La Presse Anarchiste

Revue des journaux

Propagande inattendue

Un tol­lé géné­ral répon­dit dans toute la presse, y com­prise celle qui se pré­tend révo­lu­tion­naire, à l’acte de notre cama­rade Cot­tin. Tous les plu­mi­tifs de droite ou de gauche, voire d’extrême-gauche, réprou­vèrent avec un ensemble tou­chant l’acte « cri­mi­nel » « inutile » de notre ami.

Nous vîmes même l’avocat de Cot­tin qui, pen­dant deux ans avait oublié jusqu’à l’existence de son client (une cam­pagne de l’Union Anar­chiste lui a heu­reu­se­ment rafraî­chi la mémoire) décla­rer, dans l’Huma­ni­té, que Cot­tin n’était pas si mal­heu­reux que cela dans son « palace » de Melun.

Mais vinrent des élec­tions, et en période élec­to­rale, on va jusqu’à sol­li­ci­ter les voix de ces salauds d’anarchistes que l’on espère bien exter­mi­ner un jour.

Les liber­taires, dit Fer­nand morelle, dans le Jour­nal du Peuple :

Les liber­taires, pour une fois, délais­sant leur tac­tique anti­par­le­men­taire et anti­vo­tarde, qui peut se légi­ti­mer en d’autres cir­cons­tances, consen­ti­ront à dépo­ser un bul­le­tin de vote dans les urnes, aux noms de Mar­ty, de Badi­na, de Marthe Bigot.

Ils se ren­dront compte que c’est une manière excel­lente de faire sor­tir du cachot infect, dans lequel, mal­gré son état de san­té pré­caire, il est main­te­nu, Cot­tin, qui n’a pas eu pour le médias­tin de Cle­men­ceau tous les égards qu’un « bon patriote » devait avoir pour le « Père la Victoire ».

Le vote en faveur de Mar­ty et de Badi­na impo­se­ra l’amnistie pleine et entière au Gouvernement.

L’Huma­ni­té reprend au refrain :

Cepen­dant, Cot­tin se meurt, Gold­sky agonise…

Amnis­tie ! Amnis­tie pour tous ! C’est assez souf­frir!… C’est pour tous, c’est pour les sau­ver, c’est pour les rendre à la vie, que demain les élec­teurs de Cha­ronne, de la San­té, des Enfants-Rouges appor­te­ront dans les urnes les mil­liers de bul­le­tins libérateurs…

Mar­ty et Badi­na sont élus. Élus pour tous, déclare Louise Bodin :

Mar­ty et Badi­na sont élus pour les deux autres emmu­rés, Gold­sky et Cot­tin, l’un inno­cent, l’autre cruel­le­ment condam­né, au mépris de toute éga­li­té dans les sanctions.

Ah ! si Vil­lain avait été condam­né à mort, il n’y aurait sans doute pas eu d’inconvénient à ce que Cot­tin ait subi la même peine.

Vive COTTIN

Dans le Jour­nal du Peuple, qui est bien le seul quo­ti­dien qui per­met à des voix géné­reuses et dés­in­té­res­sées de se faire entendre, F. Gout­te­noire de Tou­ry, après avoir réprou­vé toute vio­lence, fait un paral­lèle entre l’acquittement des sau­vages de Van­de­li­court qui brû­lèrent vifs un enfant cou­pable d’avoir por­té atteinte à leurs biens, et la condam­na­tion de Cottin.

En appli­quant la loi de Lynch à celui qui mena­çait leurs récoltes, les bour­reaux fai­saient un geste typique de défense de la pro­prié­té, les bour­geois qui les ont jugés, consciem­ment ou non, l’ont bien sen­ti et ils ont acquitté.

Cot­tin, lui, était un mal­heu­reux qui, dans un geste vain, à mon sens, pré­ten­dait atteindre l’injustice et l’oppression. Quoi qu’on puisse pen­ser de son acte, force est bien de recon­naître qu’il était dés­in­té­res­sé, qu’il n’avait rien à en attendre, pour lui-même.

