La Presse Anarchiste

Ce qui se passe Dans le syndicats

Tant que la C.G.T., dénom­mée pro­vi­soire, n’avait pour but que de ser­vir de lien entre les orga­ni­sa­tions dési­reuses de refaire l’unité, bri­sée par les mono­manes scis­sion­nistes, nous ne pou­vions, certes pas, attendre d’elle autre chose qu’une besogne administrative.

Mal­gré les innom­brables dif­fi­cul­tés que sou­lève la réor­ga­ni­sa­tion des forces syn­di­cales, désem­pa­rées par le fait d’une divi­sion savam­ment entre­te­nue, nous pou­vons dire que le résul­tat obte­nu est satis­fai­sant, si l’on songe que 320.000 cama­rades sont aujourd’hui réunis dans la C.G.T. réno­vée, for­mant ain­si un bloc déjà com­pact et résistant.

Ceux qui atten­daient, pour prendre posi­tion, de voir à l’œuvre le nou­vel orga­nisme ouvrier, vont pou­voir se déter­mi­ner, s’ils veulent bien suivre avec nous, pas à pas, ce qu’il a déjà réa­li­sé depuis que la scis­sion lui a don­né un carac­tère définitif.

Main­te­nant que le syn­di­ca­lisme, ain­si regrou­pé, peut faire œuvre sociale sans aban­don­ner pour cela sa besogne du début — ce qui serait une faute — il suf­fi­ra d’examiner atten­ti­ve­ment ses faits et gestes pour se rendre compte de l’utilité qu’il y a pour les anar­chistes de par­ti­ci­per à toute son action.

Pour être exact, il com­porte de recon­naître que les com­pa­gnons donnent au syn­di­ca­lisme une place impor­tante, en y appor­tant une acti­vi­té de plus en plus considérable.

Et c’est tant mieux !

Cette consta­ta­tion faite, il ne fau­drait pas que cer­tains de nos amis pensent que nous croyons que l’Anarchie est conte­nue toute en lui.

Ce serait com­mettre une erreur, dont notre phi­lo­so­phie aurait à souf­frir et cela nous ne le vou­lons pas, au contraire.

Ceci dit, com­men­çons à enre­gis­trer, à étu­dier et à com­men­ter l’activité de la C.G.T. uni­taire en même temps que nous jet­te­rons un regard vers ce qui se passe chez les « Saint-Man­déens », pour nous confir­mer dans notre opi­nion et jus­ti­fier — (le besoin s’en fera-t-il sen­tir un jour?) — la posi­tion que nous avons prise.

* * * *

Alors que le C.C.N. des « col­la­bo­ra­tion­nistes » n’avait lais­sé per­cer que le men­songe, la dupe­rie pour les tra­vailleurs et la haine pour ceux qui vou­laient res­ter ou reve­nir au prin­cipe de « luttes des classes », celui qui fut tenu par les orga­ni­sa­tions « uni­taires », nous laisse espé­rer un ave­nir meilleur pour le déve­lop­pe­ment du mou­ve­ment ouvrier.

Pour s’en convaincre, il suf­fit de jeter un coup d’œil d’ensemble sur les motions et réso­lu­tions adop­tées, il est vrai, après des dis­cus­sions par­fois très animées.

Aus­si, consta­tons que l’accord s’est réa­li­sé, mal­gré tout, quand il s’est agi de mani­fes­ter « son entière soli­da­ri­té avec ceux qui, dans tous les pays, sont per­sé­cu­tés et empri­son­nés, par les gou­ver­ne­ments quels qu’ils soient, pour leurs idées, leurs prin­cipes en faveur de la défense ou de la réa­li­sa­tion de la Révo­lu­tion net­te­ment prolétarienne. »

Dans le rap­port moral du bureau et de la C.A. pro­vi­soire, qui fut adop­té sans réserves, une ten­dance net­te­ment fédé­ra­liste est mar­quée en ce qui concerne la forme et l’organisation de la pro­pa­gande et de l’administration. Cela n’est pas fait pour déplaire à nos amis, j’en suis persuadé.

