Le Théâtre.
Vouloir faire après un silence forcé (et comment!) de cinq ans la critique du théâtre paraîtrait une gageure. Je voudrais tout de même dire quelques mots sur les récents « succès » dont nos aristarques assermentés ont fait tant de cas et dont un d’entre eux n’a pas hésité à appeler un de ces « succès » « l’événement de la saison ». Il s’agit d’un produit qui relève plutôt du psychiatre que de la critique. Citer le nom de celui qui a perpétré cette « œuvre », c’est passer sous silence les noms de quelques autres qui ne valent pas plus cher. Que la dite « pièce » s’appelle « La godasse en peau de vache » ou « le Soulier de box-calf ou de satin » n’a pas plus d’importance non plus ; elle pourrait tout aussi bien s’appeler la « bouillabaisse marseillaise » ou la « carotte de Vichy » – et elle n’aurait pas plus de rapport pour cela avec le salmigondis baptisé le « brodequin de satin ».
Il n’y à rien à analyser là-dedans : on n’analyse pas l’inanalysable. En laissant aux psychiatre le soin d’examiner le malade qui a signé cette monstruosité, on eût été infiniment plus utile et on aurait, par surcroît, rendu plus de service non seulement à la science et au public, mais à « l’auteur » lui-même. Hélas ! C’est la Comédie-Française qui a monté cette ignoble comédie, et ce qui est plus affligeant, c’est que presque tous les aristarques ont entonné des louanges à la gloire de « l’événement de la saison ».
Seuls quelques chansonniers montmartois ont eu le courage de traiter comme il convient ce « chef-d’oeuvre », et, quoique d’un ton blagueur, de façon plus véhémente que je ne saurais le faire. Comme dit le Maître : « C’est en riant qu’on tue le mieux»…
Et voici pour le premier Théâtre Français.
Dans les théâtres de second ordre, il y eut un autre « succès » de fou rire. Ce truc là s’appelle : « Faut remarier Pépé », je crois.
On ne me suspectera pas de pudibonderie, j’espère ; mais ici, il faut bien le dire, c’est la brigade des moeurs qui eût été à sa place. C’est à croire que les « auteurs » (deux femmes, s’il vous plaît!) s’en sont vaguement rendu compte, puisque dès la fin du premier acte, la police est tout le temps aux trousses des personnages de la pièce.
Et voilà les « succès » de la saison. Après la « drôle de guerre », la « drôle d’époque ».
Ce qui est navrant dans tout cela, ce n’est pas autant que des hommes et des femmes qui, en principe, appartiennent à l’élite intellectuelle de la société puissent écrire des insanités qui frisent la vésanie ou des monstruosités qui choquent le sens esthétique le plus rudimentaire, mais que d’autres appartenant également à l’élite, au lieu de faire honnêtement l’intermédiaire entre l’auteur et le public (c’est le rôle de la critique) osent présenter comme des chef-d’œuvre de telles élucubrations.
Oh ! Je sais bien… Entre gens du monde qui connaissent les usages, il ne faut pas se marcher sur les pieds… d’autant qu’il y a parmi les aristarques quelques-uns qui « font » eux-mêmes du théâtre et auxquels il ne faudra pas non plus marcher sur les pieds lorsque, à leur tour, ils nous présenteront des « chefs-d’œuvre»… Compris…
Drôle d’époque !
Je vous parlerai la prochaine fois de quelques créations et « reprises » dignes d’être retenues ainsi que des quelques jeunes talents qui méritent d’être encouragés.
Michel Laurian.
Les enfants du paradis.
Il faudrait plus de place que celle dont nous disposons pour raconter cette évocation romantique du boulevard du Temple qu’on appelait alors le boulevard du Crime. Ce film de Prévert et Carné dure trois heures. Il m’a enthousiasmé. Cette résurrection des « Funambules », ces parades, ces mouvements de foule, ce délire du public des gradins supérieurs d’un théâtre populaire comme on le concevait à cette époque, tout cela fait, à mon sens, des « Enfants du paradis » un manière de chef-d’oeuvre. Bien sûr, on peut chicaner concernant l’intrigue qui permet de présenter Frédérick Lemaître et se demander si n’est pas exagérée la place dévolue à Lacenaire. Tout cela n’empêche pas que Jean Barrault est un mime admirable. Decroux doit être fier de son élève.
E. A.
Ixigrec : Panurge au pays des machines
Voici un petit livre destiné à faire réfléchir ses lecteurs sur les conséquences extravagantes où pourraient aboutir un machinisme et un lapinisme poussés à l’extrême, plus encore d’une organisation sociale où l’individu est réduit à n’être plus qu’une « bête de troupeaux », c’est le cas ou jamais de le dire. Parce qu’écrit qui rappelle le joyeux curé de Meudon, plusieurs camarades m’ont dit que cet opuscule, présenté sous la forme d’un conte, les avaient amusés. Sa portée, en vérité, dépasse de loin celle d’une simple distraction littéraire. On appréciera comme il convient le contraste entre la vie menée à l’Abbaye de Thélème (telle que la conçoit Ixigrec) et l’existence des automates de Machinopolis. Le seul reproche que j’adresse à l’auteur, c’est son silence sur la façon dont les Thélémites résolvent leurs questions économiques.
E. A.
Les Vrais Indépendants
On m’avait présenté comme assez quelconque l’exposition, qui, sous ce titre, réunit un certain nombre de toiles dues au pinceau d’artistes qui n’ont pas voulu exposer au Salon des Indépendants – l’officiel. Je n’ai pas trouvé que ces productions fussent aussi inférieures qu’on me le disait. Quelques-unes m’ont paru même dignes d’être signalées. La place dont je dispose, hélas, ne me permet pas d’insister.
E.A.