La Presse Anarchiste

Notes de lecture

Le Feu Souter­rain, recueil de textes du Samiz­dat d’URSS. Édi­tions ad hoc, B.P. 149, 75664 Paris cedex 14. 134 pages 57 francs.

Ce livre tranche par son orig­i­nal­ité avec la plus grande par­tie des livres pub­liés sur l’URSS. En effet ce n’est ni une analyse de l’URSS on de l’un de ses aspects, ni un essai, un roman ou les mémoires d’un dis­si­dent (très sou­vent intéres­sants, mais qui ne per­me­t­tent de saisir qu’une frac­tion de la réal­ité sovié­tique), mais un recueil de textes allant de dix lignes à dix pages parues en samizdat.

Par ses sources, le Bul­letin d’In­for­ma­tion du syn­di­cat libre SMOT et la revue Pois­ki, ce recueil priv­ilégie l’in­for­ma­tion sur la vie quo­ti­di­enne et la lutte des ouvri­ers en URSS. C’est un par­ti-pris judi­cieux, puisque la lit­téra­ture générale­ment disponible sur l’URSS est pra­tique­ment unique­ment con­sacrée à la dis­si­dence, c’est-à-dire surtout à l’in­tel­li­gentsia, et un peu aux luttes nationales. On ren­tre ici de plain-pied dans la vie quo­ti­di­enne du tra­vailleur sovié­tique, on y trou­ve la descrip­tion de ses con­di­tions de vie, des luttes dans les entre­pris­es et dans les camps, les idées poli­tiques et les itinéraires de cer­tains mem­bres du SMOT, la répres­sion, etc. Cela per­met d’apercevoir une autre face, occultée, de la réal­ité et de la lutte en URSS, dif­férente de la lutte pour le respect des textes légaux (presque la seule à appa­raître dans les médias occi­den­taux, et encore de moins en moins) et surtout des théories des krem­li­no­logues sur les luttes des clans au Bureau Poli­tique et les chances de libéral­i­sa­tion par le haut. On s’aperçoit bien au con­traire que la lib­erté jail­li­ra du bas, où cou­ve un « feu souter­rain » qui a don­né son titre à l’ouvrage.

L’un des points forts entre autres de ce livre est de don­ner une vision du SMOT qui va au-delà de l’é­ti­quette « syn­di­cat libre » qui veut tout et rien dire et des infor­ma­tions laconiques que passent les médias sur les con­damna­tions de ses mil­i­tants. On y trou­ve ses statuts, son mode de fonc­tion­nement et l’at­mo­sphère dans laque­lle il agit avec les con­di­tions de vie très dures, les grèves et les luttes qui écla­tent un peu partout, le sou­tien à la lutte du peu­ple polon­ais. Les biogra­phies et les textes de quelques mil­i­tants du SMOT ou sim­ple­ment ouvri­ers mon­trent sur quelles bases se développe la con­tes­ta­tion ouvrière aujourd’hui.

Il n’y a que deux reproches à faire à ce livre. Tout d’abord, bien qu’il y ait par­fois des allu­sions, aucun des textes choi­sis ne par­le de la guerre en Afghanistan qui est pour­tant un sujet cen­tral dans la poli­tique extérieure et intérieure de l’URSS aujour­d’hui. Ensuite, il n’y a aucune infor­ma­tion sur ce qui se passe à la cam­pagne par­mi les paysans. Il faut dire que dans ce cas, c’est le samiz­dat lui-même qui n’en dit rien ou presque. Sinon ce livre très intéres­sant est l’un des rares qui va con­tre l’opin­ion très répan­due selon laque­lle les tra­vailleurs en URSS sup­por­t­ent pas­sive­ment leur sort. L’in­tro­duc­tion est très claire sur ce sujet : il a été réal­isé pour faire con­naître ces révoltes qui se dévelop­pent, et pro­mou­voir la sol­i­dar­ité inter­na­tionale par­mi ceux qui, ici, se recon­naîtront dans le com­bat des tra­vailleurs sovié­tiques pour « une vie libérée de la pau­vreté, de l’ex­ploita­tion, de la peur et du mensonge ».

