La Presse Anarchiste

Notre enquête sur « le fonctionnarisme syndical »

« Paris, le 17 mars 1922.

« Mon cher Sébastien,

« C’est par les bons soins d’un cama­rade que j’ai eu connais­sance de l’enquête faite par la R.A. sur le Fonc­tion­na­risme syn­di­cal, étant à l’hôpital, vic­time d’un acci­dent du tra­vail, qui m’y a tenu 18 jours, ceci à la suite d’une chute de 8 mètres, l’échafaudage s’étant rompu.

« Je te remer­cie d’avoir pen­sé à avoir mon point de vue sur une ques­tion qui a fait dire bien des paroles et cou­ler beau­coup d’encre. Quoique ne me consi­dé­rant pas comme une noto­rié­té dans le mou­ve­ment syn­di­cal, c’est avec plai­sir que je ferai connaître mon appré­cia­tion sur le sujet de votre enquête.

« Ayant occu­pé une fonc­tion pen­dant près de deux années, je dirai tout mon état d’esprit. En ce qui concerne la pre­mière ques­tion, je réponds affir­ma­ti­ve­ment. Quoique n’en étant pas par­ti­san, j’aimerais à ce que cela fût comme le désire Le Meillour, mais hélas, il y a loin du rêve à la réa­li­té. Il faut des per­ma­nents, car le dévoue­ment dés­in­té­res­sé existe peu chez les indi­vi­dus ; j’en ai eu l’expérience pen­dant mon séjour au secré­ta­riat, c’est ce qui fait peut-être qu’aujourd’hui, mon état de san­té a à s’en res­sen­tir, et pour­tant je n’étais pas seul à tra­vailler ; je puis cer­ti­fier que si notre orga­ni­sa­tion n’avait pas déci­dé la créa­tion de délé­gués à la pro­pa­gande je me demande où seraient aujourd’hui les effec­tifs que nous pos­sé­dons, et qui, pour­tant, ne sont pas ce qu’il devraient être. L’on a l’habitude de consi­dé­rer ces cama­rades comme occu­pant une siné­cure. Je le regrette, car il faut avoir un cer­tain cou­rage pour faire une telle besogne et qui a de nom­breux risques par les temps qui courent. Néan­moins, si je juge utile le main­tien des fonc­tion­naires jusqu’à ce qu’un autre état d’esprit se mani­feste dans la masse, et qu’elle veuille bien com­prendre que c’est elle qui doit faire son tra­vail elle-même, j’estime qu’il y a lieu de limi­ter le man­dat don­né aux dits fonc­tion­naires. J’ai défen­du cette thèse qui est déjà en appli­ca­tion depuis long­temps dans mon syn­di­cat, au Congrès Fédé­ral de Dijon (mai 1921), et l’application en est éga­le­ment faite à notre Fédé­ra­tion du Bâti­ment. La durée du man­dat peut-être fixée à deux années. Le fonc­tion­naire peut être élu pour un an et rééli­gible l’autre année, ou élu pour deux ans de suite. Il doit s’écouler une période, au mini­mum un an, pen­dant laquelle le cama­rade sor­tant de fonc­tion ne pour­ra occu­per aucun emploi rétri­bué dans une orga­ni­sa­tion syn­di­cale, car je me rap­pelle le pas­sé, où, chas­sés par la porte les indi­vi­dus, qui sont aujourd’hui adver­saires, savaient si bien ren­trer par la fenêtre, et oubliaient par trop leur métier qu’ils ne refe­ront du reste jamais, ayant contrac­té de funestes habi­tudes qu’ils conser­ve­ront main­te­nant toute leur vie, et qui peut-être, je peux même dire cer­tai­ne­ment, sont cause de toutes leurs bassesses.

