La Presse Anarchiste

Dossier Tchernobyl Déclaration de la commission provisoire de coordination de Solidarnosc à propos de la catastrophe de Tchernobyl 

L’an­nonce de l’ex­plo­sion qui s’est pro­duite dans la cen­trale ato­mique de Tcher­no­byl a pro­vo­qué en Pologne la sen­sa­tion d’une menace effroyable, d’au­tant plus effroyable que cette infor­ma­tion n’a été divul­guée qu’une fois que le nuage radio­ac­tif eut sur­vo­lé notre pays et qu’une aug­men­ta­tion de la radio­ac­ti­vi­té eut été rele­vée en Suède.

La manière dont ont été com­mu­ni­qués les ren­sei­gne­ments concer­nant le degré de conta­mi­na­tion radio­ac­tive est, elle aus­si, inad­mis­sible. Dans le déluge de chiffres et de termes scien­ti­fiques, il man­quait les don­nées les plus élé­men­taires : à tel endroit, à tel moment, quels étaient les chiffres de radio­ac­ti­vi­té. On n’a jamais don­né la moindre recom­man­da­tion d’ur­gence claire et nette concer­nant les mesures de défense, par­ti­cu­liè­re­ment en ce qui concerne les enfants et les jeunes. Alors que le porte-parole du gou­ver­ne­ment ne cesse de men­tir effron­té­ment sur tant de ques­tions, on ne pou­vait accor­der la moindre confiance à des infor­ma­tions gou­ver­ne­men­tales que per­sonne n’a­vait véri­fiées. L’as­pect inter­na­tio­nal de ces évé­ne­ments, qui démontre l’é­tat d’as­su­je­tis­se­ment dans lequel se trouve le gou­ver­ne­ment polo­nais et toute la Pologne par rap­port à l’URSS, est une pilule bien amère à ava­ler. Les accu­sa­tions por­tées dans ces condi­tions par le gou­ver­ne­ment de la RPP contre les radios polo­naises de l’Ouest, jouent le rôle de rideau de fumée ser­vant à occul­ter le fait que c’est jus­te­ment grâce aux bul­le­tins d’in­for­ma­tion dif­fu­sés par celles-ci que la socié­té polo­naise a eu connais­sance de l’ex­plo­sion de Tcher­no­byl et du dan­ger qu’elle repré­sente. Les attaques por­tées contre elles sont la réponse ven­ge­resse du gou­ver­ne­ment à la trans­gres­sion du mono­pole de l’information.

L’ex­plo­sion de Tcher­no­byl a atti­ré l’at­ten­tion sur les ques­tions de la sau­ve­garde de l’en­vi­ron­ne­ment. Jamais encore il n’é­tait aus­si clai­re­ment appa­ru com­bien ces ques­tions sont liées aux pro­blèmes de la liber­té d’or­ga­ni­sa­tion et de la liber­té d’in­for­ma­tion. Jus­qu’en août 1980, toutes les don­nées concer­nant la pol­lu­tion étaient rigou­reu­se­ment mises à l’in­dex par la cen­sure. Les grèves ouvrières ont appor­té quelques chan­ge­ments. La presse s’est fait l’é­cho d’in­for­ma­tions tues jus­qu’a­lors, des centres éco­lo­gistes indé­pen­dants sont appa­rus. S’ap­puyant sur le mou­ve­ment syn­di­ca­liste, et avant tout sur le NSZZ Soli­dar­nosc, ils ont entre­pris d’a­gir pour une amé­lio­ra­tion de la situa­tion éco­lo­gique. Mais aujourd’­hui, le mou­ve­ment éco­lo­giste, pri­vé du sou­tien des syn­di­cats indé­pen­dants, pri­vé de la pos­si­bi­li­té de s’a­dres­ser à l’o­pi­nion publique, a peu d’in­fluence sur les déci­sions gou­ver­ne­men­tales et n’a pra­ti­que­ment pas la pos­si­bi­li­té de réduire l’ac­tion des­truc­trice de l’industrie.

