jouve, Labonne, Labrousse, Lacoste, Lau­ri­dan, Lebourg, Lecoin, Lemoine, Mme Lemoine, Lévêque, Lor­du­ron, Maillard, René Mar­tin, Mas­sot, Mau­relle, Mayoux, Le Meillour, Meu­rant, Monatte, Mon­mous­seau, Pothion, Quin­ton, Raca­mond, Raveau, Richet­ta, Rose, Sal­va­tor, Schu­ma­cher, Sémart, Sirolle, Teu­lade, Tom­ma­si, Tot­ti, Vadé­card, Véber, Verdier.

nota. — Notre enquête n’est pas limi­tée aux syn­di­ca­listes qui com­posent cette liste ; elle est ouverte à tous. Notre ques­tion­naire s’a­dresse tous les tra­vailleurs et notre impar­tia­li­té nous fait un devoir de n’ex­clure personne.

La Revue Anar­chiste

— O—

Quand il faut entre­te­nir des per­ma­nents à dif­fé­rents emplois, le fonc­tion­na­risme coûte trop et devient néfaste.

Cepen­dant, sauf quelques cas ou avec des modi­fi­ca­tions au sys­tème, les fonc­tions ne doivent pas être rétri­buées. Je pour­rais citer des Syn­di­cats où, jadis, tout le tra­vail était exé­cu­té volon­tai­re­ment. Nous n’en sommes pas à un point de veu­le­rie qui ferait croire à une men­ta­li­té régressive.

Ma réponse au ques­tion­naire je l’é­tends du Syn­di­cat au Bureau Confédéral.

1° et 2° – Cer­tains postes sont néces­saires pour don­ner la vita­li­té à l’or­ga­ni­sa­tion, ceux de secré­taires et adjoints qui se par­tagent et spé­cia­lisent les tra­vaux, ceux de caissiers-comptables.

Je n’ad­mets pas de fonc­tions rétri­buées et je consi­dère que la sug­ges­tion de Le Meillour pour le comp­table seule­ment, dans les forts Syn­di­cats, a sa rai­son, et peut être tenue par un pro­fes­sion­nel de comp­ta­bi­li­té étran­ger à ces Syn­di­cats. Je suis per­sua­dé qu’il se ferait une sérieuse éco­no­mie en employant un pro­fes­sion­nel à des jours déter­mi­nés et à l’heure du tarif syndical.

3° – À part les délé­ga­tions en pro­vince ou à des moments qui empêchent le délé­gué de tra­vailler pour vivre, la besogne de pro­pa­gande doit se faire par dévoue­ment. Dans les cas pos­sibles à tour de rôle, dans les cas dif­fi­ciles par les aptes et les dévoués.

Dif­fé­rent Syn­di­cats ont 25 et 30 syn­dics, qui se réunissent un soir chaque semaine, plus sou­vent si c’est néces­saire au rou­le­ment nor­mal de l’or­ga­ni­sa­tion, aucun ne songe à se faire payer.

4° et 5° – Les fonc­tions exé­cu­tées par les membres mêmes du grou­pe­ment, doivent être limi­tées à un an au plus.

L’emploi de secré­taire doit être dou­blé et de façon que cha­cun en se spé­cia­li­sant et en se le par­ta­geant, ait moins de tra­vail. Le plus ancien des secré­taires quit­te­rait au milieu ou aux deux tiers de l’an­née, de manière que le nou­vel élu soit mis au cou­rant par eux qui auront encore six ou huit mois à exercer.

L. Gué­ri­neau
des Ébé­nistes de la Seine

* * * *

1re ques­tion. – Non seule­ment il n’est pas néces­saire que les Syn­di­cats, les U.D., les Fédé­ra­tions et le B.C. aient des fonc­tion­naires rétri­bués, mais j’a­joute que, à mon avis, la sup­pres­sion des Syn­di­cats de cor­po­ra­tion, des Fédé­ra­tions d’in­dus­trie et du B.C. est urgente, si l’on veut que l’or­ga­ni­sa­tion éco­no­mique de la classe ouvrière puisse rem­plir le rôle qui lui échoit.

2e Ques­tion. – Inutile ; car, si il y a admi­nis­tra­tion, il y aura, mal­gré nous, cen­tra­li­sa­tion ; donc néfaste.

3e Ques­tion. – Pour la pro­pa­gande et l’é­du­ca­tion : oui, mais le recru­te­ment ne peut avoir lieu qu’aux chan­tiers, usines, bureaux, gares, etc., etc., et, par consé­quent, ce tra­vail n’im­plique aucune rétri­bu­tion. Ce doit être l’œuvre quo­ti­dienne de chaque syndiqué.

