La Presse Anarchiste

Notes de lecture (argumenti)

Il est indé­ni­able qu’il existe un renou­veau d’intérêt envers les idées lib­er­taires. Un des aspects de cet intérêt réside dans les recherch­es uni­ver­si­taires sur les prob­lèmes lib­er­taires. En mai 1980 a eu lieu aux USA un col­loque sur « la prob­lé­ma­tique lib­er­taire aux États-Unis» ; en jan­vi­er 80, un col­loque un peu moins pré­paré sur « con­sen­sus, dis­si­dence, répres­sion » d’un point de vue lib­er­taire, à Paris ; pour novem­bre 1980 se pré­par­ent les « journées lib­er­taires » à l’université de Mont­pel­li­er. Les mêmes prob­lèmes ont été abor­dés dans les milieux uni­ver­si­taires de Yougoslavie.Dans le pre­mier numéro de la revue Argu­men­ti (casopis za drustuenu teori­ju i prak­su) éditée en 1978 par le Cen­tre Marx­iste de Rije­ka, le plus gros chapitre est con­sacré à Anar­chisme et Ter­ror­isme, et com­posé de 5 études et 2 tra­duc­tions d’Alexander Berk­man et Emma Gold­man. Il est malaisé de ren­dre compte de l’essentiel de plusieurs études for­mant au total 76 pages grand for­mat (pou­vant don­ner un livre de poche du dou­ble de pages), mais si les lecteurs le désirent nous pour­rons revenir sur cer­tains aspects.

1. Le pre­mier arti­cle (30 pages) est de Rudi Riz­man (auteur d’un livre en 1974 sur les con­cep­tions idéologiques de la nou­velle gauche améri­caine) sur « Anar­chisme et Marx­isme (développe­ment théorique de l’idée de l’anarchisme et du ter­ror­isme et la cri­tique marx­iste classique)».

L’auteur reprend à Maitron (à tra­vers Chom­sky et Joll, sans citer ni les uns ni les autres) une cita­tion d’Octave Mir­beau sur le ter­ror­isme (« Le mou­ve­ment Anar­chiste en France » tome 1, p.246): « L’anarchie a bon dos. Comme le papi­er, elle souf­fre tout. » et Riz­man en déduit la dif­fi­culté de la déf­i­ni­tion du con­cept d’anarchisme. Et il oppose égale­ment, dans une cer­taine mesure, la vision défor­mée estu­di­antine de l’anarchisme comme « spon­tanéité nue », « beauté du geste », à la réal­ité des théories anarchistes.

Riz­man expose les idées anar­chistes en par­tant de l’antiquité et en décrivant le sys­tème de God­win, Stirn­er et Proud­hon. Il s’arrête plus longtemps en soulig­nant que « Proud­hon n’a pas voulu vivre avec l’illusion que l’état allait tolér­er l’autogestion. Comme, selon lui, l’annonçaient les « social­istes autori­taires ». « Proud­hon est le pre­mier auteur anar­chiste qui a par­lé de l’idée d’autogestion ouvrière « uni­verselle » et « syn­thé­tique»». Mais Riz­man souligne que l’idée de con­cur­rence dans l’autogestion n’est pas claire, car elle peut amen­er à la for­ma­tion d’organes cen­tral­isés. Ensuite, l’auteur expose cor­recte­ment le sys­tème de Bak­ou­nine : « Dans l’autogestion Bak­ou­nine a vu une idée qui peut ouvrir de larges per­spec­tives de plan­i­fi­ca­tion sociale dans tous les domaines. » Et il décrit exacte­ment les rela­tions de Bak­ou­nine et de Netchaev, d’abord très chaleureuses, puis ten­dues, et enfin le retour de Bak­ou­nine à ses idées, boulever­sées par le machi­avélisme de Netchaev : « Bak­ou­nine vit sa pro­fonde erreur », « nous avons été des idiots ».

Puis Riz­man passe à Kropotkine et à l’impact de la révo­lu­tion russe sur les anar­chistes, et il décrit briève­ment l’anarchisme ital­ien et espag­nol. Il insiste cepen­dant sur l’autogestion pen­dant la guerre civile espag­nole et l’opposition de Staline et l’URSS, en con­clu­ant par une cita­tion d’Emma Gold­man : « la col­lec­tivi­sa­tion des ter­res et des indus­tries appa­raît comme le plus grand suc­cès de cette péri­ode révo­lu­tion­naire. Même si Fran­co détru­it les vic­toires et les anar­chistes, l’idée qu’ils ont lancé con­tin­uera à vivre. »

Quant à la posi­tion de la pen­sée marx­iste (Marx, Engels, Lénine), elle a tou­jours affron­té l’anarchisme de façon cri­tique, à tra­vers trois con­stantes : le stirnérisme, le proud­hon­isme et le bak­ounin­isme. Riz­man passe à la ques­tion de l’État, avec les posi­tions de Marx et Lénine. Puis il analyse les let­tres entre Kropotkine et Lénine pour définir la con­cep­tion de ce dernier sur la ter­reur. La ter­reur est une ten­dance d’un cer­tain moment, mais c’est l’organisation révo­lu­tion­naire qui peut la contrôler.

