La Presse Anarchiste

La révolution russe

I. Regards sur le pas­sé et l’avenir

Il est très éton­nant de voir com­bien sont peu connues en dehors de la Rus­sie, la situa­tion actuelle et les condi­tions dans les­quelles se trouve ce pays. Même des per­sonnes intel­li­gentes, sur­tout par­mi les ouvriers, ont les idées les plus confuses en ce qui concerne la Révo­lu­tion russe, son déve­lop­pe­ment et sa situa­tion actuelle, tant poli­tique qu’économique et sociale. Si l’on juge la Rus­sie et les évé­ne­ments qui s’y sont pas­sés depuis 1917, ce juge­ment sera très incom­plet, sinon erro­né ; bien que la plu­part des gens prennent par­ti et parlent pour ou contre la Révo­lu­tion et les bol­ché­viks, presque per­sonne ne pos­sède une connais­sance exacte et claire des fac­teurs essen­tiels qui s’y rap­portent. En géné­ral, les opi­nions expri­mées — favo­rables ou non — sont basées sur des infor­ma­tions très incom­plètes dont on peut contes­ter l’authenticité, et qui sont sou­vent entiè­re­ment fausses, infor­ma­tions concer­nant la Révo­lu­tion russe, son déve­lop­pe­ment et l’aspect actuel du régime bol­ché­viste. Mais les opi­nions sou­te­nues sont pour la plu­part, non seule­ment fon­dées sur des dates impré­cises ou fausses, mais encore obs­cur­cies — et à vrai dire déna­tu­rées — par des sen­ti­ments ami­caux, pré­ju­gés per­son­nels et inté­rêts de classes. Au fond c’est une pro­fonde igno­rance qui, sous une forme ou une autre, carac­té­rise l’attitude de la grande majo­ri­té des gens envers la Rus­sie et les évé­ne­ments de Russie. 

Et cepen­dant, la com­pré­hen­sion de la situa­tion russe est d’importance fon­da­men­tale pour le pro­grès et le bien-être futurs du monde. On ne sau­rait trop insis­ter sur ce point. C’est de la juste esti­ma­tion de la révo­lu­tion Russe, du rôle qui y a été joué par les bol­ché­viks et autres par­tis et mou­ve­ments poli­tiques et des causes qui ont ame­né la situa­tion pré­sente, bref c’est de l’entière com­pré­hen­sion de tout le pro­blème que dépendent les ensei­gne­ments que nous tire­rons du grand évé­ne­ment his­to­rique de 1917. Ces ensei­gne­ments affec­te­ront en bien ou en mal l’opinion et l’activité dans une grande par­tie de l’humanité. Autre­ment dit, les chan­ge­ments sociaux de l’avenir — le tra­vail et les efforts révo­lu­tion­naires qui les pré­cèdent et les accom­pagnent — seront pro­fon­dé­ment influen­cés par la com­pré­hen­sion popu­laire de ce qui s’est réel­le­ment pas­sé en Russie. 

Il est géné­ra­le­ment admis que la Révo­lu­tion Russe est l’événement his­to­rique le plus impor­tant depuis la grande Révo­lu­tion Fran­çaise. Je suis même enclin à croire qu’au point de vue de ses consé­quences poten­tielles, la Révo­lu­tion de 1917 est le fait le plus signi­fi­ca­tif dans toute l’Histoire connue de l’humanité. C’est la seule Révo­lu­tion qui aspi­rait de fac­to à la Révo­lu­tion sociale Mon­diale ; c’est la seule qui a pré­sen­te­ment, abo­li le sys­tème capi­ta­liste sur tout un ter­ri­toire et a chan­gé de fond en comble toutes les rela­tions sociales exis­tantes jusqu’alors. Un évé­ne­ment d’une telle gran­deur humaine et his­to­rique ne doit pas être jugé de l’étroit point de vue de la par­tia­li­té. Aucun sen­ti­ment per­son­nel ni aucun pré­ju­gé ne devraient venir défor­mer l’attitude des indi­vi­dus. Avant tout, chaque phase de la Révo­lu­tion doit être étu­diée avec soin, sans biais ni pré­ju­dice, tous les faits consi­dé­rés sans a prio­ri, pour que nous puis­sions nous faire une opi­nion juste et pré­cise. Je crois, j’ai la ferme convic­tion, que seule, toute la véri­té en ce qui concerne la Rus­sie peut être d’un pro­fit immense. 

Mal­heu­reu­se­ment, cela n’a pas été le cas jusqu’à main­te­nant, à quelques excep­tions près. Il était tout natu­rel que la Révo­lu­tion Russe pro­vo­quât d’une part, l’antagonisme le plus amer, et de l’autre la défense la plus pas­sion­née. Mais la par­tia­li­té, de quelque côté qu’elle se mani­feste, n’est pas un juge objec­tif. Pour dire vrai, les plus odieux men­songes, de même que les plus ridi­cules affa­bu­la­tions concer­nant la Rus­sie ont été répan­dues, et conti­nuent de l’être, même encore aujourd’hui. On ne peut, natu­rel­le­ment, pas s’étonner que les enne­mis de la Révo­lu­tion russe, et de la Révo­lu­tion en géné­ral, et comme tels les réac­tion­naires et leurs agents, aient inon­dé le monde des inter­pré­ta­tions les plus veni­meuses des évé­ne­ments per­pé­trés en Rus­sie. Sur eux et leur infor­ma­tion, je n’ai plus besoin de m’appesantir : il y a déjà long­temps qu’ils sont dis­cré­di­tés aux yeux des gens hon­nêtes et intelligents. 

Il est triste de consta­ter que ce sont les soi-disant amis de la Rus­sie et de la Révo­lu­tion Russe qui ont fait le plus de mal à la Révo­lu­tion, au peuple Russe et aux meilleurs inté­rêts des masses de tra­vailleurs du monde par leur zèle sans modé­ra­tion en ne tenant pas compte de la véri­té. Quelques-uns par igno­rance, mais la plu­part consciem­ment et inten­tion­nel­le­ment ont men­ti avec per­sis­tance et pas­sion, en contra­dic­tion avec tous les faits, par la fausse notion qui leur fai­sait croire qu’ainsi ils « aidaient la Révo­lu­tion ». Les rai­sons d’«expédients poli­tiques », de « Diplo­ma­tie bol­ché­vique », de « néces­si­tés de l’heure » qu’ils allé­guaient et sou­vent des motifs de consi­dé­ra­tions moins altruistes, les ont fait agir de cette façon ; ils ont fait fi des consi­dé­ra­tions légi­times d’un hon­nête homme, d’un véri­table ami de la Révo­lu­tion Russe, de l’émancipation de l’humanité et de l’Histoire véri­dique qui est res­pect de la véri­té. Il y a eu des hommes hono­rables, fai­sant excep­tion, mal­heu­reu­se­ment en très petit nombre et dont la voix s’est presque tou­jours per­due dans la pas­sion des fausses inter­pré­ta­tions et des sur­en­chères. Mais la plu­part de ceux qui visi­tèrent la Rus­sie men­tirent, tout sim­ple­ment, quant à la situa­tion de ce pays, — je le répète déli­bé­ré­ment. Quelques-uns, n’ayant pas eu le temps néces­saire ni l’occasion d’étudier la situa­tion, don­nèrent des infor­ma­tions erro­nées. Ils avaient fait des séjours de quelques jours ou quelques semaines à Pétro­grad et Mos­cou, sans connaître la langue, sans avoir jamais eu de rap­ports directs avec le peuple, sans connaître du pays et des gens rien d’autre que ce qu’avaient bien pu leur dire et leur mon­trer les cicé­rones offi­ciels qui les avaient par­tout guidés. 

Dans beau­coup de cas, ces « his­to­riens de la Révo­lu­tion » étaient de véri­tables incom­pé­tents, naïfs jusqu’au ridi­cule. Ils étaient si peu fami­lia­ri­sés avec tout ce qui les entou­rait, que le plus sou­vent ils n’avaient même pas le moindre soup­çon sur « l’affable inter­prète », si dési­reux de tout mon­trer et de tout expli­quer. Ils ne se dou­taient pas qu’il était en réa­li­té un membre du groupe des « hommes de confiance », spé­cia­le­ment dési­gnés pour « gui­der » les visi­teurs impor­tants. Beau­coup de ces visi­teurs ont depuis, par­lé et écrit abon­dam­ment sur la Révo­lu­tion Russe avec peu de connais­sance et encore moins de dis­cer­ne­ment. Il y en eut d’autres qui avaient eu le temps et l’occasion néces­saires, et quelques-uns d’entre eux essayèrent réel­le­ment de faire une étude sérieuse de la situa­tion, pas uni­que­ment pour des articles à sen­sa­tion. Pen­dant mon séjour de deux ans en Rus­sie, j’ai eu l’occasion de ren­con­trer per­son­nel­le­ment presque tous les visi­teurs étran­gers, les mis­sions des syn­di­cats et presque tous les délé­gués d’Europe, d’Asie, d’Amérique et d’Australie, qui se ras­sem­blaient à Mos­cou pour assis­ter au Congrès Inter­na­tio­nal com­mu­niste et au Congrès Révo­lu­tion­naire de l’Industrie, qui se tint là-bas l’année pas­sée. La plu­part d’entre eux pou­vaient voir et com­prendre ce qui se pas­sait dans le pays. Mais il était vrai­ment excep­tion­nel qu’ils eussent une vision assez nette et assez de cou­rage pour com­prendre que seule toute la véri­té ser­vi­rait le mieux les inté­rêts de la situation. 

