La Presse Anarchiste

La Bulgarie est-elle un pays de l’Est ?

La Bul­ga­rie fait par­tie de ces nom­breux pays igno­rés des médias occi­den­taux depuis plu­sieurs dizaines d’an­nées, et par consé­quent incon­nus pour une bonne par­tie des gens. Pas de guerre, de crise sociale, d’at­ten­tats san­glants, de gise­ments de pétrole, de stars de la chan­son ou du ciné­ma, de famines, bref de toutes ces choses qui peuvent mettre un pays au pre­mier plan. En fait, on entend par­ler de la Bul­ga­rie dans trois cas seule­ment. En sport tout d’a­bord, avec des suc­cès mon­diaux dans cer­taines dis­ci­plines comme la gym­nas­tique ou l’hal­té­ro­phi­lie. Tout n’est pas rose d’ailleurs dans ce domaine, puisque le dopage des ath­lètes qui y laissent leur san­té semble être une rai­son par­mi d’autres de ces suc­cès. En publi­ci­té ensuite, avec des cam­pagnes chaque année pour pro­mou­voir la côte de la mer noire (mer, soleil, far­niente) et les val­lées de roses de l’in­té­rieur, en vue d’at­ti­rer le plus de tou­ristes pos­sible, et donc de devises fortes. Cette res­source est contra­riée par la contre-publi­ci­té créée par la désor­mais fameuse « filière bul­gare ». Cette filière est un Janus à deux visages. D’un côté, des tra­fics en tous genres et notam­ment d’armes, de drogues, de ciga­rettes, du fait de la posi­tion stra­té­gique de ce pays entre l’Eu­rope de l’Ouest et la Tur­quie. D’un autre côté, les assas­si­nats à carac­tère poli­tique, les seuls à réel­le­ment pas­sion­ner les médias occi­den­taux. Celui de Gueor­gui Mar­kov en 1978 avec le fameux para­pluie empoi­son­né, et sur­tout celui raté contre le pape en 1981. Pour le reste, la Bul­ga­rie est incon­nue, elle n’est plus rien, ou tout au moins elle n’a rien d’un Pays de l’Est. Pas de dis­si­dence, d’op­po­si­tion, de révo­lu­tion à la hon­groise, de prin­temps à la pra­goise, de Soli­dar­ność, pas de Ceau­ses­cu défiant Mos­cou, de Kadar libé­ra­li­sant l’é­co­no­mie, de Tito s’op­po­sant à Sta­line, pas non plus de Sol­je­nit­syne ou de Wale­sa Prix Nobel. Bref, la Bul­ga­rie n’au­rait rien d’un « Pays de l’Est » tel qu’on peut se l’i­ma­gi­ner. Et pour­tant, elle est bien en Europe orien­tale, et sur­tout, mécon­nue, elle a les mêmes carac­té­ris­tiques, bien que par­fois embryon­naires, que la Pologne, la Tché­co­slo­va­quie ou la Rou­ma­nie par exemple.
La prise du pouvoir

Avant et durant la seconde guerre mon­diale, le régime bul­gare était dans l’or­bite de l’Al­le­magne aus­si bien poli­ti­que­ment qu’é­co­no­mi­que­ment. En 1944, l’en­trée de l’Ar­mée rouge a mis ce pays dans l’or­bite de l’URSS, confor­mé­ment au par­tage de l’Eu­rope qui s’é­tait négo­cié entre l’u­nion Sovié­tique, les USA et l’An­gle­terre. Cette entrée s’é­tait accom­pa­gnée d’une insur­rec­tion qui por­ta au pou­voir une coa­li­tion issue de la résis­tance : Par­ti Com­mu­niste, par­ti agra­rien (pay­sans), socia­listes, mili­taires et quelques indé­pen­dants, sous le nom de « Front de la Patrie » (FP). Com­mence alors la mise en place du régime selon le scé­na­rio mis au point par Sta­line pour tous les Pays de l’Est, et connu sous le nom de tac­tique du « sala­mi ». On ne s’at­taque pas de front à tous les oppo­sants au Par­ti Com­mu­niste, innom­brables et lar­ge­ment majo­ri­taires, mais on les détruit les uns après les autres.