La déci­sion concer­nant la non-rééli­gi­bi­li­té des fonc­tion­naires doit recou­vrir une impor­tance que l’on ne sau­rait nier, car c’est recon­naître et com­battre d’ores et déjà la noci­vi­té du fonc­tion­na­risme, dont la dis­pa­ri­tion s’annoncera d’autant plus rapi­de­ment que nous sau­rons faire la pro­pa­gande édu­ca­tive indispensable.

Ce qui doit rete­nir plus par­ti­cu­liè­re­ment notre atten­tion, est la ques­tion de la dua­li­té entre les fédé­ra­tion d’industries et les unions dépar­te­men­tales, qui pesait si lour­de­ment sur les déci­sions qu’auraient vou­lu prendre les syn­di­qués. Cette forme de repré­sen­ta­tion double, après s’être mani­fes­tée dans un vote, a été condam­née et nous ne pou­vons qu’applaudir à ce geste dont la signi­fi­ca­tion et la por­tée n’échapperont à aucun de nous.

À la suite de ces consta­ta­tions, il est utile d’insister auprès des com­pa­gnons sur l’attitude de la jeu­nesse néo-com­mu­niste à l’égard de la C.G.T. uni­taire. En effet, elle a une ten­dance net­te­ment défi­nie à nous faire subir un boy­cot­tage, qui, à lui seul devrait démon­trer vers quelle voie cette orga­ni­sa­tion se dirige. Soyons donc prêts à toutes éven­tua­li­tés et déci­dés à nous mani­fes­ter en toutes occasions.

* * * *

Reve­nons un peu sur la ques­tion du front unique, qui reste d’actualité grâce au concours inat­ten­du de cer­tain manieur de pis­to­let en carton.

Ce n’est plus une comé­die, c’est un vrai vaudeville !

Les scènes se suc­cèdent dans un imbro­glio presque incon­ce­vable. Les sujets les plus divers s’y ren­contrent dans un enche­vê­tre­ment du plus haut comique. Les effets y sont savam­ment étu­diés. De là à dire que l’interprétation s’y montre brillante, il n’y a qu’un pas à franchir.

C’est à se tordre de rire ! Pour­vu que cela n’aille pas jusqu’aux larmes !

Le décor repré­sente une salle de Bruxelles où se tient un grand mee­ting. Jou­haux-le-sten­tor y ren­contre Fim­men-la-cré­celle et tous deux entonnent l’hymne au front unique, repris en chœur par des ministres de roi et autres cabo­tins. Le bruit qu’ils font se réper­cute ; tel l’écho de la mon­tagne, il roule presque indéfiniment.

Et nous sommes trans­por­tés à Mos­cou le 17 février, où nous ren­con­trons Zino­viev et sa com­pa­gnie ain­si que l’ineffable Ros­mer cos­tu­mé en gosse à la Poul­bot et décla­rant : « Je veux res­ter à l’Exécutif, na ! » puis ils ren­voient aux scé­lé­rats d’hier le refrain que l’écho leur a apporté.

Le der­nier acte sera cer­tai­ne­ment une repro­duc­tion, en plus grande pompe, du mariage de Tom­ma­si avec le gros Léon.

L’Hyménée de Mos­cou et d’Amsterdam !

Je vous assure que ce sera drôle. Aus­si je retiens dès main­te­nant un fau­teuil d’orchestre pour mieux assis­ter à cette repré­sen­ta­tion, qui sera la der­nière, car j’espère bien que les spec­ta­teurs, les tra­vailleurs en l’occurrence, sau­ront applau­dir comme il convient à ce spectacle.

Et si les auteurs le veulent bien, je leur conseille d’appeler cela le Front unique.

* * * *

Tel un navire que l’on ren­floue, cer­tains cama­rades syn­di­ca­listes essaient de faire remon­ter à la sur­face l’adhésion du syn­di­ca­lisme fran­çais à l’Internationale syn­di­cale dite rouge dont le siège est à Moscou.