Cepen­dant, en géné­ral, les dif­fé­rents visi­teurs de la Rus­sie se sou­ciaient fort peu de la véri­té, et se mon­traient sys­té­ma­ti­que­ment tels lorsqu’ils com­men­cèrent à « éclai­rer » le monde. Leurs asser­tions fri­saient fré­quem­ment une idio­tie cri­mi­nelle. Pen­sez, par exemple, à Georges Lans­bu­ry (publi­ciste du « Dai­ly Herald » de Londres), qui rap­porte que les idées de fra­ter­ni­té, d’égalité et d’amour prê­chées par Jésus de Naza­reth étaient en train de se réa­li­ser en Rus­sie et qu’en même temps Lénine déplo­rait « la néces­si­té du com­mu­nisme de guerre » impo­sé par l’intervention et le blo­cus des Alliés. Consi­dé­rez « l’égalité » qui divi­sait la popu­la­tion russe en 36 caté­go­ries, sui­vant la ration et les appoin­te­ments reçus. Un autre anglais, écri­vain connu, s’écriait empha­ti­que­ment que tout serait bien en Rus­sie, s’il n’y avait pas infil­tra­tion de l’extérieur… pen­dant que des dis­tricts entiers dans l’Est, le Sud et en Sibé­rie, quelques-uns de ceux-ci plus grands en sur­face que la France, étaient en rébel­lion armée contre les Bol­ché­viks et leur poli­tique agraire. D’autres écri­vains sur­en­ché­ris­saient sur le régime libre des Soviets, pen­dant que 18 000 de ses fils gisaient morts à Krons­tadt, après avoir lut­té pour la vic­toire du régime libre des Soviets. 

Mais pour­quoi s’étendre sur ces pros­ti­tu­tions lit­té­raires ? Le lec­teur se rap­pel­le­ra aisé­ment la foule des gens ber­nés qui nièrent avec force l’existence même des choses que Lénine essayait d’expliquer comme inévi­tables. Je sais que beau­coup de délé­gués et autres gens crurent que la situa­tion réelle de la Rus­sie étant connue à l’étranger, on pour­rait for­cer la main aux réac­tion­naires et inter­ven­tion­nistes. Cepen­dant, cette croyance ne néces­si­tait pas une repré­sen­ta­tion de la Rus­sie en Eldo­ra­do du tra­vail. Mais le temps où il aurait pu paraître inop­por­tun de par­ler expli­ci­te­ment de la situa­tion russe, est pas­sé depuis long­temps. Cette période est ter­mi­née, relé­guée dans les archives de l’Histoire par l’introduction de la « nou­velle poli­tique éco­no­mique ». Main­te­nant le temps est venu pour nous de tirer les ensei­gne­ments de la Révo­lu­tion et recher­cher les causes de sa débâcle. Pour que nous puis­sions évi­ter les fautes qu’elle a com­mises (Lénine dit fran­che­ment qu’elles ont été nom­breuses), et que nous puis­sions adop­ter ses meilleures lignes, nous devons savoir toute la véri­té sur les évé­ne­ments de Russie. 

C’est pour­quoi je consi­dère l’activité pré­sente de quelques délé­gués et autres hommes comme posi­ti­ve­ment cri­mi­nelle et comme une tra­hi­son des véri­tables inté­rêts des tra­vailleurs du monde. J’en appelle aux hommes et aux femmes, dont quelques-uns étaient délé­gués aux congrès qui eurent lieu à Mos­cou en 1921, et qui conti­nuent tou­jours à pro­pa­ger les men­songes « idyl­liques » sur la Rus­sie, abusent les masses par leurs des­crip­tions idéa­li­sées des condi­tions de tra­vail qui y règnent et cherchent même à ame­ner les tra­vailleurs d’autres pays à émi­grer en masse en Rus­sie. Ils ren­forcent l’effrayante confu­sion men­tale déjà exis­tante dans l’esprit du peuple, trompent le pro­lé­ta­riat par de faux rap­ports concer­nant le pré­sent et de vaines pro­messes pour un proche ave­nir. Ils conti­nuent d’abuser les esprits en sou­te­nant la dan­ge­reuse illu­sion que la Révo­lu­tion est tou­jours vivante et déploie une acti­vi­té conti­nue en Rus­sie. C’est une tac­tique des plus mépri­sables. Il est natu­rel­le­ment très facile à un lea­der syn­di­ca­liste amé­ri­cain, se jouant de l’élément radi­cal, de rédi­ger des rap­ports enthou­siastes sur la condi­tion des tra­vailleurs russes, étant entre­te­nu, aux frais de l’État au « Lux », l’hôtel le plus luxueux de Rus­sie. En véri­té, il peut affir­mer qu’on n’a « pas besoin d’argent », car ne reçoit-il pas tout ce qu’il désire, sans frais aucuns ? Oui, pour­quoi le Pré­sident de l’union amé­ri­caine des ouvriers en aiguilles ne rap­por­te­rait-il pas que les ouvriers russes jouissent de l’entière liber­té de parole ? Il oublie de men­tion­ner que, seuls, les Com­mu­nistes et leurs « fidèles » pou­vaient par­ler, pen­dant que le dis­tin­gué « visi­teur » enquê­tait sur les condi­tions dans les usines. 

Que l’Histoire leur par­donne… Moi, je ne le puis. 

II

Pour que le lec­teur puisse bien com­prendre ce que je vais expo­ser par la suite, je crois qu’il est néces­saire d’établir briè­ve­ment l’état d’esprit qui m’animait à l’époque de mon arri­vée en Russie. 

Il y a deux ans de cela, un gou­ver­ne­ment, le « plus libre de la terre », m’avait fait dépor­ter en com­pa­gnie de 248 autres hommes poli­tiques du pays dans lequel j’avais vécu pen­dant plus de trente ans. Je pro­tes­tai avec véhé­mence contre le crime moral per­pé­tré par une pré­ten­due démo­cra­tie ayant recours à des méthodes qu’elle avait si vio­lem­ment atta­quée de la part de l’autocratie tsa­riste. Je stig­ma­ti­sai la dépor­ta­tion d’hommes poli­tiques comme un outrage aux droits les plus fon­da­men­taux de l’homme, et je la com­bat­tis par prin­cipe. Pour­tant, j’étais heu­reux. En effet, lorsque la Révo­lu­tion de février écla­ta, déjà j’avais dési­ré aller en Rus­sie, mais l’affaire de Moo­ney m’en avait empê­ché : j’avais de la répu­gnance à quit­ter le champ de bataille. Ensuite, les États-Unis m’emprisonnèrent et enga­gèrent contre moi des pour­suites pénales à cause de mon oppo­si­tion à la bou­che­rie mon­diale. Pen­dant deux ans, l’hospitalité for­cée des pri­sons fédé­rales empê­cha mon départ. La dépor­ta­tion s’ensuivit. J’ai déjà dit que j’étais heu­reux, mot trop faible pour expri­mer la joie débor­dante qui emplis­sait tout mon être à la cer­ti­tude de visi­ter la Russie. 

La Rus­sie ! J’allais ren­trer au pays qui avait fait dis­pa­raître l’empire des Tsars de la map­pe­monde, j’allais voir le pays de la Révo­lu­tion Sociale ! Pou­vait-il y avoir plus grande joie pour quelqu’un qui, dès son jeune âge, s’était rebel­lé contre la tyran­nie, et dont les rêves impré­cis de jeu­nesse avait entre­vu un monde de fra­ter­ni­té humaine et de bon­heur, et dont la vie entière avait été consa­crée à l’avènement de la Révo­lu­tion Sociale ? 

Le voyage fut un véri­table pèle­ri­nage. Quoique pri­son­niers et trai­tés avec une rigueur toute mili­taire, et que le « Buford » fût un vieux rafiot fai­sant eau, et mît notre vie constam­ment en péril durant cette odys­sée d’un mois, tous les dépor­tés, à la pen­sée qu’ils étaient en route pour le pays de la Révo­lu­tion (fer­tile en pro­messes), gar­daient un moral excellent et vivaient dans l’attente du grand jour qui appro­chait. Le voyage fut long, très long, et hon­teuses les humi­lia­tions que nous dûmes endu­rer : nous étions entas­sés sous le pont, vivant dans l’humidité et dans une atmo­sphère pes­ti­len­tielle, et nour­ris avec de maigres rations. Notre patience était presque à bout, mais notre cou­rage res­tait inébran­lable ; et enfin nous par­vînmes à destination. 

Ce fut le 19 jan­vier 1920, que nous mîmes pied à terre sur le sol de la Rus­sie des Soviets. Un sen­ti­ment de solen­ni­té, de res­pect m’accabla presque. C’est la même impres­sion qu’ont dû éprou­ver mes pieux ancêtres en péné­trant pour la pre­mière fois dans le Saint des Saints. Un grand désir s’était empa­ré de moi : m’agenouiller et embras­ser cette terre imbi­bée du sang de géné­ra­tions de mal­heu­reux et de mar­tyrs, arro­sée à nou­veau par ces révo­lu­tion­naires triom­phants. Jamais aupa­ra­vant, pas même lorsque je fus ren­du à la vie après les hor­ribles ténèbres de qua­torze ans de pri­son, je n’avais été ému si for­te­ment, brû­lant du désir d’embrasser l’humanité, de dépo­ser mon cœur à ses pieds, de sacri­fier ma vie mille fois, si c’était seule­ment pos­sible, au ser­vice de la Révo­lu­tion Sociale. Ce fut le plus grand jour de ma vie. 