Quelques jours plus tard, dans le même jour­nal, Han Ryner, écrit :

Mon « Vive Cot­tin » acclame une géné­ro­si­té, un dés­in­té­res­se­ment et un cou­rage que j’admire mal­gré leur erreur exté­rieure. Vive ce mar­tyr d’une reli­gion qui n’est point la mienne. Mais, plus encore qu’un vivat et une accla­ma­tion, mon cri est une pro­tes­ta­tion. Vive Cot­tin ! signi­fie sur­tout : Ah ! mais non, ne tuez pas Cot­tin. La lâche­té que vous n’avez pas osée juri­di­que­ment, au petit jour, par­mi les for­ma­li­tés, et les bavar­dages qui per­mirent à Lan­dru, dix minutes avant sa mort, de vous mépri­ser, ne conti­nuez pas, misé­rables, à l’exécuter sour­noi­se­ment dans l’ombre d’une prison.

Qu’on rende à la vie, Cot­tin et tous ceux qui sont enfer­més à cause de la guerre. Ne trou­vez-vous pas suf­fi­santes les vic­times que vous ne pou­vez ressusciter ?

Saluons ces pro­tes­ta­tions d’hommes qui, sans par­ta­ger notre idéal, clament leur haine de l’iniquité sociale… et atten­dons de nou­velles élec­tions qui per­met­tront aux révo­lu­tion­naires pro­fes­sion­nels une indi­gna­tion occa­sion­nelle et sans por­tée pratique.

La Semaine de la Relativité

Les semaines se suivent, nous avons eu la semaine du vin, la semaine sainte, que sais-je ? Avec Ein­stein, celle de la relativité.

P. Pain­le­vé, fos­soyeur illustre, se double d’un mathé­ma­ti­cien répu­té ; adver­saire scien­ti­fique des théo­ries d’Einstein, il nous pré­sente leur auteur dans le Petit Pari­sien, sous cet aspect bien fait pour nous charmer :

Un cer­veau d’une ima­gi­na­tion géniale, à la fois des­truc­teur et recons­truc­teur — un regard per­du dans les hau­teurs ver­ti­gi­neuses de la médi­ta­tion — un idéa­lisme trans­cen­dan­tal qui, dans tous les domaines de la pen­sée, s’efforce de bri­ser les pré­ju­gés, d’abattre les cloi­sons sépa­ra­trices, voi­là en quelques traits, les « carac­té­ris­tiques » d’Einstein.

Après un expo­sé som­maire de l’œuvre d’Einstein, Pain­le­vé conclut :

Par­mi les savants, les uns crient au miracle, d’autres à l’illusion. Les assises de la nou­velle doc­trine seront-elles indes­truc­tibles ou seront-elles pro­fon­dé­ment modi­fiées, ou encore ne sera-t-elle qu’une phase créa­trice et féconde de la science moderne, dont les résul­tats fini­ront par ren­trer dans les cadres clas­siques. Un ave­nir pro­chain nous le dira.

Blasphèmes sur la Science

Tou­jours à pro­pos du célèbre phy­si­cien alle­mand, Jean Rameau, dans le Gau­lois, porte ce juge­ment sur la science.

La science n’est qu’une mode. Ce qu’elle enseigne ne dure pas. Cela ne repose sur aucun fon­de­ment stable, cela ne se cou­ronne d’aucun fron­ton défi­ni­tif. Tout ce qu’elle a pro­cla­mé un jour est recon­nu inexact un autre jour.

…………………………………………………………………

Mais n’ayons pas l’air de croire que toute recherche scien­ti­fique est vaine : nous serions des impies. La science est le plus noble des tour­ments et il serait enfan­tin de nier ses bien­faits. Ils existent, ils frappent tous les yeux — quoique ses méfaits les frappent aus­si. Et, du reste, nous avons, besoin de savoir, même quand nous avons la cer­ti­tude qu’il est impos­sible de savoir La curio­si­té nous agite.

On m’a par­lé d’un phi­lo­sophe grin­cheux qui regarde la science comme une sorte d’alcool pour les esprits. C’est enivrant, mais dan­ge­reux. Et d’après un de ses confrères — celui-ci est pro­ba­ble­ment fou — la science pour­rait bien être un virus sub­til dont le Grand Maître de Tout infecte les pla­nètes vieillies qui ont démé­ri­té. La science abou­ti­rait à leur des­truc­tion. Et si l’on consi­dère quelques mer­veilles scien­ti­fiques : par exemple ces explo­sifs qui fai­saient sau­ter un coteau hier, qui feront sau­ter un pays demain, et peut-être un conti­nent après-demain (car nous sommes gens de pro­grès sans doute?), on peut se deman­der si le phi­lo­sophe est aus­si fou que cela.