Les com­mu­nistes ont obte­nu dans le pre­mier gou­ver­ne­ment de coa­li­tion les minis­tères de l’in­té­rieur et de la Jus­tice. Cela leur a per­mis de créer une milice à par­tir des groupes de résis­tants qu’ils contrô­laient, et de com­men­cer l’é­pu­ra­tion des res­pon­sables et des par­ti­sans de l’an­cien régime. Puis ils passent à la lutte centre les alliés. Les élec­tions du 8 novembre 1945 furent pré­cé­dées de nom­breuses manœuvres du PC pour prendre le contrôle du Front de la Patrie, notam­ment en deman­dant une liste unique du FP. Cette pro­po­si­tion ren­con­tra une forte oppo­si­tion, notam­ment chez les agra­riens. L’un de leurs lea­ders, Nico­las Pet­kov, quit­ta le gou­ver­ne­ment et le FP et prit la tête de l’op­po­si­tion au nou­veau pou­voir. Après l’a­bo­li­tion de la monar­chie, de nou­velles élec­tions furent orga­ni­sées le 27 octobre 1946. Le PC recueillit 50% des voix, le par­ti Zve­no (mili­taires) et les frac­tions des par­tis agra­rien et socia­liste ral­liés au PC 20% (soit 70% pour le Front de la Patrie), l’op­po­si­tion 30%, après une cam­pagne où les pres­sions ne man­quèrent pas. Pet­kov est arrê­té en juin 1947, jugé pour ten­ta­tive de coup d’É­tat, condam­né à mort et pen­du le 23 sep­tembre 47. En 1946 et 1947, plu­sieurs pro­cès contre des mili­taires eurent aus­si lieu. En 1948, le par­ti Zve­no et le par­ti radi­cal se dis­sol­vèrent dans le FP. Les socia­listes résis­tèrent, leur lea­der et plu­sieurs membres influents du par­ti furent arrê­tés et condam­nés à 15 ans de pri­son en novembre 1948. Ce par­ti dut se dis­soudre lui aus­si. Il ne res­tait plus que le PC et le par­ti agra­rien, tota­le­ment contrô­lé par lui. À la même époque eut lieu la liqui­da­tion du mou­ve­ment liber­taire bul­gare et notam­ment de la Fédé­ra­tion Anar­chiste Com­mu­niste Bul­gare, le seul mou­ve­ment puis­sant à n’être pas entré dans le Front de la Patrie puisque anti­éta­tiste. Fin 1948, une rafle des prin­ci­paux mili­tants dans tout le pays, accom­pa­gnée de la fer­me­ture des locaux et de l’in­ter­dic­tion de la presse anar­chiste, empê­cha toute vie publique de la FACB. Le scé­na­rio s’a­chève en 1949 avec le pro­cès et l’exé­cu­tion de Trait­cho Kos­tov, secré­taire du Par­ti Communiste.

Cette prise du pou­voir poli­tique s’ac­com­pagne de la prise du pou­voir éco­no­mique, avec l’é­ta­ti­sa­tion de l’in­dus­trie et du com­merce, et sur­tout dans ce pays agri­cole avec une réforme agraire qui pré­pa­ra le ter­rain à une col­lec­ti­vi­sa­tion à la sovié­tique ache­vée au début ces années 50. Cet ali­gne­ment sur l’URSS se fit jusque dans la Consti­tu­tion adop­tée en 1947, copie conforme de celle de 1936 en Union Sovié­tique, due à Sta­line. Les plus hautes auto­ri­tés du régime sont direc­te­ment liées à Mos­cou d’ailleurs. Les offi­ciers supé­rieurs de la Sécu­ri­té d’É­tat sont bien sou­vent russes, et l’am­bas­sa­deur de l’URSS a un pou­voir qui n’a rien à voir avec son rôle diplo­ma­tique théo­rique. Cette dépen­dance poli­tique, accom­pa­gnée d’une dépen­dance éco­no­mique, éner­gé­tique, scien­ti­fique très impor­tante ont fait dire que la Bul­ga­rie est la 16e répu­blique de l’URSS.

