La Presse Anarchiste

Réalités, vérités

    On ne ren­contre que des gens qui marchent en groupe, braillent, poussent des cris, se bous­culent et bous­culent les autres. Visage d’un monde où l’a­gi­ta­tion a rem­pla­cé l’ac­tion, où les mots d’ordre tiennent lieu de rai­son­ne­ment, où l’es­prit n’a point accès, deve­nu un meuble inutile. Un tel monde est peu fait pour pro­cu­rer à l’in­di­vi­du la liber­té qui lui est aus­si néces­saire que le pain, et satis­faire ses aspi­ra­tions les plus hautes.

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    Que pen­se­raient de tant d’a­gi­ta­tion nos ancêtres, s’il leur était don­né de reve­nir par­mi nous ? Mais que pen­se­ront nos des­cen­dants de l’hé­ri­tage que nous leur aurons légué, héri­tage de meurtre et de sang qui pèse­ra long­temps sur les des­ti­nées de l’hu­ma­ni­té, et ne l’en­ri­chi­ra pas.

— O —

    Il faut se résoudre, dans un monde où les fous sont en majo­ri­té, à gar­der le silence, se tenir à l’é­cart de leurs ges­ti­cu­la­tions et vivre sa vie, autant que pos­sible nor­ma­le­ment, sans s’in­quié­ter du reste.

— O —

    Ce qui est cer­tain — c’est même la seule cer­ti­tude que nous ayons au sein de tant d’in­cer­ti­tudes — c’est que, de nos jours, la bêtise humaine a atteint son paroxysme, — c’est que les peuples ne sont pas encore mûrs pour la liber­té — c’est que le pro­grès maté­riel a fait faillite en se sépa­rant du pro­grès spi­ri­tuel qui, seul, pou­vait le main­te­nir dans la bonne voie en l’u­ti­li­sant pour la paix et le bien-être des individus.

— O —

    À quoi sert-il de fran­chir les mers en quelques heures, d’ex­plo­rer la stra­to­sphère ou le fond des océans, d’en­tendre et de voir à dis­tance — voire de dés­in­té­grer l’a­tome — bref de réa­li­ser des mer­veilles dans le domaine scien­ti­fique, si dans le domaine moral, nous mar­chons à recu­lons, ne nous ser­vant de ces inven­tions que pour nous haïr les uns les autres ?…

— O —

    En face de l’es­cla­vage social que nous impose le milieu en limi­tant nos liber­tés, existe un escla­vage indi­vi­duel qui ne pro­vient que de nous-mêmes, fait de notre veu­le­rie devant l’i­ni­qui­té et de notre pas­si­vi­té devant la force. L’es­cla­vage inté­rieur est pire que l’es­cla­vage exté­rieur, car c’est lui qui le per­met et l’éternise.

— O —

    Le vocable « intel­lec­tuel » n’é­voque plus désor­mais à l’es­prit qu’un être dépour­vu de per­son­na­li­té, capable de toutes les pali­no­dies, se reniant sans cesse et n’ayant plus qu’une idée : arri­ver par tous les moyens. Un tel être ne vaut pas mieux que les manuels qui le lisent, font leur pâture quo­ti­dienne de ses élu­cu­bra­tions, se repaissent de ses men­songes et s’a­bru­tissent davan­tage en les lisant qu’en fai­sant un tra­vail d’u­sine ou d’a­te­lier, lequel, s’il fatigue leur corps, laisse du moins leur esprit, dor­mir en paix.

— O —

    On n’en fini­rait pas s’il fal­lait énu­mé­rer tous les pro­pos stu­pides que l’on entend autour de soi, toutes les, inep­ties qui écorchent vos oreilles, toutes les fine­ries qui cir­culent de bouche à oreille, dans tous les milieux, quels qu’ils soient. On aurait sous les yeux le plus « hénaurme » sot­ti­sier qui ait jamais exis­té, car, en fait de sot­tises, on peut dire que notre époque bat le record. Aucune autre ne l’é­gale sur ce point. Elle est unique en son genre.

— O —

    Tous les cultes ont été rem­pla­cés par un seul : le culte de l’in­com­pé­tence. Il a ses prêtres, ses dieux. Il a aus­si ses vic­times. Moins un homme a de talent, plus il passe pour en avoir ; moins il connaît son métier, plus il pré­tend l’ap­prendre aux autres. Dans le domaine de l’es­prit, le culte de l’in­com­pé­tence exerce ses ravages plus qu’ailleurs : il pro­duit des dis­ciples aus­si ignares que leurs maîtres, d’une inca­pa­ci­té notoire, suant le pédan­tisme à plein nez. Chez les uns et chez les autres se recrutent les pon­tifes qui prennent la place des savants dés­in­té­res­sés pour les­quels la recherche de la véri­té passe avant les titres et les chamarrures.

Gérard de Lacaze-Duthiers.


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