La Presse Anarchiste

Calendrier accusateur

Same­di 15 avril – Annonce du décès de Hu Yao­bang, ancien secré­taire géné­ral du Par­ti com­mu­niste, démis de ses fonc­tions le 16 jan­vier 1987. Un « infarc­tus mas­sif du myo­carde » l’au­rait empor­té (il avait, dira-t-on, été vic­time d’une pre­mière crise car­diaque au cours d’une réunion du Bureau poli­tique, le 8 avril). La nuit même, des étu­diants et cer­tains de leurs pro­fes­seurs collent des dazi­baos de condo­léances et des poèmes sur les murs. Déjà, des textes dénoncent la corruption.

Dimanche 16 avril – De nou­veaux dazi­baos sont appo­sés. Devant le monu­ment aux héros du peuple de la place Tian’an­men, on com­mence à dépo­ser des gerbes de fleurs et à déployer des cali­cots. Les pre­miers ras­sem­ble­ments se forment. Des gens se rendent chez Hu Yao­bang pour pré­sen­ter leurs condo­léances à la famille.

Semaine du 17 au 23 avril

Lun­di 17 avril – Tôt le matin, des étu­diants de l’U­ni­ver­si­té de Pékin (Bei­da), ils sont 3.000, quittent leur cam­pus en cor­tège et se dirigent vers la place Tian’an­men (soit un tra­jet de 19 km). La veille, ils avaient dépo­sé sur le monu­ment huit cou­ronnes de fleurs qui ont été enle­vées au cours de la nuit, et ils entendent pro­tes­ter contre cet acte sacri­lège. Ils inter­pellent le comi­té char­gé des condo­léances et lui remettent une péti­tion adres­sée au Comi­té per­ma­nent de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale. Le texte de la péti­tion com­porte sept reven­di­ca­tions : 1) rééva­lua­tion à la hausse des mérites de Hu Yao­bang ; 2) remise en cause de la poli­tique contre le « libé­ra­lisme bour­geois » et du mou­ve­ment pour l’«anéantissement de la pol­lu­tion spi­ri­tuelle» ; 3) liber­té de la presse ; 4) aug­men­ta­tion de la part du bud­get réser­vée à l’é­du­ca­tion ; 5) liber­té de mani­fes­ta­tion ; 6) trans­pa­rence du patri­moine des cadres à comp­ter du niveau minis­té­riel ain­si que de celui de leur paren­tèle ; 7) sup­pres­sion du règle­ment en dix points pro­mul­gué par la muni­ci­pa­li­té de Pékin, après le mou­ve­ment étu­diant de l’hi­ver 1986, rela­ti­ve­ment aux mani­fes­ta­tions. L’a­près-midi, quelque 500 étu­diants de l’U­ni­ver­si­té des sciences poli­tiques et de droit de Pékin se montrent à leur tour. Ils déposent au monu­ment des héros du peuple une cou­ronne gigan­tesque et quelques cen­taines d’entre eux se tiennent aux abords, toute la nuit, pour pro­té­ger les fleurs. À la fin de la jour­née, ce sont envi­ron 10.000 étu­diants qui auront évo­lué sur la place Tian’anmen.

À Shan­ghai, aus­si, des ras­sem­ble­ments ont lieu. Il est ques­tion de la démo­cra­tie dans cer­tains des slo­gans qu’on scande et dans quelques dazi­baos qu’on affiche. Le Comi­té muni­ci­pal de Shan­ghai et le gou­ver­ne­ment popu­laire de la ville avisent la popu­la­tion qu’elle devra expri­mer sa sym­pa­thie pour Hu Yao­bang dans l’ordre et la dis­ci­pline et la mettent en garde contre les débor­de­ments éven­tuels de « mau­vais élé­ments ». Le même jour, Zhao Ziyang, qui avait rem­pla­cé Hu Yao­bang à la tête du Par­ti après que celui-ci eut été limo­gé, rend hom­mage au défunt devant les dépu­tés de l’As­sem­blée popu­laire nationale.

Mar­di 18 avril – Les étu­diants de cinq éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment supé­rieur péki­nois — Bei­da, l’U­ni­ver­si­té du peuple (Ren­da), l’Ins­ti­tut des sciences poli­tiques et du droit, l’Ins­ti­tut d’é­co­no­mie et l’Ins­ti­tut cen­tral des mino­ri­tés —, des­cendent dans la rue. On en compte 5.000, qui crient : « À bas la dic­ta­ture ! Vive la démo­cra­tie ! À bas la spé­cu­la­tion man­da­ri­nale ! À bas la cor­rup­tion ! ». Les étu­diants de Qing­hua les rejoignent place Tian’an­men, sui­vis de ceux d’autres uni­ver­si­tés de la capi­tale. Ils sont main­te­nant 30.000, assis devant le Palais du peuple. Le nombre des poli­ciers en armes aug­mente lui aus­si. Dans la nuit, des étu­diants se rendent à Xin­hua­men (la porte de la Chine nou­velle, quar­tier des digni­taires du régime) pour y dépo­ser des cou­ronnes de fleurs. Li Peng, le chef du gou­ver­ne­ment, pré­sente ses condo­léances à la veuve de Hu Yao­bang, Li Zhao. Celle-ci lui livre les der­nières volon­tés de son mari : « J’es­père que le Comi­té cen­tral expri­me­ra son avis sur mon tra­vail. Mais s’il n’en­ten­dait pas le faire, je ne sou­haite pas lui for­cer la main. »

Mer­cre­di 19 avril – À 0 h 20, devant Xin­hua­men, un mil­lier d’é­tu­diants sol­li­citent une audience du Comi­té cen­tral pour lui remettre la péti­tion rédi­gée le 17. Les poli­ciers en armes contiennent la foule et forment un bar­rage que les mani­fes­tants ten­te­ront, par trois fois, de for­cer. De 1 h à 2 h, 10.000 per­sonnes s’é­pou­monent : « Li Peng, sors ! ». Bous­cu­lades, échauf­fou­rées avec les forces de l’ordre (par la suite, les étu­diants affir­me­ront que la police les a frap­pés, mal­me­nant sérieu­se­ment trois de leurs cama­rades et en arrê­tant un autre. Les poli­ciers, de leur côté, pré­ten­dront qu’on a lan­cé sur eux des bou­teilles vides et que des éclats de verre ont bles­sé un des leurs). Un pho­to­graphe de Hong Kong, pré­sent sur les lieux, est appré­hen­dé et ses films sont confis­qués. Il sera relâ­ché à 3 h. À 4 h 20, les auto­ri­tés dif­fusent un « Avis du gou­ver­ne­ment popu­laire de Pékin » enjoi­gnant les masses de se dis­per­ser. À 5 h, le calme règne. Toute la jour­née, des cor­tèges étu­diants défilent depuis leurs facul­tés res­pec­tives jus­qu’à la place Tian’an­men. Ils étendent des ban­de­roles sur le monu­ment aux héros du peuple et hissent un por­trait géant du célèbre défunt. À 20 h, 100.000 étu­diants, assis par terre et dans un ordre par­fait, entonnent l’In­ter­na­tio­nale et lancent, entre autres slo­gans : « À bas la spé­cu­la­tion man­da­ri­nale ! ». Des cita­dins se mêlent à eux. On aper­çoit aus­si des pro­fes­seurs venus sou­te­nir leurs élèves. À la tom­bée de la nuit, des forums s’im­pro­visent autour du monu­ment. Les ora­teurs glissent les mots de démo­cra­tie et de liber­té dans leurs interventions.

Pen­dant ce temps, à 20 h, le Comi­té muni­ci­pal habi­lite offi­ciel­le­ment trois délé­gués de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale à rece­voir la péti­tion des étu­diants. Le Comi­té cen­tral, quant à lui, consti­tue un bureau de condo­léances pour Hu Yao­bang. Une céré­mo­nie, des­ti­née à rap­pe­ler son sou­ve­nir, est fixée pour le 22 avril, qui débu­te­ra à 10 h.

À Shan­ghai, les acti­vi­tés com­mé­mo­ra­tives ont mon­té d’un cran. Plus de 3.000 étu­diants de l’U­ni­ver­si­té Fudan se réunissent à l’en­trée du cam­pus. Des ora­teurs exhortent les Chi­nois à s’u­nir pour conqué­rir la démo­cra­tie et la liber­té. Comme les étu­diants s’ap­prêtent à gagner, en groupe, le centre de la ville, les auto­ri­tés locales dif­fusent une nou­velle fois l’a­vis du 17 et demandent aux jeunes gens d’a­ban­don­ner leur pro­jet. Les étu­diants finissent par obtem­pé­rer. Dans l’en­ceinte de Fudan, on peut lire quan­ti­té de dazi­baos dénon­çant la cor­rup­tion ou la spé­cu­la­tion man­da­ri­nale. Des textes s’en prennent même nom­mé­ment à Deng Xiao­ping : on lui reproche de n’a­voir pas pro­cé­dé à la réforme poli­tique promise.

Jeu­di 20 avril — Heurts entre mani­fes­tants et poli­ciers devant Xin­hua­men. Depuis l’aube, 20.000 per­sonnes occupent les lieux face à 2.000 poli­ciers. L’a­ve­nue Chang’an est blo­quée. On entend : « Li Peng, sors ! Dia­lo­guez avec nous d’é­gal à égal ! ». Par haut-par­leur, la police donne com­mu­ni­ca­tion de trois notes offi­cielles et invite la foule à se dis­per­ser dans les vingt minutes qui vont suivre. Mais per­sonne ne bouge. À 2 h 30, la police mili­taire charge, dis­tri­buant coups de matraque, coups de cein­tu­ron et coups de pied. Des jets de bou­teilles vides leur répliquent. On relè­ve­ra plus de 100 vic­times par­mi les étu­diants (selon l’A­gence Xin­hua [Chine nou­velle], quatre poli­ciers auraient été bles­sés). Les mani­fes­tants s’é­par­pillent, à l’ex­cep­tion de 300 d’entre eux qui répètent : « Aimer sa patrie n’est pas un crime ! Vive la démo­cra­tie ! ». À 3 h, la police éloigne de force les récal­ci­trants (pro­cé­dant, croit-on savoir, à deux inter­pel­la­tions). À 5 h, l’ordre est rétabli.

Dans la jour­née, les étu­diants se concertent. Conscients de l’im­puis­sance du syn­di­cat offi­ciel à ani­mer le mou­ve­ment, les étu­diants de Bei­da décident de se doter d’une struc­ture neuve. Une com­mis­sion pré­pa­ra­toire est ins­ti­tuée ayant pour tâche la créa­tion d’un « Soli­dar­nosc des étu­diants de Bei­da ». Une lettre ouverte aux étu­diants de la ville est rédi­gée : « Les mou­ve­ments étu­diants ont tou­jours avor­té. Cela nous donne à pen­ser que, sans une orga­ni­sa­tion regrou­pant les étu­diants de toutes les uni­ver­si­tés et les démo­crates, à quelque milieu qu’ils appar­tiennent, nous ne pos­sé­dons aucune force. Nous pro­po­sons que les orga­ni­sa­tions de toutes les uni­ver­si­tés élisent des délé­gués en vue de la for­ma­tion d’une coor­di­na­tion qui pren­dra en charge l’en­semble des acti­vi­tés menées à Pékin pour pro­mou­voir la démo­cra­tie. » Le recours aux méthodes paci­fiques est prô­né : sit-in, défi­lés, grève des cours, voire grève de la faim. Quant à l’ob­jec­tif final que les étu­diants de Bei­da s’as­signent, il est simple : pro­mou­voir la démo­cra­tie en Chine. Sept reven­di­ca­tions sont avan­cées, qui s’a­lignent, en sub­stance, sur les sept pre­mières exi­gences étu­diantes : 1) rééva­lua­tion à la hausse des mérites de Hu Yao­bang et expo­sé des rai­sons de sa démis­sion, ain­si que l’or­ga­ni­sa­tion de funé­railles dignes d’un diri­geant du plus haut niveau ; 2) néga­tion totale des mou­ve­ments pour l’«anéantissement de la pol­lu­tion spi­ri­tuelle » et contre le « libé­ra­lisme bour­geois» ; 3) énon­cé concret des erreurs com­mises en matière d’é­du­ca­tion et déter­mi­na­tion des res­pon­sa­bi­li­tés ; 4) recon­nais­sance de la liber­té de presse et auto­ri­sa­tion des organes popu­laires (c’est-à-dire non offi­ciels); 5) dési­gna­tion des cou­pables de l’in­ci­dent sur­ve­nu le matin même ; 6) publi­ca­tion du mon­tant annuel des salaires et des reve­nus des cadres, ain­si que celui des impôts aux­quels ils sont assu­jet­tis ; 7) publi­ca­tion inté­grale du résul­tat des enquêtes effec­tuées sur les man­da­rins qui se livrent à la spéculation.

Les étu­diants de Bei­da invitent tous les étu­diants du pays à se mobi­li­ser et à pré­sen­ter leurs propres péti­tions. Le 18, les étu­diants de Pékin avaient pro­po­sé aux élèves de plus de cent éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment supé­rieur une action uni­taire des­ti­née tout à la fois à célé­brer la mémoire de Hu Yao­bang, à s’op­po­ser à la dic­ta­ture et à signi­fier leurs aspi­ra­tions à la démo­cra­tie. De nom­breuses réponses favo­rables leur sont retournées.

Au cours de l’a­près-midi et jus­qu’au soir, sous la pluie, les étu­diants de Pékin mani­festent sur la place Tian’an­men. Après la dis­per­sion, les étu­diants de Bei­da décident de ren­trer en cor­tège à leur cam­pus et s’en­cadrent d’un ser­vice d’ordre. Une dépêche de l’A­gence Xin­hua, rela­tive aux évé­ne­ments qui se sont dérou­lés dans la mati­née devant Xin­hua­men, tombe. Elle serait l’œuvre, pense-t-on, d’un res­pon­sable à la pro­pa­gande du Par­ti, et non des jour­na­listes. On rap­porte aus­si qu’elle aurait été dif­fu­sée avant que le direc­teur de l’A­gence en ait pris connais­sance, pro­vo­quant l’ire de celui-ci.

Une cen­taine de scien­ti­fiques se pro­noncent publi­que­ment en faveur d’une démo­cra­ti­sa­tion du régime.

À Nan­kin, comme dans d’autres grandes villes du pays, les étu­diants s’a­gitent : on brise sym­bo­li­que­ment des bou­teilles sur le sol (Xiao­ping, le pré­nom de la gloire du Sichuan, signi­fie lit­té­ra­le­ment : « petite paix ». Mais c’est éga­le­ment un homo­phone de « petite bou­teille ». Signe des temps, en 1978, lors du retour aux affaires de Deng Xiao­ping, cer­tains accro­chaient des canettes aux branches des arbres en signe de sou­tien à l’ad­ver­saire de la fac­tion maoïste).

Ven­dre­di 21 avril — Pour pro­tes­ter contre les vio­lences poli­cières de la veille, le Comi­té pré­pa­ra­toire du « Soli­dar­nosc des étu­diants de Bei­da ». lance un mot d’ordre de grève. Il sera sui­vi par une dizaine d’é­ta­blis­se­ments, par­mi les­quels Qing­hua et l’É­cole nor­male supé­rieure de Pékin.

Le matin, attrou­pe­ment à Tian’an­men. Lorsque midi sonne, 100.000 per­sonnes sont là, dont de nom­breux cita­dins. Un groupe de 300 ou 400 étu­diants s’ins­tallent sur les marches qui mènent au Palais du peuple, vou­lant mar­quer, de cette façon, leur indi­gna­tion contre l’in­ci­dent de Xin­hua­men. Au cours de l’a­près-midi, quelques-uns tentent de for­cer les portes du Palais du peuple, mais la police les en empêche. Les étu­diants appar­te­nant aux sec­tions de jour­na­lisme de dif­fé­rents ins­ti­tuts condamnent la dépêche de l’A­gence Xin­hua. Le soir, 200.000 per­sonnes (400.000, selon cer­tains obser­va­teurs) se massent sur la place, par­mi les­quelles des ouvriers et des paysans.

À comp­ter de midi, et jus­qu’à la tom­bée de la nuit, forum per­ma­nent : les ora­teurs se relayent et débattent de la démo­cra­tie et de la liberté.

Ce jour-là, 47 per­son­na­li­tés (uni­ver­si­taires, écri­vains et autres jour­na­listes) signent une décla­ra­tion de sou­tien au mou­ve­ment des étu­diants qui stig­ma­tise aus­si la cor­rup­tion. Quatre des signa­taires portent le texte à Zhon­gnan­hai. Mais, là, on leur oppose une fin de non-rece­voir et leur péti­tion est jetée par terre, osten­si­ble­ment. Les péti­tion­naires sont arrê­tés, puis relaxés au bout de qua­rante minutes. Ils se dirigent alors vers le bureau du comi­té per­ma­nent de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale pour y dépo­ser leur texte.

Les auto­ri­tés uni­ver­si­taires et le comi­té du Par­ti de Bei­da refusent de divul­guer à la police les noms des meneurs étudiants.