Nous fûmes reçus à bras ouverts. L’hymne révo­lu­tion­naire, exé­cu­té par l’orchestre rouge, nous salua avec enthou­siasme au moment où nous tra­ver­sions la fron­tière russe. Les accla­ma­tions des défen­seurs à bon­nets rouges de la Révo­lu­tion se mul­ti­plièrent à tra­vers les bois, réson­nant au loin comme des rou­le­ments du ton­nerre. Devant le sym­bole visible de la Révo­lu­tion Triom­phante, je res­tais la tête cour­bée. J’étais ému et fier, mais cepen­dant, je me sen­tais tout petit devant la gran­deur de la mani­fes­ta­tion de la Révo­lu­tion Sociale actuelle. Quelle pro­fon­deur, quelle gran­deur s’y révé­laient, et quelles immenses pos­si­bi­li­tés se révé­laient dans ses perspectives ! 

En mon for inté­rieur, je me disais : « Puisse ta vie pas­sée avoir contri­bué, si peu que ce fût, à la réa­li­sa­tion du grand idéal humain et à ceci, qui en est le com­men­ce­ment ». Et j’ai eu conscience du grand bon­heur qui m’était offert d’agir, de tra­vailler, d’aider de tout mon être l’achèvement révo­lu­tion­naire de ce peuple mer­veilleux. Ils ont lut­té et sont sor­tis vic­to­rieux de la bataille. Ils ont pro­cla­mé la révo­lu­tion sociale : cela signi­fiait que l’oppression avait ces­sé, que la sou­mis­sion et l’esclavage, les deux fléaux de l’humanité, étaient abo­lis. L’espoir de tant de géné­ra­tions et d’âges s’était enfin réa­li­sé. La jus­tice s’était éta­blie sur la terre, du moins dans la par­tie qui com­pre­nait la Rus­sie Sovié­tique, et désor­mais ce pré­cieux héri­tage ne serait plus perdu. 

Mais les années de guerre et de révo­lu­tion ont épui­sé le pays. La souf­france et la famine règnent et il y a grand besoin de cœurs cou­ra­geux et de mâles volon­tés pour agir et aider. Mon cœur était plein d’allégresse. Oui, je me don­ne­rais de tout mon être au ser­vice du peuple. Je serais rajeu­ni par chaque effort en avant, dans la tâche la plus rude, pour l’accroissement du bien-être com­mun. Je consa­cre­rais toute ma vie à la réa­li­sa­tion du grand espoir du monde, à la Révo­lu­tion Sociale. 

Au pre­mier avant-poste de l’armée russe s’organise un for­mi­dable mee­ting pour nous sou­hai­ter la bien­ve­nue. La grande salle, rem­plie de sol­dats et de marins, les femmes en habits sombres sur l’estrade des ora­teurs, leurs dis­cours, toute cette atmo­sphère pal­pi­tante de la Révo­lu­tion agis­sante…, tout cela fit une grande impres­sion sur moi. Pres­sé de dire quelque chose, je remer­ciai les cama­rades russes pour la cha­leu­reuse récep­tion faite aux dépor­tés d’Amérique, je les féli­ci­tai des luttes héroïques qu’ils sou­te­naient et leur dis ma grande joie à me trou­ver par­mi eux. Et ensuite, je résu­mai toute ma pen­sée dans cette unique phrase : « Chers cama­rades ; nous ne sommes pas venus pour ensei­gner, mais pour apprendre, pour apprendre et pour aider. » 

Voi­là mon entrée en Rus­sie. Et voi­là ce qu’éprouvèrent la plu­part des dépor­tés, mes compagnons. 

III

Ce que j’ai appris, je l’ai appris peu à peu, jour par jour, dans dif­fé­rentes par­ties du pays. J’ai eu des occa­sions excep­tion­nelles d’observer et d’étudier. J’étais en rap­ports étroits avec les chefs du Par­ti Com­mu­niste, en contact avec presque tous les mili­tants, hommes et femmes, j’ai par­ti­ci­pé à leur acti­vi­té, et j’ai beau­coup voya­gé à tra­vers le pays dans les condi­tions les plus favo­rables pour prendre contact per­son­nel­le­ment avec la vie des ouvriers et des pay­sans. Au pre­mier abord, je ne pus croire que ce que je voyais fût réel. Je ne vou­lais en croire ni mes yeux ni mes oreilles. À la façon de ces miroirs tru­qués qui vous ren­voient votre image hor­ri­ble­ment défi­gu­rée, de même la Rus­sie sem­blait reflé­ter la Révo­lu­tion comme une effrayante per­ver­sion. C’était une épou­van­table cari­ca­ture de la vie nou­velle et de l’espoir du monde. Je n’entrerai pas main­te­nant dans la des­crip­tion détaillée de ma pre­mières impres­sions, de mes inves­ti­ga­tions et de tout ce que par la suite, engen­dra ma convic­tion finale. J’ai lut­té sans repos et avec amer­tume contre moi-même. J’ai lut­té pen­dant deux ans, tant il est dur de convaincre celui qui n’a pas besoin d’être convain­cu. Et je confesse que je n’avais pas besoin d’être convain­cu que la Révo­lu­tion, en Rus­sie, était deve­nue un mirage, une décep­tion dan­ge­reuse. Je lut­tai long­temps et fer­me­ment contre cette convic­tion. Mais les preuves s’accumulaient et chaque jour appor­tait des témoi­gnages plus odieux à l’encontre de ma volon­té, de mon espoir et de mon admi­ra­tion sans bornes et de mon enthou­siasme pour la Rus­sie qui me dévo­rait. J’étais convain­cu que la Révo­lu­tion Russe avait été assas­si­née.

Com­ment et par qui ? 

Quelques écri­vains ont affir­mé que l’accession des Bol­ché­viks au pou­voir était dû à un coup de main, et des doutes ont été expri­més concer­nant la nature et l’importance de l’événement d’octobre.

Rien ne pour­rait être plus éloi­gné de la véri­té. Au point de vue his­to­rique, le grand évé­ne­ment connu sous le nom de Révo­lu­tion d’octobre était, dans le sens le plus large, une révo­lu­tion sociale. Elle était carac­té­ri­sée par tous les fac­teurs essen­tiels d’un tel chan­ge­ment fon­da­men­tal. Elle était faite, non par un par­ti poli­tique, mais par les masses elles-mêmes d’une façon qui trans­for­mait radi­ca­le­ment toutes les rela­tions éco­no­miques, poli­tiques et sociales exis­tant jusque-là. Mais elle n’eut pas lieu en octobre. 

Ce mois mar­qua la « consé­cra­tion légale » et for­melle des évé­ne­ments révo­lu­tion­naires qui la pré­cé­dèrent. Pen­dant les semaines et les mois qui la pré­cé­dèrent, cette Révo­lu­tion s’était éten­due à toute la Rus­sie. Le pro­lé­ta­riat des villes pre­nait pos­ses­sion des maga­sins et des usines, pen­dant que les pay­sans expro­priaient les grands domaines et uti­li­saient la terre à leur propre usage. En même temps, des comi­tés d’ouvriers, de pay­sans et des Soviets se for­mèrent par­tout dans le pays, et alors com­men­ça le trans­fert suc­ces­sif du pou­voir des mains du gou­ver­ne­ment pro­vi­soire dans celle des Soviets ; ce fut le cas, tout d’abord, à Pétro­grad, ensuite à Mos­cou ; il s’étendit très vite à la région de la Vol­ga, au dis­trict de l’Oural et à la Sibé­rie. La volon­té du peuple trou­va son expres­sion dans la for­mule : « Tout le pou­voir aux Soviets » ! et elle alla se répandre dans le pays tout entier. La solu­tion de la situa­tion était four­nie par le congrès des Soviets du Nord, qui pro­cla­mait : « Le gou­ver­ne­ment de Kerens­ki doit s’en aller ; les Soviets sont le seul pouvoir ! » 

Ceci se pas­sait le 10 octobre 1917. En fait, tout le pou­voir était déjà aux mains des Soviets. En juillet, le sou­lè­ve­ment de Pétro­grad contre Kérens­ky fut étouf­fé, mais au mois d’août, l’influence des ouvriers révo­lu­tion­naires et de la gar­ni­son fut assez forte pour empê­cher l’attaque ten­tée par Kor­ni­loff. Les forces du Soviet de Pétro­grad s’accrurent de jour en jour. Le 16 octobre, il for­ma son propre Comi­té Mili­taire, ce qui était un défi et une pro­vo­ca­tion ouverte contre le gou­ver­ne­ment. Le Soviet, grâce à son comi­té Mili­taire Révo­lu­tion­naire se pré­pa­ra à défendre Pétro­grad contre le gou­ver­ne­ment de la coa­li­tion de Kérens­ky et contre une attaque pos­sible du géné­ral Kale­dine et de ses cosaques contre-révo­lu­tion­naires. Le 22 octobre, tout le pro­lé­ta­riat de Pétro­grad, appuyé soli­dai­re­ment par la gar­ni­son, fit une immense démons­tra­tion à tra­vers toute la ville, contre le gou­ver­ne­ment et en faveur de « Tout le pou­voir aux Soviets ». Le Congrès pan-russe des Soviets devait s’ouvrir le 25 octobre. 

Le 23 octobre, le Soviet de Pétro­grad avait ordon­né au cabi­net Kerens­ky de se dis­soudre dans les vingt-quatre heures. Le gou­ver­ne­ment pro­vi­soire, voyant son exis­tence en immi­nent péril, eut recours à une action décisive. 