De la Dis­si­dence, Le régime idéologique sovié­tique et la dis­si­dence par Claude Orsoni. Édi­tions Nau­tilus, B.P. 175 75963 Paris cedex 20. 22 pages, 12 francs.

Cette petite brochure est une défense de la dis­si­dence, des­tinée essen­tielle­ment aux milieux révo­lu­tion­naires, ou rad­i­caux, d’Oc­ci­dent qui bien sou­vent attaque­nt la dis­si­dence à par­tir des idées qu’elle exprime (réformistes, réac­tion­naires, religieuses, nationalistes…).

L’au­teur analyse tout d’abord ce qu’on appelle à tort selon lui l’«idéologie sovié­tique ». Ce n’est pas en effet une idéolo­gie dom­i­nante, qui colonis­erait les con­sciences et ori­en­terait plus ou moins incon­sciem­ment la con­duite des gens. En effet per­son­ne ne croit plus depuis longtemps au dis­cours du régime, ni les priv­ilégiés, ni le peu­ple. Dans ce sens, la pen­sée est libre en URSS. Mais l’ex­pres­sion de cette pen­sée est par con­tre sévère­ment con­trôlée, et l’ad­hé­sion extérieure à l’«idéologie sovié­tique » est elle oblig­a­toire : « Pensez ce que vous voulez, mais man­i­festez votre accord ». Ce but est atteint par le total­i­tarisme du pou­voir qui con­trôle tous les secteurs et tous les niveaux de la vie sociale en URSS, qui isole le pays du reste du monde et les gens entre eux dans la société.

Dans ce cadre, toute expres­sion libre de la pen­sée est un dan­ger pour le régime, que ce soit sous forme de blagues (pas­si­bles de prison d’ailleurs) ou en samiz­dat. C’est là toute l’im­por­tance des dis­si­dents, indépen­dam­ment des idées qu’ils peu­vent dévelop­per. Les pen­sées libres qu’ils expri­ment met­tent en péril tout l’éd­i­fice du fait qu’elles sont libres. Ain­si, con­clut C. Orsoni, « il est d’un intérêt sec­ondaire de rechercher si les dis­cours des dis­si­dents sont empreints de telle ou telle idéolo­gie, s’ils sont plutôt réac­tion­naires, pro­gres­sistes, révo­lu­tion­naires, autori­taires ou lib­er­taires… Du seul fait qu’ils exis­tent et qu’ils nais­sent de la réal­ité sovié­tique même, ils met­tent en cause le pouvoir ».

Paci­fisme et anti­mil­i­tarisme dans l’en­tre-deux-guer­res (1919–1939), par Nico­las Fauci­er. Édi­tions Spar­ta­cus 5, rue Sainte-Croix-de-la-Bre­ton­ner­ie, 75004 Paris, 206 pages, 60 francs.

Le paci­fisme ayant repris au niveau inter­na­tion­al une vigueur nou­velle, il est intéres­sant de se pencher sur l’his­toire de ce mou­ve­ment. Si l’an­ti­mil­i­tarisme date de la fin du XIXe siè­cle et est bien sou­vent lié au syn­di­cal­isme, le paci­fisme en tant que mou­ve­ment appa­raît à la fin de la pre­mière guerre mon­di­ale, porté par le sen­ti­ment de « Plus jamais ça » qui tra­verse les opin­ions publiques des pays bel­ligérants. Comme on a remis ça vingt ans plus tard en plus hor­ri­ble et plus meur­tri­er encore, ce témoignage de Nico­las Fauci­er sur la France, mais aus­si sur d’autres pays et notam­ment l’Alle­magne, per­met d’ac­quérir des élé­ments de réflex­ion sur ce pre­mier échec, lourd de con­séquences, du mou­ve­ment pacifiste.