Dans toutes les grandes villes — Shan­ghai, Nan­kin, Wuhan, Xi’an, etc. — des mani­fes­ta­tions ont lieu. Quelques cen­taines d’é­lèves de l’U­ni­ver­si­té Nan­kai de Tian­jin tentent de quit­ter la ville pour rejoindre leurs cama­rades de Pékin, mais l’ad­mi­nis­tra­tion uni­ver­si­taire confisque leurs billets de che­min de fer. Seuls 36 d’entre eux (il s’a­git d’é­tu­diants de deuxième et de troi­sième cycles) par­viennent à par­tir, en se fai­sant pas­ser pour des ouvriers. C’est le pre­mier groupe d’é­tu­diants de pro­vince qui mon­te­ra à la capitale.

On lit dans le Quo­ti­dien du peuple du même jour cet aver­tis­se­ment : « Ceux qui sabo­te­ront la poli­tique d’u­ni­té et de sta­bi­li­té seront punis par la loi. »

Same­di 22 avril – Au cours de la nuit du 21 au 22, 19 éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment supé­rieur forment un Comi­té d’ac­tion pro­vi­soire. Le matin, les étu­diants assistent à la céré­mo­nie offi­cielle des funé­railles qui se déroule place Tian’an­men. Des ren­forts de police ont été ame­nés de l’ex­té­rieur. On estime à 200.000 le nombre des étu­diants et des cita­dins qui sont là, accrou­pis sur le sol. Le Comi­té d’ac­tion pro­vi­soire, qui dirige le ser­vice d’ordre, for­mule trois exi­gences : que la sécu­ri­té des étu­diants pré­sents soit garan­tie, qu’une délé­ga­tion étu­diante soit reçue à l’As­sem­blée popu­laire natio­nale et puisse faire ses adieux à Hu Yao­bang, et que toute la lumière soit faite sur l’in­ci­dent de Xin­hua­men. Yang Shang­kun, le Pré­sident de la Répu­blique, pré­side la céré­mo­nie, orga­ni­sée au Palais du peuple, et pro­nonce l’é­loge funèbre devant un par­terre com­po­sé de 4.000 per­sonnes par­mi les­quelles on aper­çoit, entre autres, Deng Xiao­ping, Li Peng ou Wan Li. Plus d’un mil­lion de Chi­nois saluent la dépouille mor­telle de l’an­cien chef du Par­ti. Après la céré­mo­nie, les étu­diants, refu­sant de s’é­gailler, indiquent qu’ils veulent dia­lo­guer avec Li Peng. Une délé­ga­tion de trois étu­diants s’a­vance vers le Palais. Deux d’entre eux s’a­ge­nouillent tan­dis que le troi­sième, qui n’est autre que Wu’er Kaixi, bran­dit le texte de la péti­tion. On refuse de les accueillir. Le Comi­té pré­pa­ra­toire du « Soli­dar­nosc des étu­diants de Bei­da » menace : si le gou­ver­ne­ment refuse de prendre en consi­dé­ra­tion les reven­di­ca­tions étu­diantes, il appel­le­ra à une grève natio­nale des ouvriers, des pay­sans et des intellectuels.

La plu­part des grandes villes arrangent des céré­mo­nies de condo­léances, de même que la com­mu­nau­té chi­noise de l’ex­té­rieur, celle de Hong Kong ou celle de Macao notamment.

Dimancbe 23 avril – Le 22 et le 23 avril, les étu­diants de Xi’an assiègent le bâti­ment du gou­ver­ne­ment local. Des indi­vi­dus se glissent dans la foule et scandent des slo­gans anti-gou­ver­ne­men­taux. Ils réus­sissent ensuite à s’in­tro­duire dans l’é­di­fice et tentent de l’in­cen­dier. Les étu­diants, alors, se retirent. La police mili­taire bloque les issues et appré­hende 18 per­sonnes. Une tren­taine d’é­tu­diants et une cen­taine de poli­ciers seront blessés.

À Chang­sha (Hunan), au cours des deux mêmes jours, scènes de pillage et incen­dies. Une cen­taine d’é­meu­tiers sont arrê­tés, qui ne semblent pas être des étudiants.

Les étu­diants de Tian­jin, de Shan­ghai, de Wuhan et d’autres endroits, gagnent Pékin. Une « Union pro­vi­soire des étu­diants de la capi­tale » est créée qui fédère 21 « Soli­dar­nosc étu­diants » des éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment supé­rieur. Des pour­par­lers sont enga­gés entre étu­diants péki­nois et étu­diants pro­vin­ciaux en vue de la for­ma­tion d’une Union natio­nale des étu­diants, indé­pen­dante du syn­di­cat offi­ciel. Les étu­diants de Bei­da col­lectent des fonds pour assu­rer le finan­ce­ment de leurs acti­vi­tés. De façon plus géné­rale, des quêtes sont effec­tuées dans la capi­tale, ayant pour but de réunir l’argent néces­saire à la publi­ca­tion d’un bul­le­tin d’in­for­ma­tions sur le mou­ve­ment étu­diant, la presse offi­cielle gar­dant le silence sur les acti­vi­tés des étu­diants. À l’exemple de leurs cama­rades de la capi­tale, les étu­diants de Shan­ghai, de Nan­kin, de Can­ton, de Hangz­hou, de Tian­jin, de Wuhan, etc., s’a­niment. Zhao Ziyang part pour la Corée du Nord, en visite officielle.

Semaine du 24 au 30 avril

Lun­di 24 avril – Pour pro­tes­ter contre les vio­lences poli­cières et la main­mise sur les infor­ma­tions opé­rée par le gou­ver­ne­ment, l’U­nion pro­vi­soire des étu­diants de la capi­tale annonce que 35 éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment supé­rieur de la capi­tale entre­prennent une grève illi­mi­tée qui ne pren­dra fin qu’à comp­ter du moment où le gou­ver­ne­ment accep­te­ra d’ou­vrir le dia­logue avec les étu­diants. Les étu­diants de l’É­cole nor­male supé­rieure par­courent les rues de la muni­ci­pa­li­té pour expli­quer à la popu­la­tion le sens de leur action : les étu­diants, affirment-ils en sub­stance, luttent pour la démo­cra­tie, la science, la liber­té, les droits de l’homme et la légalité.

Pour la pre­mière fois, un organe de presse fait état des évé­ne­ments. Il s’a­git du Keji ribao [quo­ti­dien des sciences et des techniques].

Une liste est affi­chée sur les murs de Bei­da et sur ceux de Qing­hua : on y dévoile les liens fami­liaux qu’ont tis­sés entre eux les hauts digni­taires du régime. On ordonne aus­si expres­sé­ment aux bureau­crates de rendre publique la valeur de leur patri­moine et de s’en­ga­ger à répri­mer les corrompus.

Mar­di 25 avril – Le face à face qui devait s’ins­tal­ler entre les auto­ri­tés et les étu­diants de Qing­hua tourne court, les auto­ri­tés n’ac­cep­tant de rece­voir que les repré­sen­tants de l’or­ga­ni­sa­tion étu­diante offi­cielle. Ce jour-là, 100.000 étu­diants gré­vistes vont au-devant de la popu­la­tion pour infor­mer tout un cha­cun des inten­tions du mou­ve­ment. Les étu­diants de Qing­hua et ceux de l’Ins­ti­tut des sciences poli­tiques et de droit brûlent, sur leurs cam­pus res­pec­tifs, des numé­ros du Quo­ti­dien du peuple et du Quo­ti­dien de Pékin, ain­si que des livrai­sons de la revue de l’é­cole du Par­ti, Qiu­shi [la recherche de la véri­té]. Ils se pro­noncent en faveur de la liber­té de la presse et du dialogue.

Le Comi­té muni­ci­pal shan­ghaïen du Par­ti confisque 300.000 exem­plaires de l’heb­do­ma­daire World Eco­no­mic Herald repro­dui­sant des cri­tiques, émises par des proches ou des par­ti­sans de Hu Yao­bang, à l’é­gard du régime.

Des pro­fes­seurs d’u­ni­ver­si­té publient une lettre ouverte en défense du mou­ve­ment étu­diant. L’on y déplore le rôle de la presse, cou­pable de ne pas rela­ter fidè­le­ment les faits.

Pour s’as­su­rer le sou­tien de la popu­la­tion, l’U­nion pro­vi­soire des étu­diants de la capi­tale lance l’o­pé­ra­tion « une per­sonne, dix lettres » ayant pour but de sen­si­bi­li­ser l’o­pi­nion publique. Cha­cun s’en­gage à envoyer dix mis­sives dans tout le pays. Dans le même temps, et pour la même rai­son, des délé­gués partent sillon­ner les alen­tours de la ville.

Des rumeurs com­mencent à cir­cu­ler : un dis­cours de Deng Xiao­ping, fus­ti­geant le mou­ve­ment, envi­sa­ge­rait d’y mettre un terme, en usant au besoin de la force. Au cours de la nuit, la radio cen­trale dif­fuse le fameux édi­to­rial du Quo­ti­dien du peuple, à paraître le len­de­main, dont on repar­le­ra sou­vent au cours des évé­ne­ments. Le texte, où l’on qua­li­fie d’«agitation » le mou­ve­ment étu­diant, a été rédi­gé sur ordre de Deng Xiao­ping puis approu­vé par ceux des membres du Comi­té per­ma­nent du Bureau poli­tique pré­sents à Pékin.

Mer­cre­di 26 avril – L’é­di­to­rial du Quo­ti­dien du peuple a pour titre : « Il faut s’op­po­ser à l’a­gi­ta­tion en levant haut et sans équi­voque son dra­peau. » Il rap­pelle qu’il est inter­dit de mettre sur pied des orga­ni­sa­tions illé­gales, d’or­ga­ni­ser des mani­fes­ta­tions illé­gales ou de se rendre dans les usines, les cam­pagnes ou les écoles pour y pous­ser les gens à contes­ter le gou­ver­ne­ment. Une petite clique d’in­di­vi­dus, pour­suit-il, aurait fait cou­rir à Pékin de faux bruits contre les diri­geants du Par­ti et de l’É­tat, et inci­té les gens à inves­tir de force le siège du Par­ti com­mu­niste en criant des slo­gans réac­tion­naires comme : « À bas le Par­ti com­mu­niste ! ». Au pas­sage, les inci­dents sur­ve­nus à Xi’an et à Chang­sha sont cri­ti­qués. Enfin, l’é­di­to­rial sou­tient que le but d’une poi­gnée d’in­di­vi­dus, nour­ris­sant des des­seins peu avouables et pro­fi­tant du cha­grin des étu­diants, « est d’empoisonner les esprits, de créer le désordre dans le pays et de sabo­ter sa sta­bi­li­té poli­tique », pour conclure : « Ceci est une conspi­ra­tion orga­ni­sée qui, essen­tiel­le­ment, vise à reje­ter la direc­tion du Par­ti et le sys­tème socia­liste ». La dia­tribe sera reprise à la une de tous les jour­naux du pays.

Le Comi­té muni­ci­pal péki­nois du Par­ti réunit plus de 10.000 cadres. Li Ximing, secré­taire du Comi­té muni­ci­pal du Par­ti, éta­blit un paral­lèle entre les évé­ne­ments qui se déroulent alors et ceux de la « Révo­lu­tion cultu­relle » : les étu­diants, déclare-t-il, à l’ins­tar de leurs aînés, veulent semer le désordre, et on doit les en empê­cher. Le maire de Pékin, Chen Xitong, s’ex­prime éga­le­ment pour trans­mettre les direc­tives arrê­tées par Deng Xiao­ping en personne.

Les auto­ri­tés font venir la 38e com­pa­gnie. Le nombre des sol­dats mobi­li­sés se tien­drait à hau­teur de 20.000.

Une confé­rence de presse est convo­quée par les étu­diants appar­te­nant à 41 éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment supé­rieur de la capi­tale. Trois reven­di­ca­tions sont for­mu­lées : 1) qu’un dia­logue d’é­gal à égal s’ouvre entre le gou­ver­ne­ment et les étu­diants ; 2) que des pour­suites soient enga­gées contre les res­pon­sables des vio­lences poli­cières du 20 avril, que le ministre de la Sécu­ri­té publique pré­sente des excuses aux étu­diants et que la presse rende compte hon­nê­te­ment de l’in­ci­dent ; 3) que l’A­gence Xin­hua et tous les organes de presse disent la véri­té sur le mou­ve­ment étu­diant. Les étu­diants réaf­firment leurs objec­tifs : démo­cra­tie, liber­té, science, droits de l’homme, léga­li­té, ain­si que leurs moyens d’ac­tion, à savoir des moyens non vio­lents et légaux. Ils annoncent, pour finir, une mani­fes­ta­tion pour le len­de­main, des­ti­née à mar­quer leur désap­pro­ba­tion contre l’é­di­to­rial du Quo­ti­dien du peuple.

Le bureau de la Sécu­ri­té publique de Pékin avise la popu­la­tion que les acti­vi­tés de com­mé­mo­ra­tion sont désor­mais closes. Il pré­vient : toutes les mani­fes­ta­tions sont inter­dites et toute action entre­prise sans accord préa­lable sera consi­dé­rée comme illé­gale. Par la même occa­sion, il signi­fie l’in­ter­dic­tion de pro­non­cer des dis­cours dans les rues, de col­lec­ter de l’argent ou de dif­fu­ser des tracts. Enfin, il menace : ceux qui ne se plie­ront pas à ses injonc­tions seront châtiés.

Le « Comi­té d’or­ga­ni­sa­tion des reven­di­ca­tions paci­fiques de l’U­ni­ver­si­té de Qing­hua » informe qu’il se retire de l’U­nion pro­vi­soire des étu­diants de la capi­tale en même temps qu’il se dis­sout. Il appelle à la reprise des cours et au boy­cott de la mani­fes­ta­tion pré­vue pour le 27.

Jiang Zemin, au nom du Comi­té muni­ci­pal shan­ghaïen du Par­ti, dont il est le secré­taire, convoque 14.000 cadres du Par­ti pour une séance d’é­tude de l’é­di­to­rial du Quo­ti­dien du peuple. Au cours de la réunion, il signale que le rédac­teur en chef du World Eco­no­mic Herald va être démis de ses fonc­tions et que la rédac­tion du maga­zine va subir une restructuration.

Jeu­di 27 avril – La mani­fes­ta­tion orga­ni­sée le 27 avril est la plus grande mani­fes­ta­tion péki­noise depuis 1949. Ses slo­gans prin­ci­paux sont : « Sou­te­nons le Par­ti com­mu­niste ! Sou­te­nons la Consti­tu­tion ! Sou­te­nons les quatre prin­cipes fon­da­men­taux ! À bas la cor­rup­tion ! À bas la spé­cu­la­tion man­da­ri­nale ! » Les étu­diants — ils seraient 200.000 — défilent sous les accla­ma­tions d’un mil­lion de cita­dins. La police tente, sans tou­te­fois user de la vio­lence, de faire obs­tacle au cor­tège mais, à dix-huit reprises, les étu­diants forcent les bar­rages qu’on dresse devant eux. Scènes de fra­ter­ni­sa­tion avec les sol­dats. Le défi­lé dure­ra quelque qua­torze heures.

Le Conseil des affaires d’É­tat se déclare dis­po­sé à ouvrir le dia­logue à condi­tion que son inter­lo­cu­teur soit l’or­ga­ni­sa­tion étu­diante officielle.

Plus de 200 intel­lec­tuels signent une lettre ouverte de sou­tien au mou­ve­ment étudiant.

À Chang­sha, 2.000 étu­diants marchent dans les rues. À Hong Kong, des étu­diants déchirent l’é­di­to­rial du Quo­ti­dien du peuple devant les locaux de l’A­gence Xin­hua de la ville. Les étu­diants de Tai­wan expriment, eux-aus­si, leur soli­da­ri­té avec leurs cama­rades du continent.

Ven­dre­di 28 avril – l’U­nion pro­vi­soire des étu­diants de la capi­tale annonce sa dis­so­lu­tion. Une nou­velle coor­di­na­tion la rem­place : l’«Union auto­nome des étu­diants de Pékin », qui englobe les étu­diants de plus de 40 éta­blis­se­ments sco­laires. Wu’er Kaixi en sera le pré­sident et il devient membre, avec six autres de ses cama­rades, de son Comi­té permanent.

Les étu­diants conti­nuent la grève des cours.

L’U­nion natio­nale des étu­diants (le syn­di­cat offi­ciel) ne se fait pas faute de clai­ron­ner que le gou­ver­ne­ment accepte de dis­cu­ter avec les étudiants.