4eQues­tion. – Le jour où les fonc­tions ne seront plus rétri­buées, il sera inutile d’en limi­ter la durée.

5e Ques­tion. – Pour moi, la durée importe peu. Ce que je serais heu­reux de voir adop­ter dans le Syn­di­cat, c’est que l’in­di­vi­du qui aurait une fonc­tion, soit révo­cable sur-le-champ, lors­qu’il aura fau­té, quelle que soit sa valeur, et que, sur­tout, il ne soit pas absous parce qu’il aurait soi-disant beau­coup tra­vaillé, et, ce qui est plus géné­ral, parce que c’est un bon copain ; alors pour ne pas lui faire de peine, on le laisse en place, et il conti­nue ses erreurs passées.

E. Lagrue

* * * *

Si l’on veut évi­ter un nou­veau redres­se­ment du syn­di­ca­lisme dans X… années, il faut, dès aujourd’­hui, se pré­mu­nir, en s’ins­pi­rant des causes de la déchéance de la vieille C.G.T. qui ins­pi­rait, à ses débuts, de si grands espoir en l’avenir.

Le fonc­tion­na­risme inamo­vible a ron­gé, a rui­né l’es­prit révo­lu­tion­naire qui ani­mait alors la C.G.T. fran­çaise. Il a aus­si absor­bé de bons et actifs mili­tants, qui ne sont aujourd’­hui que des fonc­tion­naires plus pré­oc­cu­pés de défendre leur situa­tion per­son­nelle, que de faire œuvre de pro­pa­gan­distes syn­di­ca­listes. Le fonc­tion­na­risme a divi­sé les hommes, il a déchaî­né les appé­tits, il a crée des cou­rants d’o­pi­nion, dont le véri­table mobile est l’ar­ri­visme d’as­pi­rants. Le fonc­tion­na­risme est une plaie conta­gieuse, il faut la brû­ler avec un fer rouge, et le plus rapi­de­ment pos­sible ; autre­ment, gare à la gan­grène ! Aus­si c’est avec plai­sir que je réponds au questionnaire.

Les fonc­tion­naires ne sont pas indis­pen­sables au syn­di­ca­lisme qui a d’autres buts que celui de créer une bureau­cra­tie rétribuée.

L’ad­mi­nis­tra­tion des Syn­di­cats, des Unions dépar­te­men­tales, des Fédé­ra­tions d’in­dus­trie de la C.G.T. peut très bien se faire par des pro­fes­sion­nels rétri­bués, pla­cés sous le contrôle direct des conseils et com­mis­sions exé­cu­tives des orga­ni­sa­tions qui tra­ce­raient la besogne.

Pour la pro­pa­gande et les délé­ga­tions, cette besogne pour­rait être confiée à des mili­tants qui consi­dé­re­raient leur tâche finie avec l’exé­cu­tion de leur man­dat ; il va sans dire que, étant rétri­bués pour l’ac­com­plis­se­ment de leur mis­sion, ils retour­ne­raient au tra­vail, au milieu de leurs cama­rades, conti­nuer leur action de propagandistes.

Si, en l’é­tat actuel des choses, il semble impos­sible de réa­li­ser de suite l’i­dée que j’ex­prime ci-des­sus, j’es­time que la durée du man­dat des fonc­tion­naires syn­di­ca­listes doit être limi­tée : à un an pour les orga­ni­sa­tions syn­di­cales et à deux ans pour les orga­nismes locaux, régio­naux, fédé­raux et confédéraux.

Cette réa­li­sa­tion nous amè­ne­ra inévi­ta­ble­ment à expur­ger le mou­ve­ment ouvrier de tous les arri­vistes, et nous per­met­tra de conser­ver dans notre sein des cama­rades qui se per­draient dans le fonc­tion­na­risme prolongé.

Au pis aller, ce deuxième point de vue peut don­ner d’ex­cel­lents résul­tats ; mais, je le déclare, il doit pré­pa­rer la réa­li­sa­tion de celui que j’in­dique en pre­mier lieu. Alors, le syn­di­ca­lisme ne cour­ra plus de risques ; nous ne serons plus obli­gés de le redres­ser tous les dix ou vingt ans ; il pour­sui­vra ses fins et ses buts révolutionnaires.

J.-S. Bou­doux
des Char­pen­tiers en fer.

* * * *

Je réponds avec plai­sir à cette enquête, qui me parait des plus néces­saires, dans la période chao­tique que nous traversons.

