La Presse Anarchiste

Syndicalisme libre à Cuba

L’ap­pa­ri­tion de Soli­dar­ność en Pologne en 1980 a lar­ge­ment contri­bué à la dif­fu­sion de l’i­dée de syn­di­cats libres dans les pays de bloc com­mu­niste. Nous avions par­lé dans notre numé­ro hors-série de sep­tembre 1982 des réper­cus­sions en Chine des évè­ne­ments polo­nais. On a appris cette année la condam­na­tion à de lourdes peines de plu­sieurs dizaines de Cubains, pour avoir ten­té d’or­ga­ni­ser un syn­di­cat libre. À cette occa­sion, nous avions déci­dé de faire un dos­sier sur Cuba. Mal­heu­reu­se­ment Cas­tro entoure son régime d’une très effi­cace bar­rière de silence, et nous n’a­vons pas pu ras­sem­bler les textes pré­vus, sauf celui-ci. Nous espé­rons cepen­dant publier pro­chai­ne­ment d’autres articles, actuels et his­to­riques, notam­ment de la revue liber­taire cubaine en exil Guàn­ga­ra liber­ta­ria.

En octobre 1982, plu­sieurs dizaines, peut-être même plu­sieurs cen­taines de per­sonnes tra­vaillant dans l’in­dus­trie du sucre selon cer­taines sources, du bâti­ment selon d’autres, ont été arrê­tées par la police secrète. Envi­ron deux cents per­sonnes auraient été pour­sui­vies pour cette même affaire. Le 25 jan­vier 1983, le Tri­bu­nal Popu­laire Pro­vin­cial de La Havane a jugé 17 per­sonnes pour cette affaire, et plus pré­ci­sé­ment pour « crimes contre la sûre­té de l’É­tat » et « sabo­tage indus­triel ». Cinq d’entre elles, Eze­quiel Diaz Rodri­guez, José Luis Diaz Rone­ro, Angel Dona­to Mar­ti­nez Gar­cia, Beni­to Gar­cia Oli­ve­ra, Car­los Gar­cia Diaz, ont été condam­nés à mort, et les douze autres accu­sés de ce pro­cès à des peines de pri­son allant jus­qu’à 24 ans de déten­tion. Ces pro­cès de jan­vier auraient concer­né en tout près de 46 personnes.

Le délit « jus­ti­fiant » une répres­sion aus­si dure avait de quoi effec­ti­ve­ment faire peur au régime s’il se répan­dait dans le pays. Ces tra­vailleurs se seraient regrou­pés en vue de créer, en s’ins­pi­rant de Soli­dar­ność, une orga­ni­sa­tion de type syn­di­cal pour défendre leurs inté­rêts. Leur pre­mière action devait être l’or­ga­ni­sa­tion d’une grève en vue de pro­tes­ter contre leurs condi­tions de tra­vail. Mais la police secrète les a décou­verts avant cette action semble-t-il, après une dénon­cia­tion ou une infil­tra­tion. La majo­ri­té des accu­sés sont âgés de 20 à 30 ans, donc nés ou au moins éle­vés sous le cas­trisme. La plus jeune condam­née, Cris­ti­na Liaz, a 17 ans, le plus vieux 55 ans.

En mars 1983, Amnes­ty Inter­na­tio­nal a révé­lé cette affaire et lan­cé une cam­pagne inter­na­tio­nale pour la grâce des condam­nés à mort. Le bruit fait dans le monde autour de ça a contraint le pou­voir cubain à céder. Après l’an­nonce appa­rem­ment non fon­dée de leur exé­cu­tion, on a appris que les peines des cinq condam­nés avaient été com­muées en 30 ans de pri­son. Étant don­né les condi­tions de déten­tion à Cuba, c’est sub­sti­tuer une mort lente à une mort rapide. Mais on a appris aus­si que 4 avo­cats des pri­son­niers et un juge ont été empri­son­nés à leur tour à cause de leur atti­tude trop favo­rable envers eux. Le juge, Nica­sio Her­nan­dez de Ari­mas, avait d’a­bord pro­non­cé des peines de pri­son. Furieux, Cas­tro aurait impo­sé un second pro­cès, où les peines de mort ont été pro­non­cées. Le juge Her­nan­dez a alors pro­tes­té contre ce qu’il a consi­dé­ré comme une atteinte à la léga­li­té socia­liste, et il a été lui-même emprisonné.