L’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin pose trois condi­tions préa­lables au dia­logue : 1) le dia­logue doit être noti­fié dans la presse offi­cielle ; 2) les membres de l’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin et tous les diri­geants étu­diants devront faire l’ob­jet d’une pro­tec­tion et rece­voir l’as­su­rance qu’ils ne s’ex­posent à aucune mesure de repré­sailles ; 3) le mou­ve­ment étu­diant doit être éva­lué cor­rec­te­ment et les infor­ma­tions livrées à son pro­pos doivent reflé­ter la réa­li­té. S’a­gis­sant du conte­nu même du dia­logue, l’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin pro­pose que soient abor­dés les points sui­vants : 1) recon­nais­sance des mérites de Hu Yao­bang et recon­nais­sance de la démo­cra­tie et de la liber­té ; 2) néga­tion des mou­ve­ments pour l’«anéantissement de la pol­lu­tion spi­ri­tuelle » et contre le « libé­ra­lisme bour­geois» ; 3) publi­ca­tion du patri­moine des hauts cadres et de leurs parents ; 4) liber­té d’ex­pres­sion et auto­ri­sa­tion des organes popu­laires [non offi­ciels]; 5) aug­men­ta­tion de la part du bud­get consa­crée à l’é­du­ca­tion et aug­men­ta­tion du trai­te­ment des intel­lec­tuels ; 6) sup­pres­sion des entraves mises à la liber­té de mani­fes­ter ; 7) une infor­ma­tion réelle sur le mou­ve­ment étu­diant. Enfin, l’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin demande à être recon­nue légalement.

À Tian­jin, 6.000 étu­diants mani­festent aux cris de : « Sou­te­nons le Par­ti com­mu­niste ! Sou­te­nons les quatre prin­cipes ! À bas les cor­rom­pus ! La presse doit dire la vérité ! »

Same­di 29 avril — Un dia­logue entre le gou­ver­ne­ment (dont prin­ci­pa­le­ment le porte-parole du Conseil des affaires d’É­tat, Yuan Mu) et 45 étu­diants s’ouvre. Les délé­gués étu­diants ont été en fait dési­gnés, non par leurs cama­rades mais par le pou­voir. L’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin déclare que ce dia­logue et nul et non ave­nu. Au milieu de la dis­cus­sion, une par­tie des 45 étu­diants s’en va. Quant à Wu’er Kaixi, qui avait été invi­té mais à titre per­son­nel uni­que­ment, avant même qu’il n’entre dans la salle, on lui recom­mande de se taire. Il pré­fé­re­ra tour­ner immé­dia­te­ment les talons.

La grève continue.

L’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin com­mence à pré­pa­rer les acti­vi­tés de célé­bra­tion du soixante-dixième anni­ver­saire du Mou­ve­ment du 4 mai [1919]. Elle publie la pre­mière livrai­son de sa revue, Xin­wen bao­dao [infor­ma­tions], qui dresse un bilan du mou­ve­ment étu­diant au cours des quinze der­niers jours.

À Hong Kong, plus de 40 orga­ni­sa­tions expriment leur sym­pa­thie aux étu­diants du continent.

Zhao Ziyang, qui a ache­vé sa visite offi­cielle en Corée du Nord, rentre en Chine.

Dimanche 30 avril — Le Comi­té muni­ci­pal shan­ghaïen du Par­ti pro­cède à la restruc­tu­ra­tion annon­cée du World Eco­no­mic Herald. Le milieu de la presse réagit violemment.

Un groupe com­po­sé de 29 étu­diants, issus de 16 éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment supé­rieur, est reçu par le secré­taire du Comi­té muni­ci­pal du Par­ti de Pékin, Li Ximing, et le maire de la ville, Chen Xitong. La conver­sa­tion roule sur le pro­blème de la spé­cu­la­tion man­da­ri­nale. Cédant à l’in­sis­tance de leurs inter­lo­cu­teurs, les deux fonc­tion­naires pré­cisent le mon­tant de leurs reve­nus propres.

L’É­cole cen­trale des beaux-arts met sur pied une expo­si­tion de pho­to­gra­phies consa­crée au mou­ve­ment étu­diant. Quelques images mon­trant les vio­lences poli­cières sont censurées.

Une rumeur trans­pire selon laquelle les diri­geants étu­diants vont être arrê­tés. Wu’er Kaixi, Wang Dan et quelques autres décident de se cacher.

Semaine du 1er au 7 mai

Lun­di 1er mai — L’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin édite trois docu­ments : « Lettre à tous les milieux du pays », « Lettre aux com­pa­triotes de Hong Kong », « Lettre ouverte, de per­son­na­li­tés appar­te­nant à dif­fé­rents milieux de Pékin, au Comi­té cen­tral, au Comi­té per­ma­nent de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale et au Conseil des affaires d’État ».

Mar­di 2 mai — Plus de 10.000 étu­diants pro­testent, à Shan­ghai, contre les rema­nie­ments opé­rés au sein du World Eco­no­mic Herald et l’é­vic­tion de son rédac­teur en chef. Ils crient : « Liber­té de la presse ! Sup­pri­mez les entraves au droit de mani­fes­ter ! » Un sit-in se tient devant le siège du Parti.

L’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin envoie une péti­tion à Zhon­gnan­hai pour que le dia­logue soit ouvert. Douze requêtes sont for­mu­lées, assor­ties de quatre décla­ra­tions. Les douze requêtes sont les sui­vantes : 1) le dia­logue doit se tenir d’é­gal à égal, chaque par­tie devant être sin­cè­re­ment déter­mi­née à ce que les pro­blèmes soient réso­lus, et les temps de parole doivent être équi­li­brés ; 2) les délé­gués des étu­diants seront choi­sis par les étu­diants eux-mêmes et cela direc­te­ment, sans entre­mise ni de l’or­ga­ni­sa­tion étu­diante offi­cielle ni du gou­ver­ne­ment ; 3) dans la mesure où l’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin mène le mou­ve­ment depuis le début, c’est à elle qu’il appar­tient de pré­voir les dis­po­si­tions rela­tives à l’é­lec­tion des délé­gués ; 4) les délé­gués du gou­ver­ne­ment devront occu­per un rang équi­valent à celui de membre du Comi­té per­ma­nent du Bureau poli­tique ou à celui de vice-pré­sident du Comi­té per­ma­nent de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale, ou bien encore à celui de vice-pre­mier ministre. Ils devront être par­fai­te­ment au cou­rant des affaires d’É­tat et dis­po­ser d’un pou­voir effec­tif de déci­sion ; 5) les deux par­ties convie­ront à la réunion les per­son­na­li­tés ou les repré­sen­tants d’or­ga­ni­sa­tions qu’ils sou­haitent sans que l’autre par­tie puisse les récu­ser. Ces per­son­na­li­tés n’in­ter­vien­dront pas durant le dia­logue mais auront toute lati­tude, ensuite, pour faire les com­men­taires que bon leur sem­ble­ra ; 6) les temps de parole seront équi­li­brés et les inter­ven­tions seront limi­tées : les ques­tions n’ex­cé­de­ront pas trois minutes et les réponses quinze minutes ; 7) des jour­na­listes chi­nois et étran­gers assis­te­ront à l’en­tre­vue, et la télé­vi­sion cen­trale et la radio cen­trale assu­re­ront la retrans­mis­sion inté­grale, et en direct, des débats ; 8) le lieu des réunions sera choi­si, en alter­nance, par cha­cune des deux par­ties ; 9) les repré­sen­tants du gou­ver­ne­ment répon­dront à toutes les ques­tions posées sur le champ et, dans le cas où ils se trou­ve­raient dans l’im­pos­si­bi­li­té de répondre, ils devront impé­ra­ti­ve­ment s’en­ga­ger à répondre par la suite ; 10) le compte ren­du des débats sera contre­si­gné par les deux par­ties et publié ; 11) la sécu­ri­té des délé­gués doit être assu­rée ; 12) à l’is­sue de cha­cune des séances, un compte ren­du des conclu­sions sera insé­ré dans les prin­ci­paux organes du pays et dif­fu­sé sur les radios, en même temps que seront annon­cés la date et le lieu de la pro­chaine séance. Quant aux quatre décla­ra­tions, les voi­ci : 1) pour que le dia­logue s’ouvre sans tar­der, le gou­ver­ne­ment doit réagir aux pro­po­si­tions étu­diantes avant midi, le 3 mai ; 2) si la réponse n’in­ter­vient pas à l’heure et à la date fixées, les étu­diants mani­fes­te­ront le 4 mai ; 3) la pre­mière séance se tien­dra le 4 mai, à 8 h 30, à l’U­ni­ver­si­té de Pékin ; 4) une copie de la péti­tion sera trans­mise à la Confé­rence consul­ta­tive poli­tique du peuple chinois.

Mer­cre­di 3 mai — Zhao Ziyang, dans une allo­cu­tion pro­non­cée au cours d’une « réunion orga­ni­sée par la jeu­nesse de la capi­tale pour la célé­bra­tion du 70e anni­ver­saire du Mou­ve­ment du 4 mai », explique que les objec­tifs pour­sui­vis par les étu­diants sont iden­tiques à ceux que pour­suivent le Par­ti et le gou­ver­ne­ment. Yuan Mu, le porte-parole du Conseil des affaires d’É­tat, pré­tend que l’«Alliance pour les droits de l’homme » (orga­ni­sa­tion de Chi­nois vivant à l’é­tran­ger dont le siège se trouve aux États-Unis) est la « main noire » du mou­ve­ment étu­diant. Il indique que l’ou­ver­ture d’un dia­logue ne doit pas être sou­mise à des condi­tions préa­lables. Il lâche aus­si : « Les étu­diants veulent exclure toutes les orga­ni­sa­tions offi­cielles démo­cra­ti­que­ment élues et ils demandent au gou­ver­ne­ment de dia­lo­guer avec une orga­ni­sa­tion illé­gale, l’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin, c’est inac­cep­table. » Quant à la reven­di­ca­tion expri­mée par les étu­diants de dia­lo­guer d’é­gal à égal avec le gou­ver­ne­ment, et qui plus est avec les plus hauts res­pon­sables du pays, il la juge pué­rile. Enfin, il pré­cise que l’ul­ti­ma­tum conte­nu dans la péti­tion des étu­diants se veut mena­çant et que cela prouve que, der­rière les étu­diants, des gens se cachent qui sou­haitent pro­vo­quer des troubles.

À Shan­ghai, mani­fes­ta­tions étu­diantes : « Ren­dez-nous le World Eco­no­mic Herald ! » entend-on.

Jeu­di 4 mai – Les étu­diants de 52 éta­blis­se­ments sco­laires de Pékin et ceux de 30 éta­blis­se­ments situés à l’ex­té­rieur de la capi­tale marchent, depuis leur cam­pus jus­qu’à la place Tian’an­men. Arri­vés à des­ti­na­tion, ils sont 200.000. l’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin répand un « Nou­veau Mani­feste du 4 mai » qui prône la démo­cra­tie, d’a­bord dans les uni­ver­si­tés puis dans le reste de la socié­té. Plus de 500 jour­na­listes, employés dans des publi­ca­tions diverses, des­cendent dans la rue. Voi­ci quels sont leurs slo­gans : « Ne nous for­cez pas à répandre des men­songes ! Le peuple a droit à la véri­té ! Nous vou­lons dire la vérité ! »

Des attrou­pe­ments étu­diants ont lieu dans tout le pays. Par exemple : à Shan­ghai, ils sont 10.000 à deman­der la liber­té de la presse et à Nan­kin, quelques mil­liers à exi­ger le dia­logue ; à Hangz­hou, 5.000 étu­diants crient : « À bas la cor­rup­tion ! Sou­te­nons Qin Ben­li ! » (le rédac­teur en chef du World Eco­no­mic Herald) devant plus de 100.000 cita­dins ; à Can­ton quelques mil­liers d’é­tu­diants lancent : « Sup­pri­mez les pri­vi­lèges!»; à Chang­sha, 6.000 étu­diants et un mil­lier d’ou­vriers scandent : « Finis­sons-en avec la poli­tique des vieillards!»; à Wuhan, on éva­lue à plus de 10.000 les élèves de 20 éta­blis­se­ments qui réclament la démo­cra­tie et la liber­té ; à Xi’an, on en compte 4.000 qui disent : « Vive la démo­cra­tie!»; à Fuz­hou, 3.000 étu­diants célèbrent la mémoire du Mou­ve­ment du 4 mai et inter­pellent le gou­ver­ne­ment pour qu’il accepte de dia­lo­guer ; à Chong­qing, on com­mé­more aus­si le Mou­ve­ment du 4 mai.

Les mani­fes­ta­tions étu­diantes se déroulent, dans l’en­semble, sans pro­blème. On n’en­re­gistre aucun heurt avec les forces de l’ordre.

Dans toutes les capi­tales du monde, les étu­diants chi­nois orga­nisent des mani­fes­ta­tions de sou­tien à leurs cama­rades res­tés au pays. Les étu­diants de Hong Kong et de Macao ne sont pas de reste.

Zhao Ziyang ren­contre les par­ti­ci­pants de la 22e réunion annuelle du Conseil des gou­ver­neurs de la Banque asia­tique de déve­lop­pe­ment. Il leur confie que les slo­gans des mani­fes­tants reflètent un mélange de satis­fac­tion et de mécon­ten­te­ment vis-à-vis du Par­ti et du gou­ver­ne­ment et que les sol­li­ci­ta­tions rai­son­nables des étu­diants doivent être satis­faites par le biais de réformes et par divers autres moyens démo­cra­tique et légaux. « Bien que des mani­fes­ta­tions soient encore en train de se dérou­ler à Pékin et dans quelques villes du pays, avoue-t-il, je crois cepen­dant qu’il n’y aura pas de graves émeutes et que les mani­fes­ta­tions vont peu à peu s’a­paise ». Avant de conclure : « Je suis très opti­miste à ce sujet ». Le dis­cours de Zhao Ziyang enté­rine ouver­te­ment la scis­sion qui s’est opé­rée au sein du pou­voir central.

L’é­di­to­rial du Quo­ti­dien du peuple adopte un ton plus conci­liant que celui du 26 avril.

L’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin indique qu’il sera mis fin, dès le len­de­main, au boy­cott des cours mais que les étu­diants n’en per­sis­te­ront pas moins à exi­ger le dialogue.

Ven­dre­di 5 mai – Dans la plu­part des éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment supé­rieur péki­nois, à l’ex­cep­tion de Bei­da et de l’É­cole nor­male supé­rieure, les étu­diants reprennent les cours. L’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin entend pour­suivre le com­bat et obte­nir sa recon­nais­sance : elle décide de main­te­nir la publi­ca­tion de son organe, Xin­wen bao­dao. Elle forme une délé­ga­tion qui sera char­gée de la repré­sen­ter lors du dia­logue avec le gou­ver­ne­ment et arrête les trois points qui devront être débat­tus à cette occa­sion : 1) les pro­blèmes qui sont à l’o­ri­gine du mou­ve­ment étu­diant, celui de l’é­di­to­rial du 26 avril y com­pris ; 2) l’ap­pro­fon­dis­se­ment des réformes (les étu­diants se pro­posent de don­ner là-des­sus des indi­ca­tions au gou­ver­ne­ment); 3) les droits sti­pu­lés par l’ar­ticle 35 de la Consti­tu­tion : com­ment le gou­ver­ne­ment entend, pra­ti­que­ment, les mettre en appli­ca­tion. Les étu­diants sou­haitent éga­le­ment que la ren­contre fasse l’ob­jet d’une retrans­mis­sion télé­vi­sée en direct.

Li Peng déclare que les reven­di­ca­tions étu­diantes et les inten­tions gou­ver­ne­men­tales coïn­cident plus ou moins.

Des spé­cia­listes de droit font savoir qu’ils dési­rent assi­gner en jus­tice le secré­taire du Comi­té muni­ci­pal shan­ghaïen du Par­ti, Jian Zemin, rela­ti­ve­ment à l’af­faire du World Eco­no­mic Herald.

Same­di 6 mai – La délé­ga­tion dési­gnée par l’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin fait cir­cu­ler une péti­tion en faveur du dialogue.

Les étu­diants de Bei­da votent la pour­suite de la grève, bien que leurs cama­rades des autres uni­ver­si­tés soient retour­nés à leurs cours.

Dimanche 7 mai – Le Comi­té cen­tral convoque les étu­diants pour les infor­mer qu’il leur fera savoir le len­de­main si oui ou non il ouvri­ra un dia­logue avec eux.

Le World Eco­no­mic Herald est inter­dit de nou­veau. L’As­so­cia­tion chi­noise pour l’é­tude de l’é­co­no­mie mon­diale déclare illé­gal le limo­geage de Qin Ben­li. Trois cabi­nets d’a­vo­cats, pré­vient-elle, vont tra­duire le Comi­té muni­ci­pal shan­ghaïen du Par­ti devant les tribunaux.

Semaine du 8 au 14 mai

Lun­di 8 mai – Le gou­ver­ne­ment ne se décide tou­jours pas à enta­mer les dis­cus­sions avec les étu­diants. Soixante pour cent des élèves de Bei­da décident de pro­lon­ger leur action. Ils posent cinq condi­tions à son arrêt : 1) que les avis conte­nus dans l’é­di­to­rial du 26 avril soient rec­ti­fiés et que le mou­ve­ment étu­diant fasse l’ob­jet d’une rééva­lua­tion cor­recte ; 2) que les coor­di­na­tions étu­diantes soient léga­le­ment recon­nues ; 3) qu’une enquête soit ouverte sur la spé­cu­la­tion man­da­ri­nale ; 4) que Qin Ben­li soit réha­bi­li­té ; 5) que le règle­ment en dix points de la muni­ci­pa­li­té de Pékin régle­men­tant les mani­fes­ta­tions soit réexa­mi­né. Zhao Ziyang rend hom­mage aux étu­diants qui ont mani­fes­té rai­son­na­ble­ment dans le calme et la dis­ci­pline. Il insiste encore sur cet aspect : les demandes des étu­diants sont conformes aux aspi­ra­tions du Par­ti et du gou­ver­ne­ment. Des jeunes uni­ver­si­taires de Pékin expriment un sou­tien public aux étudiants.