« Ceci dit, il fau­dra, une bonne fois pour toutes que le dis­cré­dit qui jaillit sur le cama­rade qui occupe une fonc­tion, cesse, car c’est peut-être un peu la rai­son que per­sonne ne veut aujourd’hui prendre un poste rému­né­ré, tant l’on a l’habitude de mettre tout le monde dans le même sac ; et il y a là un dan­ger, car nous sommes tel­le­ment pauvres en mili­tants que nous ne devons décou­ra­ger per­sonne, sinon le mou­ve­ment s’en res­sen­ti­ra. Celui qui a l’occasion de faire quelques tour­nées de pro­pa­gande en pro­vince, de lui-même a dû en tirer une déduc­tion comme moi-même, et pour­tant nous entrons dans une ère nou­velle, où il va fal­loir pas­ser de la parole aux réa­li­sa­tions et sor­tir du vieux cor­po­ra­tisme étroit qui a gui­dé notre mou­ve­ment jusqu’à ces jours. Pour cela il y a lieu d’activer la for­ma­tion des syn­di­cats d’industrie qui sup­pri­me­ront un bon nombre de fonctionnaires.

« Inutile de dire que j’entends que les fonc­tion­naires ne soient pas des dic­ta­teurs, mais ceux qui exé­cutent les déci­sions des conseils. Rien de plus.

« 2e ques­tion. — En ce qui concerne la tré­so­re­rie, il serait pré­fé­rable que les tré­so­riers qui géné­ra­le­ment sont choi­sis par­mi les cor­po­rants, soient à l’avenir des comp­tables ; mais les secré­taires devront tou­jours être choi­sis par­mi les cama­rades aptes à rem­plir le poste et dans les syn­di­cats de l’industrie, auquel le syn­di­cat est rat­ta­ché, ceci parce qu’il est impos­sible, dans les conflits qui sur­gissent chaque jour avec nos employeurs, qu’un employé quel­conque puisse dis­cu­ter de ques­tions tech­niques avec ceux-ci, comme cela arrive dans notre indus­trie, jusqu’à 6 et 7 fois dans une même journée.

« 3e ques­tion. — Je crois que la pro­pa­gande faite par des cama­rades appoin­tés juste pen­dant l’accomplissement de leur man­dat et ces­sant avec celui-ci ne peut qu’avoir de bons résul­tats, mais sim­ple­ment pour la pro­pa­gande ; car là aus­si, si, dans chaque chan­tier, ate­lier ou bureau, des conseils étaient for­més, se répar­tis­sant la besogne, s’occupant moi­tié des ques­tions tech­niques, moi­tié du recru­te­ment et for­mant deux com­mis­sions dis­tinctes, il n’y aurait pas besoin de délé­gué, ce qui éco­no­mi­se­rait les frais for­mi­dables occa­sion­nés par les dépla­ce­ments, che­mins de fer, etc… Mais tou­jours la même ques­tion… C’est à qui se défi­le­ra quand le tra­vail arrive, cha­cun étant par­ti­san plus que son voi­sin du moindre effort.

« Il y aurait tant à dire sur cette ques­tion, et j’ai déjà pris beau­coup de place. J’espère quand même que le renou­veau vien­dra et je ne déses­père pas. Peut-être à un cer­tain moment nous pour­rons envi­sa­ger la sup­pres­sion des fonc­tion­naires dans les orga­ni­sa­tions syn­di­cales. Mais faire cela d’un coup, parce que les hommes de la rue Lafayette ont gal­vau­dé l’honneur qui leur était fait à eux et à leurs amis de repré­sen­ter (bien mal du reste) la force for­mi­dable du pro­lé­ta­riat orga­ni­sé ? Je dis que ce serait folie et que fata­le­ment le mou­ve­ment s’en res­sen­ti­rait. Ce qui importe c’est de limi­ter le man­dat des cama­rades pre­nant une fonc­tion rétri­buée, de façon qu’allant se retrem­per par­mi leurs cama­rades, ils n’oublient pas leurs peines et leurs souf­frances, et qu’ils puisent là une nou­velle éner­gie pour la lutte de chaque jour.

« Crois, mon cher Sébast, à mes sen­ti­ments fraternels.

H. Jouve, du Bâti­ment de la Seine.

* * * *

C’est enten­du : ses abus furent tels, que per­sonne n’en veut plus… Tout en le gar­dant, tout en le maintenant!!!

On va le limi­ter, le réfor­mer, que sais-je ? « Car il en faut, on ne peut pas s’en passer. »

(Comme des patrons.) Vrai­ment ?

