La Presse Anarchiste

Acte de jeune, rêve de vieux

    Oui, nous voi­là libres, libres de vraie liber­té et vrai­ment libres de liberté.

    Nous avons quit­té les cuistres de col­lège ou de facul­té, fer­mé les livres et répon­du pour la der­nière fois au der­nier examen.

    Deux ans d’é­cole mater­nelle et dix ans de col­lège, six ans d’é­cole de méde­cine et un an de régi­ment : près de vingt ans de bagne en somme sont der­rière nous.

    On n’en par­le­ra plus, on les oublie­ra ; elles sont déjà oubliées.

    Tenant ma fille de la main gauche, mon fils de la main droite et ma com­pagne riant der­rière moi, nous galo­pons dans la forêt, ne cueillant rien, n’a­bî­mant rien, mais res­pi­rant à pleins pou­mons, nous soû­lant de joie, de bon­heur et’ d’espace.

    Jamais plus il ne sera ques­tion d’autre chose que de nature et ses merveilles.

    En un coin de vil­lage proche les bords de notre forêt deve­nue notre mère grande, nous vivrons désor­mais avec les chèvres, les poules, les abeilles et toutes sortes d’arbres frui­tiers qui nous feront vivre de leurs fruits, en toutes saisons.

    Et cela nous mène­ra sans calen­drier, sans marque de temps, ni contraintes d’au­cune sorte, naturellement.

    Notre seul désir est de voir, en plus de nos amis les hôtes de la forêt, voir quelques hommes heu­reux de notre bon­heur venir le partager.

    Voi­là ce que nous avons vécu au début de ce siècle, car ceci n’est ni une uto­pie, ni un rêve, mais un fait vécu, mer­veilleu­se­ment vécu.

— O —

     À vingt et un ans, un bour­geois a pris notre fille, il était riche et ils s’aimaient.

    À vingt et un ans, l’É­tat, a pris notre fils, il était sain, beau, intel­li­gent et moral : un natu­riste, pour en faire un marin.

    Aujourd’­hui, ma femme incon­so­lable pleure sur une tombe.

    Mais ma famille s’est agran­die. Dans mon cœur, mon amour se gonfle pour une nuée de jeunes que je connais pas.

    Ce n’est plus ma fille et mon fils que j’emmène pour la pre­mière fois en forêt en un jour éphé­mère de liber­té, mais cette nuée de jeunes pour l’éternité.

    Il me semble comme cet homme qui pur­gea une ville d’Al­le­magne de ses sou­ris, que j’en­traîne avec moi la jeu­nesse entière pour la faire dis­pa­raître en cette forêt immense qu’est deve­nue la terre régé­né­rée, et la sau­ver de la mort des villes et des monstres qu’elles abritent.

    Je vou­drais avoir la flûte de Pan pour opé­rer, réa­li­ser cet enlè­ve­ment… une utopie.

Dr Hen­ri Dalmon.


Dans le même numéro :


Thèmes


Si vous avez des corrections à apporter, n’hésitez pas à les signaler (problème d’orthographe, de mise en page, de liens défectueux…

Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
Nom

La Presse Anarchiste