Mar­di 9 mai – Une péti­tion signée par 1.013 jour­na­listes de Pékin (tra­vaillant dans plus de 30 organes de presse dont le Quo­ti­dien du peuple ou l’A­gence Xin­hua) arrive au secré­ta­riat de l’As­so­cia­tion natio­nale des jour­na­listes de Chine. Elle a pour objet l’ou­ver­ture d’un « dia­logue sin­cère et équi­table » avec les res­pon­sables du Par­ti char­gés de la pro­pa­gande. Hu Qili, qui est le prin­ci­pal inté­res­sé, se déclare, au nom du Comi­té cen­tral, prêt à dis­cu­ter avec la presse. Tan­dis que les jour­na­listes remettent leur péti­tion, un mil­lier d’é­tu­diants envi­ron, venus de six uni­ver­si­tés de la ville, se pressent devant l’im­meuble de l’As­so­cia­tion. Ils crient : « Jour­na­listes, n’ayez pas peur ! Sou­te­nons le World Eco­no­mic Herald ! Salut à Qin Ben­li ! » Les étu­diants se diri­ge­ront ensuite vers la place Ti’an’an­men avant de se regrou­per, pour finir, devant le siège du Quo­ti­dien du peuple.

L’U­nion auto­nome des étu­diants de Bei­da invite les étu­diants en grève à mani­fes­ter pour mon­trer leur soli­da­ri­té avec leurs cama­rades des autres uni­ver­si­tés qui ont dû reprendre les cours sous la menace, et pour faire pres­sion sur le gou­ver­ne­ment afin qu’il cesse d’a­ter­moyer, quant au dia­logue avec les étu­diants et quant à celui que les jour­na­listes réclament.

Mer­cre­di 10 mai – Des étu­diants, arri­vant de plus de 10 uni­ver­si­tés, arpentent les artères de la capi­tale pour signi­fier leur soli­da­ri­té aux jour­na­listes qui luttent pour la liber­té de la presse. Ils sont quelques mil­liers, se dépla­çant à bicy­clette, déployant des ban­de­roles et agi­tant des dra­peaux. À 14 h, au pied du minis­tère de la radio, du ciné­ma et de la télé­vi­sion, ils scandent divers slo­gans, dont : « Liber­té de la presse ! » ou « À bas les inter­dic­tions de jour­naux ! » À 15 h, ils se rendent à l’A­gence Xin­hua où ils adressent aux rédac­teurs de toni­truants : « Dites la véri­té ! », et, à 16 h, devant le siège du Dépar­te­ment de pro­pa­gande du Comi­té cen­tral où on les entend dire : « Arrê­tez d’in­ter­dire des jour­naux ! Liber­té de la presse ! »

Plus de 40 écri­vains, deux heures durant, défilent dans la rue. Ils portent des ban­de­roles : « Liber­té de la presse ! Liber­té de créa­tion ! Liber­té de publi­ca­tion ! » Une réunion élar­gie du Bureau poli­tique se tient au cours de laquelle Zhao Ziyang pro­pose que l’é­di­to­rial du 26 avril soit récu­sé (il accepte même d’en­dos­ser, aux yeux de l’o­pi­nion publique, la res­pon­sa­bi­li­té de son inser­tion) et qu’une com­mis­sion d’en­quête sur la spé­cu­la­tion man­da­ri­nale des enfants des hauts cadres (à com­men­cer par ses deux fils à lui) soit consti­tuée à l’i­ni­tia­tive de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale. Il pro­pose éga­le­ment que le mon­tant des reve­nus de tous les cadres d’un rang équi­valent ou supé­rieur à celui de vice-ministre soit ren­du public, ain­si que la valeur du patri­moine de leur paren­tèle. Il sug­gère que la légis­la­tion rela­tive à la presse, aux publi­ca­tions et au droit de mani­fes­ta­tion et d’as­so­cia­tion fasse l’ob­jet d’une pro­cé­dure accé­lé­rée, et il conseille d’ins­ti­tuer une rela­tive démo­cra­ti­sa­tion dans les cam­pus uni­ver­si­taires. Enfin, il sou­met un der­nier avis, que les cadres cor­rom­pus soient sévè­re­ment punis. Mais Li Peng et quelques autres refusent de suivre Zhao Ziyang dans ses projets.

Jeu­di 11 mai – Les étu­diants décident d’or­ga­ni­ser une grande mani­fes­ta­tion le 15 mai — ce jour-là, en effet, Mikhaïl Gor­bat­chev doit débar­quer à Pékin, pour une visite offi­cielle. Ils ont l’in­ten­tion d’in­vi­ter le chef d’É­tat sovié­tique à pro­non­cer un dis­cours dans les locaux de Bei­da. Plus de 500 élèves de l’U­ni­ver­si­té Nan­kai de Tian­jin arrivent à Pékin. Ils ont voya­gé à bicy­clette. Des étu­diants de Fudan (Shan­ghai) font éga­le­ment leur entrée dans la ville.

Le Bureau poli­tique convoque une réunion élar­gie. Le pro­blème étu­diant et sa réso­lu­tion sont à l’ordre du jour. Le bruit va cou­rir que la plu­part de ceux qui y assistent se sont mon­trés favo­rables au dialogue.

Hu Qili reçoit les jour­na­listes du Quo­ti­dien de la jeu­nesse de Chine.

Ven­dre­di 12 mai – le Quo­ti­dien du peuple et le Conseil des affaires d’É­tat lancent des appels à la stabilité.

Un membre du secré­ta­riat du Comi­té cen­tral, Rui Xin­wen, est char­gé de conduire la délé­ga­tion qui doit dia­lo­guer avec les jour­na­listes de la capitale.

Same­di 13 mai – Au cours de l’a­près-midi, 2.000 étu­diants, issus de plus de 10 éta­blis­se­ments, entament une grève de la faim dont ils affirment qu’elle ne s’a­chè­ve­ra qu’à comp­ter du moment où le gou­ver­ne­ment ouvri­ra un vrai dia­logue. Ils se réunissent à l’É­cole nor­male supé­rieure et, sous la direc­tion de Wu’er Kaixi, pré­sident de l’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin, il prennent posi­tion sur la place Tian’an­men. Un « Mani­feste de la grève de la faim » est dif­fu­sé. Une foule de 20.000 per­sonnes entourent les gré­vistes et les encouragent.

Zhao Ziyang engage les étu­diants à gar­der leur sang-froid et à ne pas perdre de vue, puis­qu’un diri­geant poli­tique étran­ger se trouve en Chine, la digni­té et les inté­rêts du pays.

Dimanche 14 mai – Nous sommes au deuxième jour de la grève de la faim. Le pré­sident de la Com­mis­sion d’É­tat pour l’é­du­ca­tion, Li Tieying, et le maire de Pékin, Chen Xitong, se rendent sur la place Tian’an­men. Là, ils pro­mettent qu’un dia­logue va s’ou­vrir et exhortent les étu­diants à rega­gner leurs campus.

Ils sont 20.000 ou 30.000 qui ont pas­sé la nuit autour des gré­vistes de la faim. Les condi­tions cli­ma­tiques n’é­tant pas très clé­mentes (il fait très chaud durant la jour­née et très froid le reste du temps), une dizaine de gré­vistes se sont trou­vés mal. On les dirige vers un hôpital.

Le gou­ver­ne­ment décide d’a­van­cer la date du dia­logue. Il aura lieu le jour même, à 16 h, et non le len­de­main. Yan Ming­fu, membre du secré­ta­riat du Comi­té cen­tral et Li Tieying, pré­sident de la Com­mis­sion d’É­tat pour l’é­du­ca­tion, donc, s’en­tre­tiennent avec Wu’er Kaixi (Ecole nor­male supé­rieure), Wang Dan (Bei­da) et une tren­taine de délé­gués de l’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin. Les étu­diants pro­testent contre les asser­tions conte­nues dans l’é­di­to­rial du 26 avril et demandent qu’elles fassent l’ob­jet d’un démen­ti. Yan Ming­fu recon­naît que le gou­ver­ne­ment porte la res­pon­sa­bi­li­té du retard avec lequel le dia­logue s’ouvre mais il signale que le conte­nu de l’é­di­to­rial ne sau­rait être infir­mé. S’il com­prend les sen­ti­ments patrio­tiques qui animent les étu­diants, affirme-t-il, comme leur désir de pro­mou­voir la démo­cra­tie, il ne leur enjoint pas moins de consi­dé­rer le contexte géné­ral. Bien que déçus et mécon­tents, les étu­diants décident de sus­pendre la mani­fes­ta­tion pré­vue pour le len­de­main. Un dif­fé­rend oppose éga­le­ment les deux par­ties sur le pro­blème de la retrans­mis­sion d’un pro­chain dia­logue, les étu­diants insis­tant pour qu’elle soit réa­li­sée en direct. La dis­cus­sion s’in­ter­rompt à 19 h 15.

La délé­ga­tion étu­diante s’a­che­mine vers la place Tian’an­men. Les étu­diants qui doutent de la sin­cé­ri­té du gou­ver­ne­ment se tournent alors du côté de Li Peng et de Zhao Ziyang pour qu’ils dis­cutent avec eux.

Le bureau de la Sécu­ri­té publique de Pékin avise la popu­la­tion que le 15, la place Tian’an­men sera fer­mée entre 8 h 30 et 20 h 30, visite offi­cielle de Gor­by oblige. On prie ses occu­pant d’é­va­cuer les lieux dès avant 3 h du matin. Mais les étu­diants répliquent qu’ils ne bou­ge­ront pas.

Un groupe de 283 pro­fes­seurs de Bei­da envoient une lettre ouverte au Comi­té cen­tral, à l’As­sem­blée popu­laire natio­nale et au Conseil des affaires d’É­tat. Celle-ci contient trois pro­po­si­tions : 1) qu’un dia­logue s’ouvre le plus vite pos­sible ; 2) que le mou­ve­ment étu­diant soit appré­cié objec­ti­ve­ment ; 3) qu’on prenne en consi­dé­ra­tion la san­té des gré­vistes. Cer­tains pro­fes­seurs menacent de ces­ser le tra­vail si les auto­ri­tés res­tent sourdes aux sou­haits de leurs élèves. Douze intel­lec­tuels célèbres (par­mi les­quels Yan Jia­qi, Wen Yuan­kai, Bao Zun­xin et Yu Hao­cheng) publient « Notre appel d’ur­gence pour la situa­tion actuelle » dans le Guang­ming ribao [clar­té]: le mou­ve­ment étu­diant y est qua­li­fié de mou­ve­ment démo­cra­tique et patriote et on y presse les auto­ri­tés de recon­naître offi­ciel­le­ment l’or­ga­ni­sa­tion étu­diante ; enfin, les signa­taires se déclarent prêts à rejoindre les gré­vistes de la faim dans leur action si le pou­voir affecte de faire la sourde oreille. La décla­ra­tion sera citée éga­le­ment à la télé­vi­sion. Par la suite, les douze intel­lec­tuels créent l’«Association des intel­lec­tuels de la capitale ».

Dans la pro­vince de Hai­nan, Liu Suqing, le pré­fet, s’en­tre­tient avec les étu­diants. Le pré­fet du Jiang­su, Wu Guanz­hen, de son côté, orga­nise un col­loque avec une cen­taine de journalistes.

Une délé­ga­tion de l’U­nion des étu­diants de Hong Kong, for­mée de 12 membres, apporte 140.000 HK$ [140.000 F] à Pékin pour sou­te­nir la grève de la faim.

Semaine du 15 au 21 mai

Lun­di 15 mai – Il sont 3.122 à faire la grève de la faim depuis plus de 50 heures, et 140 d’entre eux ont dû être hospitalisés.

Mal­gré l’a­vis du bureau de la Sécu­ri­té publique de Pékin, les étu­diants occupent tou­jours la place Tian’an­men. Étu­diants, pro­fes­seurs ou cita­dins viennent saluer les gré­vistes. La foule sera grosse, à un moment, de 800.000 per­sonnes. À 14 h, des intel­lec­tuels célèbres (Yan Jia­qi, Dai Qing, Bao Zun­xin) et des jour­na­listes ou des cher­cheurs de l’A­ca­dé­mie des sciences sociales de Chine, appa­raissent sur la place. La police s’es­cri­me­ra toute la jour­née, mais en vain, à bar­rer les issues de Tian’anmen.

Plus de 30 intel­lec­tuels publient une « Décla­ra­tion du 16 mai » (la date a été choi­sie par réfé­rence à la « Cir­cu­laire du 16 mai » [1966] qui a mar­qué le coup d’en­voi de la « Révo­lu­tion cultu­relle »). Par­mi les signa­taires, on relève les noms de Liu Zai­fu et de Dai Qing.

De 9 h à midi, Li Tieying et Yan Ming­fu par­le­mentent avec des délé­gués étu­diants. Aux yeux de Li Tieying, le mou­ve­ment étu­diant résulte des contra­dic­tions qui agitent la poli­tique des réformes. Quant à Yan Ming­fu, s’il donne acte aux étu­diants de leur patrio­tisme, il juge que leur atti­tude porte atteinte à la digni­té de la nation, et il les invite à ren­trer à la maison.

La céré­mo­nie de bien­ve­nue à Gor­bat­chev, qui devait se dérou­ler sur la place Tian’an­men, s’im­pro­vise sur l’aé­ro­port de Pékin. Yang Shang­kun le confie à son hôte : on ne doit pas accé­lé­rer le cours des réformes.

Une ving­taine d’é­tu­diants de Hong Kong entament un grève de la faim devant les locaux de l’A­gence Xin­hua. Plus de 80 étu­diants les encou­ragent, fai­sant un sit-in près d’eux. Un mani­feste cir­cule déplo­rant l’at­ti­tude des diri­geants chi­nois, qui refusent le dialogue.

Mar­di 16 mai – Qua­trième jour de la grève de la faim. Le total cumu­lé de ceux qui ont dû être hos­pi­ta­li­sés atteint le nombre de 600. Les gré­vistes réaf­firment leur inten­tion et clament qu’ils iront jus­qu’au bout de leur action, tan­dis que 10 d’entre eux, des élèves de l’É­cole cen­trale d’art dra­ma­tique, annoncent que désor­mais ils s’abs­tien­dront aus­si de boire. Une soixan­taine d’é­tu­diants qui avaient dû être diri­gés vers un hôpi­tal en res­sortent et recom­mencent à jeû­ner. Par­mi les gré­vistes, on découvre des pro­fes­seurs d’u­ni­ver­si­té et des ouvriers. Le mou­ve­ment a recueilli le sou­tien de citoyens de tous les milieux. Les élèves des lycées n° 2, n° 9 et n° 107 déploient une ban­de­role pour encou­ra­ger leurs aînés : « Si vous tom­bez, nous pren­drons la relève ! » Quelques cen­taines de jour­na­listes du Quo­ti­dien du peuple défilent der­rière un cali­cot sur lequel s’ins­crit cette phrase : « Nous nous oppo­sons à l’é­di­to­rial du 26 avril ! » et ils crient : « le Quo­ti­dien du peuple appar­tient au peuple ! » Les ouvriers de dif­fé­rentes usines de Pékin se rendent sur la place Tian’an­men. Des pro­fes­seurs de l’en­sei­gne­ment secon­daire affluent de toutes les pro­vinces vers la capi­tale. On entend cla­mer : « Finis­sons-en avec la poli­tique des vieillards ! »

Sur la place, plu­sieurs cen­taines de mil­liers de cita­dins encou­ragent les gré­vistes. Des délé­ga­tions des syn­di­cats, des asso­cia­tions d’in­tel­lec­tuels, des fonc­tion­naires des minis­tères et même des « par­tis démo­cra­tiques » [orga­ni­sa­tions offi­cielles] viennent appor­ter leur soutien.

Yan Ming­fu rend visite aux gré­vistes. Il a com­pris les reven­di­ca­tions des étu­diants, assure-t-il, et les a trans­mises à qui de droit. Il adjure les étu­diants de s’ar­mer de patience et recom­mande aux gré­vistes de veiller à leur san­té. Enfin, il pro­pose de se livrer comme otage. Mais les étu­diants déclinent son offre.

Zhao Ziyang reçoit Gor­bat­chev et lui fait la confes­sion sui­vante : « Sur les pro­blèmes très impor­tants, nous avons encore besoin du cama­rade Deng Xiao­ping pour tenir le gou­ver­nail. Depuis le XIIIe Congrès natio­nal du Par­ti, nous avons tou­jours mis au cou­rant le cama­rade Deng Xiao­ping des plus impor­tants pro­blèmes et nous avons tou­jours deman­dé ses conseils. » Au cours de l’a­près-midi, Li Peng ren­contre à son tour le chef d’É­tat soviétique.

