Ce livre tranche par son originalité avec la plus grande partie des livres publiés sur l’URSS. En effet ce n’est ni une analyse de l’URSS on de l’un de ses aspects, ni un essai, un roman ou les mémoires d’un dissident (très souvent intéressants, mais qui ne permettent de saisir qu’une fraction de la réalité soviétique), mais un recueil de textes allant de dix lignes à dix pages parues en samizdat.
Par ses sources, le Bulletin d’Information du syndicat libre SMOT et la revue Poiski, ce recueil privilégie l’information sur la vie quotidienne et la lutte des ouvriers en URSS. C’est un parti-pris judicieux, puisque la littérature généralement disponible sur l’URSS est pratiquement uniquement consacrée à la dissidence, c’est-à-dire surtout à l’intelligentsia, et un peu aux luttes nationales. On rentre ici de plain-pied dans la vie quotidienne du travailleur soviétique, on y trouve la description de ses conditions de vie, des luttes dans les entreprises et dans les camps, les idées politiques et les itinéraires de certains membres du SMOT, la répression, etc. Cela permet d’apercevoir une autre face, occultée, de la réalité et de la lutte en URSS, différente de la lutte pour le respect des textes légaux (presque la seule à apparaître dans les médias occidentaux, et encore de moins en moins) et surtout des théories des kremlinologues sur les luttes des clans au Bureau Politique et les chances de libéralisation par le haut. On s’aperçoit bien au contraire que la liberté jaillira du bas, où couve un « feu souterrain » qui a donné son titre à l’ouvrage.
L’un des points forts entre autres de ce livre est de donner une vision du SMOT qui va au-delà de l’étiquette « syndicat libre » qui veut tout et rien dire et des informations laconiques que passent les médias sur les condamnations de ses militants. On y trouve ses statuts, son mode de fonctionnement et l’atmosphère dans laquelle il agit avec les conditions de vie très dures, les grèves et les luttes qui éclatent un peu partout, le soutien à la lutte du peuple polonais. Les biographies et les textes de quelques militants du SMOT ou simplement ouvriers montrent sur quelles bases se développe la contestation ouvrière aujourd’hui.
Il n’y a que deux reproches à faire à ce livre. Tout d’abord, bien qu’il y ait parfois des allusions, aucun des textes choisis ne parle de la guerre en Afghanistan qui est pourtant un sujet central dans la politique extérieure et intérieure de l’URSS aujourd’hui. Ensuite, il n’y a aucune information sur ce qui se passe à la campagne parmi les paysans. Il faut dire que dans ce cas, c’est le samizdat lui-même qui n’en dit rien ou presque. Sinon ce livre très intéressant est l’un des rares qui va contre l’opinion très répandue selon laquelle les travailleurs en URSS supportent passivement leur sort. L’introduction est très claire sur ce sujet : il a été réalisé pour faire connaître ces révoltes qui se développent, et promouvoir la solidarité internationale parmi ceux qui, ici, se reconnaîtront dans le combat des travailleurs soviétiques pour « une vie libérée de la pauvreté, de l’exploitation, de la peur et du mensonge ».
De la Dissidence, Le régime idéologique soviétique et la dissidence par Claude Orsoni. Éditions Nautilus, B.P. 175 75963 Paris cedex 20. 22 pages, 12 francs.
Cette petite brochure est une défense de la dissidence, destinée essentiellement aux milieux révolutionnaires, ou radicaux, d’Occident qui bien souvent attaquent la dissidence à partir des idées qu’elle exprime (réformistes, réactionnaires, religieuses, nationalistes…).
L’auteur analyse tout d’abord ce qu’on appelle à tort selon lui l’«idéologie soviétique ». Ce n’est pas en effet une idéologie dominante, qui coloniserait les consciences et orienterait plus ou moins inconsciemment la conduite des gens. En effet personne ne croit plus depuis longtemps au discours du régime, ni les privilégiés, ni le peuple. Dans ce sens, la pensée est libre en URSS. Mais l’expression de cette pensée est par contre sévèrement contrôlée, et l’adhésion extérieure à l’«idéologie soviétique » est elle obligatoire : « Pensez ce que vous voulez, mais manifestez votre accord ». Ce but est atteint par le totalitarisme du pouvoir qui contrôle tous les secteurs et tous les niveaux de la vie sociale en URSS, qui isole le pays du reste du monde et les gens entre eux dans la société.
Dans ce cadre, toute expression libre de la pensée est un danger pour le régime, que ce soit sous forme de blagues (passibles de prison d’ailleurs) ou en samizdat. C’est là toute l’importance des dissidents, indépendamment des idées qu’ils peuvent développer. Les pensées libres qu’ils expriment mettent en péril tout l’édifice du fait qu’elles sont libres. Ainsi, conclut C. Orsoni, « il est d’un intérêt secondaire de rechercher si les discours des dissidents sont empreints de telle ou telle idéologie, s’ils sont plutôt réactionnaires, progressistes, révolutionnaires, autoritaires ou libertaires… Du seul fait qu’ils existent et qu’ils naissent de la réalité soviétique même, ils mettent en cause le pouvoir ».
Pacifisme et antimilitarisme dans l’entre-deux-guerres (1919 – 1939), par Nicolas Faucier. Éditions Spartacus 5, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, 75004 Paris, 206 pages, 60 francs.