Parce qu’on veut tou­jours cen­tra­li­ser. Parce qu’on garde l’organisation centraliste.

Pour se pas­ser de per­ma­nents, il faut abo­lir la cen­tra­li­sa­tion, il faut l’autonomie des syndicats.

Auto­no­mie ! Mot qui effraie même tant… d’«anarchistes ».

— Qu’est-ce que l’autonomie ?

— Le syn­di­cat majeur, éman­ci­pé de la tutelle de Paris, dis­po­sant de tous ses actes, et notam­ment de l’intégralité de ses coti­sa­tions. Qu’en dis-tu, eh ! pro­vince ? et toi, syn­di­qué obscur ?

— « Uto­pie, nous dit-on. Votre auto­no­mie, mais c’est l’isolement, c’est le loca­lisme, le par­ti­cu­la­risme, l’émiettement des forces syn­di­cales : pas de lien, aucune orga­ni­sa­tion natio­nale. Iso­le­ment criminel ! »

Nous répon­dons : « C’est dans votre esprit seule­ment que l’autonomie empêche les syn­di­cats de se connaître, de com­mu­ni­quer entre eux, de se mettre en rela­tions sui­vies quand besoin est !»

Évi­dem­ment, pour les ama­teurs de sys­tèmes, c’est plus com­mode une arma­ture « toute faite ». On com­mence par créer des cadres, les syn­di­cats n’ont plus qu’à venir s’y ran­ger ; comme c’est facile, comme cela exige peu d’efforts ! Un simple vote, une majo­ri­té acquise, on emboîte le pas der­rière une ban­nière. Rouge ou orange ? Amster­dam ou Mos­cou ? Voi­là la seule alter­na­tive qu’on offre aux syn­di­qués. Une fois ces deux « pile ou face » réglés, on res­pire : nous voi­là casés, numé­ro­tés, « en règle », agré­gés natio­na­le­ment, donc nous ne sommes pas les loca­listes ; nous voi­là grou­pés dans une inter­na­tio­nale, donc nous sommes des inter­na­tio­na­listes, notre carte le prouve. Tan­dis que vous auto­no­mistes, vous êtes des gens de clocher !

— Oui, si une carte d’organisation natio­nale est un bre­vet de syn­di­ca­lisme et d’internationalisme, nous sommes, nous auto­no­mistes, dans une vilaine position.

Mais à qui peut-on faire accroire aujourd’hui que la soli­da­ri­té ouvrière, l’internationale, qui est la rai­son d’être du syn­di­ca­lisme, soit dans le fait d’être affi­lié à une orga­ni­sa­tion qui se pro­clame ouvrière et inter­na­tio­nale ? À per­sonne.

La soli­da­ri­té ne gît pas dans la carte, la soli­da­ri­té réside effec­ti­ve­ment dans chaque indi­vi­du conscient, dans chaque syn­di­cat actif.

Or, par les liens cen­tra­listes la soli­da­ri­té est-elle réelle ? Le syn­di­cat est-il actif ? Bien sûr, la Fédé­ra­tion affecte une part des coti­sa­tions qu’elle reçoit aux secours de grèves et autres œuvres dites « de soli­da­ri­té ». C’est là une soli­da­ri­té auto­ma­tique, parce que le syn­di­qué n’y est pas actif : il paye tant, les diri­geants de la fédé­ra­tion en règlent l’emploi, voi­là tout. Or, le propre de la soli­da­ri­té c’est de n’être pas auto­ma­tique, admi­nis­tra­tive, c’est d’être une chose vivante, un élan du cœur, une main ten­due. Un exemple : en février 1920, lors de la grève spon­ta­née des che­mi­nots, ceux des voies secon­daires de l’Oise reçurent direc­te­ment un secours de 200 francs des che­mi­nots des voies secon­daires d’un dépar­te­ment du Midi. On ne sau­rait expri­mer le récon­fort moral, l’attendrissement de ces pauvres diables, payés 8 francs par jour, qui sou­tinrent stoï­que­ment une grève de trois semaines et ne ren­trèrent que sur l’ordre exprès de leur fédé­ra­tion. Nous sommes sûrs qu’ils se sou­vien­dront long­temps de ce geste.