Non, il n’était pas fou, ce phi­lo­sophe grin­cheux : en régime capi­ta­liste et auto­ri­taire, la science est, comme tout du reste, au ser­vice des œuvres de mal.

Gênes

34 pays non, 34 gou­ver­ne­ments sont repré­sen­tés à cette fameuse confé­rence, qui devait tout recons­truire et qui pour­rait bien tout démo­lir. Comme le fait remar­quer Mar­cel Cachin qui vil­lé­gia­ture là-bas en com­pa­gnie de deux employés subal­ternes, il est bien dif­fi­cile d’être ren­sei­gné exac­te­ment par la presse qui déforme tout, selon les besoins des causes par­ti­cu­lières qu’elle défend :

Il n’est pas aisé de suivre les pro­grès de la Confé­rence de Gênes dans le foi­son­ne­ment de dépêches contra­dic­toires qui par­viennent aux agences et aux jour­naux du monde entier. À chaque heure partent de là-bas, pour les quatre coins de l’univers, les nou­velles les plus sen­sa­tion­nelles, les plus ten­dan­cieuses et les plus fausses. À Gênes sont réunis pêle-mêle, depuis une semaine, les repré­sen­tants de 34 pays qui donnent leurs direc­tives oppo­sées à une armée de 700 jour­na­listes de toutes opi­nions. Tous tendent à pré­sen­ter les faits de la manière la plus favo­rable à leurs inté­rêts natio­naux et à leurs pas­sions de classe.

Et Cachin qui devait être bien ren­sei­gné sur les inten­tions du gou­ver­ne­ment de Mos­cou, ajoute :

Nos natio­na­listes fran­çais vont répé­tant que l’Allemagne a par­tie liée à Gênes avec les bol­che­viks. C’est une erreur cer­taine. La véri­té, c’est que l’entourage de Wirth et de Rathe­nau attend son seul salut d’une col­la­bo­ra­tion d’avenir avec la Grande-Bretagne.

Le « coup de théâtre »

Tout sem­blait devoir mar­cher au gré du capi­ta­lisme inter­na­tio­nal, mal­gré les incer­ti­tudes de Bar­thou et de Tchit­ché­rine, les deux enfants ter­ribles du concile, quand tout à coup, pata­tras, Russes et Alle­mands signent un accord sans avoir jugé utile d’en réfé­rer au préa­lable aux autres gou­ver­ne­ments. C’est alors une explo­sion de colère dans les feuilles patrio­tardes. Pen­dant que l’Huma­ni­té se réjouit du bon tour fait aux Alliés et du désar­roi qui règne dans leur camp, les feuilles dites de grande infor­ma­tion annoncent à brève échéance, une guerre contre les « hordes germano-slaves ».

Le Temps, écrit :

Le trai­té d’avant-hier, conclu pen­dant cette confé­rence qui devait conso­li­der la paix, est en réa­li­té un pré­pa­ra­tif de guerre. Oui, de guerre…

L’illustre Dau­det, dans l’Action fran­çaise, clame :

La jour­née d’avant-hier à Gênes, est l’équivalent poli­tique du drame de Sara­je­vo. Nous voi­ci en juin 1914.

L’Éclair, la Vic­toire, du sinistre coquin Her­vé, l’Écho Natio­nal, du non moins sinistre Cle­men­ceau hurlent à la mort. Le Matin, lui, pose cette question :

Quand les Alliés vont-ils faire appel au maré­chal Foch ?

À quoi l’Œuvre, opti­miste, répond : Ras­su­rons notre confrère, les Cosaques ne sont pas encore à cinq étapes de Paris.