« Mos­cou quand même ! » écrit Mon­mous­seau, et le voi­là par­ti sur son che­val de bataille.

Je ne vou­drais lui faire aucune peine, même légère, pour­tant je dois à la véri­té de lui dire com­bien je regrette son igno­rance de la véri­té avec un grand V, car s’il vou­lait vrai­ment savoir, je suis per­sua­dé qu’il serait plus cir­cons­pect quand il nous repré­sente ce centre comme étant la révo­lu­tion, toute la Révolution.

Je l’engage donc, cor­dia­le­ment, à s’informer à d’autres sources qu’à celle, tou­jours la même, où il puise, et il se ren­dra compte rapi­de­ment, je l’espère, qu’il fait fausse route.

Ne sait-il pas que Lénine a décla­ré qu’il se ser­vait du syn­di­ca­lisme aujourd’hui sim­ple­ment parce que celui-ci pou­vait ser­vir aux inté­rêts pri­mor­diaux du Par­ti poli­tique et que demain il le ferait dis­pa­raître s’il le gênait dans sa ges­tion du Pou­voir ? Ignore-t-il toutes les décla­ra­tions, déci­sions et ordres, toute l’activité sou­ter­raine des lea­ders de l’I.S. dite rouge et du P.C. qui tendent à dimi­nuer la valeur morale et maté­rielle de l’organisation économique ?

Il ne fau­drait tout de même pas nous faire croire qu’il suf­fit d’être aveu­glé pour prou­ver que l’on y voit très clair, ni non plus par­ler des réa­li­sa­tions com­mu­nistes de ceux qui sont les pre­miers à recon­naî­tra qu’ils ont à défendre un démo­cra­tisme naissant.

Aus­si bien nous repré­sente-t-on la révo­lu­tion russe comme étant à peine au même point que la révo­lu­tion fran­çaise après la prise du pou­voir par les bour­geois de l’époque.

Cela ne dimi­nue aucu­ne­ment les révo­lu­tion­naires de 1793 ni non plus ceux de 1917, mais n’augmente pas dans nos cœurs l’estime que nous devons avoir pour ceux qui, oubliant la valeur créa­trice du Pro­lé­ta­riat sur le ter­rain éco­no­mique, font pas­ser avant tout l’intérêt poli­tique de leur parti.

Ain­si ceux qui ont pris en mains les rênes de la révo­lu­tion conduisent-ils vers le Néant un peuple qu’ils croyaient diri­ger vers la vie.

Qu’il me soit per­mis de ter­mi­ner en nous situant bien.

Nous sommes avec tous ceux qui tendent une main fra­ter­nelle aux tra­vailleurs russes. Avec les syn­di­ca­listes révo­lu­tion­naires de ce pauvre pays, nous vou­lons nous entendre pour assu­rer le triomphe de l’économique. Contre tous ceux qui, arbi­trai­re­ment, usent de pro­cé­dés ignobles pour res­treindre la pen­sée humaine dans ses efforts pour réa­li­ser une socié­té har­mo­nique.

Nous ne deman­dons donc pas mieux que de nous entendre pour faire recon­naître l’indépendance du syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire en Rus­sie et lui per­mettre de se déve­lop­per libre­ment. En nous atte­lant à cette besogne, nous aurons déga­gé le syn­di­ca­lisme — tout court si vous le vou­lez — de la tutelle poli­tique qui l’enserre jusqu’à l’étouffer.

* * * *

L’anniversaire de la mort du regret­té F. Pel­lou­tier nous rap­pelle uti­le­ment qu’un anar­chiste sin­cère peut à la fois se don­ner au Pro­lé­ta­riat en bataillant dans le syn­di­ca­lisme et res­ter l’amoureux fervent de l’intégrale liber­té en com­bat­tant pour l’Anarchie.

VEBER.


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