En octobre 1982, plusieurs dizaines, peut-être même plusieurs centaines de personnes travaillant dans l’industrie du sucre selon certaines sources, du bâtiment selon d’autres, ont été arrêtées par la police secrète. Environ deux cents personnes auraient été poursuivies pour cette même affaire. Le 25 janvier 1983, le Tribunal Populaire Provincial de La Havane a jugé 17 personnes pour cette affaire, et plus précisément pour « crimes contre la sûreté de l’État » et « sabotage industriel ». Cinq d’entre elles, Ezequiel Diaz Rodriguez, José Luis Diaz Ronero, Angel Donato Martinez Garcia, Benito Garcia Olivera, Carlos Garcia Diaz, ont été condamnés à mort, et les douze autres accusés de ce procès à des peines de prison allant jusqu’à 24 ans de détention. Ces procès de janvier auraient concerné en tout près de 46 personnes.
Le délit « justifiant » une répression aussi dure avait de quoi effectivement faire peur au régime s’il se répandait dans le pays. Ces travailleurs se seraient regroupés en vue de créer, en s’inspirant de Solidarność, une organisation de type syndical pour défendre leurs intérêts. Leur première action devait être l’organisation d’une grève en vue de protester contre leurs conditions de travail. Mais la police secrète les a découverts avant cette action semble-t-il, après une dénonciation ou une infiltration. La majorité des accusés sont âgés de 20 à 30 ans, donc nés ou au moins élevés sous le castrisme. La plus jeune condamnée, Cristina Liaz, a 17 ans, le plus vieux 55 ans.
En mars 1983, Amnesty International a révélé cette affaire et lancé une campagne internationale pour la grâce des condamnés à mort. Le bruit fait dans le monde autour de ça a contraint le pouvoir cubain à céder. Après l’annonce apparemment non fondée de leur exécution, on a appris que les peines des cinq condamnés avaient été commuées en 30 ans de prison. Étant donné les conditions de détention à Cuba, c’est substituer une mort lente à une mort rapide. Mais on a appris aussi que 4 avocats des prisonniers et un juge ont été emprisonnés à leur tour à cause de leur attitude trop favorable envers eux. Le juge, Nicasio Hernandez de Arimas, avait d’abord prononcé des peines de prison. Furieux, Castro aurait imposé un second procès, où les peines de mort ont été prononcées. Le juge Hernandez a alors protesté contre ce qu’il a considéré comme une atteinte à la légalité socialiste, et il a été lui-même emprisonné.
Les autorités ont été obligées de reconnaître l’existence de ce procès, et elles ont donné leur propre version. Carlos Rafael Rodriguez, vice-président du Conseil d’État et des Ministres, a déclaré que les cinq condamnés à mort « ont été condamnés par des tribunaux en accord avec nos lois. Ils ont été condamnés pour des actes de sabotage parfaitement prouvés et avoués par eux-mêmes devant les instances juridiques. Ces sabotages n’ont rien de commun avec une quelconque organisation syndicale. Parmi les cinq personnes mentionnées par la presse internationale, l’un est un petit paysan, les quatre autres n’avaient aucune activité professionnelle. Ils se consacraient à la spéculation, au marché noir qui existe dans notre pays comme partout… Ils ont incendié des établissements de pêche, saboté des moyens de transport et tenté en vain de détruire d’importantes entreprises de La Havane. Ils préparaient même des attentats contre certains dirigeants. Ils étaient en contact avec l’extérieur, avec des organisations contre-révolutionnaires installées à l’étranger et, comme tout l’indique également, avec des organismes plus officiels des États-Unis. Nous possédons tous les éléments. » Le secrétaire général de la Centrale des Travailleurs de Cuba (CTC), Roberto Veiga, a déclaré lui que les lois cubaines garantissaient pleinement la liberté syndicale et que son syndicat, unique, remplissait tout à fait son rôle de défense des intérêts des ouvriers. « Pour toutes ces raisons », a‑t-il ajouté, « la supposition selon laquelle existerait à Cuba un courant qui se proposerait de créer une organisation syndicale, même locale, est dérisoire. Les travailleurs eux-mêmes rendraient cela impossible. » On peut faire deux commentaires à ces déclarations. Tout d’abord, on ne serait pas surpris d’apprendre que ces 5 « saboteurs » sont aussi responsables des mauvais résultats économiques de Cuba et du cancer qui a tué Brejnev. Ensuite, le pouvoir réprime bien violemment, comme s’il avait peur de la contagion, des revendications contre lesquelles les travailleurs cubains lutteraient. Le « contre » est en fait à changer en « pour ».
En effet, d’autres informations sont parvenues sur des luttes sociales qui se sont déroulées ces derniers mois à Cuba. Malheureusement, elles ne sont pas confirmées d’une façon certaine. Dans la province de Sancti Spiritus, 200 paysans auraient été arrêtés pour avoir brûlé leurs récoltes plutôt que les vendre à l’État à des prix imposés très bas. À la sucrerie de Chaparra dans la province de Camaguey, des camionneurs auraient été menacés d’arrestation s’ils mettaient à exécution leur projet de créer leur propre association de défense. À la brasserie Pedro Marrero de La havane, deux représentants élus du syndicat officiel auraient été emprisonnés pour avoir défendu l’idée de syndicats indépendants. Étant donné la difficulté d’obtenir des informations de Cuba, ces quelques exemples ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Dans une telle atmosphère sociale, il n’est pas étonnant que Castro ait exigé la mort contre ceux qui luttent pour la libre association des travailleurs en vue de défendre leurs intérêts. C’est la remise en cause de la base de son régime.
W. Wiebieralski
Sources
- Amnesty International, communiqué UA 58⁄83 du 15 mars 1983
- Internationale de la Résistance, « SOS Solidarité Cubaine », sans date
- Le Quotidien de Paris du 24/04/1983 et du 30/04/1983
- L’Humanité du 05/05/1983 et du 17/05/ 1983
- The Sunday Times du 31 juillet 1983