Des infor­ma­tions filtrent sur l’in­ter­ven­tion faite par Zhao Ziyang au cours de la séance du Comi­té per­ma­nent du Bureau poli­tique du 10 mai.

Le Comi­té per­ma­nent du Bureau poli­tique se réunit, en pré­sence de Deng Xiao­ping. Le Sichua­nais est déter­mi­né à oppo­ser aux étu­diants une atti­tude de fer­me­té. Zhao Ziyang s’a­voue inca­pable de tenir le rôle qu’on veut lui faire jouer. Une réunion élar­gie de la Com­mis­sion mili­taire cen­trale est convo­quée. Yang Shang­kun trans­met les direc­tives arrê­tées par Deng Xiao­ping : l’ar­mée doit se tenir prête à intervenir.

Les pré­si­dents de dix uni­ver­si­tés péki­noises (dont Bei­da, Qing­hua, l’É­cole nor­male supé­rieure, Ben­da, l’Ins­ti­tut des sciences poli­tique et de droit) font une décla­ra­tion com­mune : « La grève de la faim des étu­diants a atteint un seuil cri­tique. Seul un dia­logue d’é­gal à égal avec le gou­ver­ne­ment est à même de déblo­quer la situa­tion. » Des pro­fes­seurs créent des comi­tés de sou­tien à leurs élèves. Les ensei­gnants de Bei­da débrayent et une par­tie d’entre eux partent se mêler aux étu­diants sur la place Tian’anmen.

Le mou­ve­ment étu­diant a désor­mais gagné l’en­semble du ter­ri­toire chi­nois, Hong Kong y com­pris. À Shan­ghai, dans le Zhe­jiang, dans le Hubei, à Hai­nan, dans le Jiang­su ou le Sichuan, par­tout, les étu­diants assiègent les bâti­ments des gou­ver­ne­ments locaux en signe de soli­da­ri­té avec leurs cama­rades de la capi­tale. Les gré­vistes de la faim de Hong Kong font savoir qu’ils n’in­ter­rom­pront pas leur action avant les gré­vistes de Pékin.

Le Comi­té cen­tral du Guo­min­dang [Par­ti natio­na­liste, Tai­wan] rend publique une décla­ra­tion de sou­tien aux étu­diants du continent.

Mer­cre­di 17 mai – Tôt dans la mati­née, à 2 h, Zhao Ziyang adresse, au nom du Comi­té per­ma­nent du Bureau poli­tique, un mes­sage écrit aux étu­diants. Il recon­naît expli­ci­te­ment le patrio­tisme dont font preuve les étu­diants dans leur mou­ve­ment pour la démo­cra­tie, leur lutte pour la léga­li­té et leur com­bat contre la cor­rup­tion. Mais il leur demande éga­le­ment de gar­der sang-froid, rai­son et rete­nue, de res­pec­ter l’ordre et de ne pas perdre de vue l’in­té­rêt natio­nal qui est de sau­ve­gar­der la situa­tion actuelle de sta­bi­li­té et d’u­ni­té. Enfin, il leur conseille de mettre un terme à leur grève de la faim et de ména­ger leur san­té. Le dia­logue, sou­ligne-t-il, se pour­sui­vra à dif­fé­rents niveaux et par de mul­tiples canaux.

La grève de la faim arrive à son cin­quième jour. Plus de 2.000 gré­vistes ont été hos­pi­ta­li­sés dont 6 dans un état cri­tique. La plu­part des gré­vistes n’ont rien ava­lé depuis plus de cent heures. Les méde­cins pré­viennent : la vie des jeunes gens est menacée.

Plus de deux mil­lions de per­sonnes mani­festent, pour mar­quer leur soli­da­ri­té avec les étu­diants. Ils demandent à Li Peng et à Deng Xiao­ping de quit­ter la scène. Le cor­tège se com­pose d’ou­vriers, de pay­sans ou d’in­tel­lec­tuels mais aus­si d’un mil­lier de sol­dats de l’Ar­mée popu­laire de libé­ra­tion dont le slo­gan est : « Le peuple et l’ar­mée n’ont qu’un seul cœur ! »

Un mil­lier d’é­tu­diants se sont ren­dus de bonne heure à Xin­hua­men. Ils crient : « Li Peng sors ! Li Peng démission ! »

Fei Xiao­tong, socio­logue, vice-pré­sident du Comi­té per­ma­nent de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale et pré­sident de l’As­so­cia­tion chi­noise pour la démo­cra­tie (une des orga­ni­sa­tions appe­lées impro­pre­ment « par­ti démo­cra­tique »), fait savoir qu’il a sol­li­ci­té la tenue d’une réunion extra­or­di­naire du Comi­té per­ma­nent de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale mais que sa requête a été rejetée.

Dans tout le pays, des mani­fes­ta­tions ont lieu.

Des intel­lec­tuels dis­tri­buent une « Décla­ra­tion du 17 mai » : « À cause de la main­mise d’un pou­voir abso­lu, le gou­ver­ne­ment a per­du le sens de ses devoirs et des sen­ti­ments humains nor­maux ». Bien que « la dynas­tie des Qing ait dis­pa­ru depuis soixante-seize ans, il existe encore en Chine un empe­reur qui n’en porte pas le titre, un abso­lu­tiste orgueilleux et sénile ». Des écri­vains, comme Ba Jin ou Qian Zhong­shu, lancent un appel urgent. Ils demandent aux res­pon­sables d’ou­vrir immé­dia­te­ment le dia­logue avec la jeu­nesse des écoles.

Le Comi­té cen­tral de la Ligue de la jeu­nesse com­mu­niste, l’As­so­cia­tion natio­nale des jeunes, le Syn­di­cat natio­nal des étu­diants, l’U­nion des écri­vains et des artistes et l’U­nion natio­nale des femmes lancent des appels en faveur des étu­diants ou des mes­sages de sympathie.

Les étu­diants chi­nois qui pour­suivent leurs études à l’é­tran­ger, notam­ment ceux qui séjournent aux États-Unis, com­mencent à publier des lettres ouvertes à Li Peng ou à Zhao Ziyang où ils s’af­firment soli­daires de leurs cama­rades res­tés au pays.

À Hong Kong et à Macao, ras­sem­ble­ments et manifestations.

Jeu­di 18 mai – À 5 h du matin, Zhao Ziyang, Li Peng, Qiao Shi et Hu Qili vont rendre visite, à l’hô­pi­tal, aux gré­vistes qu’on soigne. Ceux-ci expliquent aux diri­geants chi­nois le sens de leur action : il n’entre pas dans leur inten­tion de ren­ver­ser le Par­ti com­mu­niste, et les seuls objec­tifs que les étu­diants pour­suivent consistent à aider le Par­ti et le gou­ver­ne­ment à en finir promp­te­ment avec la cor­rup­tion et à accé­lé­rer la réforme poli­tique. Zhao Ziyang et Li Peng disent qu’il s’a­git là des objec­tifs qu’eux-mêmes se sont assignés.

Entre 11 h et midi, Li Peng, Yuan Ming­fu et Li Tieying ren­contrent les repré­sen­tants des étu­diants en grève : Wu’er Kaixi, Wang Dan et une dizaine d’autres délé­gués. Des images de la ren­contre (les deux par­ties s’ac­cor­de­ront à la fin de l’en­tre­tien pour recon­naître qu’il ne s’a­git en aucune façon d’un dia­logue) seront retrans­mises, en dif­fé­ré, à la télé­vi­sion. Li Peng com­mence ain­si : « Je suis content de vous voir. Aujourd’­hui nous n’al­lons par­ler que d’une chose : com­ment libé­rer de leur enga­ge­ment les étu­diants qui font la grève de la faim ». Wu’er Kaixi réplique : «… Nous devons entrer dans le vif du sujet aus­si vite que pos­sible. Vous venez de dire que nous n’al­lons dis­cu­ter que d’une seule chose, mais en fait ce n’est pas vous qui nous avez invi­tés ici, ce sont plu­tôt tous les gens qui sont sur la place Tian’an­men qui vous ont deman­dé de sor­tir pour par­ler avec nous. Donc en ce qui concerne le nombre de ques­tions que nous avons à dis­cu­ter, c’est à nous de le déci­der…» Wu’er Kaixi et Wang Dan mettent en demeure Li Peng d’ap­por­ter une réponse aux deux exi­gences que for­mule la place Tian’an­men : 1) réha­bi­li­ta­tion du mou­ve­ment étu­diant et dénon­cia­tion de l’é­di­to­rial du 26 avril ; 2) ouver­ture dans les meilleurs délais d’un dia­logue qui sera retrans­mis en direct à la télé­vi­sion. Li Peng lou­voie. Il faut avant toute chose, explique-t-il, sau­ver la vie des gré­vistes de la faim. Enfin, il souffle : «… jamais le gou­ver­ne­ment ni le Comi­té cen­tral du Par­ti n’ont dit que les étu­diants avaient pro­vo­qué le désordre. Nous avons tou­jours recon­nu l’en­thou­siasme patrio­tique des étu­diants et que beau­coup de choses que vous avez faites étaient justes. »

Les gré­vistes entrent dans leur sixième jour­née de jeûne. Ceux qui refusent aus­si de boire sont une tren­taine. Les étu­diants de l’É­cole cen­trale d’art dra­ma­tique n’ab­sorbent ni ali­ments ni bois­son depuis 59 heures. Une par­tie d’entre eux ont atteint un état cri­tique : selon le diag­nos­tic des méde­cins, ils en conser­ve­ront à jamais les séquelles. Un secours d’ur­gence est orga­ni­sé. À l’i­ni­tia­tive de la Croix-Rouge de Pékin, la Socié­té d’au­to­bus de la capi­tale prête 70 véhi­cules. On les gare place Tian’an­men pour que les gré­vistes puissent s’y abriter.

Les ouvriers, les étu­diants et autres cita­dins de Pékin — plus de deux mil­lions d’in­di­vi­dus — mani­festent sous la pluie. On aper­çoit notam­ment dans le cor­tège les métal­los de la capi­tale et trois camions de poli­ciers en tenue.

La Fédé­ra­tion natio­nale des syn­di­cats de Chine, orga­ni­sa­tion offi­cielle, fait don de 100.000 yuans [envi­ron 150.000F aux étu­diants, indique qu’elle apporte son sou­tien aux jeunes gens et signale que la pro­duc­tion de nom­breuses usines est affec­tée par le mouvement.

Des offi­ciers de l’ar­mée adressent une lettre ouverte de sou­tien aux étu­diants. Le pré­sident et le vice-pré­sident de l’U­ni­ver­si­té de Shenz­hen ain­si que les membres du Par­ti de l’U­ni­ver­si­té expé­dient un télé­gramme à Zhao Ziyang. En voi­ci la sub­stance : il y a encore un timo­nier qui se tient au-des­sus du Par­ti en contra­ven­tion avec les sta­tuts de l’or­ga­ni­sa­tion ; le Bureau poli­tique doit se confor­mer aux sta­tuts. Et ils lancent, sur ce thème, une péti­tion qui recueille­ra plus de 20.000 signatures.

Un groupe de 12 membres du Comi­té per­ma­nent de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale, ain­si que 11 membres de la Confé­rence consul­ta­tive du peuple chi­nois, insistent auprès du gou­ver­ne­ment pour qu’une réunion extra­or­di­naire soit convo­quée en vue de régler le pro­blème étu­diant et que le dia­logue soit ouvert. Les intel­lec­tuels forment un comi­té de sou­tien aux étudiants.

Dans presque toutes les villes du pays, on mani­feste. À Shenz­hen, on apprend la nais­sance de l’U­nion auto­nome des étu­diants de Shenz­hen. Une cen­taine d’é­tu­diants entament une grève de la faim.

Ven­dre­di 19 mai – À 4 h 45, le matin, Zhao Ziyang et Li Peng viennent rendre visite aux gré­vistes sur la place Tian’an­men. Très ému, des larmes dans les yeux, Zhao Ziyang parle : « Nous sommes vieux, nous ne comp­tons plus beau­coup. Mais vous, les jeunes, vous avez encore un long che­min à faire. Aus­si devez-vous prendre bien soin de vous. Il va finir par y avoir une solu­tion à ces pro­blèmes. Mais si vous atten­dez trop, ce sera trop tard. » Li Peng, lui, se mure dans un silence discret.

À 21 h, les étu­diants annoncent qu’ils mettent un terme à la grève de la faim mais qu’ils pour­suivent leur mou­ve­ment sous la forme d’un sit-in. Le bruit cir­cule que Zhao Ziyang est inter­ve­nu le matin de son propre chef et qu’il n’a­vait pas l’a­val de Deng Xiaoping.

Zhao Ziyang démis­sionne de ses fonc­tions. On dit qu’il n’est pas d’ac­cord avec le reste des diri­geants chi­nois. Le Bureau poli­tique se serait réuni à dix-sept, plus Deng Xiao­ping, et à seize voix contre deux il aurait été déci­dé de main­te­nir le ver­dict por­té le 26 avril à l’en­contre du mou­ve­ment étudiant.

Deng Xiao­ping quitte Pékin pour Wuhan. Là, il ren­contre, à l’oc­ca­sion d’une réunion élar­gie, les com­man­dants de régions mili­taires. Le but de la réunion consiste à éta­blir un quar­tier géné­ral mili­taire de secours au cas où le quar­tier géné­ral de Pékin ne pour­rait, pour une rai­son ou pour une autre, fonctionner.

L’U­nion auto­nome des ouvriers de Pékin est fon­dée. Elle annonce qu’elle sou­tient les étu­diants en lutte pour la démocratie.

Le Hua­sheng bao [la voix des Chi­nois] repro­duit dans ses colonnes une décla­ra­tion signée par plus d’un mil­lier d’in­tel­lec­tuels, dont le vété­ran des lettres, Ba Jin, qui qua­li­fie le mou­ve­ment étu­diant de patriote et de démo­cra­tique et qui dit lui appor­ter son soutien.

Une « Décla­ra­tion en six points sur la situa­tion actuelle », au nom de l’Ins­ti­tut de recherche sur la réforme du sys­tème éco­no­mique, de l’Ins­ti­tut de déve­lop­pe­ment du Centre de recherche sur l’a­gri­cul­ture rele­vant du Conseil des affaires d’É­tat, de l’Ins­ti­tut de recherches sur les pro­blèmes inter­na­tio­naux rele­vant de la Com­pa­gnie d’in­ves­tis­se­ments et de cré­dit inter­na­tio­naux, et de l’As­so­cia­tion des jeunes éco­no­mistes de Pékin, est dif­fu­sée sur la place Tian’an­men : on y exige de « rendre publics les comptes ren­dus des dis­cus­sions et la diver­gence des opi­nions au sein de la par­tie diri­geante lors de la prise de déci­sion », de « convo­quer une réunion extra­or­di­naire de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale » et « une ses­sion extra­or­di­naire du congrès du Par­ti com­mu­niste» ; on y conseille aus­si aux étu­diants de « ces­ser le plus tôt pos­sible leur grève de la faim » car, laisse-t-on entendre, le gou­ver­ne­ment s’ap­prête à « prendre des mesures extrêmes ».

Un faux « numé­ro spé­cial du Quo­ti­dien du peuple » cir­cule sur la place qui appelle les masses « à pas­ser immé­dia­te­ment à l’ac­tion pour mener une lutte dont l’en­jeu est la vie ou la mort ».

Les slo­gans des mani­fes­tants, main­te­nant, se concentrent sur Deng Xiao­ping et Li Peng.

Des troupes de pro­vince arrivent aux alen­tours de la capi­tale : véhi­cules blin­dés ou tanks. Les ban­lieu­sards et des étu­diants stoppent leur avancée.

Par­tout, en Chine, des mani­fes­ta­tions se pro­duisent. Celle de Shan­ghai ras­semble un mil­lion de participants.

Same­di 20 mai – Li Peng réclame des mesures réso­lues et mus­clées pour mettre fin au chaos et réta­blir l’ordre. Le 19 mai au soir, les cadres des organes cen­traux et organes de la muni­ci­pa­li­té de Pékin — organes du Par­ti, du gou­ver­ne­ment et de l’ar­mée — se réunissent sous l’é­gide du Comi­té cen­tral et du Conseil des affaires d’É­tat. À 0 h 30, Li Peng pro­nonce un dis­cours : « Il est deve­nu de plus en plus clair que la poi­gnée de gens qui essaient de sus­ci­ter le désordre veulent atteindre ain­si leurs objec­tifs poli­tiques — qui sont le rejet de la direc­tion du Par­ti com­mu­niste et du sys­tème socia­liste, et la vio­la­tion de la Consti­tu­tion —, objec­tifs qu’il leur serait impos­sible d’at­teindre par des voies démo­cra­tiques et légales. Ils concentrent leurs attaques sur le cama­rade Deng Xiao­ping […] Ils sus­citent des troubles par­tout, éta­blissent des liens secrets, créent des orga­ni­sa­tions illé­gales et veulent for­cer le Par­ti et le gou­ver­ne­ment à les recon­naître. En agis­sant ain­si, ils essaient de poser les bases néces­saires pour faire naître des fac­tions et des par­tis d’op­po­si­tion en Chine. » Et il prie les gré­vistes de la faim d’in­ter­rompre leur action, les étu­diants de retour­ner en classe et les tra­vailleurs de res­pec­ter la dis­ci­pline de travail.