Après la triste expé­rience de la guerre, le fonc­tion­na­risme syn­di­cal a pris une forme vrai­ment gou­ver­ne­men­tale, par le fait de sa nou­velle consti­tu­tion en Comi­té Natio­nal Confé­dé­ral, qui se réunit pério­di­que­ment, pour prendre des déci­sions, sans avi­ser les inté­res­sés : les syndiqués.

C’est ain­si que, peu à peu, la C.G.T. a ces­sé d’être une orga­ni­sa­tion ayant à sa base le prin­cipe révo­lu­tion­naire de la lutte de classe et est deve­nue un orga­nisme de col­la­bo­ra­tion, à l’en­tière dis­cré­tion de ceux qui détiennent les fonctions.

N’é­tant plus astreints au tra­vail de l’u­sine, de l’a­te­lier, du maga­sin, les fonc­tion­naires n’ont plus les mêmes inté­rêts que les ouvriers ou employés qui peinent sans cesse en proie à l’in­cer­ti­tude et aux sou­cis du len­de­main. Ils ne sont plus des révol­tés, mais des satis­faits ; aus­si n’aiment-ils pas la bataille ouverte et bru­tale contre l’ex­ploi­ta­tion, dont ils ne souffrent pas per­son­nel­le­ment. Or, le syn­di­ca­lisme est l’arme des tra­vailleurs, qui luttent pour se libé­rer du joug capi­ta­liste qui les opprime. Son rôle est ins­crit clai­re­ment dans ses sta­tut. Il n’ap­par­tient donc à aucune per­son­na­li­té de le faire dévier, au gré de ses dési­rs. C’est cepen­dant ce qui est arri­vé, et a créé la mau­vaise situa­tion qui fait de la C.G.T. un champ de bataille entre indi­vi­dus vou­lant occu­per les places de per­ma­nents rétri­bués, vivant en marge des exploités.

Il est donc néces­saire de faire dis­pa­raître cette armée de fonc­tion­naires, qui tuent tout esprit de révolte, et consti­tuent une sorte de gou­ver­ne­ment ouvrier, contre lequel la classe ouvrière, consciente et clair­voyante est obli­gée de réagir. En conclu­sion : plus de fonc­tion­naires permanents.

Le tra­vail de bureau serait accom­pli par des comp­tables et sté­nos-dac­ty­los de métier, payés an tarif de leur cor­po­ra­tion. La besogne de pro­pa­gande, d’é­du­ca­tion et de recru­te­ment, serait faite par des cama­rades appar­te­nant à chaque orga­ni­sa­tion. Ces pro­pa­gan­distes seraient choi­sis par­mi les syn­di­qués, à tour de rôle, aptes à rem­plir cette besogne, payés au tarif de la cor­po­ra­tion dont ils font partie.

Pour remé­dier au cor­po­ra­tisme étroit, on doit — à mon sens — fon­der des Syn­di­cats uniques par indus­trie, à l’exemple de nos cama­rades d’Es­pagne, qui, chez eux, n’ont pas créé le fonctionnarisme.

La ques­tion est posée : devons-nous conti­nuer à entre­te­nir cette plaie qui nous infecte ?

Il est indis­pen­sable que les anar­chistes prennent posi­tion, et je crois que cela pour­rait déter­mi­ner les orga­ni­sa­tions, à détruire à jamais le fonc­tion­na­risme par le sys­tème pro­po­sé par Le Meillour. Ce sys­tème appor­te­rait au syn­di­ca­lisme un pres­tige moral incon­tes­table, on ver­rait remon­ter les effec­tifs, et les luttes intes­tines dis­pa­raître, pour faire place à une entente fra­ter­nelle et pour atteindre le but que le syn­di­ca­lisme s’est tra­cé, dès sa fon­da­tion : l’a­bo­li­tion du sala­riat et la sup­pres­sion de l’ex­ploi­ta­tion de l’homme par l’homme.

En tous cas, nous devons, en tant qu’ou­vriers syn­di­qués, don­ner, dans les orga­ni­sa­tions aux­quelles nous appar­te­nons, l’exemple du dévoue­ment et du dés­in­té­res­se­ment le plus com­plet, afin qu’on ne nous prenne pas pour des bluf­feurs et des fumistes.

La pro­pa­gande par l’exemple est, pour moi, la meilleure, celle qui frappe le mieux la conscience et l’es­prit des exploi­tés qui nous entourent. Soyons logiques avec nous-mêmes. Mon­trons aux tra­vailleurs et aux exploi­teurs capi­ta­listes que nous sommes capables de nous admi­nis­trer sans chefs et sans direc­teurs de conscience. Débar­ras­sons-nous du fonc­tion­na­risme et nous aurons fait un grand pas. Dans l’at­tente qu’il dis­pa­raisse, limi­tons la durée des fonc­tions à un an au maxi­mum et que celui qui rem­plit cette fonc­tion, retourne à son travail.