Pous­sé à l’exaspération, Kérens­ky réso­lut — le 24 octobre — de sup­pri­mer la presse révo­lu­tion­naire, d’arrêter les révo­lu­tion­naires mili­tants les plus en vue à Pétro­grad, et de sup­pri­mer les com­mis­saires actifs du Soviet. Le gou­ver­ne­ment s’appuyait sur les troupes « fidèles » et les jun­kers des écoles mili­taires d’étudiants. Mais il était trop tard, la ten­ta­tive d’appuyer le gou­ver­ne­ment échoua. Dans la nuit du 24 au 25 octobre (du 6 au 7 novembre), le gou­ver­ne­ment de Kérens­ky fut dis­sous paci­fi­que­ment et sans effu­sion de sang et la supré­ma­tie exclu­sive des Soviet fut éta­blie. Le par­ti com­mu­niste vint au pou­voir. C’était l’apogée poli­tique de la Révo­lu­tion Russe. 

IV. 
Le régime bolcheviste

Dif­fé­rents fac­teurs contri­buèrent au suc­cès de la Révo­lu­tion. Pre­miè­re­ment, elle ne ren­con­tra presque pas d’opposition effec­tive : la bour­geoi­sie russe était désor­ga­ni­sée, faible et nul­le­ment dis­po­sée à lut­ter. Mais la cause prin­ci­pale de sa vic­toire était due à l’enthousiasme débor­dant avec lequel les organes révo­lu­tion­naires gagnaient le peuple tout entier. « À bas la guerre », « Paix immé­diate », « La terre au pay­san et l’usine à l’ouvrier », « Tout le pou­voir aux Soviets » étaient les cris pas­sion­nés expri­mant les aspi­ra­tions immé­diates du peuple. Rien ne pou­vait résis­ter à leur dyna­misme impétueux. 

Un autre fac­teur très impor­tant était l’unité des divers élé­ments révo­lu­tion­naires dans leur oppo­si­tion contre le gou­ver­ne­ment de Kérens­ky. Bol­ché­viks, anar­chistes, socia­listes-révo­lu­tion­naires de gauche, les nom­breux pri­son­niers poli­tiques libé­rés, les exi­lés de Sibé­rie et des cen­taines d’émigrants révo­lu­tion­naires de retour au pays, tous avaient tra­vaillé pour un but com­mun, durant les mois de février à octobre. 

Mais s’il était facile de com­men­cer la Révo­lu­tion, c’était toute autre chose de veiller à son déve­lop­pe­ment et de la mener à ses fins logiques, comme l’avait dit Lénine dans un de ses dis­cours. Deux condi­tions s’avéraient indis­pen­sables : l’unité conti­nuelle de toutes les forces révo­lu­tion­naires et le concours de la bonne volon­té, de l’initiative et des meilleures éner­gies dans la nou­velle construc­tion sociale. Il faut tou­jours se rap­pe­ler qu’une révo­lu­tion n’implique pas uni­que­ment la des­truc­tion. La Révo­lu­tion a pour but de détruire et de construire ensuite, la plus grande impor­tance doit être atta­chée au second fac­teur. Pour le plus grand mal­heur, les prin­cipes et méthodes des bol­ché­viks prou­vèrent bien­tôt qu’ils entra­vaient l’activité créa­trice des masses. Les Bol­ché­viks sont mar­xistes. Quoiqu’ils fassent leurs et pro­clament, en octobre, les mots d’ordre anar­chistes (action directe du peuple, expro­pria­tion, soviets libres, etc.), ce n’était pas leur phi­lo­so­phie sociale qui leur dic­tait cette atti­tude. Ils avaient sen­ti la volon­té popu­laire, les vagues mon­tantes de la Révo­lu­tion les avaient entraî­nés bien au-delà de leurs théo­ries. Mais ils res­tèrent mar­xistes dans le cœur. 

Au fond, ils n’avaient pas confiance dans le peuple et en son ini­tia­tive créa­trice. Comme social-démo­crates, ils se méfiaient des pay­sans et comp­taient plu­tôt sur l’appui de la petite mino­ri­té révo­lu­tion­naire de l’élément indus­triel. Ils avaient convo­qué l’assemblée consti­tuante, et ce n’est que lorsqu’ils furent convain­cus qu’ils n’y auraient pas la majo­ri­té, et ne pour­raient, par consé­quent, prendre en main la direc­tion de l’État, qu’ils se réso­lurent sou­dain à la dis­so­lu­tion de l’Assemblée, quoique cette mesure consti­tuât le renie­ment des prin­cipes fon­da­men­taux du mar­xisme. (Par hasard, ce fut un anar­chiste, Ana­tole Zeles­nia­kov, char­gé de la garde du palais, qui prit l’initiative dans cette affaire.) Mar­xistes, les bol­ché­viks exi­gèrent la natio­na­li­sa­tion de la terre, la pro­prié­té, la dis­tri­bu­tion et le contrôle aux mains de l’État. Ils étaient oppo­sés, en prin­cipe, à la socia­li­sa­tion et ce n’est que la pres­sion des socia­listes-révo­lu­tion­naires de gauche (par­ti de Spi­ri­do­no­va-Kam­kov) dont l’influence était tra­di­tion­nelle auprès des pay­sans, qui obli­gea les bol­ché­viks à adop­ter le pro­gramme agraire inté­gral des socia­listes-révo­lu­tion­naires, de l’«avaler », comme a dit Lénine. 

Dès les pre­miers jours de l’accession des Bol­ché­viks au pou­voir poli­tique, leurs ten­dances mar­xistes com­men­cèrent à se mani­fes­ter au détri­ment de la Révo­lu­tion. La méfiance socia­liste-révo­lu­tion­naire des pay­sans accen­tua leurs méthodes et influen­ça leurs agis­se­ments. Aux Congrès Pan-russes, les pay­sans n’eurent pas une repré­sen­ta­tion égale à celle des ouvriers indus­triels. Les bol­ché­viks ne stig­ma­ti­sèrent pas seule­ment les spé­cu­la­teurs et exploi­teurs des cam­pagnes, mais encore toute la popu­la­tion des cam­pagnes qua­li­fiée de « bour­geois » inca­pables de col­la­bo­rer au socia­lisme avec le pro­lé­ta­riat. Le gou­ver­ne­ment bol­ché­viste s’opposait aux repré­sen­tants pay­sans dans les Soviets et les Congrès natio­naux cher­chaient à empê­cher leurs efforts d’in­dé­pen­dance, restrei­gnaient l’essor et l’activité du Com­mis­sa­riat agraire qui était alors l’élément vital de la recons­truc­tion de la Rus­sie. (Ce com­mis­sa­riat était pré­si­dé par un socia­liste-révo­lu­tion­naire de gauche). Inévi­ta­ble­ment, cette atti­tude cau­sa beau­coup de mécon­ten­te­ment dans les grandes masses paysannes. 

Le mou­jik russe est simple et naïf ; mais avec l’instinct de l’homme pri­mi­tif, il res­sent immé­dia­te­ment un pré­ju­dice : la dia­lec­tique la plus sub­tile ne peut ébran­ler sa convic­tion acquise. La dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat, pierre de touche du cre­do mar­xiste, offen­sa et por­ta pré­ju­dice aux pay­sans. Ceux-ci récla­maient une part égale dans l’organisation et l’administration des affaires du pays. N’avaient-ils pas été esclaves, oppri­més et igno­rés assez long­temps ? Le pay­san consi­dé­rait la dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat comme ayant été éta­blie contre lui-même. « Si dic­ta­ture il y a, affir­mait-il, pour­quoi ne serait-ce pas la dic­ta­ture unique de tous ceux qui tra­vaillent, des tra­vailleurs des villes comme ceux de la campagne ? » 

Ensuite, vint la paix de Brest-Litovsk. Par ses résul­tats ulté­rieurs, elle fut le coup de grâce à la Révo­lu­tion, la mort de la Révo­lu­tion. Deux mois aupa­ra­vant, en décembre 1917, Trots­ky avait refu­sé d’un beau geste de noble indi­gna­tion, la paix offerte par l’Allemagne à des condi­tions bien plus avan­ta­geuses pour la Rus­sie ; « Nous ne fai­sons pas de guerre, nous ne signons pas de paix », avait-il pro­cla­mé et la Rus­sie révo­lu­tion­naire l’applaudit.

« Pas de com­pro­mis avec l’impérialisme alle­mand, pas de conces­sions » cla­mait le pays entier et le peuple était prêt à défendre sa révo­lu­tion jusqu’à la mort. Mais main­te­nant, Lénine deman­dait la rati­fi­ca­tion d’une paix qui était une tra­hi­son per­fide de la majeure par­tie de la Rus­sie. La Fin­lande, la Let­to­nie, la Lithua­nie, l’Ukraine, la Rus­sie blanche et la Bes­sa­ra­bie, devaient être livrées à l’oppression et à l’exploitation de l’envahisseur alle­mand et de sa bour­geoi­sie. C’était chose mons­trueuse — le sacri­fice des prin­cipes de la Révo­lu­tion et aus­si de ses intérêts. 

Lénine insis­ta sur la rati­fi­ca­tion, en allé­guant que la Révo­lu­tion avait besoin de « res­pi­rer », que la Rus­sie était épui­sée et que la paix per­met­trait à l’oasis révo­lu­tion­naire de se for­ti­fier pour de nou­veaux efforts. Trots­ky était silen­cieux. Les forces révo­lu­tion­naires s’effritaient.