Yang Shang­kun inter­vient à son tour. Il abonde dans le sens de Li Peng et déclare que pour main­te­nir l’ordre public dans la capi­tale les auto­ri­tés n’ont pas d’autre choix que d’y envoyer des troupes.

Les étu­diants avaient déci­dé de mettre un terme à la grève de la faim et de pour­suivre l’ac­tion sous la forme d’un sit-in per­ma­nent. Mais les cir­cons­tances ont chan­gé. L’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin ras­semble ses repré­sen­tants. À l’is­sue de la réunion, il est annon­cé que 200.000 étu­diants enta­me­ront une grève de la faim à comp­ter de 1 h 40, en signe de pro­tes­ta­tion. Des salves d’ap­plau­dis­se­ments accueillent la nou­velle. On agite les dra­peaux et on chante l’In­ter­na­tio­nale. Des cris s’é­lèvent : « Vive le peuple ! Vive la liber­té ! » Les diri­geants étu­diants ne se lassent pas de faire cette recom­man­da­tion : « Si on vous inju­rie, ne répli­quez pas ; si on vous frappe, ne ripos­tez pas. » La popu­la­tion enva­hit les rues pour blo­quer les véhi­cules militaires.

Li Peng annonce la pro­cla­ma­tion de la loi mar­tiale : celle-ci entre en vigueur à par­tir de 10 h dans cer­tains quar­tiers de la capi­tale, dont, bien sûr, la place Tian’an­men. Désor­mais, les mani­fes­ta­tions seront inter­dites, de même que le boy­cott des cours, les grèves et les péti­tions. En outre, les infor­ma­tions seront blo­quées. C’est Chen Xitong, le maire de Pékin, qui signe le texte.

Des véhi­cules blin­dés et des tanks avancent sur la place Tian’an­men. La popu­la­tion se met sur le pas­sage et bloque les artères de la ville avec des auto­bus. Les gens crient : « L’ar­mée du peuple ne frappe pas le peuple ! » Dans la ban­lieue ouest de Pékin, 100 camions de l’Ar­mée popu­laire de libé­ra­tion, 4.000 sol­dats, sont arrê­tés. Au nord-ouest, 30 camions sont encer­clés par la population.

Le bruit court que les mili­taires ne savent rien de ce qui se passe : on leur aurait inter­dit de regar­der la télé­vi­sion, d’é­cou­ter la radio ou de par­cou­rir la presse, et il n’au­raient rien lu d’autre que le Quo­ti­dien du peuple du 26 avril. Il igno­re­raient éga­le­ment tout de leur mission.

Vers 5 h, l’U­nion auto­nome des ouvriers de Pékin appelle à une grève géné­rale illi­mi­tée des tra­vailleurs de Pékin (l’ap­pel ne s’é­tend pas aux employés des sec­teurs de l’élec­tri­ci­té, de l’eau et du gaz, ni à ceux des postes et télé­com­mu­ni­ca­tions) qui ne ces­se­ra qu’a­près le départ des troupes.

Les étu­diants adressent un télé­gramme à Wan Li, le Pré­sident du Comi­té per­ma­nent de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale, pour qu’il rentre immé­dia­te­ment (Wan Li se trouve alors en voyage au Cana­da) et réunisse une ses­sion extra­or­di­naire de l’As­sem­blée popu­laire nationale.

L’Ar­mée popu­laire de libé­ra­tion contrôle tous les média : télé­vi­sion, radio et organes centraux.

L’aube se lève et la popu­la­tion de Pékin com­mence à défi­ler avec des ban­de­roles : « Le gou­ver­ne­ment s’est alié­né le peuple ! Ouvriers-pay­sans-sol­dats-étu­diants-com­mer­çants, tous unis dans la résis­tance ! Démo­cra­tie, liber­té, non au contrôle de l’ar­mée, à bas la dic­ta­ture ! » On entend crier : « À bas Deng Xiao­ping ! À bas Li Peng ! » Une ving­taine de juges ou de poli­ciers appar­te­nant au Centre de for­ma­tion supé­rieur de la magis­tra­ture de Chine se sont mêlés à la foule et mani­festent eux aussi.

Dans la plu­part des grandes villes chi­noises, des attrou­pe­ment ont lieu : Shan­ghai, Xi’an, Cheng­du, Har­bin, Can­ton. À Hong Kong et à Tai­wan, il en va de même. Les habi­tants de Macao et la com­mu­nau­té chi­noise des États-Unis, d’An­gle­terre ou du Cana­da, font écho.

Des comi­tés pro­vin­ciaux du Par­ti et des gou­ver­ne­ments pro­vin­ciaux affluent, vers le Comi­té cen­tral, des pro­cla­ma­tions de sou­tien à Li Peng et à Yang Shangkun.

Dimanche 21 mai – La rumeur veut que sept vété­rans de l’ar­mée, des héros de la « Longue Marche », par­mi les­quels l’an­cien ministre de la Défense, Zhang Aiping et le maré­chal Nie Rongz­hen, aient écrit à Deng Xiao­ping et à l’é­tat-major des forces de l’Ar­mée popu­laire de libé­ra­tion char­gées d’im­po­ser la loi mar­tiale pour signi­fier que l’Ar­mée popu­laire de libé­ra­tion appar­te­nant au peuple, elle ne sau­rait s’op­po­ser à lui, et ne devait pas entrer dans la capitale.

On entend dire aus­si que Zhao Ziyang serait assi­gné à rési­dence. Il n’au­rait pas par­ti­ci­pé à la réunion du 19 mai et l’A­gence Xin­hua a annon­cé qu’il était malade. Une cin­quan­taine de tanks, sta­tion­nés à 50 km de la capi­tale, font marche sur Pékin. Il est 3 h du matin et 14 camions mili­taires ont été inter­cep­tés par la popu­la­tion à 14 km : leurs occu­pants ten­te­ront, ensuite, de gagner la place Tian’an­men en emprun­tant le métro. Plus d’un mil­lion de Péki­nois encerclent la place Tian’an­men et en contrôlent les issues. Quelque 20.000 ouvriers et des étu­diants, des étu­diants pro­vin­ciaux pour la plu­part, fondent le groupe des « brave-la-mort » leur but : assu­rer la pro­tec­tion des étu­diants qui font un sit-in sur la place.

Sur la place Tian’an­men, les étu­diants décident de mener la lutte jus­qu’au bout. Le bruit court selon lequel l’ar­mée s’ap­prê­te­rait à inter­ve­nir. L’ex­ci­ta­tion règne. Les étu­diants rem­plissent des réci­pients d’eau et pré­parent des chif­fons : ils comptent confec­tion­ner des masques pour se pro­té­ger des gaz lacry­mo­gènes. Les diri­geants étu­diants recom­mandent à leurs troupes de ne pas répondre aux provocations.

Les étu­diants lancent un « Avis au peuple de tout le pays » où ils conjurent l’As­sem­blée popu­laire natio­nale de favo­ri­ser le dialogue.

De l’é­tat-major des forces de l’Ar­mée popu­laire de libé­ra­tion char­gées d’im­po­ser la loi mar­tiale émane un « Avis à la popu­la­tion de Pékin ». L’ar­mée, y lit-on, ne s’op­po­se­ra pas aux étu­diants patriotes : elle a pour objec­tif de réta­blir l’ordre dans la capitale.

Des héli­co­ptères lâchent des tracts sur la place Tian’an­men qui repro­duisent le dis­cours de Li Peng.

L’a­gence Zhongxin men­tionne, pour la pre­mière fois, la situa­tion dans les rues de la capi­tale depuis la décla­ra­tion de la loi mar­tiale. Elle indique qu’au­cun inci­dent n’est à déplo­rer, qu’on n’a consta­té ni vio­lences, ni bris, ni pillages, et que les appro­vi­sion­ne­ments sont normaux.

Yan Jia­qi et une quin­zaine d’in­tel­lec­tuels publient un « Mani­feste pour la défense de la Consti­tu­tion » qui se pro­nonce pour une réunion extra­or­di­naire immé­diate de l’As­sem­blée popu­laire nationale.

Cinq savants envoient un télé­gramme à Wan Li pour qu’il revienne sans tar­der en Chine, par­mi les­quels Yan Jia­qi, Bao Zun­xin et Su Xiaokang.

Les com­mu­ni­ca­tions par satel­lites sont inter­rom­pues. À comp­ter de 11 h, les agences de presse étran­gères ne peuvent plus dif­fu­ser d’i­mages en direct. Les com­mu­ni­ca­tions télé­pho­niques à longue dis­tance sont cou­pées pour un moment et les « com­mu­ni­ca­tions sans fil » sont en dérangement.

En pro­vince, des mani­fes­ta­tions ont éga­le­ment lieu : Xi’an, Nan­kin, Shan­ghai, Can­ton, Chang­sha, etc. Des défi­lés sont orga­ni­sés dans plu­sieurs capi­tales étran­gères, asso­ciant Chi­nois et autoch­tones : aux États-Unis, au Dane­mark, en Suède, en France, au Japon, etc. À Hong Kong, une mani­fes­ta­tion réunit plus d’un mil­lion de per­sonnes et un « Comi­té des habi­tants de Hong Kong pour le sou­tien des acti­vi­tés démo­cra­tiques et patrio­tiques à Pékin » est constitué.

Semaine du 22 au 28 mai

Lun­di 22 mai – Le Comi­té cen­tral et le Conseil des affaires d’É­tat somment les diri­geants locaux, qui ne l’ont pas déjà fait, de prendre posi­tion publi­que­ment sur le dis­cours de Li Peng avant midi.

Les troupes de l’Ar­mée popu­laire de libé­ra­tion, 100.000 hommes, entourent Pékin. Ils arrivent de She­nyang, de Jinan, de Cheng­du ou de Pékin, prin­ci­pa­le­ment. La popu­la­tion tente d’en­tra­ver leur marche, mais les mili­taires gagnent les abords de la place Tian’anmen.

En ban­lieue, deux inci­dents éclatent entre civils et mili­taires, fai­sant des bles­sés. Deng Ying­chao, la veuve de Zhou Enlai, exhorte les étu­diants à reprendre le che­min des écoles.

On mur­mure que des vété­rans de l’ar­mée, dont Zhang Aiping ou le maré­chal Xu Xiang­qian, seraient inter­ve­nus auprès de Deng Xiao­ping pour qu’il ne fasse pas don­ner les armes contre le mou­ve­ment étu­diant. On pré­tend aus­si que plus de 100 vété­rans du Par­ti com­mu­niste auraient écrit au Comi­té cen­tral pour condam­ner toute inter­ven­tion de l’ar­mée et son entrée dans la capitale.

À 3 h du matin, Wu’er Kaixi, convain­cu qu’une inter­ven­tion de l’ar­mée menace, invite ses cama­rades à quit­ter la place Tian’an­men et à battre en retraite vers le quar­tier des ambas­sades. Puis il perd connais­sance. Le dis­cours du diri­geant étu­diant pro­voque des remous. L’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin décide de démettre son pré­sident de ses fonctions.

À 18 h, Wang Dan et une foule de 200.000 per­sonnes, étu­diants et pro­fes­seurs, prêtent ser­ment : « Même si nous y lais­sons notre tête, même si notre sang coule, nous n’a­ban­don­ne­rons pas la liber­té et la démo­cra­tie. Par notre vie et par notre sang, nous allons éveiller de beaux len­de­mains pour la République. »

Des délé­ga­tions d’é­tu­diants de pro­vince conti­nuent de se rendre à Pékin. À ce jour, on en compte 319.

Le gou­ver­ne­ment dément les inten­tions qu’on lui prête : il ne se pré­pare pas à user de la vio­lence pour net­toyer Tian’an­men comme on le pré­tend. Il dément aus­si avoir libé­ré de la place dans ses pri­sons. La télé­vi­sion cen­trale exhibe Nie Rongz­hen et Xu Xiang­qian : les deux vieux mili­taires nient avoir envoyé une lettre à Deng Xiaoping.

L’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin apos­trophe la popu­la­tion par un « Avis au peuple de tout le pays. » Quatre repré­sen­tants de l’or­ga­ni­sa­tion étu­diante trans­mettent le texte au bureau de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale. Il est deman­dé, une fois encore, qu’une réunion extra­or­di­naire de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale se tienne. Une « Lettre ouverte au cama­rade Deng Xiao­ping » cir­cule, à l’i­ni­tia­tive des étudiants.

L’U­nion auto­nome des ouvriers de Pékin s’ap­prête à lan­cer un appel à la grève générale.

Dix intel­lec­tuels, par­mi les­quels Yan Jia­qi, Su Xiao­kang et Bao Zun­xin, jurent, dans un « Ser­ment de nos milieux intel­lec­tuels », de sou­te­nir le mou­ve­ment étu­diant et de refu­ser la domi­na­tion auto­cra­tique du Par­ti communiste.

Plus de 10.000 intel­lec­tuels mani­festent, au mépris de l’in­ter­dic­tion, aux cris de : « Li Peng va-t-en ! Non à la loi mar­tiale et au contrôle de l’ar­mée ! » On aper­çoit l’é­cri­vain Dai Qing.

La nou­velle tombe que Wan Li ne modi­fie­ra pas son pro­gramme de voyage et qu’il se ren­dra, comme pré­vu, aux États-Unis pour y séjour­ner onze jours. À pro­pos du mou­ve­ment étu­diant Wan Li déclare qu’il faut pro­té­ger les étu­diants patriotes mais qu’il faut aus­si main­te­nir la sta­bi­li­té du pays.

Des mani­fes­ta­tions ont lieu dans toutes les grandes villes du pays, ain­si qu’à Macao.

Mar­di 23 mai – Trois jeunes gens aspergent le por­trait géant de Mao qui se trouve sur la « porte céleste » de la Cité inter­dite avec de la pein­ture rouge, blanche, jaune et noire, et lancent des­sus des œufs. Les entar­teurs — un ins­ti­tu­teur, un jour­na­liste et un ouvrier — sont aus­si­tôt cap­tu­rés par les étu­diants, inter­ro­gés deux heures durant puis livrés à la police. Sous le por­trait du Grand Timo­nier, les étu­diants tendent une ban­de­role sur laquelle s’ins­crit, libel­lée en chi­nois et en anglais, cette phrase : « Ce ne sont pas les étu­diants qui ont fait cela. » On chu­chote que les par­ti­sans de Li Peng seraient en train d’é­ta­blir les « maté­riaux noirs » de Zhao Ziyang et de poin­ter les erreurs com­mises par le diri­geant déchu. Des membres de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale per­sistent à exi­ger la tenue d’une réunion extra­or­di­naire. Ils sont main­te­nant plus de qua­rante, et il ne manque plus que 30 autres signa­tures pour que leur requête puisse être pré­sen­tée officiellement.

Deng Ying­chao, la veuve de Zhou Enlai, dément avoir eu l’in­ten­tion de quit­ter le Par­ti communiste.

Une décla­ra­tion du gou­ver­ne­ment muni­ci­pal de Pékin et de l’É­tat-major des forces armées char­gées d’im­po­ser la loi mar­tiale cir­cule qui se pro­nonce pour le réta­blis­se­ment de l’ordre nor­mal dans la capitale.

Une ving­taine d’é­tu­diants de l’É­cole nor­male supé­rieure, appar­te­nant aux « brave-la-mort », alors qu’ils cherchent à convaincre des sol­dats de la jus­tesse de leur mou­ve­ment, sont frap­pés par les mili­taires à coups de cein­tu­rons. Leur agres­seurs sont vêtus d’u­ni­formes non-identifiables.

Le groupe de sur­veillance des étu­diants appré­hende un espion de l’Ar­mée popu­laire de libé­ra­tion qui s’est glis­sé par­mi les mani­fes­tants de la place Tian’an­men. Il sera relâ­ché par la suite.

Selon des sta­tis­tiques éta­blies par la Sécu­ri­té publique, la délin­quance aurait dimi­nué en avril et en mai, attei­gnant son plus bas niveau depuis le début de l’année.

À 13 h 30, un mil­lion de per­sonnes remontent l’a­ve­nue Chang’an aux cris de : « À bas Li Peng ! Ren­voyez les troupes ! Levée de la loi mar­tiale ! Sau­ve­gar­dons la Consti­tu­tion ! Pro­té­geons les droits de l’homme ! »

Sur la place Tian’an­men, les étu­diants fondent un « quar­tier géné­ral char­gé de la défense de la place Tian’an­men », une orga­ni­sa­tion pro­vi­soire. Le quar­tier géné­ral se com­pose de 7 membres et Chai Ling est nom­mée com­man­dant en chef. À Can­ton, plus de 600.000 per­sonnes manifestent.

Wan Li inter­rompt pré­ci­pi­tam­ment son voyage offi­ciel, en invo­quant des pro­blèmes de san­té, et il regagne la Chine.