Les auto­ri­tés ont été obli­gées de recon­naître l’exis­tence de ce pro­cès, et elles ont don­né leur propre ver­sion. Car­los Rafael Rodri­guez, vice-pré­sident du Conseil d’É­tat et des Ministres, a décla­ré que les cinq condam­nés à mort « ont été condam­nés par des tri­bu­naux en accord avec nos lois. Ils ont été condam­nés pour des actes de sabo­tage par­fai­te­ment prou­vés et avoués par eux-mêmes devant les ins­tances juri­diques. Ces sabo­tages n’ont rien de com­mun avec une quel­conque orga­ni­sa­tion syn­di­cale. Par­mi les cinq per­sonnes men­tion­nées par la presse inter­na­tio­nale, l’un est un petit pay­san, les quatre autres n’a­vaient aucune acti­vi­té pro­fes­sion­nelle. Ils se consa­craient à la spé­cu­la­tion, au mar­ché noir qui existe dans notre pays comme par­tout… Ils ont incen­dié des éta­blis­se­ments de pêche, sabo­té des moyens de trans­port et ten­té en vain de détruire d’im­por­tantes entre­prises de La Havane. Ils pré­pa­raient même des atten­tats contre cer­tains diri­geants. Ils étaient en contact avec l’ex­té­rieur, avec des orga­ni­sa­tions contre-révo­lu­tion­naires ins­tal­lées à l’é­tran­ger et, comme tout l’in­dique éga­le­ment, avec des orga­nismes plus offi­ciels des États-Unis. Nous pos­sé­dons tous les élé­ments. » Le secré­taire géné­ral de la Cen­trale des Tra­vailleurs de Cuba (CTC), Rober­to Vei­ga, a décla­ré lui que les lois cubaines garan­tis­saient plei­ne­ment la liber­té syn­di­cale et que son syn­di­cat, unique, rem­plis­sait tout à fait son rôle de défense des inté­rêts des ouvriers. « Pour toutes ces rai­sons », a‑t-il ajou­té, « la sup­po­si­tion selon laquelle exis­te­rait à Cuba un cou­rant qui se pro­po­se­rait de créer une orga­ni­sa­tion syn­di­cale, même locale, est déri­soire. Les tra­vailleurs eux-mêmes ren­draient cela impos­sible. » On peut faire deux com­men­taires à ces décla­ra­tions. Tout d’a­bord, on ne serait pas sur­pris d’ap­prendre que ces 5 « sabo­teurs » sont aus­si res­pon­sables des mau­vais résul­tats éco­no­miques de Cuba et du can­cer qui a tué Bre­j­nev. Ensuite, le pou­voir réprime bien vio­lem­ment, comme s’il avait peur de la conta­gion, des reven­di­ca­tions contre les­quelles les tra­vailleurs cubains lut­te­raient. Le « contre » est en fait à chan­ger en « pour ».

En effet, d’autres infor­ma­tions sont par­ve­nues sur des luttes sociales qui se sont dérou­lées ces der­niers mois à Cuba. Mal­heu­reu­se­ment, elles ne sont pas confir­mées d’une façon cer­taine. Dans la pro­vince de Sanc­ti Spi­ri­tus, 200 pay­sans auraient été arrê­tés pour avoir brû­lé leurs récoltes plu­tôt que les vendre à l’É­tat à des prix impo­sés très bas. À la sucre­rie de Cha­par­ra dans la pro­vince de Cama­guey, des camion­neurs auraient été mena­cés d’ar­res­ta­tion s’ils met­taient à exé­cu­tion leur pro­jet de créer leur propre asso­cia­tion de défense. À la bras­se­rie Pedro Mar­re­ro de La havane, deux repré­sen­tants élus du syn­di­cat offi­ciel auraient été empri­son­nés pour avoir défen­du l’i­dée de syn­di­cats indé­pen­dants. Étant don­né la dif­fi­cul­té d’ob­te­nir des infor­ma­tions de Cuba, ces quelques exemples ne sont que la par­tie émer­gée de l’i­ce­berg. Dans une telle atmo­sphère sociale, il n’est pas éton­nant que Cas­tro ait exi­gé la mort contre ceux qui luttent pour la libre asso­cia­tion des tra­vailleurs en vue de défendre leurs inté­rêts. C’est la remise en cause de la base de son régime.

W. Wie­bie­rals­ki

Sources

  • Amnes­ty Inter­na­tio­nal, com­mu­ni­qué UA 5883 du 15 mars 1983
  • Inter­na­tio­nale de la Résis­tance, « SOS Soli­da­ri­té Cubaine », sans date
  • Le Quo­ti­dien de Paris du 24/​04/​1983 et du 30/​04/​1983
  • L’Hu­ma­ni­té du 05/​05/​1983 et du 17/​05/​ 1983
  • The Sun­day Times du 31 juillet 1983

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