Claude Jour­net
Du Syn­di­cat de L’.O.T.L. de Lyon.

* * * *

1re ques­tion. – Quand les orga­ni­sa­tions ne sont pas fortes, point n’est besoin d’a­voir des per­ma­nents, qui, par leurs émo­lu­ments, absorbent les res­sources qui doivent être exclu­si­ve­ment consa­crées aux néces­si­tés de la pro­pa­gande et ser­vir à ren­for­cer l’or­ga­ni­sa­tion elle-même. Mais, par la suite, si le déve­lop­pe­ment de l’or­ga­ni­sa­tion amène un sur­croît de tra­vail auquel il faille consa­crer tout son temps, des employés, soit comp­tables ou autres, me semblent tout qua­li­fiés pour faire ce tra­vail qui ne consis­te­rait en somme qu’à faire la cor­res­pon­dance et à assu­rer la ges­tion financière.

2e ques­tion. – Pour les Syn­di­cats, c’est, à mon avis, une autre affaire, il y a un moyen de résoudre cette ques­tion du fonc­tion­na­risme qui pré­oc­cupe tout le monde des travailleurs.

Ce moyen consiste à décen­tra­li­ser les gros Syn­di­cats d’in­dus­trie, qui, par la concen­tra­tion des effec­tifs de toute une région – comme c’est le cas pour la région pari­sienne – donnent nais­sance à toute une flo­rai­son de fonc­tion­naires et aspi­rants fonc­tion­naires syndicaux.

En créant le Syn­di­cat unique dans chaque loca­li­té ou arron­dis­se­ment, on décen­tra­lise le tra­vail et cela per­met, par l’o­bli­ga­tion qui en est faite aux tra­vailleurs grou­pés dans ces Syn­di­cats locaux, d’ac­qué­rir les qua­li­tés, les notions, la capa­ci­té et la pra­tique néces­saires à toute bonne admi­nis­tra­tion, de s’or­ga­ni­ser au len­de­main de la Révo­lu­tion, et ain­si d’être capables de faire vivre une socié­té d’hommes libres.

3e ques­tion. – Je ne pense pas qu’il soit pos­sible d’ad­mettre comme un sta­tut rigide, le moyen qu’ex­pose la Revue, en ce qui concerne les délé­gués à la pro­pa­gande ; faire par­tir la rétri­bu­tion à l’ins­tant où com­mence le man­dat et la sup­pri­mer à l’ins­tant où il finit, me paraît très bien en prin­cipe ; mais, en fait, ce n’est pas du tout la même chose, car il faut admettre que le pro­pa­gan­diste est, dans ce cas, employé chez le patron. L’or­ga­ni­sa­tion a besoin de lui pour quelques jours et, comme de juste, elle le dédom­mage, 1 fois, 2 fois, 3 fois même, ça ira : le patron admet­tra toute une foule de motifs, mais, par la suite, il dira à son sala­rié, qu’il a besoin que son per­son­nel soit assi­du au tra­vail et, alors, deux alter­na­tives : ou refu­ser la délé­ga­tion de deux ou trois jours ou même plus, et res­ter dans sa place ; ou bien accep­ter par­tir en délé­ga­tion et être congé­dié. Comme la durée de la délé­ga­tion est limi­tée : dix jours par exemple, le onzième jour, le pro­pa­gan­diste est dans l’o­bli­ga­tion de reprendre. ses occu­pa­tions jour­na­lières et de cher­cher un patron qui consente à l’embaucher.

Et là encore, ce sera la même chose. Aus­si comme solu­tion, je pro­pose que le man­dat du pro­pa­gan­diste ait une durée de trois mois. Rétri­bu­tion : salaire-moyen de la corporation.

4e ques­tion. – Dans le but de ne pas faire perdre aux syn­di­qués l’ha­bi­tude d’exer­cer leur pro­fes­sion et pour ne pas créer, au cœur du Syn­di­ca­lisme, une caste de pri­vi­lé­giés, il est néces­saire que la durée des fonc­tions ou man­dats soit limi­tée et il faut que, à l’ex­pi­ra­tion de leur man­dat, les pro­pa­gan­distes entrent dans le rang. Ils ne seraient donc pas rééligibles.

5e ques­tion. – Durée maxi­ma des fonc­tions : trois mois.

Bott
Syn­di­cat des Métaux

* * * *

Mar­seille, le 17 février 1922.