Mer­cre­di 24 mai — Les membres du « quar­tier géné­ral char­gé de la défense de la place Tian’an­men » prêtent ser­ment devant la ban­nière aux cinq étoiles. Wang Dan déclare que, quelle que soit l’is­sue du mou­ve­ment étu­diant, on le retien­dra comme une page brillante de l’his­toire de la Chine.

Les diri­geants étu­diants dénoncent la fac­tion de I.i Peng qui est la cause des désordres sur­ve­nus dans les trans­ports de voya­geurs et des rup­tures consta­tées dans les appro­vi­sion­ne­ments en marchandises.

Une réunion de tra­vail du Comi­té cen­tral s’ouvre, avec à l’ordre du jour la réso­lu­tion du pro­blème étudiant.

Au cours d’une réunion des vice-pré­si­dents du Comi­té per­ma­nent de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale, le vieux géné­ral Ye Fei tape sur la table et s’en prend vio­lem­ment à Li Peng qu’il accuse d’a­voir liqui­dé en quelques jours les fruits de qua­rante ans de travail.

La fac­tion de Li Peng redouble d’ac­ti­vi­té : une cel­lule de crise, où figure notam­ment Yuan Mu, ras­semble les res­pon­sables des organes cen­traux de la capi­tale pen­dant quatre heures.

L’A­gence Xin­hua rap­porte que Wan Li a écour­té son voyage à l’é­tran­ger, en insis­tant sur les rai­sons de san­té. Et elle pré­cise que celui-ci n’a pas le pou­voir, à lui seul, de convo­quer une réunion extra­or­di­naire de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale, le Bureau poli­tique devant rati­fier la proposition.

Dépla­ce­ments de troupes : par camion, en train et par avion. Les armées sont sta­tion­nées en banlieue.

Com­mu­ni­qué du Centre médi­cal d’ur­gence de Pékin : à ce jour, 18 h, et depuis le début de la grève de la faim, soit sur une période de onze jours, les hôpi­taux de la capi­tale ont accueilli 9.158 étu­diants, dont 8.205 ont été main­te­nus en obser­va­tion ; aucune mort n’est à déplorer.

Six des sept régions mili­taires prennent posi­tion en faveur du dis­cours de Li Peng (seule l’at­ti­tude de la région mili­taire de Pékin ne serait pas encore connue). Le com­man­de­ment de l’Ar­mée popu­laire de libé­ra­tion, les forces armées de l’air et la marine annoncent éga­le­ment leur sou­tien. Dans le Quo­ti­dien de l’Ar­mée popu­laire de libé­ra­tion, on recom­mande de faire lire aux sol­dats les dis­cours de Li Peng et de Yang Shang­kun et de faire étu­dier aux offi­ciers l’é­di­to­rial du 26 avril.

Les com­mu­ni­ca­tions par satel­lites sont une nou­velle fois inter­rom­pues (elles avaient été réta­blies la veille).

À Can­ton, à Hong Kong et à Macao, mani­fes­ta­tions. Aux États-Unis, 36 intel­lec­tuels chi­nois expé­dient un télé­gramme à Deng Xiao­ping pour qu’il retire les troupes, évite les effu­sions de sang et auto­rise la tenue d’une séance extra­or­di­naire de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale. Ils sug­gèrent éga­le­ment que Li Peng démissionne.

Jeu­di 25 mai – Le « quar­tier géné­ral char­gé de la défense de la place Tian’an­men » réunit les délé­gués de plus de 300 éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment supé­rieur pour déci­der des suites à don­ner à l’ac­tion. Quatre scé­na­rios sont envi­sa­gés : 1) faire pres­sion sur le gou­ver­ne­ment en inten­si­fiant la grève de la faim et en appe­lant les ouvriers à inter­rompre la pro­duc­tion ; 2) négo­cier le départ de la place avec le gou­ver­ne­ment ; 3) occu­per les lieux en atten­dant que le gou­ver­ne­ment se pro­nonce ; 4) aban­don­ner à chaque éta­blis­se­ment le soin de déter­mi­ner lui-même son atti­tude sans qu’une déci­sion du quar­tier géné­ral soit arrê­tée pour tous.

Wan Li débarque en Chine mais se rend à Shan­ghai. Il est 3 h du matin et on l’hospitalise.

Li Peng fait sa pre­mière appa­ri­tion publique depuis son dis­cours du 19 mai. À l’oc­ca­sion d’une ren­contre avec trois ambas­sa­deurs étran­gers venus lui pré­sen­ter leurs lettres de créance, les ambas­sa­deurs du Nige­ria, du Mexique et de Bir­ma­nie, Li Peng sou­ligne que son gou­ver­ne­ment est stable et qu’il est capable d’ac­com­plir son devoir et de résoudre cor­rec­te­ment les pro­blèmes qui se posent actuel­le­ment en Chine. Il réaf­firme que les poli­tiques d’ou­ver­ture et de réforme ne sont pas remises en cause : « Le prin­ci­pal arti­san de la réforme et de l’ou­ver­ture au monde exté­rieur est le cama­rade Deng Xiao­ping et per­sonne d’autre. » Et il pour­suit : « La situa­tion de la Chine est com­plexe. Les amis étran­gers ne peuvent voir clai­re­ment, pour le moment, ce qui se passe et ont besoin d’ob­ser­ver encore pen­dant un cer­tain temps avant de por­ter des jugements ».

Un mil­lion de per­sonnes enva­hissent les rues, dont des membres de l’U­nion auto­nome des ouvriers de Pékin, des jour­na­listes et des cadres appar­te­nant au Comi­té pour la réforme du sys­tème d’État.

On apprend la for­ma­tion d’un groupe de « brave-la-mort » qui se fixe pour tâche la défense des étu­diants et des masses.

Des mani­fes­ta­tions sont orga­ni­sées dans huit villes du pays en sou­tien aux étu­diants de Pékin : Shan­ghai, Tian­jin, Nan­kin, Wuhan, Chang­sha, Xi’an, Cheng­du et Can­ton. À Shan­ghai et à Tian­jin, ils sont plus de 10.000 à défiler.

Ven­dre­di 26 mai – C’est le pre­mier des scé­na­rios qui a été rete­nu par les étu­diants, à savoir celui qui consiste à inten­si­fier la grève de la faim et à en appe­ler au sou­tien des ouvriers.

La nou­velle de la chute de Zhao Ziyang est confir­mée. Cinq griefs sont for­mu­lés à son encontre : 1) il s’est refu­sé à maî­tri­ser un mou­ve­ment qui exi­geait la réha­bi­li­ta­tion de Hu Yao­bang et la néga­tion de la cam­pagne contre le « libé­ra­lisme bour­geois» ; 2) la veille de son départ pour la Corée, il a pas­sé la « balle » à Li Peng et au Conseil des affaires d’É­tat en leur fai­sant trois recom­man­da­tions : reve­nir à la nor­male, dia­lo­guer avec les étu­diants et évi­ter que le sang ne coule. Mais quand la situa­tion a empi­ré, tan­dis que le Comi­té per­ma­nent du Bureau poli­tique qua­li­fiait les évé­ne­ments d’a­gi­ta­tion, l’é­quipe de Zhao deman­dait à l’As­sem­blée popu­laire natio­nale de juger le Comi­té cen­tral et le Conseil des affaires d’É­tat ; 3) il a agi sans en réfé­rer au Comi­té cen­tral, répé­tant les erreurs de Hu Yao­bang. Quand il s’est entre­te­nu avec Gor­bat­chev, il lui a livré des secrets du Par­ti. Et le 19 mai, il a tenu devant les étu­diants des pro­pos indignes de sa fonc­tion de secré­taire géné­ral ; 4) il a diri­gé les troubles en cou­lisse. Par l’en­tre­mise de la Com­mis­sion pour la réforme du sys­tème d’É­tat, il a uti­li­sé le mou­ve­ment étu­diant en vue de s’emparer du pou­voir ; 5) alors que, sur les pro­blèmes éco­no­miques, Deng Xiao­ping et Li Peng ont pro­cé­dé à leur auto­cri­tique, lui s’y est refusé.

Les noms de Yan Ming­fu, membre du secré­ta­riat du Comi­té cen­tral, et de Li Tieying, pré­sident de la com­mis­sion d’É­tat pour l’é­du­ca­tion, sont avan­cés comme ceux de futurs membres du Comi­té per­ma­nent du Bureau poli­tique. Comme Yan Ming­fu a été le confi­dent de Zhao Ziyang, on voit, alors, dans ce geste une volon­té d’apaisement.

Peng Zhen, ancien pré­sident du Comi­té per­ma­nent de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale, reçoit Fei Xia­tong, le vice-pré­sident du Comi­té per­ma­nent de l’As­sem­blée popu­laire natio­nale (et pré­sident de l’As­so­cia­tion chi­noise pour la démo­cra­tie). Il pré­cise que les mesures d’ur­gence adop­tées sont conformes à l’es­prit de la loi et à la Constitution.

Les membres du Comi­té per­ma­nent de la com­mis­sion cen­trale des conseillers du Par­ti, Chen Yun en tête, appellent tous les vété­rans de la révo­lu­tion à dénon­cer réso­lu­ment les com­plots et les intrigues d’une « très, très petite poi­gnée de gens » qui cherchent à semer le désordre, et à « lut­ter réso­lu­ment contre eux ». La com­mis­sion de dis­ci­pline du Par­ti, pré­si­dée par Qiao Shi, mani­feste son sou­tien à Li Peng.

La région mili­taire de Pékin s’a­ligne sur toutes les autres régions et annonce son sou­tien à Li Peng.

Les élé­ments dou­teux sont dési­gnés. Ils s’a­britent dans « trois nids noirs » : le quar­tier géné­ral de l’É­tat-major, Bei­da et l’A­ca­dé­mie des sciences sociales. Six caté­go­ries sont dis­tin­guées. On désigne par là ceux qui sont issues de : trois dépar­te­ments de l’Ar­mée popu­laire de libé­ra­tion (quar­tier géné­ral de l’É­tat-major, dépar­te­ment poli­tique géné­ral et dépar­te­ment géné­ral de l’in­ten­dance), des organes du Conseil des affaires d’É­tat, des grands orga­nismes natio­naux, des uni­tés de tra­vail impor­tantes, des uni­tés de tra­vail des organes du Par­ti qui ne se sont pas ali­gnées sur l’é­di­to­rial du 26 avril, et ceux qui ont par­ti­ci­pé à l’«agitation ».

Same­di 27 mai – Une réunion se tient entre délé­gués des étu­diants de Pékin, délé­gués des étu­diants de pro­vince et des repré­sen­tants de tous les milieux de la capi­tale. Il est pro­po­sé d’a­ban­don­ner la place le 30 mai à l’is­sue d’un grand défi­lé paci­fique dans les rues. Wang Dan fait une « Décla­ra­tion en dix points ». Mais les étu­diants de pro­vince se pro­noncent pour la pour­suite illi­mi­tée de l’oc­cu­pa­tion. Wan Li fait un dis­cours à Shan­ghai pour expri­mer son sou­tien à la pro­cla­ma­tion de la loi mar­tiale et aux allo­cu­tions de Li Peng et de Yang Shang­kun. De son côté, Li Xian­nian, lors d’une réunion des vice-pré­si­dents du Comi­té natio­nal de la Confé­rence consul­ta­tive du peuple chi­nois, à Pékin, invite les par­ti­ci­pants à la réunion à com­prendre et à sou­te­nir, dans l’in­té­rêt géné­ral, les mesures prises par le Par­ti et le gouvernement.

À Hong Kong, un concert est don­né au pro­fit des étu­diants péki­nois : « Chants démo­cra­tiques pour la nation chi­noise. » Le concert, qui dure douze heures, est sui­vi par 300.000 spec­ta­teurs. Une col­lecte d’argent est effec­tuée qui rap­porte plus de 12 mil­lions de HK$ (12 mil­lions de francs).

En France, les étu­diants chi­nois lancent un appel aux Chi­nois du monde entier pour qu’ils mani­festent le len­de­main, à comp­ter de 10 h.

Dimanche 28 mai – Les étu­diants de Pékin répondent à l’ap­pel de leurs cama­rades qui étu­dient en France. La mani­fes­ta­tion ne sera cepen­dant pas aus­si impor­tante qu’à l’ac­cou­tu­mée : des pres­sions sont exer­cées dans les entre­prises de la capi­tale pour dis­sua­der les éven­tuels par­ti­ci­pants, notam­ment dans les entre­prises de presse. Par ailleurs, les délais d’or­ga­ni­sa­tion ont été trop brefs pour per­mettre une véri­table mobilisation.

Les membres per­ma­nents du « quar­tier géné­ral char­gé de la défense de la place Tian’an­men » déli­bèrent. Ils décident de ne pas aban­don­ner la place. Dans le monde entier, des mani­fes­ta­tions ont lieu. À Tai­wan, au Japon, à Macao, aux États-Unis, en France… À Hong Kong, 1.500.000 citoyens, par­mi les­quels on aper­çoit des mili­tants syn­di­caux et des employés d’or­ga­nismes proches du pou­voir de Pékin, par­courent les rues de la ville huit heures durant.

Semaine du 29 au 4 juin

Lun­di 29 mai – Tôt le matin, à cause de conflits internes oppo­sant les délé­gués de la capi­tale et ceux venus de pro­vince, quatre des res­pon­sables du « quar­tier géné­ral char­gé de la défense de la place Tian’an­men », dont Chai Ling, démissionnent.

Les étu­diants décident de pro­lon­ger l’oc­cu­pa­tion de la place Tian’an­men jus­qu’au 20 juin.

Tous les organes du gou­ver­ne­ment s’ex­priment publi­que­ment en faveur de Li Peng.

Les étu­diants de Shan­ghai, à l’ap­pel de l’U­nion auto­nome des étu­diants de Shan­ghai, désertent leurs campus.

Mar­di 30 mai – À l’aube, la sta­tue de la déesse de la démo­cra­tie est éri­gée sur la place Tian’an­men. Elle mesure dix mètres de haut. Des dizaines de mil­liers de per­sonnes assistent à sa mise en place.

Trois res­pon­sables de l’U­nion auto­nome des ouvriers de Pékin ont été arrê­tés la veille par la Sécu­ri­té publique, de même que 11 moto­cy­clistes qui se char­geaient de sur­veiller les mou­ve­ments des troupes mili­taires. Un mil­lier d’ou­vriers et d’é­tu­diants assiègent le bureau de la Sécu­ri­té publique pour exi­ger leur libération.

Les étu­diants, qui sont reve­nus sur leur déci­sion de quit­ter la place le 30 mai, posent désor­mais quatre condi­tions à leur départ : 1) levée de la loi mar­tiale ; 2) départ des troupes qui sta­tionnent autour de Pékin ; 3) assu­rance qu’il n’y aura pas de repré­sailles ulté­rieures ; 4) liber­té de la presse.

Mer­cre­di 31 mai – Le bureau de ges­tion de la place Tian’an­men, dans une décla­ra­tion dont le texte est publié dans le Quo­ti­dien du peuple, reproche aux étu­diants d’a­voir éle­vé la sta­tue. Les étu­diants de l’A­ca­dé­mie cen­trale des beaux-arts ripostent en signa­lant que le bureau de ges­tion ne s’est jamais mani­fes­té auprès d’eux pour leur signi­fier son avis. À 10 h, un homme tente de ren­ver­ser la déesse, mais les étu­diants s’in­ter­posent et le livrent au « quar­tier géné­ral char­gé de la défense de la place Tian’an­men » (il sera relâ­ché plus tard). Le « quar­tier géné­ral char­gé de la défense de la place Tian’an­men » remet de l’ordre sur son ter­ri­toire : les vieilles tentes abri­tant les gré­vistes et ceux qui leur tiennent com­pa­gnie sont rem­pla­cées par de nou­velles, offertes par une asso­cia­tion d’é­tu­diants de Hong Kong. Désor­mais, ce sont 3.500 per­sonnes qui peuvent se loger. Un esca­dron mili­taire de motards sillonne les grandes artères de la capi­tale, ce que la presse étran­gère ne man­que­ra pas d’in­ter­pré­ter comme un aver­tis­se­ment sup­plé­men­taire lan­cé par le pou­voir aux étu­diants. Dans la ban­lieue sud de Pékin, plu­sieurs mil­liers de pay­sans, de cadres, de poli­ciers et d’é­tu­diants défilent pour témoi­gner de la confiance qu’ils accordent aux auto­ri­tés. Leur action, bien sûr, est auto­ri­sée. Les mani­fes­tants scandent des slo­gans favo­rables au régime. Ils disent éga­le­ment : « À bas Fang Liz­hi ! » Au moment de la dis­lo­ca­tion du cor­tège, deux man­ne­quins sont brû­lés : l’un repré­sente Fang Liz­hi, l’autre sym­bo­lise les com­plo­teurs. Selon des obser­va­teurs, les orga­ni­sa­teurs de la mani­fes­ta­tion dis­tri­bue­ront des esqui­maux à leurs troupes.