Cepen­dant cela ne don­nait pas 2 francs par gré­viste… Qu’aurait pesé pareil secours venu ano­nyme par le canal de la fédération ?

L’armature méca­nique, fabri­quée, de la G.G.T. ou de toute autre orga­ni­sa­tion créée de toutes pièces, par­lant d’un centre pour accro­cher méca­ni­que­ment des uni­tés, fait illu­sion. En réa­li­té, quand des syn­di­cats qui se forment — ou se reforment — éprouvent le besoin d’une liai­son, est-il mal­ai­sé à leurs secré­taires d’écrire des lettres aux syn­di­cats voi­sins, ou plus sim­ple­ment, de faire pas­ser des notes dans les jour­naux ouvriers de la région ?

À quoi servent tant les centres, et, par exemple, les secré­ta­riats d’Ud.? À envoyer des cir­cu­laires, à faire des « rap­ports moraux » et des tour­nées de pro­pa­gande. Et-ce bien utile d’avoir pour cela des centres ?

Les lettres cir­cu­laires (quand il en faut réel­le­ment) ne peuvent-elles pas être insé­rées, dans la majo­ri­té des cas, dans les jour­naux ouvriers locaux ? Quant aux « rap­ports moraux », quelle viande creuse dont les syn­di­cats se passent fort bien ! Pour les réunions de pro­pa­gande, un « Maître Jacques » est-il nécessaire ?

Quand bien même le secré­taire de l’Ud. serait un excellent ora­teur, est-il docu­men­té sur toutes les ques­tions ? C’est impos­sible : aus­si, par­fois, il inté­resse son audi­toire, par­fois il débite des phrases vides qui n’apprennent rien aux syndiqués.

Com­bien il serait pré­fé­rable de lire, dans les jour­naux ouvriers, des annonces syn­di­cales de ce genre :

« Le syn­di­cat unique de… (met­tons : Gisors, Eure), vou­drait orga­ni­ser une réunion édu­ca­tive sur Le Syn­di­cat et l’Apprentissage (ou bien sur : Les huit heures et la femme à l’usine, ou tout autre sujet…). Prière aux cama­rades des syn­di­cats voi­sins qui auraient étu­dié cette ques­tion de lui écrire au plus vite, etc…»

« Le syn­di­cat unique de… (disons : Thou­rotte, Oise) informe les syn­di­cats qui dési­re­raient un confé­ren­cier sur le sujet du Tâche­ron­nat, qu’ils peuvent s’adresser à lui.

« Écrire, etc., au cama­rade X…, libre tel jour, etc…»

Ain­si on aurait des cau­se­ries sans pré­ten­tion faites par des ouvriers connais­sant cha­cun son sujet, et qui éta­bli­raient la liai­son entre le syn­di­cat dont ils font par­tie et les syn­di­cats des régions voi­sines, où ils iraient faire leur propagande.

Frais minimes, édu­ca­tion mutuelle, fraternité.

Les syn­di­cats uniques gar­dant leur argent, croit-on, que les secours n’afflueraient pas direc­te­ment aux gré­vistes quand le jour­nal ouvrier annon­ce­rait une grève Allons donc ! Nous en avons la preuve à Beau­vais. Le syn­di­cat du Tex­tile du Beau­vai­sis, qui gar­dait l’an der­nier déjà la qua­si tota­li­té de ses coti­sa­tions (quelques coti­sants à la fédé­ra­tion seule­ment : ceux qui le vou­laient) a ver­sé 1.500 francs aux gré­vistes du Nord.

L’armature cégé­tiste, un lien entre les syndicats ?

Mais deux syn­di­cats de la même indus­trie, dans deux loca­li­tés dis­tantes de quelques lieues, ne cor­res­pon­daient jamais, s’ignoraient. La fédé­ra­tion ? Un centre, relié à des points, les syn­di­cats non reliés entre eux directement.

