La Presse Anarchiste

Ce qui se passe Dans l’armée

Le mois der­nier, au sujet de la nou­velle loi mili­taire qui, d’ici peu, va être votée par les deux Chambres, j’écrivais ceci :

Bien qu’un géné­ral ait émis tout récem­ment cette idée que la défense natio­nale pou­vait très bien s’accommoder d’un an de pré­sence à la caserne, il ne faut pas s’illusionner : sans être grand clerc, on peut affir­mer que ce sont les dix-huit mois qui l’emporteront.

Je ne pense pas avoir eu tort d’écrire ces lignes, encore que, depuis un mois, bon nombre de par­ti­sans du ser­vice d’un an — par­mi les­quels se trouvent des géné­raux — mènent une ardente cam­pagne dans les divers jour­naux qui veulent bien accueillir leur prose.

Déjà, M. André Lefèvre, dont les nuits doivent être trou­blées par d’affreux cau­che­mars, est mon­té sur ses grands che­vaux — pas ceux qui le condui­ront à Ber­lin — ou plus exac­te­ment à la tri­bune du Palais-Bour­bon pour récla­mer le main­tien pro­vi­soire des deux ans!!!

Mal­heu­reu­se­ment, en France, le pro­vi­soire dure long­temps, à tel point que si le vœu de M. Lefèvre était exau­cé, on pour­rait dire qu’on lui fait une conces­sion… à perpétuité !

Mais, trêve de plai­san­te­rie. Je main­tiens mon pro­nos­tic : dix-huit mois, d’autant plus fer­me­ment que ce pro­jet est celui du gou­ver­ne­ment. Ce que le gou­ver­ne­ment veut, en ce pays, le par­le­ment, docile, le veut également.

Entre deux maux, il faut choi­sir le moindre, quand on ne peut pas faire autrement.

Dix-huit mois demain, au lieu de trois ans hier ; au lieu de deux ans aujourd’hui, cela vaut mieux pour les pauvres petits gars qui hésitent à se mettre en marge du code…

* * * *

Mon cor­res­pon­dant de Rouen m’a gra­ti­fié d’une nou­velle mis­sive — ce dont je le remer­cie cha­leu­reu­se­ment — conte­nant de nou­veaux ren­sei­gne­ments sur ce qui se passe chez les enca­ser­nés. Habi­tant la capi­tale de la Nor­man­die, ce cama­rade est bien pla­cé pour recueillir des ren­sei­gne­ments pré­cis sur la vie des troupes de la garnison.

Je serais très heu­reux, éga­le­ment, de rece­voir des « tuyaux » d’un peu par­tout, de tous les coins de France et de Navarre.

Que chaque lec­teur de la « REVUE ANARCHISTE » habi­tant la pro­vince — et il y en a ! — veuille donc être assez aimable pour imi­ter le zèle de mon cor­res­pon­dant rouennais.

Je ne puis, évi­dem­ment, me dépla­cer pour rece­voir les doléances de toutes les vic­times du militarisme.

C’est à eux ou à leurs proches de m’adresser leurs plaintes par une voie sûre et rapide.

Dis­cré­tion absolue.

Main­te­nant, la parole est à mon « normand » :

Un « type » était en trai­te­ment dans un hôpi­tal comme tuber­cu­leux de 2° degré, au moment de la révi­sion de sa classe. Brus­que­ment, les « flics » viennent le qué­rir à l’hôpital pour le faire entrer à la pri­son du 3e génie, pré­ten­dant qu’il est insoumis.

Ce mal­heu­reux paraît 12 ans. On se croi­rait en pré­sence non d’un homme, mais d’un petit phé­no­mène : 1m.10 à 1m.20 de haut, maigre, un regard, un visage ayant vague­ment une expres­sion humaine, des mains rouges, dia­phanes et constam­ment trem­blantes. On lui don­ne­rait encore quelques semaines avant de « pas­ser ». Il est atteint, de plus, d’une bron­chite chro­nique et d’une bron­cho-pneu­mo­nie, paraît-il.

Mon neveu qui est mobi­li­sé l’a vu hier ramas­ser un tas de crot­tin dans la cour sous l’œil d’une sen­ti­nelle, il n’avait pas la force de remuer une petite pelle. Quand il est arri­vé en pri­son, un homme qui y était déjà pré­fé­ra cou­cher seul, en cel­lule plu­tôt que ris­quer le dan­ger de son voi­si­nage, après lui avoir conseillé de se faire por­ter malade le len­de­main. Le major, qui, dit-on, n’a rien de l’officier (est-ce une excep­tion?) le pro­po­sa immé­dia­te­ment pour la réforme. Cepen­dant ne pou­vait-il pas le faire hos­pi­ta­li­ser, cette fois, dans un éta­blis­se­ment militaire ?

Des faits sem­blables se passent natu­rel­le­ment de commentaires.

Abru­tir, fra­cas­ser, tor­tu­rer de pauvres diables sans défense, voi­là le mili­ta­risme. Et nos bons com­mu­nistes vou­draient nous enrô­ler de gré ou de force dans leur « future » armée rouge ! Ah ! fichtre non ! nous ne vou­lons pas plus de celle-ci que de celle-là ! Nous vou­lons qu’on nous foute la paix.

Au cas où une trans­for­ma­tion sociale aurait lieu, nous sommes bien déci­dés, nous, liber­taires, à ne pas nous lais­ser incor­po­rer par les ado­ra­teurs fran­çais de Lénine et de Trots­ky. Nous vou­lons être libres.

Mais nos bons bol­che­vistes savent bien qu’avec nous ils auront du fil à retordre et qu’un de ces jours, s’ils triomphent et s’instituent dic­ta­teurs, les pri­sons de France ne seront pas assez vastes pour loger tous ceux qui refu­se­ront de ser­vir dans « leur armée » du « Droit » et de la « Liberté ».

Mais avant de nous incar­cé­rer, il y aura du « chambard » !

Mon « rouen­nais » conti­nue — qu’il m’excuse de lui avoir cou­pé la parole — et me parle du favo­ri­tisme qui sévit à Rouen :

Un sol­dat d’ici, pis­ton­né par je ne sais qui, par­tait avec l’armée du Levant, quand, arri­vé à Avi­gnon, il fut rap­pe­lé pour de vagues rai­sons de san­té, ce qui prouve que l’embusquage a sur­vé­cu à la guerre.

Après tout, la guerre est-elle finie vraiment ?

Non, je ne pense pas qu’elle soit ter­mi­née. À la pro­chaine guerre, les pauvres et les fils des pauvres iront se faire cas­ser la figure à la place des pro­fi­teurs et des fils des pro­fi­teurs de mas­sacres, tout comme pen­dant la période 1914 – 1918.

À moins que… à moins que…

Vous m’avez com­pris, n’est-ce pas ?

Un Contemp­teur de l’Armée.


Dans le même numéro :


Thèmes


Si vous avez des corrections à apporter, n’hésitez pas à les signaler (problème d’orthographe, de mise en page, de liens défectueux…

Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
Nom

La Presse Anarchiste