Des spé­cia­listes de l’en­vi­ron­ne­ment par­viennent par­fois à pla­cer dans la presse offi­cielle des don­nées concer­nant la dété­rio­ra­tion du milieu ambiant. À par­tir de ces publi­ca­tions, d’ar­ticles et de remarques gla­nées dans la presse libre, un tableau effroyable se des­sine devant nous. Pour la pol­lu­tion de l’air, la Pologne s’est his­sée à la pre­mière place mon­diale. Le seuil admis­sible de pol­lu­tion des forêts a été fran­chi. Le rejet dans l’at­mo­sphère de par­ti­cules toxiques, de gaz et de sub­stances chi­miques dépasse de beau­coup les normes tolé­rées. Les réserves d’eau pure dimi­nuent, les rivières et les lacs sont char­gés de com­po­sés de chlore, de soufre, de métaux lourds. Seule­ment 1% des eaux du pays entre dans la pre­mière classe de pure­té (contre 5% il y a cinq ans), 49% de toute l’é­ten­due des cours d’eau sont hors de toute clas­si­fi­ca­tion. La terre elle-même est conta­mi­née. De nom­breux pro­duits de l’a­gri­cul­ture ne répondent pas aux normes sani­taires. Il est dès à pré­sent impos­sible de culti­ver la terre ou de faire de l’é­le­vage dans le bas­sin du cuivre. Dans un proche ave­nir, la même pol­lu­tion enva­hi­ra tout le ter­ri­toire de la voï­vo­die de Kato­wice. Les inves­tis­se­ments irré­flé­chis dans l’in­dus­trie entraînent la pol­lu­tion des der­niers ter­ri­toires encore pré­ser­vés. Plus de 35% de la popu­la­tion polo­naise vit dans des régions où la quan­ti­té de sub­stances toxiques dépasse les seuils admis­sibles. Aucun moyen n’est pré­vu pour fil­trer les eaux de source ni pour construire des sta­tions d’é­pu­ra­tion. Les condam­na­tions pro­non­cées contre les pol­lueurs sont éton­nam­ment faibles, sur­tout si l’on consi­dère que nous vivons dans le pays d’Eu­rope qui com­porte la plus grande pro­por­tion d’in­di­vi­dus sous le coup d’une condam­na­tion. Tous les habi­tants de la Pologne paient de leur san­té pour des indices de pro­duc­tion. Les gens sont sys­té­ma­ti­que­ment empoi­son­nés dans la rue, au tra­vail, chez eux ou en vacances. La cen­trale nucléaire en cours de construc­tion a Rzar­nowce repose sur la tech­no­lo­gie sovié­tique. Nous ne savons pas quelles y sont les mesures de sécu­ri­té en vigueur, de même que nous ne savons pas si une catas­trophe aux consé­quences impré­vi­sibles n’est pas en train de nous menacer.

La situa­tion tra­gique de l’en­vi­ron­ne­ment en Pologne est le résul­tat d’un for­çage doc­tri­nal du déve­lop­pe­ment de l’in­dus­trie lourde et de l’ex­trac­tion des matières pre­mières. C’est éga­le­ment de la doc­trine que découle l’as­pi­ra­tion des pou­voirs à liqui­der toute orga­ni­sa­tion sociale indé­pen­dante et à s’as­su­rer le mono­pole de l’in­for­ma­tion. Une amé­lio­ra­tion ne peut avoir lieu que comme résul­tat de trans­for­ma­tions radi­cales dans le sys­tème poli­ti­co-éco­no­mique. Seules la pres­sion orga­ni­sée et l’ac­ti­vi­té sociale, se mani­fes­tant dans la créa­tion d’ins­ti­tuts indé­pen­dants, pour­ront for­cer les pou­voirs à renon­cer à leur poli­tique actuelle.

13 mai 1986
La com­mis­sion pro­vi­soire de coor­di­na­tion du NSZZ Solidarnosc
Zbi­gniew Bujak (région de Mazovie)
Jan Andr­zej Gur­ny (région de Silésie-Dombrovie)
Marck Mus­zyns­ki (région de Basse-Silésie)
et des repré­sen­tants des régions de Gdansk et de Petite-Pologne

tra­duit par R. G.


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