II.L’article suiv­ant (16 pages) est une inter­view de Vladimir Dedi­jer par Slo­bo­dan Drakulic et Mira Oklob­dz­i­ja. Il faut expli­quer que Vladimir Dedi­jer est une per­son­nal­ité impor­tante du régime : intel­lectuel com­mu­niste et par­ti­san, intime de Tito et de Dji­las, auteur d’une biogra­phie de Tito, (« Tito par­le »), puis d’une étude très démys­ti­fi­ca­trice, « le défi de Tito, Staline et la Yougoslavie », il est donc l’enfant ter­ri­ble, la bre­bis galeuse. Le dia­logue est titré : « ten­dances his­toriques du ter­ror­isme éta­tique et la défense indi­vidu­elle du XIXe et au début du XXe siècle. »

Pour Dedi­jer, qui expose sa thèse par de nom­breux exem­ples étayés par une con­nais­sance pro­fonde des dif­férentes péri­odes, le ter­ror­isme n’est qu’une réponse « sous forme col­lec­tive ou indi­vidu­elle » au ter­ror­isme de l’État (comme le mas­sacre après la Com­mune de Paris, le colo­nial­isme des Européens et des Nord-Améri­cains). Analysant aus­si bien la posi­tion de Kropotkine que celle de Bis­mark, les atten­tats de la CIA et du FBI sans oubli­er des allu­sions à l’URSS, la sit­u­a­tion actuelle, Dedi­jer en con­clut que, « que nous le voulions ou non », cette défense indi­vidu­elle ou col­lec­tive du peu­ple à l’hégémonisme et l’impérialisme sera une réponse spontanée.

III.Katarina Toma­sevs­ki abor­de « la légiti­ma­tion de la vio­lence dans le droit inter­na­tion­al : l’exemple du ter­ror­isme » (12 pages). Il s’agit d’un pro­fesseur exclu de l’université de Bel­grade depuis 1975, ain­si que sept autres, pour un excès de cri­tique du régime. Toute­fois, à la dif­férence d’une démoc­ra­tie pop­u­laire, ils con­tin­u­ent à recevoir leur salaire.

Après avoir don­né des exem­ples aus­si bien de groupes ter­ror­istes que d’actions ter­ror­istes de ces groupes ou d’états les uns envers les autres (destruc­tion d’avions libanais par Israël après que des Pales­tiniens aient tué une per­son­ne en Grèce) ou entre états (luttes anti-colo­niales, raid d’Entebbe, etc.), l’auteur remar­que que le droit inter­na­tion­al, suiv­ant les cas, garan­tit la résis­tance con­tre l’exploitation colo­niale, con­damne la vio­lence con­tre l’occupation injuste de ter­ri­toires, une com­mis­sion d’études de l’ONU a souligné que les actes de vio­lence ont lieu dans les sociétés qui ont besoin de réformes rad­i­cales. Et Toma­sevs­ki prévoit une évo­lu­tion prochaine du droit.

IV.Slobodan Drakulic prend le sujet de « la nou­velle gauche et la vio­lence » (8 pages). La notion de nou­velle gauche a été for­mée à pro­pos des mou­ve­ments de jeunes, en par­ti­c­uli­er étu­di­ants. D’abord paci­fiques, ces mou­ve­ments adop­tèrent des atti­tudes vio­lentes, qui durent encore, à par­tir des années 68 et 69. Draku1ic con­sid­ère que les analy­ses de Dutschke, avec les exem­ples de mou­ve­ments d’action directe aux USA, expliquent ce change­ment. Tous les mou­ve­ments vio­lents comme les weath­er­men, la RAF, l’Armée Rouge Japon­naise, les Brigades Rouges, etc. « ne sont pas anar­cho-com­mu­nistes mais marx­istes lénin­istes (et même des organ­i­sa­tions maoïstes stal­in­i­ennes). Cela mon­tre que le but que se donne la guéril­la urbaine est « la destruc­tion de l’impérialisme US et (l’instauration) du monde sans classe : le com­mu­nisme sovié­tique ».» L’auteur con­clut en soulig­nant que ces groupes ont méprisé la démoc­ra­tie et les droits indi­vidu­els, se rap­prochant ain­si de l’extrême droite. Et il con­clut que c’est l’escalade du sys­tème de la vio­lence qui a provo­qué l’escalade de la vio­lence des groupes armés. Et cette vio­lence du sys­tème a créé l’opposition et la résistance.

V.Enfin Mira Oklob­dz­i­ja dans « l’anarchisme au début de ce siè­cle » présente deux textes d’Alexandre Berk­man et d’Emma Gold­man, précédés d’une impor­tante note biographique sur cha­cun d’eux. Il s’agit de « l’anarchisme est-il vio­lent ? » tiré d’«ABC of anar­chism » (inédit en français) de Berk­man et de « psy­cholo­gie de la vio­lence poli­tique » d’Emma Gold­man qui sem­ble égale­ment inédit en français.

Pour con­clure, lais­sons par­ler l’un des respon­s­ables de ces études : « nous avons pub­lié une série d’articles dans la revue argu­men­ti, une pub­li­ca­tion sci­en­tifique du par­ti, sur « anar­chisme et ter­ror­isme », fin 1977 et début 1978, en trai­tant des Brigades Rouges et de la RAF, pour mon­tr­er que tous ces gens n’étaient pas anar­chistes, et pour dire en même temps que ceux qu’on appelle ter­ror­istes sont des gens de la gauche marx­iste-lénin­iste ». Comme on le sait, les respon­s­ables de ce numéro d’argumenti, Drakulic et Oklob­dz­i­ja, furent exclus de la rédac­tion, mais le numéro est épuisé.

Sélec­tion et résumé d’Iztok


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