Les socia­listes-révo­lu­tion­naires de gauche, la plu­part des anar­chistes et beau­coup d’éléments révo­lu­tion­naires étaient irré­duc­ti­ble­ment hos­tiles à une paix avec l’impérialisme, par­ti­cu­liè­re­ment aux condi­tions édic­tées par l’Allemagne. Ils décla­raient qu’une telle paix était nui­sible à la Révo­lu­tion ; que le prin­cipe de « paix sans annexions » ne devait pas être sacri­fié ; que les condi­tions de l’Allemagne entraî­naient la plus per­fide tra­hi­son contre les ouvriers et pay­sans des pro­vinces exi­gées par les Prus­siens ; que cette paix assu­jet­ti­rait toute la Rus­sie à la dépen­dance éco­no­mique et poli­tique de l’Impérialisme alle­mand ; que les enva­his­seurs s’approprieraient les blés ukrai­niens et le char­bon du bas­sin du Don et mène­raient la Rus­sie à la ruine industrielle. 

Mais l’influence de Lénine fut concluante. Il l’emporta. La paix de Brest-Litovsk fut rati­fiée par le IVe Congrès des Soviets. 

En refu­sant les condi­tions de la paix alle­mande offerte en décembre 1917, Trots­ky, le pre­mier, affir­ma que les ouvriers et pay­sans, ins­pi­rés et armés par la Révo­lu­tion, pour­raient venir à bout de toute armée d’envahisseurs, en orga­ni­sant une guerre de francs-tireurs. Les socia­listes-révo­lu­tion­naires de gauche pro­vo­quèrent des sou­lè­ve­ments de pay­sans pour com­battre les Alle­mands, confiants qu’aucune armée ne pour­rait vaincre l’ardeur révo­lu­tion­naire d’un peuple lut­tant pour sa grande Révo­lu­tion. Ouvriers et pay­sans, répon­dant à cet appel, for­mèrent des corps mili­taires et s’élancèrent à l’aide de l’Ukraine et de la Rus­sie blanche, qui lut­taient alors vaillam­ment contre l’envahisseur alle­mand. Trots­ky ordon­na à l’armée russe de pour­suivre et de dis­soudre ces unités. 

Vint l’assassinat de Mir­bach. Ce fut une pro­tes­ta­tion et un défi lan­cés à l’impérialisme alle­mand en Rus­sie. Le gou­ver­ne­ment bol­ché­vique prit des mesures pour exer­cer la répres­sion : il était sous le coup de ses obli­ga­tions envers l’Allemagne ! Dzer­jins­ky, le chef de la Tché­ka pan-russe, exi­gea qu’on livrât le ter­ro­riste cou­pable. C’est un fait unique dans les annales révo­lu­tion­naires : un par­ti révo­lu­tion­naire au pou­voir deman­dant à un autre par­ti révo­lu­tion­naire, avec lequel il avait jusque-là coopé­ré, l’arrestation et la condam­na­tion d’un révo­lu­tion­naire pour avoir sup­pri­mé le repré­sen­tant d’un gou­ver­ne­ment impérialiste. 

La paix de Brest-Litovsk avait mis les bol­ché­viks dans une posi­tion anor­male : être les gen­darmes du Kai­ser. Les socia­listes-révo­lu­tion­naires de gauche répon­dirent à l’ordre de Dzer­jins­ky en arrê­tant celui-ci. Ce fait, ain­si que les escar­mouches armées qui s’ensuivirent, quoiqu’insignifiants en eux-mêmes, furent exploi­tés par les bol­ché­viks au point de vue poli­tique. Ils sou­tinrent que c’était une ten­ta­tive des socia­listes-révo­lu­tion­naires de gauche de s’emparer du pou­voir. Ils mirent ce par­ti hors la loi, et son exter­mi­na­tion commença. 

Ces méthodes et tac­tiques des bol­ché­vistes n’étaient pas acci­den­telles. Il fut bien­tôt évident que c’était la poli­tique déci­dée par l’État Com­mu­niste de répri­mer toute forme d’expression contraire à celle du gou­ver­ne­ment. Après la rati­fi­ca­tion du trai­té de Brest-Litovsk, les socia­listes-révo­lu­tion­naires de gauche reti­rèrent leur repré­sen­tant auprès du Soviet des Com­mis­saires du Peuple. Les bol­ché­viks eurent le contrôle exclu­sif du gou­ver­ne­ment. Sous un pré­texte ou un autre, com­men­ça la sup­pres­sion la plus arbi­traire et la plus cruelle des autres par­tis et groupes poli­tiques. Les Men­ché­viks et les socia­listes-révo­lu­tion­naires de droite avaient été liqui­dés long­temps aupa­ra­vant, en même temps que la bour­geoi­sie russe. Ce fut alors le tour des élé­ments révo­lu­tion­naires : socia­listes-révo­lu­tion­naires de gauche, anar­chistes et révo­lu­tion­naires sans parti. 

Mais la « liqui­da­tion » de ceux-ci néces­si­tait bien plus que la sup­pres­sion de petits groupes poli­tiques. Les élé­ments révo­lu­tion­naires avaient beau­coup de par­ti­sans : socia­listes-révo­lu­tion­naires de gauche par­mi les pay­sans ; les anar­chistes sur­tout dans le pro­lé­ta­riat des villes. 

La nou­velle tac­tique bol­ché­vique fut d’extirper tout signe de mécon­ten­te­ment, d’étouffer toute cri­tique, de répri­mer toute opi­nion et effort indé­pen­dants. C’est alors que les bol­ché­viks inau­gurent leur dic­ta­ture sur le pro­lé­ta­riat ; ain­si est-elle carac­té­ri­sée dans l’esprit popu­laire en Rus­sie. L’attitude du gou­ver­ne­ment envers les pay­sans est main­te­nant net­te­ment hos­tile et le recours à la force est de plus en plus fré­quent. Les unions de tra­vailleurs (syn­di­cats) sont dis­sous, sou­vent par la force, si leur fidé­li­té au Par­ti Com­mu­niste est sus­pec­tée. Les coopé­ra­tives sont atta­quées. Ce grand orga­nisme, lien fra­ter­nel entre la ville et la cam­pagne et dont la fonc­tion éco­no­mique était vitale pour les inté­rêts de la Rus­sie et de la Révo­lu­tion, voit son impor­tante acti­vi­té de pro­duc­tion et d’échange des objets de pre­mière néces­si­té entra­vée, il est désor­ga­ni­sé et fina­le­ment abo­li. Arres­ta­tions, per­qui­si­tions noc­turnes, exé­cu­tions, sont à l’ordre du jour. 

La com­mis­sion extra­or­di­naire (Tché­ka), fon­dée pour com­battre la contre-révo­lu­tion et la spé­cu­la­tion, devient la ter­reur de tout ouvrier et pay­san. Ses agents secrets sont par­tout, décou­vrant tou­jours des com­plots, sui­vis d’exécutions sans défense, sans pro­cès et sans appel. De révo­lu­tion­naire qu’elle était, la Tché­ka devint l’organisation la plus redou­tée, dont l’injustice et la cruau­té répandent la ter­reur à tra­vers le pays. Toute-puis­sante, ne devant rendre de comptes à per­sonne, elle devient une véri­table ins­ti­tu­tion ; elle a sa propre armée, assume le ser­vice de la police, exerce la jus­tice et les pou­voirs admi­nis­tra­tifs et exé­cu­tifs, fait ses propres lois qui ont plus de valeur que celles de l’État recon­nu. Les pri­sons et camps de concen­tra­tion sont rem­plis de soi-disant contre-révo­lu­tion­naires et spé­cu­la­teurs, dont 95 % sont des ouvriers affa­més, de simples pay­sans et même des enfants de 10 à 14 ans (voir les rap­ports d’enquêtes dans les pri­sons ; pour Pétro­grad, dans la « Kras­naya gazet­ta» ; pour Mos­cou, dans la « Prav­da », numé­ros de mai, juin, juillet 1920). Le Com­mu­nisme devient, dans l’esprit du peuple, syno­nyme de Tché­ka et cette der­nière le résu­mé de tout ce qui est mau­vais et bru­tal. La semence du sen­ti­ment contre-révo­lu­tion­naire est ain­si répan­due à la volée. 

Les autres agis­se­ments poli­tiques du « gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire » se déve­loppent de la même façon. Une cen­tra­li­sa­tion méca­nique para­lyse l’activité indus­trielle et éco­no­mique du pays. On réprime l’initiative et l’effort indi­vi­duel est sys­té­ma­ti­que­ment décou­ra­gé. On ôte aux masses l’occasion de s’adapter à une poli­tique ou de prendre part à l’administration des affaires du pays. Le gou­ver­ne­ment mono­po­lise toute la vie : la Révo­lu­tion est enle­vée au peuple. Une machine bureau­cra­tique est créée, effrayante quant au nombre, à l’inefficacité et à la cor­rup­tion. Rien qu’à Mos­cou, cette nou­velle classe de sov­burs (bureau­crates bol­ché­vistes) est supé­rieure en nombre au total des employés d’administration du régime tsa­riste dans toute la Rus­sie en 1914. (Voir le rap­port offi­ciel de l’enquête du Comi­té des Soviets de Moscou.) 

