La Presse Anarchiste

Rions un brin


Le jour­nal Le Matin encore tout impré­gné de l’esprit de M. Ray­mond Poin­ca­ré qui n’est pas un esprit frap­peur mais un esprit mobi­li­sa­teur, le jour­nal Le Matin a ten­té de mobi­li­ser l’intelligence de ses lec­teurs ce qui était, on en convien­dra, une besogne dif­fi­cile. Il leur a posé une ques­tion redou­table : « Quels pro­blèmes a‑t-on réso­lu depuis l’armistice ? »

Les lec­teurs du Matin, avec un bel ensemble, ont répon­du qu’on n’avait rien réso­lu du tout. Ces pauvres gens ont sûre­ment pris la prose de M. Louis Forest pour la quin­tes­sence du savoir humain. Nous nous nour­ris­sons, Dieu mer­ci, d’autres aliments. 

La der­nière séance de l’Académie de méde­cine, par exemple, était toute rem­plie des pro­grès accom­plis dans la science de la greffe. Peut-on dire qu’on n’a rien réso­lu quand une décou­verte aus­si sen­sa­tion­nelle vient appor­ter à l’humanité neu­ras­thé­nique et déso­lée des espoirs aus­si mirifiques ? 

La greffe qu’il ne faut pas confondre avec LE Greffe, bien connu de notre cama­rade Per­notte de la B.I.C. consiste à rat­ta­cher au corps d’un ani­mal des par­ties qui en sont déta­chées. Si, par exemple, cette décou­verte avait été faite du temps d’Abélard, Héloïse aurait été bien contente. 

D’autre fois le gref­feur opère la trans­plan­ta­tion en incor­po­rant à un ani­mal les par­ties du corps d’un autre animal. 

Le gref­feur en un mot est un homme qui repique de la viande. 

Il ne faut faire aucune conclu­sion entre le gref­feur et le gref­fier. Nos amis qui fré­quentent les pri­sons savent que, lorsqu’arrive un convoi de pri­son­niers, le gref­fier « sonne à la viande ». Ceci n’a qu’un rap­port loin­tain avec le greffe, encore que les temps futurs ver­ront sans doute des gref­feurs spé­cia­le­ment char­gés de recol­ler les têtes des guillo­ti­nés ; mais nous n’en sommes mal­heu­reu­se­ment pas encore là. 

La greffe qui donne de si bons résul­tats dans la culture des bet­te­raves va désor­mais pou­voir ser­vir à l’amélioration rapide de la race humaine. Avec quelques trans­plan­ta­tions savantes, il va deve­nir impos­sible de dis­tin­guer un ancien for­çat d’un hon­nête mar­chand de sucre. 

L’idée fait d’ailleurs rapi­de­ment son che­min. Nombre de gens vitrio­lés ces temps der­niers par les soins d’amoureuses délais­sées se sont déjà recons­ti­tués la face en se fai­sant extraire et trans­plan­ter une por­tion ou une demi por­tion de la par­tie pos­té­rieure de leur indi­vi­du. C’est ce qui explique le nombre consi­dé­rable de figures de fesses que l’on ren­contre dans les rues. 

Cer­taines per­son­na­li­tés mar­quantes ont déjà usé de la greffe humaine. 

M. Bar­thou que l’exiguïté de sa taille a fait sur­nom­mer : « Bout de mégot », pour don­ner plus de pres­tige à sa nou­velle fonc­tion de vice-pré­sident du Conseil, s’est fait gref­fer une paire d’ergots.

L’honorable Magi­not de chez Maxim, par contre, qui crai­gnait qu’on ne le prît pour un manche, s’est fait trans­plan­ter le cœur d’un superbe lion d’Abyssinie : cela don­ne­ra peut-être à réflé­chir à ses détracteurs. 

Le pré­sident Poin­ca­ré s’est conten­té d’une peau d’âne ; pour battre le rap­pel des patriotes à la pro­chaine mobi­li­sa­tion, il lui suf­fi­ra ain­si de se battre les flancs. 

Dau­det est en train de se faire gra­ver sur le front ces mots : « Patriote inté­gral » afin qu’on ne le prenne pas pour un métèque. 

M. Ber­the­lot, dans le but de répondre sans embar­ras au pro­chain juge d’instruction, s’est fait gref­fer un compte cou­rant. Le cama­rade Per­notte s’est inté­gré une peau de man­da­rin et maitre Albert Cle­men­ceau s’est conten­té de la peau de Mar­gu­liès.

On prête à M. Nou­lens l’intention de se faire infu­ser un peu de sang bol­che­vik : ce pauvre homme qui, jusqu’à ces der­niers temps, tou­chait 6.000 francs par mois pour s’occuper des secours à la Rus­sie, n’en touche plus que 3.000 ; on com­prend aisé­ment qu’il y a là de quoi deve­nir révolutionnaire. 

La jeu­nesse exces­sive et trou­blante de Mlle Cécile Sorel est due tout sim­ple­ment à la greffe des glandes tyroï­dales d’une jeune gue­non, l’intelligence anor­male du géné­ral Cher­fils à la trans­plan­ta­tion des lobes céré­braux d’un veau et la conver­sion de M. Jon­nart à l’infusion d’un peu d’eau spé­cia­le­ment bénite par le pape Pie xi. Tout s’explique et nous pour­rions faire les révé­la­tions les plus sen­sa­tion­nelles sur des quan­ti­tés de phé­no­mènes jusqu’alors inex­pli­qués. Mais, la place nous étant mesu­rée, nous sommes obli­gés de nous modérer. 

