On sait, depuis assez peu d’années, que si l’on prend deux individus au hasard, et si, ayant prélevé sur chacun une goutte de sang, ou mélange ces deux gouttes, deux cas peuvent se produire : ou bien le mélange garde l’aspect du sang normal, ou bien les globules rouges y sont agglutinés entre eux. L’analyse de ce fait mène à répartir les êtres humains en quatre catégories, dites groupes sanguins. Deux de ces catégories, dites A et B, sont telles que le mélange de leurs sangs donne lieu à l’agglutination réciproque. Une troisième dite AB, est telle que ses globules rouges sont agglutinés aussi bien par le plasma sanguin du type A que par celui du type B. Une quatrième, dite O, est telle que ses globules ne sont agglutinés par le plasma sanguin d’aucune catégorie. Bien entendu, l’agglutination n’a jamais lieu entre les sangs d’individus appartenant tous deux au même groupe sanguin. L’expérience montre que les propriétés du sang, au point de vue de l’agglutination, ne varient chez un individu, ni en fonction de l’âge, ni d’après son état de santé, de sorte que, toute son existence, il appartient à un groupe sanguin déterminé. Cette propriété est même héréditaire, et se transmet suivant les lois de Mendel. Elle apparaît donc comme un caractère racial, au sens biologique du mot. Les racistes ont fondé sur elle de grands espoirs, pensant trouver là une justification scientifique de leurs affirmations mystiques et déclamatoires sur le « sang » et sa pureté.
En réalité, si l’on étudie la distribution des groupes sanguins dans les divers peuples et les diverses races humaines, on constate qu’il y a entre celles-ci des différences, mais que nulle part elles ne sont telles qu’on puisse identifier la race et le groupe sanguin. Dans tout peuple, on trouve côte à côte des individus de caractères anthropologiques très voisins, et appartenant pourtant à des groupes sanguins différents. Ce qui, par contre, peut être caractéristique des peuples et des races, c’est le pourcentage des individus des divers groupes sanguins : c’est donc simplement un résultat statistique. Ainsi les Indiens d’Amérique, les Philippins, les Esquimaux appartiennent en grande majorité au groupe O, et très peu aux trois autres. Les Européens occidentaux, par contre, comptent une grande proportion d’individus A, mais en ont peu de B. Le type le plus riche en individus B englobe, les Hindous, les Chinois du nord, les Mandchous et les Tziganes.
Tout en décelant des différences raciales, ces résultats sont loin d’être favorables au racisme, puisque les différences sont relatives, et d’ordre statique. Ils sont moins favorables encore à des- racismes particuliers, comme le racisme hitlérien. Quand on étudie, par exemple, les groupes sanguins en diverses régions d’Allemagne, on constate une assez grande hétérogénéité, peu en accord avec le mythe de la pureté raciale du sang. Le taux du groupe A, par exemple, diminue régulièrement en Allemagne, à mesure qu’on va vers l’est., tandis que celui du groupe B et celui du groupe AB augmentent. Ceci exprime simplement que l’Allemagne est une région de passage et de transition entre le type de distribution des groupes sanguins de l’Europe occidentale (riche en A et pauvre en B) et celui qui caractérise la Russie et le Proche-Orient (type encore riche en A et moins pauvre en B.)
Le démenti infligé au racisme est encore plus net quand ou étudie les groupes sanguins chez les populations juives. Ici, tout d’abord, il n’y a pas d’homogénéité, ce qui confirme qu’il n’y a pas de race juive, contrairement aux affirmations des racistes antisémites : les communautés juives d’Allemagne, d’Espagne, de Roumanie, de Syrie, ont des formules sanguines différentes, qui se rapprochent beaucoup de celles des populations avoisinantes. On observe même ce fait, en apparence paradoxal, que les Juifs de Crimée ont un type sanguin plus asiatique que les Tartares indigènes et que les Juifs de Berlin, par la proportion des groupes sanguins, sont de plus purs Européens occidentaux que les Allemands eux-mêmes. Tant il est vrai qu’ici encore le racisme est complètement mis en échec par l’observation scientifique, et contraint de se réfugier dans une mystique mensongère et falsifiée.
Extrait d’une conférence faite par M. Marcel Prenant, parue dans les « Cahiers rationalistes »
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