La poli­tique éco­no­mique des bol­ché­viks, for­te­ment aidée par cette bureau­cra­tie, désor­ga­nise com­plè­te­ment la vie indus­trielle du pays, déjà malade. Lénine, Zino­viev et d’autres lea­ders com­mu­nistes se dépensent en invec­tives contre cette nou­velle bour­geoi­sie sovié­tique mais les nou­veaux décrets ne font qu’en accroître le nombre et la force. Le sys­tème de yedi­no­lit­chije, (la direc­tion par un seul homme), est mis en pra­tique. Lénine, lui-même, en est l’instigateur et le défen­seur. Désor­mais, les conseils de maga­sins et d’usines sont abo­lis, dépouillés de tout pou­voir. Chaque mou­lin, chaque mine et usine, les che­mins de fer et toutes les autres indus­tries devront être diri­gés par un chef unique, un « spé­cia­liste », et l’ancienne bour­geoi­sie tsa­riste est auto­ri­sée à y participer. 

Les anciens ban­quiers, spé­cu­la­teurs de bourse, pro­prié­taires de mou­lins et contre-maîtres d’usine deviennent les chefs, ont le seul contrôle de ces indus­tries, et un pou­voir abso­lu sur les ouvriers, C’est à eux qu’incombe le soin d’embaucher, d’employer et de ren­voyer la main‑d’œuvre, de lui accor­der ou de la pri­ver du payok (ration quo­ti­dienne ali­men­taire), et même de la punir et de la livrer à la Tchéka. 

Les ouvriers qui avaient com­bat­tu et don­né leur sang pour la Révo­lu­tion et étaient prêts à souf­frir la faim et le froid pour la défendre, s’indignent contre cette impos­ture incroyable qu’ils consi­dèrent comme la pire tra­hi­son. Ils ne veulent pas être domi­nés par ces mêmes pro­prié­taires et chefs qu’ils avaient chas­sés, lors de la Révo­lu­tion, hors des usines, et qui les avaient si mal­trai­tés. Ils n’ont aucun inté­rêt à une pareille recons­truc­tion. Le « nou­veau sys­tème », pro­cla­mé par Lénine comme sau­veur des indus­tries, abou­tit à la para­ly­sie com­plète de la vie éco­no­mique de la Rus­sie, chasse les ouvriers en masse de l’usine et les emplit d’amertume et d’aversion pour tout ce qui est « socia­liste ». Les prin­cipes et tac­tiques du méca­nisme mar­xiste de la Révo­lu­tion consacrent sa condamnation. 

Le Fran­ken­stein des bol­ché­viks prou­va que c’est une fana­tique illu­sion de croire que le petit groupe de conspi­ra­teurs qu’ils consti­tuaient, pou­vaient accom­plir une trans­for­ma­tion sociale com­plète. Erreur qui les pous­sa à d’innombrables infa­mies et bar­ba­ries. Les méthodes d’une telle théo­rie, ses moyens inévi­tables sont de deux sortes : décrets et ter­reur. Les bol­ché­viks n’en épar­gnèrent aucun et, comme le prê­chait Bou­kha­rine, idéo­logue des com­mu­nistes : « La ter­reur est la façon dont on trans­forme la nature humaine capi­ta­liste en citoyen bol­ché­viste. La liber­té est un pré­ju­gé bour­geois (expres­sion favo­rite de Lénine), la liber­té de parole et de presse inutile et nui­sible. Le gou­ver­ne­ment cen­tral est le seul dépo­si­taire du savoir et de la sagesse. Il ordon­ne­ra tout ce qu’il faut faire. Le seul devoir du citoyen est l’obéissance. La volon­té de l’État est souveraine. » 

Dépouillée des sub­ti­li­tés des­ti­nées sur­tout au tem­pé­ra­ment occi­den­tal, le com­por­te­ment du gou­ver­ne­ment bol­ché­viste est celui décrit plus haut. 

Le gou­ver­ne­ment, le vrai et le seul de la Rus­sie, com­prend cinq per­sonnes, membres du Comi­té Cen­tral du Par­ti Com­mu­niste Russe. Ces « cinq chefs » sont tout puis­sants. Ce petit groupe de conspi­ra­teurs, c’est le vrai mot, a contrô­lé les richesses de la Rus­sie et de la Révo­lu­tion depuis la paix de Brest-Litovsk. Ce qui s’est pas­sé en Rus­sie depuis lors est en accord rigou­reux avec l’interprétation bol­ché­viste du Mar­xisme. Ce Mar­xisme, reflé­té par la méga­lo­ma­nie d’omniscience et de Toute-puis­sance du comi­té néo-com­mu­niste, a entraî­né la débâcle de la Rus­sie. En confor­mi­té avec leurs théo­ries, les prin­cipes sociaux de la Révo­lu­tion d’octobre ont été déli­bé­ré­ment, sys­té­ma­ti­que­ment anéan­tis. Le but final étant un État puis­sam­ment cen­tra­li­sé, sous le contrôle abso­lu du Par­ti com­mu­niste, l’initiative popu­laire et les forces créa­trices révo­lu­tion­naires devaient être éli­mi­nées. Le sys­tème élec­to­ral fut abo­li d’abord dans l’armée et la marine, ensuite dans l’industrie. Les Soviets de pay­sans et d’ouvriers furent châ­trés et trans­for­més en des comi­tés com­mu­nistes d’une obéis­sance pas­sive, avec l’épée redou­tée de la Tché­ka sus­pen­due au-des­sus d’eux. Les unions de tra­vailleurs (syn­di­cats) gou­ver­ne­men­ta­li­sés furent trans­for­mées en de simples porte-paroles des ordres de l’État. Le ser­vice mili­taire obli­ga­toire et ses adver­saires punis de mort ; le tra­vail for­cé et les « réfrac­taires » sus­cep­tibles d’être arrê­tés ; la conscrip­tion agraire et indus­trielle des pay­sans ; le com­mu­nisme de guerre dans les villes et le sys­tème des réqui­si­tions à la cam­pagne, défi­nies par Radek, simple pillage des récoltes (Inter­na­tio­nal Presse Cor­res­pon­dance, édi­tion anglais, vol. I, n°17) comme les pro­tes­ta­tions ouvrières répri­mées par l’armée ; l’écrasement impi­toyable de toute mani­fes­ta­tion de mécon­ten­te­ment, les pay­sans fouet­tés et leurs vil­lages rasés par l’artillerie (dans les dis­tricts de l’Oural, de la Vol­ga et du Kou­ban, en Sibé­rie et en Ukraine)…, c’était là l’attitude carac­té­ris­tique de l’État Com­mu­niste envers le peuple, et « la poli­tique éco­no­mique et sociale de recons­truc­tion » des bolchéviks. 

Cepen­dant les pay­sans et ouvriers russes, tenant à la Révo­lu­tion pour laquelle ils avaient tant souf­fert, conti­nuèrent à lut­ter cou­ra­geu­se­ment sur de nom­breux fronts mili­taires. Ils croyaient défendre la Révo­lu­tion et souf­frirent la faim, le froid et mou­rurent par mil­liers avec l’espoir insen­sé que les actes hor­ribles com­mis par les Com­mu­niste ces­se­raient bien­tôt. Le russe, naïf, pen­sait que la ter­reur exer­cée par les bol­ché­viks était, en quelque sorte, la consé­quence inévi­table des attaques que subis­sait sa chère patrie de la part d’ennemis redou­tables. Mais lorsque les guerres auraient ces­sé ! — le peuple répé­tait naï­ve­ment ce que disait la presse offi­cielle — les bol­ché­viks en revien­draient à la voie révo­lu­tion­naire qu’ils avaient adop­tée en octobre 1917 et que la guerre les avaient for­cés d’abandonner momentanément. 

Les masses espé­raient et souf­fraient. Et quand la guerre prit fin, la Rus­sie pous­sa un immense sou­pir de sou­la­ge­ment et d’espoir. C’était le moment déci­sif : la grande épreuve était arri­vée. Toute une nation atten­dait fris­son­nante, la vie ou la mort (« To be or not to be »). Mais quand la réa­li­té devint évi­dente, le peuple fut sai­si d’épouvante.

La répres­sion conti­nuait, empi­rait même. La rez­vyort­ka, les expé­di­tions répres­sives contre les pay­sans res­taient tou­jours aus­si meur­trières. La Tché­ka décou­vrait tou­jours de nou­velles « conspi­ra­tions », et les exé­cu­tions avaient lieu comme aupa­ra­vant. La ter­reur régnait. La nou­velle bour­geoi­sie bol­ché­viste tyran­ni­sait les ouvriers et pay­sans, la cor­rup­tion était pra­ti­quée sur une grande échelle et ouver­te­ment, et d’immenses quan­ti­tés de pro­vi­sions pour­ris­saient par suite de l’incapacité bol­ché­viste et de la mono­po­li­sa­tion éta­tiste, tau­dis que le peuple mou­rait de faim. 

Les ouvriers de Pétro­grad, tou­jours à l’avant-garde des efforts révo­lu­tion­naires furent les pre­miers à cla­mer leur mécon­ten­te­ment et à pro­tes­ter. Les marins de Krons­tadt, après enquête sur les récla­ma­tions du pro­lé­ta­riat de Pétro­grad, se décla­rèrent soli­daires des ouvriers. À leur tour, ils annon­cèrent leur résis­tance en faveur de l’établissement de soviets libres, dépouillés de toute contrainte com­mu­niste et qui repré­sen­te­raient réel­le­ment les masses révo­lu­tion­naires et en expri­me­raient les besoins. Dans les pro­vinces du centre de la Rus­sie, en Ukraine, au Cau­case, en Sibé­rie, par­tout le peuple criait ses misères, ses griefs et por­tait ses récla­ma­tions à la connais­sance du gou­ver­ne­ment. L’État bol­che­vik répon­dit de sa façon cou­tu­mière : les marins de Krons­tadt furent anéan­tis, les « ban­dits » de l’Ukraine mas­sa­crés, les rebelles de l’Est écra­sés à coups de canons. 