Résistance et opposition

On arrive à l’un des cha­pitres les plus igno­rés de l’his­toire du pays. Comme tous les Pays de l’Est, la Bul­ga­rie a connu des sou­bre­sauts, moins spec­ta­cu­laires, moins repris dans les médias occi­den­taux, mais qui montrent bien que la façade immo­bile cache l’ins­ta­bi­li­té pro­fonde du régime.

Au début des années 50, des maquis ont com­bat­tu le régime en liai­son avec l’é­tran­ger, pro-amé­ri­cains mais aus­si anar­chistes. Ils ont été écra­sés, mais d’autres maqui­sards sont appa­rus alors, sans liai­son avec l’é­tran­ger cette fois-ci. Ce mou­ve­ment des « Goria­ni » a conti­nué semble-t-il jus­qu’à la fin des années 60. En 1965, un groupe de com­mu­nistes dis­si­dents a ten­té un coup d’É­tat mili­taire pour ten­ter d’é­loi­gner le pays de l’or­bite sovié­tique. Ils seront sui­vis en 1972 par la révolte d’un régi­ment de chars de Plov­div. Toutes ces ten­ta­tives mili­taires ont échoué.

Toutes les crises à l’Est ont eu des réper­cus­sions en Bul­ga­rie. Le 5 novembre 1956, au moment de la deuxième inter­ven­tion sovié­tique en Hon­grie, des arres­ta­tions mas­sives eurent lieu par­mi les anciens pri­son­niers poli­tiques, anar­chistes notam­ment, pour évi­ter tout risque de conta­gion. En juin 1968, après les évè­ne­ments de mai en France et au moment du prin­temps de Prague et de l’a­gi­ta­tion étu­diante en Pologne et en You­go­sla­vie, tous les exa­mens uni­ver­si­taires ont été avan­cés d’un mois et des stages de pré­pa­ra­tion mili­taire pour les jeunes des deux sexes ont été créés. Cette mesure était dic­tée par la peur de la conta­gion, puis­qu’elle n’a plus été appli­quée ensuite. En 1980, au moment de la vic­toire de Soli­dar­ność en Pologne, le régime a réagi de deux manières : l’ap­pro­vi­sion­ne­ment en den­rées ali­men­taires, et par­ti­cu­liè­re­ment en viande, s’est amé­lio­ré, et la jeu­nesse a été « ache­tée ». Les jeunes d’âge sco­laire ont tou­ché 10 lèves par mois, sans contrôle des parents. Cela repré­sente envi­ron 10% du salaire moyen, et le pres­tige au par­ti dans cette frange de la popu­la­tion a subi une courbe ascen­dante, tout comme le nombre de dis­co­thèques. Le régime bul­gare est si peu sûr de son peuple qu’à chaque crise il prend des mesures par­fois bien peu orthodoxes.

Tout pays de l’Est qui se res­pecte a ou au moins a eu sa dis­si­dence. La Bul­ga­rie ne fait pas excep­tion dans ce domaine non plus. En mars 1978, le jour­nal alle­mand Die Press a publié un texte inti­tu­lé « Décla­ra­tion 78 » et signé d’un groupe de dis­si­dents appe­lé ABD et com­po­sé de 14 intel­lec­tuels. Ce texte récla­mait la ces­sa­tion de la vio­la­tion des droits de l’homme et le réta­blis­se­ment de toutes les liber­tés fon­da­men­tales, la libre cir­cu­la­tion des hommes et des idées, l’aug­men­ta­tion du niveau de vie des tra­vailleurs et des retrai­tés, la créa­tion de syn­di­cats libres, l’a­bo­li­tion des pri­vi­lèges dans la vie publique, la publi­ca­tion de cette décla­ra­tion dans les jour­naux. La dis­si­dence indi­vi­duelle existe aus­si. Le doc­teur Popov a écrit en 1977 une lettre ouverte à la Confé­rence de Bel­grade sur la situa­tion des droits de l’homme dans son pays. Arrê­té, il a été condam­né à 3 ans de pri­son pour « calom­nies envers l’É­tat ». Dans sa pri­son, il a fait plu­sieurs grèves de la faim, dont l’une de 292 jours sous ali­men­ta­tion arti­fi­cielle. En 1982, en liber­té, il en a fait une autre pour obte­nir le droit d’é­mi­grer, ce qui lui a été refu­sé jus­qu’à présent.