Ain­si, lors de la grève du tex­tile du Nord, les syn­di­qués de Beau­vais n’apprirent point par la fédé­ra­tion qu’ils fai­saient le tra­vail des gré­vistes de Rou­baix… Si Rou­baix, au lieu de dépendre d’une fédé­ra­tion, avait fait ses affaires lui-même, n’aurait-il pas appe­lé chaque syn­di­cat à la res­cousse, non de façon gran­di­lo­quente et vague, admi­nis­tra­tive, mais directe, éner­gique ? Que dire de la répar­ti­tion des secours, de l’exode des enfants, sinon qu’ils furent orga­ni­sés… administrativement!!!

Ah ! cama­rades, n’imitons pas l’État bour­geois. Celui-ci lan­guit sous le poids de ses admi­nis­tra­tions cen­tra­listes, il étouffe de bureau­cra­tie, dont il ne peut, lui, se pas­ser, parce qu’il veut être le maître, gou­ver­ner, — et qui dit gou­ver­ne­ment dit cen­tra­lisme. Ce mal lui est inhérent.

Mais nous, tra­vailleurs exploi­tés, qui vou­lons non gou­ver­ner, mais nous affran­chir tous, non oppri­mer, mais libé­rer, nous com­met­trions une lourde faute en cal­quant nos ins­ti­tu­tions sur celles de la bourgeoisie.

Nos orga­ni­sa­tions doivent être à base éga­li­taire, sans pou­voir cen­tral, sans fonc­tion­naires, de façon que tous les syn­di­qués tra­vaillent à la chose syn­di­cale, cha­cun sui­vant ses apti­tudes. Car le fonc­tion­naire crée l’inertie de la masse : « Nous payons un type, il n’a qu’à s’occuper du syn­di­cat, il est payé pour ça. Nous dormons. »

Que les « centres » aient pu avoir leur uti­li­té au temps où les com­mu­ni­ca­tions étaient rares et dif­fi­ciles, c’est incon­tes­table. Mais aujourd’hui qu’il suf­fit de tim­brer à cinq cen­times sous enve­loppe non fer­mée (avec la men­tion « hors sac, copie d’imprimerie ») tout article, toute com­mu­ni­ca­tion à un jour­nal, aujourd’hui que, par­tout, l’on peut uti­li­ser le télé­phone, envoyer pour trois sous n’importe quelle somme par chèque pos­tal…, à quoi servent donc les fonc­tion­naires en tant que « lien » entre les syndicats ?

Ils sont un vivant ana­chro­nisme. Ain­si que toutes les choses péri­mées, ils dis­pa­raî­tront, ils doivent dis­pa­raître, ain­si qu’ont dis­pa­ru les « Mères des com­pa­gnons », de même que les foires et les pèle­ri­nages si inté­res­sants jadis : centres où se ren­con­trer, du temps qu’on voya­geait à pied ou à âne.

La faci­li­té, la rapi­di­té, la com­mo­di­té, le bon mar­ché rela­tif des com­mu­ni­ca­tions per­mettent actuel­le­ment des rap­ports directs sans inter­mé­diaire, de syn­di­cat à syn­di­cat : une large décen­tra­li­sa­tion dans le mou­ve­ment ouvrier.

Eugé­nie et Second Casteu.

* * * *

Pre­mière ques­tion. — Je ne vois la néces­si­té, pour tous les orga­nismes syn­di­caux, d’avoir des fonc­tion­naires, appoin­tés ou non, que dans la forme d’organisation actuelle du Syn­di­ca­lisme, forme cen­tra­liste. Mais, dans le sys­tème fédé­ra­liste tel que nous le conce­vons, le fonc­tion­na­risme syn­di­cal n’aurait plus sa rai­son d’être : les orga­ni­sa­tions syn­di­cales, com­plè­te­ment auto­nomes, ne subis­sant plus l’autorité d’un Comi­té direc­teur — régio­nal ou natio­nal — les fonc­tion­naires actuels dis­pa­raî­traient avec leur fonction.