Mais n’est-ce pas, comme ce serait des Cosaques « com­mu­nistes », nous n’avons pas à nous inquiéter!…

Toujours l’Alliance russe

Mar­cel Ber­niard, à ce pro­pos, écrit dans le Jour­nal du Peuple :

Pour la paix, pour l’Europe, pour la civi­li­sa­tion en péril, debout pour l’union sacrée des éner­gies répu­bli­caines ! La Rus­sie et l’Allemagne répu­bli­caines se sont rap­pro­chées ; fai­sons, pour la paix, le rap­pro­che­ment de toutes les démo­cra­ties libé­rées de leurs maîtres déri­soires et malfaisants…

On voit qu’il n’y a pas que les anar­chistes pour affir­mer que la Révo­lu­tion russe a som­bré, par la faute des bol­che­vicks, dans la démo­cra­tie. Nous vou­lons espé­rer que la comé­die de Gênes aura du moins cette uti­li­té d’éclairer les obs­ti­nés sin­cères qui per­sistent encore à voir une cor­ré­la­tion entre le com­mu­nisme même mar­xiste et le gou­ver­ne­ment de Moscou.

Bondieuseries

« Très content, très heu­reux », répond un vieux rati­chon à une ques­tion posée par un rédac­teur du Gau­lois :

— Très content, très heu­reux ! Jamais je n’ai vu, dans mon église, une foule aus­si recueillie et aus­si empres­sée, jamais autant de com­mu­nions!… Et ce n’est que le commencement !

Et bro­dant sur ce thème, le plu­mi­tif continue :

N’avez-vous pas remar­qué que l’anticléricalisme n’intéressait vrai­ment plus ?

L’athéisme est pas­sé de mode, comme les robes à traîne, les robes à taille et les manches-bal­lons, etc…

…………………………………………………………………

D’où vient cet heu­reux résultat ?

Est-ce la guerre ?

Est-ce un bien­fai­sant réveil du vieil esprit français ?

Je réponds : les deux.

Je ne sais pas, si c’est un réveil du vieil « esprit fran­çais », mais cer­tai­ne­ment la guerre y est pour quelque chose. Et puis nous oublions un peu trop la pro­pa­gande anti-reli­gieuse. Les char­la­tans en profitent.

Une « vague » de mysticisme

Nous assis­tons, dit Paul Bru­lat, à une vague de mysticisme.

Est-ce une des consé­quences de la guerre ? On le croi­rait, à consta­ter les pro­grès éton­nants du spi­ri­tisme, qui n’est pas, comme cer­tains adeptes le vou­draient, une science, mais une reli­gion et qui, comme toutes les reli­gions, exige la foi. Faire tour­ner les tables, consul­ter les esprits qui errent dans l’au-delà, voi­là la grande pré­oc­cu­pa­tion à la mode pour ceux qui ont du temps à perdre.

Ain­si ceux qui ne croient pas au mys­tère de l’incarnation, croient à celui de la réin­car­na­tion ! on orga­nise même sur ce sujet, dans des milieux qui se pré­tendent avan­cés, des débats publics où des malades exposent sous les appa­rences les plus rai­son­nables, les choses les plus folles du monde.

Pauvres cer­veaux des hommes de notre triste époque.

Culot bourgeois

Un canard qui ne manque pas de culot, c’est l’Écho Natio­nal qui repro­duit un article de notre cama­rade Emma Gold­mann, article déjà paru dans le New-York World.

L’Écho Natio­nal publie éga­le­ment tous les jours des pho­to­gra­phies de mal­heu­reux mar­ty­ri­sés par les membres de la trop fameuse com­mis­sion extra­or­di­naire russe, la Tché-Ka.

Mais ce que l’Écho Natio­nal oublie de publier ce sont les pho­tos de tous ceux que la bour­geoi­sie fran­çaise fait cre­ver dans les bagnes mili­taires d’Afrique et d’ailleurs.

Si nous réprou­vons les actes d’arbitraire du gou­ver­ne­ment russe nous n’oublions pas dans notre haine et l’autorité, les actes cri­mi­nels qui se com­mettent jour­nel­le­ment à l’ombre du dra­peau tricolore.

Les anar­chistes, en com­bat­tant la contrainte, sont les seuls qui luttent effi­ca­ce­ment pour l’affranchissement humain, et la sup­pres­sion de tous ces crimes, consé­quences inévi­tables de tout régime autoritaire.

Pierre Mual­dès.


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