Ceci ter­mi­né, Lénine annon­ça au Xe Congrès du Par­ti Com­mu­niste Russe (mars 1921), que sa poli­tique anté­rieure avait été com­plè­te­ment fausse. « La raz­vyort­ka, les réqui­si­tions n’étaient que des vols, la répres­sion vio­lente contre les pay­sans une faute grave. ». Les ouvriers devaient être pris en consi­dé­ra­tion. La bureau­cra­tie sovié­tique était cor­rom­pue, cri­mi­nelle et para­si­taire. « Les méthodes dont nous avons fait usage, ont échoué. Le peuple — les pay­sans sur­tout — n’est pas encore au niveau des « prin­cipes » com­mu­nistes. La pro­prié­té pri­vée doit être réin­tro­duite, et le com­merce libre réta­bli. Désor­mais, le meilleur com­mu­niste est celui qui sau­ra conclure le meilleur contrat. (C’est l’expression même de Lénine.)» 

V. 
Retour au capi­ta­lisme ! Pré­vi­sions actuelles

La situa­tion actuelle en Rus­sie est anor­male. Au point de vue éco­no­mique, c’est une com­bi­nai­son de l’État et du capi­ta­lisme pri­vé. Au point de vue poli­tique, elle reste la « dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat », ou plus jus­te­ment, la dic­ta­ture du Par­ti néo-communiste. 

Les pay­sans ont obli­gé les bol­ché­viks à leur faire des conces­sions. Les réqui­si­tions vio­lentes sont abo­lies. L’impôt en nature les a rem­pla­cées qui consiste en un pour­cen­tage de sa pro­duc­tion dû par le pay­san au gou­ver­ne­ment. Le com­merce libre a été léga­li­sé et le fer­mier peut main­te­nant échan­ger ou vendre le sur­plus de sa pro­duc­tion au gou­ver­ne­ment, aux coopé­ra­tives réta­blies, ou sur le mar­ché public. La nou­velle poli­tique éco­no­mique offre un vaste champ à l’exploitation. Elle sanc­tionne la richesse et l’accumulation de puis­sance. Le fer­mier peut main­te­nant pro­fi­ter de ses récoltes fer­tiles, louer de nou­veaux champs et exploi­ter le tra­vail des autres pay­sans qui ont peu de terres et pas de che­vaux pour les labou­rer. La pénu­rie du bétail et de mau­vaises récoltes dans plu­sieurs par­ties du pays ont créé une nou­velle classe de « jour­na­liers » qui se louent à de riches pay­sans. Les gens pauvres émigrent des régions qui souffrent de la famine et viennent gros­sir les rangs de cette classe. Le capi­ta­lisme vil­la­geois est en train de se constituer. 

L’ouvrier de la ville en Rus­sie, sous le nou­veau régime éco­no­mique d’aujourd’hui, est exac­te­ment dans la même posi­tion que dans les autres pays à régime capi­ta­liste. La libre dis­tri­bu­tion de vivres est abo­lie, à l’exception de quelques indus­tries diri­gées par l’État. L’ouvrier est sala­rié et doit ache­ter tout ce dont il a besoin, comme dans tous les pays. La plu­part des indus­tries, dans la mesure où elles sont en acti­vi­té, ont été don­nées ou louées à des per­sonnes pri­vées. Le petit capi­ta­liste a la main libre main­te­nant et un vaste champ s’ouvre à son acti­vi­té. L’excédent du fer­mier, les pro­duits de l’industrie, des pro­fes­sions cam­pa­gnardes, et de toutes les entre­prises de la pro­prié­té pri­vée, assu­jet­tis aux lois clas­siques du monde des affaires, peuvent être ache­tés et ven­dus. La concur­rence dans le com­merce du détail mène à la fusion et à l’accumulation des richesses dans les mains de quelques par­ti­cu­liers. Le capi­ta­lisme qui se déve­loppe dans les villes et les cam­pagnes ne peut pas coexis­ter long­temps avec la « dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat ». L’alliance anor­male entre cette der­nière et le capi­ta­lisme étran­ger sera, dans un ave­nir pro­chain, un des fac­teurs impor­tants quant au des­tin de la Russie. 

Le gou­ver­ne­ment bol­ché­vique s’efforce tou­jours d’entretenir la dan­ge­reuse illu­sion que « la Révo­lu­tion suit son cours », que la Rus­sie est « régie par des soviets de pro­lé­taires », et que le Par­ti Com­mu­niste et l’État repré­sentent le peuple. Il parle encore tou­jours au nom du « pro­lé­ta­riat » et essaye de trom­per le peuple par de nou­velles chi­mères. Main­te­nant, les bol­ché­viks déclarent que, lorsque l’industrie russe sera res­sus­ci­tée, grâce à l’œuvre de notre capi­ta­lisme crois­sant, la « dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat » sera aus­si plus forte et que nous recour­rons à nou­veau à la natio­na­li­sa­tion. « L’État rédui­ra et sup­plan­te­ra alors sys­té­ma­ti­que­ment les indus­tries pri­vées et bri­se­ra la puis­sance de la bour­geoi­sie qui se sera déve­lop­pée entre temps. 

Après une période de déna­tio­na­li­sa­tion par­tielle, une natio­na­li­sa­tion plus éten­due com­mence, dit Preo­bra­jens­ki, com­mis­saire des finances dans son récent article : « Les pers­pec­tives de la Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique ». Et alors le « socia­lisme sera vic­to­rieux sur toute la ligne. » 

Radek est moins diplo­mate. Dans son ana­lyse poli­tique de la situa­tion en Rus­sie, inti­tu­lée : « La Révo­lu­tion russe est-elle une Révo­lu­tion bour­geoise ? » (I.P.C., 16 décembre 1921), il nous dit : « Nous ne vou­lons cer­tai­ne­ment pas dire qu’au bout d’une année nous confis­que­rons de nou­veau les mar­chan­dises nou­vel­le­ment accu­mu­lées. Notre poli­tique éco­no­mique est basée sur un temps beau­coup plus long… Nous nous pré­pa­rons sérieu­se­ment à coopé­rer avec la bour­geoi­sie ; c’est incon­tes­ta­ble­ment dan­ge­reux pour l’existence du gou­ver­ne­ment des Soviets, parce que ce der­nier perd le mono­pole de la pro­duc­tion indus­trielle, et aus­si pour les pay­sans. N’est-ce pas là le signe de la vic­toire défi­ni­tive du capi­ta­lisme ? Et ne pou­vons-nous pas affir­mer main­te­nant que notre révo­lu­tion a per­du son carac­tère révo­lu­tion­naire?…»

À ces ques­tions oppor­tunes et signi­fi­ca­tives, Radek répond com­plai­sam­ment par un Non caté­go­rique. Il admet natu­rel­le­ment, comme Marx l’avait dit, que les conces­sions éco­no­miques déter­minent les conces­sions poli­tiques, et que des conces­sions éco­no­miques à la bour­geoi­sie doivent ame­ner aus­si des conces­sions poli­tiques. Il se sou­vient que, lorsque la puis­sante classe des pro­prié­taires ter­riens de Rus­sie com­men­ça à accor­der des conces­sions éco­no­miques à la bour­geoi­sie, ces conces­sions furent bien­tôt sui­vies de conces­sions poli­tiques et qu’ensuite la capi­tu­la­tion de la classe des pro­prié­taires ter­riens s’ensuivit. Mais il affirme que « les bol­ché­viks main­tien­dront leur pou­voir, même lors de la res­tau­ra­tion du capi­ta­lisme. La bour­geoi­sie est, his­to­ri­que­ment, une classe en déca­dence et mou­rante… C’est pour­quoi la classe des tra­vailleurs (sic) russes peut refu­ser des conces­sions poli­tiques à la bour­geoi­sie ; et elle a rai­son d’espérer que ses propres forces tant natio­nales qu’internationales s’accroîtront plus vite que la puis­sance de la bour­geoi­sie russe. »

Entre temps, quoiqu’on lui assure avec auto­ri­té que « sa puis­sance tant natio­nale qu’internationale doit s’accroître », l’ouvrier russe est dans une triste condi­tion. La nou­velle poli­tique éco­no­mique a fait du « dic­ta­teur » pro­lé­taire un simple esclave, réduit à son salaire quo­ti­dien, tout comme son frère des pays non bénis par la dic­ta­ture socia­liste. La sup­pres­sion du mono­pole natio­nal du gou­ver­ne­ment a eu pour résul­tat de pri­ver des cen­taines de mil­liers d’hommes et de femmes de tra­vail. Beau­coup d’établissements sovié­tiques ont été fer­més ; les autres ont ren­voyé de 50 à 75 % de leurs employés. La grande affluence dans les villes des pay­sans et vil­la­geois rui­nés par la raz­vyort­ka, et de ceux qui s’enfuyaient des dis­tricts où régnait la famine, a don­né nais­sance au pro­blème des sans-tra­vail, pro­blème d’une ampleur effrayante. Le réta­blis­se­ment de la vie indus­trielle par le capi­tal pri­vé est une chose très lente, due à la méfiance géné­rale contre l’État bol­ché­viste et ces promesses. 