Les étu­diants pro­testent contre l’ar­res­ta­tion des trois diri­geants de l’U­nion auto­nome des ouvriers de Pékin. En fin d’a­près-midi, 3.000 étu­diants mani­festent sur la place Tian’an­men. Ils se rendent ensuite, entou­rés de quelques mil­liers d’ou­vriers — le groupe est gros d’en­vi­ron 10.000 per­sonnes —, devant le bureau de la Sécu­ri­té publique aux accents de : « Ouvriers, étu­diants, tous unis pour conqué­rir la démo­cra­tie ! » ou « Non aux rapts ! » Les res­pon­sables de l’U­nion auto­nome des ouvriers de Pékin finissent par annon­cer que leurs cama­rades ont été libé­rés à 17 h.

Au cours de la nuit, un mil­lier de gens se massent devant Xin­hu-amen en criant : « À bas Li Peng ! Vive la démo­cra­tie ! » La police n’in­ter­vient pas mais des offi­ciels écartent les jour­na­listes étran­gers présents.

Jeu­di 1er juin — On tente d’en­le­ver Chai Ling et son mari Feng Congde (les cou­pables sont des étu­diants). On essaye aus­si de sabo­ter les haut-par­leurs de la radio étu­diante et les lignes téléphoniques.

Le Quo­ti­dien du peuple publie un article qui fait l’é­loge de Hu Yao­bang. Les façades des grands hôtels inter­na­tio­naux s’ornent de cali­cots géants sur les­quels sont peintes des sen­tences à l’é­loge du pouvoir.

Sur la place Tian’an­men, des éco­liers et des lycéens arrivent, accom­pa­gnés de leurs parents : ce jour-là, en effet, on célèbre la fête inter­na­tio­nale des enfants. L’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin convoque une confé­rence de presse. À cette occa­sion, l’or­ga­ni­sa­tion étu­diante réaf­firme ses prin­cipes : le mou­ve­ment est un mou­ve­ment démo­cra­tique et patrio­tique, qui se tient en dehors de que­relles fac­tion­nelles du Par­ti et qui vise à conqué­rir la démo­cra­tie et la liber­té moyen­nant des actions paci­fiques et la concer­ta­tion. Elle répète les quatre condi­tions préa­lables à l’ou­ver­ture d’un dialogue.

Le minis­tère des Affaires étran­gères dément l’in­for­ma­tion selon laquelle Deng Xiao­ping serait mort. La muni­ci­pa­li­té de Pékin rap­pelle que la loi mar­tiale a été décré­tée et pré­cise, à l’in­ten­tion des jour­na­listes étran­gers, les règles à obser­ver en matière d’in­for­ma­tion. Notam­ment : 1) pen­dant la période de la loi mar­tiale, les jour­na­listes étran­gers, ceux de Hong Kong, de Macao ou de Tai­wan, doivent deman­der une auto­ri­sa­tion pour effec­tuer tout repor­tage dans la capi­tale ; 2) les repor­tages sont inter­dits sur la place Tian’an­men et ses envi­rons et il n’est pas per­mis d’in­ter­vie­wer les citoyens chi­nois ; 3) sans auto­ri­sa­tion expresse de la muni­ci­pa­li­té, les jour­na­listes non conti­nen­taux n’ont pas le droit de faire des repor­tages sur les troupes char­gées d’im­po­ser la loi mar­tiale, de les prendre en pho­to ou de les filmer.

L’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin recons­truit sa direc­tion. Wu’er Kaixi et Wang Dan sont écar­tés du Comi­té per­ma­nent, lequel compte doré­na­vant neuf membres qui repré­sentent les éta­blis­se­ments sui­vants : Bei­da, Qing­hua, Ren­da, l’U­ni­ver­si­té aéro­nau­tique, l’U­ni­ver­si­té des sciences poli­tiques et juri­diques, l’É­cole nor­male supé­rieure, l’Ins­ti­tut cen­tral des mino­ri­tés, l’Ins­ti­tut éco­no­mique de Pékin et l’Ins­ti­tut des aspi­rants cher­cheurs de l’A­ca­dé­mie chi­noise des sciences sociales.

Le res­pon­sable de l’U­nion auto­nome des étu­diants venus de l’ex­té­rieur de Pékin, Lian Shunde, se pro­nonce pour l’é­va­cua­tion de la place. Sa base le des­ti­tue. L’U­nion auto­nome des étu­diants de Pékin, l’U­nion auto­nome des étu­diants venus de l’ex­té­rieur de Pékin et le « quar­tier géné­ral char­gé de la défense de la place Tian’an­men » font une décla­ra­tion conjointe où il est deman­dé de nou­veau : la levée de la loi mar­tiale ; le départ des troupes qui sta­tionnent autour de Pékin ; l’as­su­rance qu’il n’y aura pas de repré­sailles ulté­rieures ; la liber­té de la presse. À Nan­kin, 500 ou 600 étu­diants s’ap­prêtent à par­tir pour Pékin, à pied ou à bicyclette.

Ven­dre­di 2 juin — On éva­lue à 200.000 le nombre des sol­dats qui encerclent Pékin. Tous les organes de pro­pa­gande sont sévè­re­ment contrô­lés, dont la télé­vi­sion et la radio, ain­si que le cen­tral télé­pho­nique. Au cours de la nuit, quelques dizaines de mil­liers de sol­dats reçoivent l’ordre de mar­cher sur Tian’an­men, en emprun­tant l’a­ve­nue Chang’an depuis la par­tie est de la ville. Leur marche est inter­rom­pue à la hau­teur de l’Hô­tel de Pékin par des mil­liers de cita­dins et d’é­tu­diants. À 3 h, l’ar­mée décide de se retirer.

Dans la nuit du 2 au 3, une voi­ture non imma­tri­cu­lée de la police, qui cir­cule à vive allure, ren­verse un tri­cycle avant de mon­ter sur le trot­toir où elle fauche quatre per­sonnes. Deux d’entre elles, au moins, sont tuées sur le coup (une des vic­times est une ensei­gnante de l’Ins­ti­tut du char­bon). Un Péki­nois, qui a failli être ren­ver­sé, s’é­tonne auprès du chauf­feur de sa conduite. Il s’en­tend répondre : « Occupe-toi de tes affaires. Je suis en mis­sion ! » Au moment où les pas­sants emmènent les vic­times vers un hôpi­tal, plu­sieurs véhi­cules de police arrivent qui embarquent les deux occu­pants de la voi­ture folle. Les cita­dins découvrent dans l’au­to aban­don­née des uni­formes de la police mili­taire, des matraques et des cou­teaux. Ceux qui ont assis­té à la scène — quelques mil­liers de per­sonnes — se dirigent vers la place Tian’­na­men pour pro­tes­ter contre l’in­ci­dent. En route, la foule ren­contre des sol­dats qui cherchent à enva­hir les lieux. Elle bloque le passage.

Des pay­sans défilent en ban­lieue pour indi­quer qu’ils appuient le régime. Les cadres qui les mènent lancent les mots d’ordre : « Sou­te­nons les quatre prin­cipes ! Sou­te­nons les déci­sions clair­voyantes du Comi­té cen­tral ! Deng Xiao­ping, salut à toi ! » Un des par­ti­ci­pants avoue­ra avoir reçu 10 yuans, à l’ins­tar de ses cama­rades, et un cha­peau de paille tout neuf. Les mani­fes­tants auront éga­le­ment béné­fi­cié, semble-t-il, de deux jours de congé.

Des étu­diants mani­festent en réponse au défi­lé des pay­sans. Il sont un mil­lier, venus de Bei­da, de l’É­cole nor­male supé­rieure et de l’U­ni­ver­si­té de l’a­gri­cul­ture de Pékin. Le visage mas­qué, en signe de déri­sion, ils arborent des cha­peaux poin­tus qui rap­pellent les coif­fures dont on affu­blait les intel­lec­tuels durant la « Révo­lu­tion cultu­relle ». Ils crient : « Nous sou­te­nons la dic­ta­ture ! Nous sou­te­nons le des­po­tisme ! En période de loi mar­tiale, les mani­fes­ta­tions aux ordres rap­portent deux billets de 5 yuans ! » Pour la plus grande joie des pas­sants qui applau­dissent à tout rompre…

Quatre per­son­na­li­tés décident d’en­ta­mer une grève de la faim de soixante-douze heures : un chan­teur de Tai­wan, Hou Dejian, un ensei­gnant de la sec­tion d’é­tude de la lit­té­ra­ture chi­noise de l’É­cole nor­male supé­rieure, Liu Xiao­bo, le res­pon­sable du plan de la com­pa­gnie Stone, Zhou Duo, et le rédac­teur en chef de l’heb­do­ma­daire de l’É­cole nor­male supé­rieure, Gao Xin. Ils ont rédi­gé un mani­feste, connu sous le nom de « Mani­feste du 2 juin », texte où ils expliquent le sens de leur geste : ils condamnent l’ins­tau­ra­tion de la loi mar­tiale et déplorent les erreurs com­mises par le gou­ver­ne­ment vis-à-vis des étu­diants. Mais ils entendent aus­si cri­ti­quer cer­taines des actions entre­prises par la jeu­nesse des écoles et qui, à leurs yeux, ne sau­raient pas­ser pour des modèles de la pra­tique démo­cra­tique. Quelque 3.000 per­sonnes s’ins­crivent pour accom­pa­gner les quatre gré­vistes dans leur action : un rou­le­ment est pré­vu, 300 per­sonnes feront la grève de la faim à la fois et dix relais sont prévus.

l’U­nion des citoyens de Hong Kong pour le sou­tien au mou­ve­ment patrio­tique et démo­cra­tique. man­date une délé­ga­tion à Pékin char­gée d’ap­por­ter aux étu­diants du conti­nent un sou­tien moral et matériel.

Same­di 3 juin et dimanche 4 juin — L’a­gence Xin­hua dif­fuse un long com­mu­ni­qué : « De la néces­si­té de connaître clai­re­ment la nature de l’a­gi­ta­tion et d’ap­pli­quer la loi mar­tiale », dont la télé­vi­sion et la radio se font éga­le­ment l’é­cho. Il s’a­git d’un ordre de mobilisation.

À l’aube du 3 juin, quatre auto­cars de tou­risme sont inter­cep­tés par la popu­la­tion. On découvre à l’in­té­rieur des sacs qui contiennent des fusils, des gre­nades et des masques à gaz. Le maté­riel est confis­qué et il est expo­sé devant Xin­hua­men où plus de 10.000 per­sonnes iront les contem­pler. Pen­dant la jour­née, on aper­çoit des mili­taires dégui­sés en civils qui se pro­mènent en ville. À midi, envi­ron 2.000 poli­ciers mili­taires et sol­dats, coif­fés de casques en acier et armés de matraques élec­triques, sortent de Zhon­gnan­hai, par la porte ouest. Ils vont blo­quer quelques artères de la ville et invitent, par des appels répé­tés au méga­phone, les Péki­nois à ren­trer chez eux. Vingt minutes plus tard, une ving­taine de gre­nades lacry­mo­gènes sont tirées et la foule est char­gée par les forces de l’ordre à coups de matraque. Pen­dant ce temps, 200 ou 300 mili­taires quittent Zhon­gnan­hai par Xin­hua­men et frappent la foule au moyen de gour­dins et de matraques élec­triques. Les étu­diants qui font un sit-in per­ma­nent depuis deux semaines se dis­persent. À Xidan, les sol­dats tirent des balles en caou­tchouc (on en ramas­se­ra une qua­ran­taine), bles­sant plu­sieurs personnes.

À 14 h, plus de 10.000 sol­dats sortent du Palais du peuple par la porte ouest. Ils tentent d’in­ves­tir la place Tian’an­men. Mais les cita­dins confec­tionnent une bar­ri­cade au moyen de deux auto­bus et barrent l’en­trée de la place. Plu­sieurs dizaines de mil­liers de Péki­nois se ras­semblent et font face aux troupes. Vers 16 h 30, les délé­gués étu­diants tentent de négo­cier avec l’ar­mée, mais en vain. Des gens lancent des pierres sur les sol­dats. On relè­ve­ra des vic­times des deux côtés. Quelques heures plus tard, les mili­taires réin­tègrent le Palais.

Dans le cou­rant de l’a­près-midi, plus de 100.000 per­sonnes déam­bulent sur l’a­ve­nue Chang’an. Les sol­dats qui sta­tion­naient devant Zhon­gnan­hai se retirent. La foule, en colère, ren­verse une jeep et un poste de cir­cu­la­tion, et les vitres de deux auto­bus où l’on a décou­vert des armes sont brisées.

De l’aube au cré­pus­cule, par­tout, des conflits, graves ou mineurs, éclatent qui opposent les forces de l’ordre à la population.

À comp­ter de 18 h, la télé­vi­sion et la radio dif­fusent trois cir­cu­laires d’ur­gence : à 18 h 30, une pre­mière cir­cu­laire, éma­nant de la muni­ci­pa­li­té de Pékin et de l’É­tat-major des troupes char­gées d’im­po­ser la loi mar­tiale, engage les gens à res­pec­ter la loi mar­tiale et pré­vient que l’ar­mée, la police mili­taire et la police use­ront, envers les réfrac­taires, de tous les moyens ; à 20 h 30, une deuxième cir­cu­laire pré­cise que l’ar­mée ne tolé­re­ra aucune action diri­gée contre elle et qu’elle sau­ra, éven­tuel­le­ment, réagir (à ce moment-là, plu­sieurs dizaines de mil­liers de per­sonnes se trouvent encore à Tian’an­men); à 22 h (tan­dis que l’U­ni­ver­si­té de la démo­cra­tie de la place Tian’an­men est fon­dée), la troi­sième cir­cu­laire enjoint les citoyens à rega­gner leur domi­cile et à ne pas ris­quer inuti­le­ment leur vie. Mais ils sont encore des dizaines de mil­liers à tenir la place où l’at­mo­sphère est extrê­me­ment ten­due. Si l’on en croit les cor­res­pon­dants de presse étran­gers, les pre­miers coups de feu vont écla­ter alors : des gens tombent à Huang­zi­dun. Vers 23 h, à Muxi­di (là où sont ins­tal­lés les bâti­ments qui abritent les hauts cadres), les fusillades commencent.

Dans la nuit du 3 au 4, l’ar­mée pénètre dans la ville en dif­fé­rents points, les troupes conver­geant vers la place Tian’an­men. À 0 h, le 4 juin, un véhi­cule blin­dé des­cend à vive allure l’a­ve­nue Chang’an, de l’ouest vers l’est. Les cita­dins tentent de per­tur­ber son avan­cée en for­mant devant lui un mur humain. Mais le véhi­cule ne ralen­tit pas et les pas­sants doivent s’é­car­ter. D’autres véhi­cules blin­dés vont suivre, détrui­sant au pas­sage les bar­ri­cades qui avaient été éle­vées. Vers 1 h, des signaux lumi­neux sont tirés dans le ciel, au-des­sus de la place Tian’an­men. Des tirs se font entendre. Vers 2 h, l’ar­mée encercle les quelques dizaines de mil­liers de per­sonnes qui sta­tionnent sur la place. À 4 h, le « net­toyage » com­mence : les sol­dats font feu sur la foule. L’élec­tri­ci­té est cou­pée, plon­geant la place dans l’obs­cu­ri­té. C’est le début des mas­sacres. À 5 h, la sta­tue de la déesse de la démo­cra­tie est détruite.

Huang San — Angel Pino

Sources : pour les faits, nous avons notam­ment consul­té : « Beiz­huang de minyun » [le pathé­tique mou­ve­ment pour la démo­cra­tie], Ming­bao chu­banshe, Hong Kong, juin 1989 ; Tian’an­men yi jiu ba jiu [Tian’an­men, 1989], recueil de textes com­pi­lés par la rédac­tion du Lianhe bao [jour­nal union], Lian­jing, Tai­pei, août 1989 ; Liao­wang [regards au loin], Pékin, n° 22 – 23, 5 juin 1989 ; ain­si que les publi­ca­tions sui­vantes, parues au cours des évé­ne­ments : Bei­jing Infor­ma­tion (Pékin) ou le Quo­ti­dien du peuple (Pékin), la presse de Hong Kong et celle de Tai­wan. De même que : Chen Xitong, « Rap­port sur l’é­cra­se­ment de la rébel­lion anti­gou­ver­ne­men­tale » (30 juin 1989), sup­plé­ment à Bei­jing infor­ma­tion, Pékin, n° 30, 24 juillet 1989. S’a­gis­sant des textes non offi­ciels parus pen­dant les évé­ne­ments, nous nous sommes aus­si réfé­rés à : Zhong­guo minyun yuan ziliao jingxuan [choix de docu­ments ori­gi­naux rela­tifs au mou­ve­ment démo­cra­tique chi­nois], vol. 1, Shiyue pin­glun chu­banshe, Hong Kong, vol. 1 (25 juin 1989) et vol. 2 (novembre 1989); et à l’ou­vrage de He Zhiz­hou, Xue wo zhong­hua [le sang fer­ti­lise la Chine], Bai­jiu­nian Bei­jing xuc­chao ziliao ji [recueil de docu­ments sur le mou­ve­ment étu­diant péki­nois de 1989], Xiang­gang xin yidai wen­hua xie­hui, Hong Kong, juin 1989.


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