Nationalisme et nationalités

Bien que petite et de popu­la­tion homo­gène, la Bul­ga­rie connaît elle aus­si le pro­blème des mino­ri­tés natio­nales oppri­mées. Les plus per­sé­cu­tés sont les Pomaks, des Bul­gares isla­mi­sés de force aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le pou­voir veut aujourd’­hui les rebul­ga­ri­ser, de force bien enten­du, en fer­mant leurs écoles et leurs mos­quées, en chan­geant leurs noms, etc. Cette poli­tique a ame­né de nom­breux heurts entre les Pomaks et le pou­voir au cours des années 60. En 1971, la situa­tion est si ten­due que des émeutes éclatent et des res­pon­sables du Par­ti sont tués. Le pou­voir répond par des arres­ta­tions, des condam­na­tions à mort et des assas­si­nats. En 1973, une opé­ra­tion mili­taire de la Sécu­ri­té d’É­tat pour for­cer les Pomaks à chan­ger leurs noms se ter­mine par des affron­te­ments et des morts des deux côtés, et de nom­breux Pomaks sont empri­son­nés ou dépor­tés. D’autres mino­ri­tés sont vic­times de per­sé­cu­tions, comme les Tzi­ganes, les Turcs et les Macédoniens.

Le pro­blème de la Macé­doine est très épi­neux. Cette région eth­ni­que­ment bul­gare dans sa grande majo­ri­té n’a jamais été rat­ta­chée très long­temps à la Bul­ga­rie : elle est res­tée turque, puis serbe et aujourd’­hui you­go­slave. Après la guerre, quand Tito et Dimi­trov pré­pa­raient une Fédé­ra­tion des Slaves du Sud unis­sant leurs deux pays, la petite par­tie bul­gare de la Macé­doine a été « macé­do­ni­sée » : les par­ti­cu­la­ri­tés de la langue ont été accen­tuées, lors des recen­se­ments la popu­la­tion a été priée de se décla­rer macé­do­nienne et non bul­gare, l’his­toire a été réécrite, des ins­ti­tu­teurs you­go­slaves sont venus à la res­cousse. Après la rup­ture de Tito avec Sta­line, tout a été chan­gé et on est reve­nu à la vieille thèse de la Macé­doine par­tie inté­grante de la Bul­ga­rie. Les You­go­slaves ont été chas­sés, et tous ceux qui se consi­dèrent comme macé­do­niens et non bul­gares sont per­sé­cu­tés. En You­go­sla­vie, dans la répu­blique de Macé­doine, les ten­dances sépa­ra­tistes ont au contraire été accen­tuées. La ques­tion macé­do­nienne est aujourd’­hui l’un des points prin­ci­paux de désac­cord entre les deux pays. Mais la popu­la­tion locale n’est jamais consul­tée et doit subir les déci­sions qu’on lui impose.

Le natio­na­lisme est uti­li­sé aus­si pour essayer de mas­quer les dif­fi­cul­tés éco­no­miques. Pour avoir des devises, le gou­ver­ne­ment favo­rise au maxi­mum la venue de tou­ristes grecs, turcs ou you­go­slaves. D’un autre côté, le Par­ti déve­loppe le dis­cours selon lequel les dif­fi­cul­tés d’ap­pro­vi­sion­ne­ment sont dues à ces tou­ristes qui raflent tout dans les maga­sins quand ils viennent car ils n’ont rien chez eux.

Les mouvements sociaux

Le tota­li­ta­risme du régime, l’ex­ploi­ta­tion des tra­vailleurs et les dif­fi­cul­tés éco­no­miques pro­voquent des réac­tions d’op­po­si­tion ou de refus diverses dans la popu­la­tion. Le désir de fuir le pays est grand, et les pri­sons comme les cime­tières sont pleins de per­sonnes qui ont ten­té sans suc­cès de pas­ser clan­des­ti­ne­ment la fron­tière. Cela n’empêche d’ailleurs pas la com­mu­nau­té émi­grée d’aug­men­ter chaque année. Cette oppo­si­tion latente se tra­duit aus­si par tous ces signes deve­nus tra­di­tion­nels en URSS et ailleurs : alcoo­lisme, très basse pro­duc­ti­vi­té du tra­vail, délin­quance, van­da­lisme, tra­vail au noir, cor­rup­tion… Ces pra­tiques sont si bien entrées dans les mœurs qu’on a pu voir par exemple une vil­la des envi­rons de Sofia être incen­diée en 1977 parce que son pro­prié­taire ne vou­lait pas céder aux reven­di­ca­tions des ouvriers qu’il employait au noir. Les blagues enfin, innom­brables et très sou­vent à carac­tère poli­tique, montrent la pro­fonde oppo­si­tion de la popu­la­tion au régime en place.