Mais lorsque les dif­fé­rentes indus­tries com­men­ce­ront de nou­veau à fonc­tion­ner plus ou moins sys­té­ma­ti­que­ment, la Rus­sie sera pla­cée devant une situa­tion du tra­vail dif­fi­cile et com­plexe. Les orga­ni­sa­tions du tra­vail, les syn­di­cats n’existent pas en Rus­sie, en ce qui concerne l’activité propre à ces orga­ni­sa­tions. Les bol­ché­viks les ont déjà abo­lis depuis long­temps. En même temps que le déve­lop­pe­ment de la pro­duc­tion et du capi­ta­lisme, tant gou­ver­ne­men­tal que pri­vé, la Rus­sie ver­ra naître un nou­veau pro­lé­ta­riat, dont les inté­rêts entre­ront natu­rel­le­ment en conflit avec ceux de la classe des employeurs. Une lutte achar­née est immi­nente, lutte de double nature : contre le capi­ta­liste et contre l’État en tant qu’employeur. Il est même pro­bable que la situa­tion don­ne­ra nais­sance à un troi­sième fac­teur : l’antagonisme entre les ouvriers employés dans les entre­prises de l’État et ceux, mieux payés, des éta­blis­se­ments pri­vés. Quelle sera l’attitude du gou­ver­ne­ment bol­ché­viste ? La Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique a pour objet d’encourager, de toutes les façons, le déve­lop­pe­ment de l’entreprise pri­vée et d’accélérer l’extension de l’industrie. Des maga­sins, des mines, des usines ont déjà été concé­dés à des capi­ta­listes. Les demandes de tra­vail tendent à dimi­nuer les pro­fits ; elles viennent avec l’accroissement régu­lier des affaires. Et quant aux grèves, elles arrêtent la pro­duc­tion et para­lysent l’industrie. Les inté­rêts du Capi­tal et du Tra­vail seront-ils décla­rés soli­daires en Rus­sie bolchéviste ? 

L’exploitation indus­trielle et agraire de la Rus­sie, sous la Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique doit ame­ner inévi­ta­ble­ment la for­ma­tion d’un mou­ve­ment puis­sant des tra­vailleurs. Les orga­ni­sa­tions d’ouvriers conso­li­de­ront et uni­ront le pro­lé­ta­riat des villes avec celui des cam­pagnes, pour deman­der ensemble de meilleures condi­tions de vie. En consi­dé­rant la men­ta­li­té actuelle de l’ouvrier russe, enri­chie par son expé­rience de quatre ans de régime bol­ché­viste, il est plus que pro­bable que les pro­chaines orga­ni­sa­tions ouvrières russes repo­se­ront sur des bases syn­di­ca­listes. Ce sen­ti­ment est très déve­lop­pé chez les ouvriers russes. Les prin­cipes et méthodes du syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire ne leur sont pas étran­gers. L’œuvre effi­cace des comi­tés de maga­sins et d’usines dans l’expropriation de la bour­geoi­sie en 1917 est un sou­ve­nir encou­ra­geant, tou­jours pré­sent à la mémoire du pro­lé­ta­riat. Et même dans le Par­ti Com­mu­niste, par­mi ses élé­ments tra­vailleurs, la doc­trine syn­di­ca­liste est popu­laire. La célèbre oppo­si­tion ouvrière, menée par Chliap­ni­koff et Alexan­dra Kol­lon­taï, dans le par­ti même, était pure­ment syn­di­ca­liste. Comme telle elle fut sup­pri­mée par le par­ti Lénine-Zinoviev. 

Quelle atti­tude le gou­ver­ne­ment bol­ché­viste adop­te­ra-t-il envers le mou­ve­ment ouvrier qui va se déve­lop­per en Rus­sie, qu’il soit entiè­re­ment ou par­tiel­le­ment syn­di­ca­liste ? Jusqu’à main­te­nant l’État a été l’ennemi mor­tel du syn­di­ca­lisme ouvrier à l’intérieur de la Rus­sie, quoiqu’il l’encourageât dans d’autres pays. Au Xe Congrès du Par­ti Com­mu­niste Russe (mars 1921), Lénine fit une guerre impi­toyable aux moindres ten­dances syn­di­ca­listes, et la dis­cus­sion des théo­ries syn­di­ca­listes, fut même inter­dite aux com­mu­nistes sous peine d’exclusion du Par­ti. (Voir le rap­port offi­ciel du Xe Congrès.) Plu­sieurs membres de l’Opposition ouvrière furent arrê­tés et empri­son­nés. Que la dic­ta­ture com­mu­niste puisse résoudre d’une manière satis­fai­sante les pro­blèmes dif­fi­ciles que sus­cite un vrai mou­ve­ment ouvrier sous le régime auto­crate bol­ché­viste est aujourd’hui démen­ti. Ces pro­blèmes com­prennent les prin­cipes de cen­tra­li­sa­tion mar­xiste, le fonc­tion­ne­ment d’organisations com­mer­ciales ou indus­trielles indé­pen­dantes du gou­ver­ne­ment omni­po­tent, et une oppo­si­tion active au capi­ta­lisme pri­vé. Mais les tra­vailleurs russes auront bien­tôt non seule­ment à com­battre les grands et petits capi­ta­listes. Ils seront aus­si­tôt en conflit avec le capi­ta­lisme d’État.

Pour bien com­prendre l’esprit et le carac­tère de la phase actuelle du bol­ché­visme, il faut com­prendre que la soi-disant « Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique » n’est ni nou­velle ni éco­no­mique, pro­pre­ment dit. C’est du vieux mar­xisme poli­tique et la seule source de la sagesse bol­ché­viste. Comme socia­listes démo­crates, ils sont res­tés fidèles à leur évan­gile. « C’est seule­ment dans un pays, où le capi­ta­lisme est très for­te­ment déve­lop­pé, qu’il peut y avoir une révo­lu­tion sociale », tel est l’axiome de la reli­gion mar­xiste. Les bol­ché­vistes l’appliquent en ce moment à la Rus­sie. Dans les jours d’octobre de la Révo­lu­tion, ils s’écartaient sans cesse de l’application pleine et exacte des prin­cipes de Marx. Mais ce n’était pas qu’ils dou­taient du pro­phète, non. C’était plu­tôt que Lénine et ses par­ti­sans, oppor­tu­nistes poli­tiques, étaient obli­gés, sous la pous­sée de l’irrésistible volon­té popu­laire, de suivre une voie réel­le­ment révo­lu­tion­naire. Mais de tout temps ils s’accrochaient aux basques de Marx et, à chaque occa­sion essayèrent de détour­ner la Révo­lu­tion pour l’engager dans les voies de Marx. 

Radek nous rap­pelle naï­ve­ment que déjà « en avril 1918, dans un dis­cours pro­non­cé par le cama­rade Lénine, le gou­ver­ne­ment des Soviets essaya de défi­nir nos futurs tra­vaux et d’indiquer la méthode que nous appe­lons main­te­nant la Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique ». (I.P.C., Ier volume n°17.)

Aveu signi­fi­ca­tif ! Les dif­fé­rentes poli­tiques adop­tées aujourd’hui par les bol­ché­viks sont, en effet, la conti­nua­tion du bon mar­xisme ortho­doxe, bol­ché­viste de 1918. Les lea­ders bol­ché­vistes conviennent main­te­nant que la Révo­lu­tion, dans son déve­lop­pe­ment pos­té­rieur aux jours d’octobre, a été pure­ment poli­tique, et non sociale. Et on doit insis­ter sur le fait méca­nique que la cen­tra­li­sa­tion opé­rée par l’État com­mu­niste fut fatale à la vie éco­no­mique et sociale du pays. La dic­ta­ture vio­lente du Par­ti détrui­sit l’unité des ouvriers et pay­sans, et engen­dra une atti­tude dévoyée et bureau­cra­tique envers la recons­truc­tion révo­lu­tion­naire. L’interdiction for­melle de la liber­té de parole et de cri­tique, non seule­ment aux masses, mais encore dans le Par­ti Com­mu­niste lui-même, abou­tit à sa perte, par ses propres fautes.

Et main­te­nant ? Le mar­xisme bol­ché­viste est tou­jours pra­ti­qué dans la mal­heu­reuse Rus­sie. Mais c’est un crime mons­trueux que de vou­loir pro­lon­ger cette comé­die san­glante et erro­née où un édi­fice com­mu­niste, voi­sine avec un capi­ta­lisme mala­dif, arti­fi­ciel­le­ment déve­lop­pé. Ce capi­ta­lisme ne pour­ra jamais être détruit — comme pré­tendent Lénine et Cie — par les pro­cé­dés régu­liers de l’État Bol­ché­viste, deve­nu puis­sant sur le plan éco­no­mique. C’est pour­quoi les « nou­velles poli­tiques » sont une illu­sion et un piège, fon­ciè­re­ment réac­tion­naires. Ces poli­tiques, portent en elles-mêmes la néces­si­té d’une autre Révolution. 

L’humanité tor­tu­rée tour­ne­ra-t-elle tou­jours dans le même cercle vicieux ? 

Les ouvriers com­pren­dront-ils enfin la grande leçon de la Révo­lu­tion russe : que tout gou­ver­ne­ment, quelque soit le nom dont il se pare et quelque belles que soient ses pro­messes, est de par sa nature, et en tant que gou­ver­ne­ment, le des­truc­teur du but même de la Révo­lu­tion sociale ? La mis­sion d’un gou­ver­ne­ment est de gou­ver­ner, d’assujettir, de se for­ti­fier et de se perpétuer. 

Les ouvriers com­pren­dront-ils que seuls leurs propres efforts créa­teurs et pro­duc­tifs, orga­ni­sés en toute indé­pen­dance et à l’abri de toute ingé­rence poli­tique et éta­tiste, peuvent faire abou­tir leur lutte sécu­laire et trou­ver le succès ? 

Février 1922.
Alexandre Berkman.


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