Deuxième ques­tion. — En cas de néces­si­té abso­lue, dans un orga­nisme syn­di­cal, d’avoir un ou plu­sieurs fonc­tion­naires rétri­bués, peu importe que ce soit un employé — comp­table de pro­fes­sion — ou un simple syn­di­qué de la pro­fes­sion repré­sen­tée dans l’organisme syn­di­cal. Ce qui importe au pre­mier chef, c’est que ce fonc­tion­naire ne soit que l’employé de l’organisation de laquelle il tient les écri­tures et la comp­ta­bi­li­té, mais qu’il n’ait aucune auto­ri­té pour par­ler ou agir en son nom envers nos enne­mis de classe.

Troi­sième ques­tion. — La besogne de pro­pa­gande (recru­te­ment, édu­ca­tion, etc.) doit, de pré­fé­rence, être confiée à des cama­rades syn­di­qués. Tou­te­fois, la pro­pa­gande édu­ca­tive pour­rait être faite, en bien des cas, par un mili­tant non syn­di­qué, parce que non syn­di­cable, et pos­sé­dant une idéo­lo­gie ou une phi­lo­so­phie pou­vant ser­vir à la pro­pa­gande édu­ca­tive au point de vue révolutionnaire.

Quant à la forme de rétri­bu­tion des pro­pa­gan­distes, elle est subor­don­née au sys­tème cen­tra­liste actuel, qui a la pos­si­bi­li­té de main­te­nir des per­ma­nents à la pro­pa­gande qui peuvent être un dan­ger pour le Syn­di­ca­lisme au même titre que les autres fonc­tion­naires, atten­du que, man­da­tés offi­ciel­le­ment par un Comi­té cen­tral, ils pré­co­nisent sur­tout la façon de voir et d’agir de ce Comité.

Les pro­pa­gan­distes devraient être des mili­tants sans man­dat, agis­sant par convic­tion et dévoue­ment à la cause et rétri­bués, lorsqu’il y a néces­si­té abso­lue, par les orga­ni­sa­tions qui les ont sollicités.

Au pis aller, les Bourses du Tra­vail ou Unions locales devraient être seules qua­li­fiées pour orga­ni­ser la pro­pa­gande dans leur rayon et avec les mili­tants qui leur conviendraient.

Qua­trième ques­tion. — Le fonc­tion­naire n’étant plus qu’un employé dans l’organisme syn­di­cal, il n’y a pas lieu de limi­ter le temps de fonction.

D’autre part, dans la forme actuelle du Fonc­tion­na­risme syn­di­cal, je pense qu’il peut être dan­ge­reux de fixer une période plus ou moins courte d’activité des fonc­tion­naires rétri­bués, qui pour­raient pen­ser ain­si et agir en consé­quence : « Pour­quoi me faire de la bile ? Ma men­sua­li­té vien­dra au bout du mois et, que je fasse blanc ou noir, au terme du délai pré­vu, je serai balan­cé. » Le fonc­tion­naire syn­di­cal pen­se­rait et agi­rait comme un fonc­tion­naire d’une admi­nis­tra­tion quel­conque, qui attend la fin du mois et pense que, dans x années, il aura sa retraite, qu’il n’a pas besoin de s’en faire.

Le mieux, c’est la sup­pres­sion du Fonc­tion­na­risme actuel pour lais­ser la place aux bonnes volon­tés, aux mili­tants béné­voles, au véri­table militantisme.

Cin­quième ques­tion. — La réponse à cette ques­tion est conte­nue dans la précédente.

F. Rose, du Bâti­ment d’Amiens

* * * *

« Brest, le 16 mars 1922.

« Cher Cama­rade S, Faure,

« Dans la Revue Anar­chiste, tu demandes à des syn­di­ca­listes de bien vou­loir répondre à ton ques­tion­naire, sur le… fonc­tion­na­risme syndical.

« Puisque je suis du nombre des syn­di­ca­listes cités, voi­ci ce que je pense de ce… fonc­tion­na­risme syndical !

« D’abord j’affirme que le… fonc­tion­na­risme… a été, et est plus que jamais la plaie du syn­di­ca­lisme en France.

« Les faits sont là cre­vant les yeux.

« Qui ose­rait les nier ? Les fonc­tion­naires syn­di­caux et leurs ado­ra­teurs eux-mêmes parbleu !