Sur le front plus tra­di­tion­nel des grèves, les ren­sei­gne­ments dis­po­nibles sont très peu nom­breux. En jan­vier 1970 ou 1971, les ouvriers bou­lan­gers d’un quar­tier de Sofia se sont mis en grève, mais leur mou­ve­ment a été bri­sé par la répres­sion. En juin et juillet 1977, une grève a écla­té dans les mines de char­bon de Per­nik. Elle s’est ter­mi­née par l’ar­res­ta­tion de quatre mineurs. L’ab­sence de réseaux de samiz­dat en Bul­ga­rie empêche de connaître, comme s’est le cas en URSS ou dans les autres pays de l’Est, les conflits sociaux qui se déroulent dans le pays. L’i­dée des syn­di­cats libres est pré­sente dans la « Décla­ra­tion 78 », mais elle n’a pas encore été mise en pra­tique appa­rem­ment : l’an­nonce en 1982 de la créa­tion de syn­di­cats indé­pen­dants s’est révé­lée infondée.

La répression

Si la Bul­ga­rie, bien que sujette à des révoltes, grèves, agi­ta­tions sociales ou natio­nales, oppo­si­tions, dis­si­dences, appa­raît encore aujourd’­hui comme un pays sou­mis qui ne bouge pas, c’est que la répres­sion très dure per­met de limi­ter et d’i­so­ler toutes ces mani­fes­ta­tions de mécon­ten­te­ment et d’op­po­si­tion et sur­tout d’empêcher les infor­ma­tions de cir­cu­ler, à l’in­té­rieur du pays comme vers l’étranger.

Les camps de concen­tra­tion et de tra­vaux for­cés ont été ouverts à la fin des années 40 pour bri­ser l’op­po­si­tion à l’ins­tal­la­tion du régime. Les condi­tions y étaient par­ti­cu­liè­re­ment dures bâti­ments vétustes et sur­peu­plés, hygiène nulle, manque d’eau, sous-ali­men­ta­tion, tra­vail très dur, puni­tions inhu­maines, et condui­saient à une mor­ta­li­té éle­vée. Aujourd’­hui, le nombre et l’im­por­tance de ces camps ont beau­coup dimi­nué, mais les condi­tions de déten­tion y sont tou­jours aus­si dures.

Les pri­sons sont par contre très nom­breuses et accueillent une impor­tante popu­la­tion de déte­nus. Outre les déte­nus de droits com­muns ou sociaux, s’y trouvent tous ceux qui ont ten­té de pas­ser à l’é­tran­ger, qui ont racon­té des anec­dotes humo­ris­tiques sur le régime, qui se sont oppo­sés en public au pou­voir en place, qui ont écrit des œuvres lit­té­raires sub­ver­sives, qui ont dif­fu­sé des tracts, qui ont ten­té de prendre le maquis, qui n’ont pas dénon­cé leurs amis, etc. La liste serait longue si l’on devait citer tous les motifs d’emprisonnement poli­tique. On peut citer comme exemple la bio­gra­phie de Dimi­tar Vlait­chev. Né en 1940, il est condam­né en 1965 pour ten­ta­tive de fuite à l’é­tran­ger. Il purge sa peine et est libé­ré en mai 1969, mais en octobre de la même année il est de nou­veau arrê­té et condam­né à 12 ans de pri­son. Il était en effet au cou­rant de la pré­pa­ra­tion du sou­lè­ve­ment et de la ten­ta­tive d’é­va­sion réa­li­sée le 9 octobre 1969 par ses ex-cama­rades de la pri­son de Sta­ra Zago­ra, et il ne les avait pas dénon­cés. En 1972, il réus­sit à s’é­va­der avec deux autres déte­nus de cette même pri­son, après avoir creu­sé un tun­nel de 13 m de lon­gueur. La police déclenche alors une vaste opé­ra­tion de recherche. Les fugi­tifs sont rat­tra­pés et Dimi­tar Vlait­chev est abat­tu avec son com­pa­gnon Nev­zat Nia­zev. Les condi­tions de vie dans les pri­sons sont très dures et tout est fait pour bri­ser les pri­son­niers. Les cas de décès après de mau­vais trai­te­ments et autres pas­sages à tabac sont nom­breux, ain­si que les lésions graves. Dimi­tar Tchap­ka­nov, par exemple, a été cas­tré à coups de pieds à la pri­son de Sofia en 1973.