Nous ne pou­vons cepen­dant pas pas­ser sous silence la com­mu­ni­ca­tion même de l’Académie. La preuve la plus convain­cante, dit cette docte assem­blée, des mer­veilles de la greffe, nous a été four­nie par la pré­sen­ta­tion du sujet ins­crit sous les ini­tiales J.R.M. Cet ani­mal appar­tient, à n’en pas dou­ter, à la famille des singes pla­tyr­rhi­niens : il a toutes les carac­té­ris­tiques du Sagouin : peau rude, poil long, voix aiguë et queue four­nie ; sa men­ta­li­té est très infé­rieure et ses mœurs par­ti­cu­liè­re­ment répugnantes. 

« Pour­tant, Mes­sieurs, en gref­fant à ce sagouin la pros­tate d’un tigre, on a réus­si, non seule­ment à lui don­ner une vague appa­rence humaine mais encore à le faire élire dépu­té du Bloc Natio­nal où, vous pou­vez vous en rendre compte, il ne dépare pas la collection. » 

« L’autopsie du nom­mé L… a démon­tré que les innom­brables suc­cès fémi­nins par les­quels il s’est signa­lé à notre atten­tion et abso­lu­ment incom­pré­hen­sibles si l’on consi­dère seule­ment son âge, sa pau­vre­té et son phy­sique très moyen, étaient en réa­li­té dus a la greffe des par­ties du coq que nous appel­le­rons « tes­ti­cu­lum gene­ris ». Nous pour­rions, Mes­sieurs, mul­ti­plier les exemples…» 

Les lec­teurs de la « Revue Anar­chiste » ont par­fai­te­ment com­pris que, sous les ini­tiales pré­ci­tées, se cachaient nos vieilles connais­sances : Lan­dru et Jéro­boam Rot­schild Man­del. Nous ne mul­ti­plie­rons, nous non plus, les exemples. Nous met­trons sim­ple­ment nos amis en garde contre cer­taines méprises aux­quelles la greffe humaine a don­né lieu. 

M. Bar­rès, par exemple, atteint de cir­rhose s’était fait gref­fer un foie de génisse. Des imbé­ciles et des gens mal­veillants ont été dire par­tout que M. Bar­rés avait les foies, ce qui consti­tue une ignoble calomnie. 

On ne sau­rait trop mettre en garde le public contre des méprises de ce genre. 

La greffe humaine est la science de l’avenir. Pour peu qu’elle se géné­ra­lise, on ver­ra des choses éton­nantes. Qui sait si, un jour, les foules médu­sées n’apprendront pas que Hen­ri Bor­deaux a du talent, que Mar­cel Cachin est deve­nu humo­riste, que Mau­rice Ros­tand est père d’une famille nom­breuse et que Ray­mond Poin­ca­ré, se pré­sente au prix Nobel ? 

Il ne faut pour­tant pas se mon­ter l’imagination. Toutes les greffes ne réus­sissent pas ; le plus les gref­feurs sont par­fois des gaf­feurs. Nous avons ain­si connais­sance de deux expé­riences qui ont don­né des résul­tats déplo­rables ; nous vous les confions sous le sceau du secret en espé­rant que vous ne les révé­le­rez à personne. 

Tout le monde sait que Cle­men­ceau pos­sède un cœur de vache. Sen­tant l’âge le prendre à la pros­tate, il vou­lut léguer une par­tie de ses moyens à ses fidèles collaborateurs. 

Man­del ayant déjà été gref­fé, on n’aurait pu réci­di­ver sans dan­ger pour sa vie. Res­tait Tar­dieu. Cle­men­ceau confia donc au direc­teur l’«écho Natio­nal », le secret de ses innom­brables suc­cès : « Avoir un cœur de vache, tout est là ; regar­dez, mon cher, les résul­tats de la fai­blesse d’un Briand et même d’un Ray­mond.

« Ça fait pitié. Consi­dé­rez seule­ment le résul­tat des der­nières élec­tions. Si c’est pas mal­heu­reux ! Le gou­ver­ne­ment avait don­né tout son appui au nom­mé Ducomps. Que vou­liez vous foutre avec Ducomps ? Non, je vous le demande ? Et pre­nez garde, mon cher ami, il ne faut pas Badi­na avec la San­té et il est tou­jours dan­ge­reux que les Cha­ronne d’électeurs élisent des Mar­ty… res.

« Croyez moi, si vous vou­lez deve­nir réel­le­ment mon suc­ces­seur, faites vous gref­fer un cœur de vache ! » 

Tar­dieu convain­cu s’en fut immé­dia­te­ment dans une cli­nique ad hoc où il fut éton­né de trou­ver Alexandre Mil­le­rand.

Celui-ci, com­plè­te­ment affo­lé par l’histoire de la Banque Indus­trielle de Chine et par la pro­chaine confé­rence de Gênes, avait déci­dé, pour sor­tir de cette situa­tion périlleuse, de se faire gref­fer une cer­velle d’aigle.

Nous igno­rons com­plè­te­ment com­ment le mal­heur a pu se faire. Man­quait-on d’animaux de cette espèce ? Est-ce l’ignorance du gar­dien du Jar­din des Plantes ? Est-ce un sabo­tage de la nou­velle C.G.T.U.? Tout ce qu’on sait c’est qu’on a gref­fé à M. Tar­dieu le cœur d’un veau en bas âge, de sorte que le mal­heu­reux dépu­té pleure toute la jour­née lamen­ta­ble­ment, et qu’au lieu d’une cer­velle d’aigle, on a trans­plan­té à Alexandre Mil­le­rand un cer­veau de Fau­con. La Socié­té du Bloc Natio­nal est dans la déso­la­tion ; une enquête est ouverte et a été confiée à M. Bonin. 

Mau­ri­cius.


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