Cama­rade Sébas­tien Faure.

Je reçois votre cir­cu­laire avec le n°1 de La Revue Anar­chiste, et je vous remer­cie d’a­voir pen­sé à moi comme « syn­di­ca­liste notoire » ! Hier, j’a­vais du galon confé­dé­ral et j’ai défen­du avec âpre­té mes idées, d’ac­cord avec les mili­tants révo­lu­tion­naires des Bouches-du-Rhône ; c’est sans doute pour­quoi vous m’a­vez consi­dé­ré comme « notoire» ; aujourd’­hui, dans le rang, je conserve la même indé­pen­dance qu’­hier. Je suis donc très à l’aise pour par­ler du Fonc­tion­na­risme syn­di­cal. Eh bien, j’es­time que tout le bruit fait autour de la ques­tion ne rime à rien. Pour moi, il ne s’a­git pas de savoir si les secré­taires des grou­pe­ments syn­di­caux seront appoin­tés ou non, il s’a­git de savoir s’ils dirigent le grou­pe­ment qui les a élus ou s’ils sont diri­gés par lui. Tout est là.

Car on peut fort bien conce­voir un cama­rade qui, tout en fai­sant son tra­vail quo­ti­dien, demeure un petit tyran à la tête de son orga­ni­sa­tion ; on peut même admettre – c’est connu – qu’un secré­taire de syn­di­cat non appoin­té, obtient, à cause de sa fonc­tion, de tels avan­tages du patron, qu’il tra­hit tout dou­ce­ment les inté­rêts de ses cama­rades dans ses rap­ports avec ledit patron – sans pour cela avoir pré­le­vé un sou dans la caisse syndicat.

Main­te­nant, comme il faut tenir compte des réa­li­tés, je crois impos­sible que tous les adhé­rents du syn­di­cat s’in­té­ressent à la vie de leur orga­ni­sa­tion et contrôlent, effec­ti­ve­ment, leurs man­da­taires. Cela pour­ra venir, mais nous n’en sommes pas encore là. En atten­dant, il fau­drait donc for­mer dans chaque grou­pe­ment, du syn­di­cat à la C.G.T., des « noyaux » de cama­rades dévoués et dés­in­té­res­sés qui exer­ce­raient le contrôle néces­saire. Le pou­voir indi­vi­duel et abso­lu dis­pa­raî­trait ain­si du mou­ve­ment syndical.

Une autre ques­tion, plus terre-à-terre.

Je veux bien admettre que, pour le tra­vail maté­riel, les syn­di­cats, unions dépar­te­men­tales et fédé­ra­tions aient des employés ordi­naires ; mais, pour la pro­pa­gande, sur­tout à tra­vers tout le pays, les délé­ga­tions tem­po­raires peuvent ne pas suf­fire : les mili­tants capables de les rem­plir sont assez peu nom­breux et, s’ils sont embau­chés, ils crain­dront de perdre leur tra­vail s’ils le quittent à tout bout de champ, pour trois, quatre ou huit jours. Il ne s’a­git pas de décla­mer, mais de voir com­ment les choses se passent.

En conclu­sion, j’es­time qu’il faut que les secré­taires, appoin­tés ou non, soient étroi­te­ment contrô­lés et que le syn­di­cat (ou un groupe de cama­rades dés­in­té­res­sés) puisse les chan­ger en cas de dévia­tion (tra­hi­son). Que, par­tout où il est pos­sible de se pas­ser de per­ma­nents, on s’en passe, mais qu’on n’hé­site pas à y recou­rir dès que c’est utile ; et sur­tout qu’on ne perde pas son temps à dis­cu­tailler sur des ques­tions d’im­por­tance secondaire.

Je n’ai pas répon­du point par point au ques­tion­naire, je m’en excuse. Je crois cepen­dant devoir indi­quer un moyen simple de pal­lier à l’in­con­vé­nient qu’il y aurait à se pri­ver brus­que­ment des ser­vices d’un cama­rade per­ma­nent, car je suis pour la limi­ta­tion de la durée du man­dat (rétri­bué ou non); mon moyen, c’est de nom­mer un secré­taire adjoint qui, auto­ma­ti­que­ment, rem­pla­ce­ra le secré­taire. Celui-ci, à son tour, pour­rait reve­nir à son « fau­teuil » après un stage a l’a­te­lier. Mais, encore une fois, ces mesures et toutes celles qu’on pour­ra envi­sa­ger ne vau­dront que ce valent les hommes char­gés de veiller à leur application.

Bien cor­dia­le­ment à vous.

Fran­çois Mayoux


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