« 1° On peut affir­mer, sans ris­quer d’être démen­tis par des cama­rades sin­cères, que les… fonc­tion­naires syn­di­caux… ont depuis quelques années déjà, tué chez nous, dans ce pays, toute cama­ra­de­rie, toute liai­son étroite entre les syn­di­qués et les mili­tants, anéan­ti l’esprit d’initiative, refou­lé l’esprit de révolte, en un mot, d’un corps sain ils ont fait une loque sans force et presque sans vie.

« 2° À mon point de vue, les petites orga­ni­sa­tions syn­di­cales peuvent se pas­ser de per­ma­nents : la besogne tant admi­nis­tra­tive que de pro­pa­gande, pou­vant, devant être faite sans exa­gé­ra­tion de fatigue pour les mili­tants, par ceux-ci, en se par­ta­geant cette besogne.

« Pour les syn­di­cats, comp­tant des mil­liers d’adhérents, par exemple dans les grands centres indus­triels, et les admi­nis­tra­tions, il est pos­sible, il est sou­hai­table que la par­tie admi­nis­tra­tive soit assu­rée par un ou deux comp­tables de métier, rétri­bués selon le taux des salaires appli­qués dans la région.

« Ce ou ces employés admi­nis­tra­tifs, contrô­lés régu­liè­re­ment par des ouvriers syn­di­qués ayant des connais­sances en comptabilité.

« Pour la pro­pa­gande à l’intérieur du syn­di­cat ! Même besogne que pour les petits ; que les mili­tants, à tour de rôle, orga­nisent les réunions et les soi­rées éducatives.

« Pour la pro­pa­gande géné­rale, exté­rieure au syn­di­cat, à la ville, ou à la région, elle incombe aux mili­tants grou­pés dans la même Union locale ou Bourse du Tra­vail, ou Union départementale.

« En tenant compte de l’impossibilité où se trouvent la plu­part des mili­tants de quit­ter à tout ins­tant l’usine, le chan­tier ou le maga­sin, sans qu’il n’y ait pour eux risque de ren­voi, ces cama­rades peuvent, dans la Bourse du Tra­vail ou l’Union dépar­te­men­tale, s’organiser et, à tour de rôle, pour une période de un, deux ou trois mois, par­cou­rir des régions choi­sies par eux pour édu­quer les tra­vailleurs et les orga­ni­ser éco­no­mi­que­ment. Durant ces périodes très courtes, ces mili­tants ne tou­che­raient que les salaires moyens éta­blis dans la région.

« Mais que tou­jours, la tour­née de pro­pa­gande ter­mi­née, le cama­rade retourne au tra­vail à son usine, ou maga­sin. Voi­là pour moi la meilleure façon de détruire le fonc­tion­na­risme syn­di­cal, d’inspirer confiance à nos cama­rades syn­di­qués et de sus­ci­ter l’esprit d’initiative ; et l’on ne ver­ra plus des hommes osant par­ler au nom des ouvriers et ne connais­sant plus rien de leurs souf­frances et de leurs dési­rs, parce que fonc­tion­naires depuis 10, 15 ou 30 ans.

« Au pis aller, là où des orga­ni­sa­tions syn­di­cales choi­si­raient des mili­tants ouvriers comme per­ma­nents pour la par­tie admi­nis­tra­tive, que ces der­niers n’y séjournent qu’un temps très court et jamais rééligibles.

« 3 ou 6 mois pour un syn­di­cat et une Bourse du Tra­vail ou Union dépar­te­men­tale, et un an pour les fédé­ra­tions ou C.G.T. au maximum.

« J’ai sou­te­nu ce point de vue, il y a deux ans, à la Com­mis­sion exé­cu­tive de l’Union dépar­te­men­tale du Finis­tère, à Landerneau.

« Voi­là, à mon humble avis, une façon de décon­ges­tion­ner au pre­mier chef un orga­nisme comme la G.G.T.

« Rien de tel éga­le­ment pour décen­tra­li­ser et appli­quer enfin le fédéralisme.

« Voi­là, briè­ve­ment éta­blie sur le papier, ma pen­sée sur le fonc­tion­na­risme syn­di­cal et la façon d’y remédier,

« À toi fraternellement.

René Mar­tin, des Dockers de Brest.


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