Les cli­niques psy­chia­triques réser­vées au trai­te­ment des mala­dies poli­tiques existent aus­si en Bul­ga­rie. Il y en avait 7 à la fin des années 70. Les « soins » réser­vés aux pen­sion­naires peuvent aller jus­qu’aux séances d’élec­tro-chocs pour les plus récal­ci­trants, en pas­sant par toute la pano­plie des médi­ca­ments et notam­ment les neu­ro­lep­tiques. Des méthodes plus psy­cho­lo­giques sont uti­li­sées, comme des séries de tests ou une savante hié­rar­chie de régimes allant du peu sévère pour ceux qui se montrent coopé­ra­tifs au très sévère pour les irréductibles.

Le régime n’hé­site pas pour bri­ser toute oppo­si­tion à uti­li­ser la vio­lence la plus bru­tale. On a déjà par­lé des déte­nus tués dans les pri­sons ou des opé­ra­tions mili­taires mon­tées contre les Pomaks. Il ne faut pas oublier la garde très sévère des fron­tières et le nombre impor­tant de per­sonnes abat­tues en ten­tant de pas­ser clan­des­ti­ne­ment à l’é­tran­ger. La dis­pa­ri­tion ou l’as­sas­si­nat sont aus­si uti­li­sés par la police poli­tique. Les ouvriers bou­lan­gers gré­vistes de Sofia dont nous avons par­lé ont dis­pa­ru et leurs familles ont été pré­ve­nues de ne pas conti­nuer à les cher­cher. Un jeune homme qui s’é­tait refu­sé à un contrôle banal de police a été retrou­vé mort quelques jours plus tard, ses os sys­té­ma­ti­que­ment bri­sés. Les milieux de l’é­mi­gra­tion sont aus­si visés. Plu­sieurs oppo­sants ont été assas­si­nés à l’Ouest, le plus célèbre étant Gueor­gui Mar­kov. Les enlè­ve­ments aus­si sont fré­quents. Plu­sieurs per­sonnes se sont ain­si retrou­vées à Sofia devant un tri­bu­nal comme Stoyan Apos­to­lov Tas­sov, réfu­gié en Ita­lie et enle­vé à Trieste le 31 jan­vier 1977, puis réap­pa­ru à Sofia où il a été accu­sé d’espionnage.

― O ―

La Bul­ga­rie est bien sem­blable aux autres Pays de l’Est dans son his­toire, dans son sys­tème poli­tique, éco­no­mique et répres­sif comme dans les luttes sociales, dis­si­dentes ou oppo­si­tion­nelles qui peuvent s’y déve­lop­per. La répres­sion très dure qui y sévit a per­mis jus­qu’à pré­sent de limi­ter ces luttes et leurs consé­quences, et elles n’ont pu atteindre l’im­por­tance et la renom­mée de celles qui se sont dérou­lées ou se déroulent en RDA, Rou­ma­nie, Hon­grie, Tché­co­slo­va­quie, URSS, Pologne. Leur côté peu spec­ta­cu­laire dans l’op­tique des médias occi­den­taux a aus­si contri­bué à leur mécon­nais­sance en Occi­dent. Seule l’Al­ba­nie est arri­vée à un meilleur résul­tat dans l’oc­cul­ta­tion de la réa­li­té. Mais la lutte contre le régime en Bul­ga­rie a tou­jours exis­té, existe et conti­nue­ra à exis­ter. Com­bien de temps encore le pou­voir par­vien­dra-t-il à les étouf­fer et à les dissimuler ?

Merak­lia


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