La manière dont ont été communiqués les renseignements concernant le degré de contamination radioactive est, elle aussi, inadmissible. Dans le déluge de chiffres et de termes scientifiques, il manquait les données les plus élémentaires : à tel endroit, à tel moment, quels étaient les chiffres de radioactivité. On n’a jamais donné la moindre recommandation d’urgence claire et nette concernant les mesures de défense, particulièrement en ce qui concerne les enfants et les jeunes. Alors que le porte-parole du gouvernement ne cesse de mentir effrontément sur tant de questions, on ne pouvait accorder la moindre confiance à des informations gouvernementales que personne n’avait vérifiées. L’aspect international de ces événements, qui démontre l’état d’assujetissement dans lequel se trouve le gouvernement polonais et toute la Pologne par rapport à l’URSS, est une pilule bien amère à avaler. Les accusations portées dans ces conditions par le gouvernement de la RPP contre les radios polonaises de l’Ouest, jouent le rôle de rideau de fumée servant à occulter le fait que c’est justement grâce aux bulletins d’information diffusés par celles-ci que la société polonaise a eu connaissance de l’explosion de Tchernobyl et du danger qu’elle représente. Les attaques portées contre elles sont la réponse vengeresse du gouvernement à la transgression du monopole de l’information.
L’explosion de Tchernobyl a attiré l’attention sur les questions de la sauvegarde de l’environnement. Jamais encore il n’était aussi clairement apparu combien ces questions sont liées aux problèmes de la liberté d’organisation et de la liberté d’information. Jusqu’en août 1980, toutes les données concernant la pollution étaient rigoureusement mises à l’index par la censure. Les grèves ouvrières ont apporté quelques changements. La presse s’est fait l’écho d’informations tues jusqu’alors, des centres écologistes indépendants sont apparus. S’appuyant sur le mouvement syndicaliste, et avant tout sur le NSZZ Solidarnosc, ils ont entrepris d’agir pour une amélioration de la situation écologique. Mais aujourd’hui, le mouvement écologiste, privé du soutien des syndicats indépendants, privé de la possibilité de s’adresser à l’opinion publique, a peu d’influence sur les décisions gouvernementales et n’a pratiquement pas la possibilité de réduire l’action destructrice de l’industrie.
Des spécialistes de l’environnement parviennent parfois à placer dans la presse officielle des données concernant la détérioration du milieu ambiant. À partir de ces publications, d’articles et de remarques glanées dans la presse libre, un tableau effroyable se dessine devant nous. Pour la pollution de l’air, la Pologne s’est hissée à la première place mondiale. Le seuil admissible de pollution des forêts a été franchi. Le rejet dans l’atmosphère de particules toxiques, de gaz et de substances chimiques dépasse de beaucoup les normes tolérées. Les réserves d’eau pure diminuent, les rivières et les lacs sont chargés de composés de chlore, de soufre, de métaux lourds. Seulement 1% des eaux du pays entre dans la première classe de pureté (contre 5% il y a cinq ans), 49% de toute l’étendue des cours d’eau sont hors de toute classification. La terre elle-même est contaminée. De nombreux produits de l’agriculture ne répondent pas aux normes sanitaires. Il est dès à présent impossible de cultiver la terre ou de faire de l’élevage dans le bassin du cuivre. Dans un proche avenir, la même pollution envahira tout le territoire de la voïvodie de Katowice. Les investissements irréfléchis dans l’industrie entraînent la pollution des derniers territoires encore préservés. Plus de 35% de la population polonaise vit dans des régions où la quantité de substances toxiques dépasse les seuils admissibles. Aucun moyen n’est prévu pour filtrer les eaux de source ni pour construire des stations d’épuration. Les condamnations prononcées contre les pollueurs sont étonnamment faibles, surtout si l’on considère que nous vivons dans le pays d’Europe qui comporte la plus grande proportion d’individus sous le coup d’une condamnation. Tous les habitants de la Pologne paient de leur santé pour des indices de production. Les gens sont systématiquement empoisonnés dans la rue, au travail, chez eux ou en vacances. La centrale nucléaire en cours de construction a Rzarnowce repose sur la technologie soviétique. Nous ne savons pas quelles y sont les mesures de sécurité en vigueur, de même que nous ne savons pas si une catastrophe aux conséquences imprévisibles n’est pas en train de nous menacer.
La situation tragique de l’environnement en Pologne est le résultat d’un forçage doctrinal du développement de l’industrie lourde et de l’extraction des matières premières. C’est également de la doctrine que découle l’aspiration des pouvoirs à liquider toute organisation sociale indépendante et à s’assurer le monopole de l’information. Une amélioration ne peut avoir lieu que comme résultat de transformations radicales dans le système politico-économique. Seules la pression organisée et l’activité sociale, se manifestant dans la création d’instituts indépendants, pourront forcer les pouvoirs à renoncer à leur politique actuelle.
13 mai 1986
La commission provisoire de coordination du NSZZ Solidarnosc
Zbigniew Bujak (région de Mazovie)
Jan Andrzej Gurny (région de Silésie-Dombrovie)
Marck Muszynski (région de Basse-Silésie)
et des représentants des régions de Gdansk et de Petite-Pologne
traduit par R. G.