La Presse Anarchiste

Art et géométrie

J’examinais, lors d’un der­nier salon, une toile d’un qui­dam dont le nom ne m’est pas res­té. Ce n’est pas dom­mage et je veux rete­nir seule­ment de son œuvre (cubiste) l’extrême sim­pli­ci­té de sa composition. 

D’aucuns l’auront vue, repro­duite ou en nature, et certes, ne s’en seront pas sou­cié. Au nom de la véri­té, je dis que cet envoi (qui repré­sen­tait, en tout et pour tout, une demi-dou­zaine de droites non paral­lèles et sen­si­ble­ment ver­ti­cales, quelques-unes reliées par des courbes) force l’attention. Je le dis comme je le pense. 

Est-ce la sim­pli­ci­té géo­mé­trique de la figure, l’arrangement, l’obliquité des lignes, la « naï­ve­té » enclose, ou mieux : la farce ? 

Je vais me per­mettre de faire appel à la mémoire des cama­rades lec­teurs qui ont eu la chance d’avoir en mains l’ouvrage de G. de Polows­ky : « Mon voyage au pays de la 4e dimension. » 

Dans cette fic­tion supé­rieu­re­ment agen­cée, où la satire se pro­mène « sur tous les fronts », se payant, au nom de la science, la tête véné­rable de « notre » science, il y a un cha­pitre bien amu­sant (tous le sont) où la phi­lo­so­phie de Polows­ky nous repré­sente une civi­li­sa­tion hyper-scien­ti­fique, ayant asser­vi toutes les forces de la nature pour la gloire de l’homme, sinon pour son bonheur. 

Oui, mais l’existence y devint tel­le­ment com­pli­quée, l’individu si « spé­cia­li­sé », que l’apparition, dans un monde aus­si méca­nique et per­fec­tion­né d’un simple rat, man­qua pro­vo­quer le plus épou­van­table des désastres. — Mar­quons seule­ment que les « qua­trième dimen­sion­nistes » en eurent « pour leur grade » de sur­prise, de voir, à leur âge innom­brable (on ne mou­rait plus) l’être pri­mi­tif qui réveillait leurs âmes d’enfants.

Ain­si, pour en reve­nir à notre cubiste, c’est par l’artifice du rap­pel aux pre­miers âges que ses « barres » par­lèrent si fort à nos ima­gi­na­tions. Et j’éprouve à le recon­naître une bien saine joie que je vou­drais faire par­ta­ger à beaucoup. 

Ah ! le mau­vais cama­rade de cubiste, pour­tant ! Voi­là-t-il pas qu’il exa­gère « le truc » au point qu’il va sau­ter aux yeux des ana­lystes avi­sés, les­quels vou­dront bien, préa­la­ble­ment, essuyer leurs pince-nez. 

Admi­rons donc ces figures élé­men­taires, appli­quons-nous à recher­cher dans les grandes « machines » inex­tri­cables, les thèmes naïfs tra­cés par les nou­veaux enfants. Rajeu­nis­sons nos âmes. 

Mais encore, atten­dons-nous à de sérieuses décon­ve­nues, lorsqu’il ne plai­ra plus aux « maîtres » de nous don­ner seule­ment les points, les lignes et les cir­con­fé­rences de la géo­mé­trie élé­men­taire. Ça devien­dra trop fort pour nous, et res­pec­tueux de tant de science que nous ne pour­rons enfin son­der, nous regar­de­rons tout de même — s’ils nous pro­mettent, sur l’honneur — qu’il n’y a rien d’insultant pour nous dans ce qu’ils veulent bien nous mon­trer là. 

L. Jul­liard.


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