Le pacifisme ayant repris au niveau international une vigueur nouvelle, il est intéressant de se pencher sur l’histoire de ce mouvement. Si l’antimilitarisme date de la fin du XIXe siècle et est bien souvent lié au syndicalisme, le pacifisme en tant que mouvement apparaît à la fin de la première guerre mondiale, porté par le sentiment de « Plus jamais ça » qui traverse les opinions publiques des pays belligérants. Comme on a remis ça vingt ans plus tard en plus horrible et plus meurtrier encore, ce témoignage de Nicolas Faucier sur la France, mais aussi sur d’autres pays et notamment l’Allemagne, permet d’acquérir des éléments de réflexion sur ce premier échec, lourd de conséquences, du mouvement pacifiste.
Ce qui nous a le plus intéressé, en tant que revue sur les Pays de l’Est, c’est l’évolution de l’attitude de l’URSS et du mouvement communiste international face à l’antimilitarisme et au pacifisme. On y voit comment les intérêts de l’Union Soviétique guident cette attitude et obligent parfois les fidèles de Moscou à des exercices de contorsions idéologiques dignes d’un spectacle de cirque. La ligne officielle du PCF est très amusante à suivre dans ses variations au cours du temps. En 1920, jusqu’après 1924 et l’occupation de la Ruhr, c’est la ligne antimilitariste révolutionnaire pure et dure avec appel à la désertion, etc. À cette époque l’Humanité publiait des déclarations signées conjointement par les anarchistes et les communistes… Mais ça se dégrade très vite. On abandonne les appels à la désertion pour passer à un mépris de l’armée « bourgeoise » et une stratégie qui consiste à y aller pour apprendre le maniement des armes, et voire la noyauter. Cette attitude est plus ou moins mise en veilleuse en période de rapprochement franco-soviétique. Avec le pacte germano-soviétique en 1939, c’est un pacifisme offensif qui est adopté (appel à la désertion et au sabotage). Là s’arrête le livre, mais on connaît ensuite la fureur guerrière du PC après l’invasion de l’URSS. Depuis cette époque, l’attitude du PC vis-à-vis de l’armée n’a plus jamais été antimilitariste, et ses convictions « pacifistes » actuelles sont apparues en même temps qu’un soutien sans faille à la guerre que les Soviétiques mènent en Afghanistan. Tous ceux qui accordent encore une parcelle de sincérité au pacifisme du PC (et il en existe encore) ont intérêt à lire ces très intéressants souvenirs d’un militant resté jusqu’au bout fidèle à ses convictions.
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Les CAHIERS DU VENT DU CH’MIN ont publié ces derniers mois un certain nombre de brochures, dont trois nous concernent plus particulièrement :
« Marx à l’Est » de Nicolas TRIFON, Cahiers du Vent du Ch’min nº 6, 68 p., 25 francs.
Nicolas Triton, membre du collectif Iztok, analyse dans ce texte la présence et la réalité de Marx à l’Est sous trois angles différents. Le premier vise l’utilisation que font les bureaucrates au pouvoir de Marx et de sa pensée. Le second concerne les intellectuels critiques et leur appréciation de ce sujet (retour aux sources, aux textes de jeunesse, critique et non pas dogmatisme, etc.) dans plusieurs pays de l’Est (Pologne, Tchécoslovaquie, RDA, Hongrie, URSS). Le troisième aspect, plus inhabituel, aborde la vision populaire de Marx et de certains de ses épigones tels que Lenine, Staline, etc., à travers les nombreuses blagues les concernant.
« Marx théoricien de l’anarchisme » de Maximilien RUBEL, Cahiers du Vent du Ch’min nº 5, 44 p., 25 francs.
Maximilien Rubel est apparu plusieurs fois dans nos colonnes. Cette brochure est la réédition revue et largement augmentée d’un texte paru pour la première fois en 1971. L’auteur, en s’appuyant sur les différents textes de Marx, reconstitue sa pensée sur la question de l’État et montre que Marx est un théoricien de l’anarchisme, qu’il a une conception anarchiste de l’État.
« Notes sur l’anarchisme en URSS de 1921 à nos jours » du collectif IZTOK (c’est nous), Cahiers du Vent du Ch’min nº 3, 68 p., 25 francs.
Nous vous rappelons pour mémoire cette brochure que nous avons largement présenté dans notre numéro précédent et que nous conseillons vivement (et pour cause) à tous ceux qui ne la posséderaient pas encore.
LE VENT DU CH’MIN, 5 bis rue Rolland-Vachette, 93200 Saint Denis, FRANCE.
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Le groupe Fresnes-Antony de la Fédération Anarchiste a ou va éditer deux traductions réalisées par Iztok dans la collection Volonté Anarchiste :
« L’idée des soviets » de Pano VASSILEV, Volonté Anarchiste nº 23, 34 p., 25 francs.
Cette brochure, écrite en 1933 par un militant anarcho-syndicaliste bulgare et publiée pour la première fois en traduction, aborde le problème de l’histoire des soviets, dont l’idée a été inventée et développée sous différents noms par les libertaires et qui ont été récupérés et dénaturés par les bolcheviks en 1917 en Russie. C’est une synthèse entre conseils ouvriers et syndicalisme révolutionnaire, pleine de références fondamentales.
« Makhno et la question juive » de V. Litvinov : nous vous avons présenté dans notre nº6 ce samizdat paru à Moscou en 1982 qui démonte les accusations (fausses) d’antisémitisme portées contre le mouvement makhnoviste et son principal animateur. Cette traduction française constituera le nº 24 de Volonté Anarchiste et paraîtra au printemps 1984.
À l’occasion de ce numéro consacré à la Bulgarie en grande partie, nous vous rappelons que le nº16 – 17 de Volonté Anarchiste s’intitule « Histoire du mouvement libertaire en Bulgarie » de G. Balkanski et coûte 25 francs.
Groupe FRESNES-ANTONY, 34 rue de Fresnes, 92160 Antony, chèques au nom de A.S.H., CCP 21600 42 C Paris.