Ce qui nous a le plus intéressé, en tant que revue sur les Pays de l’Est, c’est l’évo­lu­tion de l’at­ti­tude de l’URSS et du mou­ve­ment com­mu­niste inter­na­tion­al face à l’an­ti­mil­i­tarisme et au paci­fisme. On y voit com­ment les intérêts de l’U­nion Sovié­tique guident cette atti­tude et oblig­ent par­fois les fidèles de Moscou à des exer­ci­ces de con­tor­sions idéologiques dignes d’un spec­ta­cle de cirque. La ligne offi­cielle du PCF est très amu­sante à suiv­re dans ses vari­a­tions au cours du temps. En 1920, jusqu’après 1924 et l’oc­cu­pa­tion de la Ruhr, c’est la ligne anti­mil­i­tariste révo­lu­tion­naire pure et dure avec appel à la déser­tion, etc. À cette époque l’Hu­man­ité pub­li­ait des déc­la­ra­tions signées con­join­te­ment par les anar­chistes et les com­mu­nistes… Mais ça se dégrade très vite. On aban­donne les appels à la déser­tion pour pass­er à un mépris de l’ar­mée « bour­geoise » et une stratégie qui con­siste à y aller pour appren­dre le maniement des armes, et voire la noy­auter. Cette atti­tude est plus ou moins mise en veilleuse en péri­ode de rap­proche­ment fran­co-sovié­tique. Avec le pacte ger­mano-sovié­tique en 1939, c’est un paci­fisme offen­sif qui est adop­té (appel à la déser­tion et au sab­o­tage). Là s’ar­rête le livre, mais on con­naît ensuite la fureur guer­rière du PC après l’in­va­sion de l’URSS. Depuis cette époque, l’at­ti­tude du PC vis-à-vis de l’ar­mée n’a plus jamais été anti­mil­i­tariste, et ses con­vic­tions « paci­fistes » actuelles sont apparues en même temps qu’un sou­tien sans faille à la guerre que les Sovié­tiques mènent en Afghanistan. Tous ceux qui accor­dent encore une par­celle de sincérité au paci­fisme du PC (et il en existe encore) ont intérêt à lire ces très intéres­sants sou­venirs d’un mil­i­tant resté jusqu’au bout fidèle à ses convictions.

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Les CAHIERS DU VENT DU CH’MIN ont pub­lié ces derniers mois un cer­tain nom­bre de brochures, dont trois nous con­cer­nent plus particulièrement :

« Marx à l’Est » de Nico­las TRIFON, Cahiers du Vent du Ch’min nº 6, 68 p., 25 francs.

Nico­las Tri­ton, mem­bre du col­lec­tif Iztok, analyse dans ce texte la présence et la réal­ité de Marx à l’Est sous trois angles dif­férents. Le pre­mier vise l’u­til­i­sa­tion que font les bureau­crates au pou­voir de Marx et de sa pen­sée. Le sec­ond con­cerne les intel­lectuels cri­tiques et leur appré­ci­a­tion de ce sujet (retour aux sources, aux textes de jeunesse, cri­tique et non pas dog­ma­tisme, etc.) dans plusieurs pays de l’Est (Pologne, Tché­coslo­vaquie, RDA, Hon­grie, URSS). Le troisième aspect, plus inhab­ituel, abor­de la vision pop­u­laire de Marx et de cer­tains de ses épigones tels que Lenine, Staline, etc., à tra­vers les nom­breuses blagues les concernant.

« Marx théoricien de l’a­n­ar­chisme » de Max­im­i­lien RUBEL, Cahiers du Vent du Ch’min nº 5, 44 p., 25 francs.

Max­im­i­lien Rubel est apparu plusieurs fois dans nos colonnes. Cette brochure est la réédi­tion revue et large­ment aug­men­tée d’un texte paru pour la pre­mière fois en 1971. L’au­teur, en s’ap­puyant sur les dif­férents textes de Marx, recon­stitue sa pen­sée sur la ques­tion de l’É­tat et mon­tre que Marx est un théoricien de l’a­n­ar­chisme, qu’il a une con­cep­tion anar­chiste de l’État.

« Notes sur l’a­n­ar­chisme en URSS de 1921 à nos jours » du col­lec­tif IZTOK (c’est nous), Cahiers du Vent du Ch’min nº 3, 68 p., 25 francs.

Nous vous rap­pelons pour mémoire cette brochure que nous avons large­ment présen­té dans notre numéro précé­dent et que nous con­seil­lons vive­ment (et pour cause) à tous ceux qui ne la pos­séderaient pas encore.

LE VENT DU CH’MIN, 5 bis rue Rol­land-Vachette, 93200 Saint Denis, FRANCE.

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Le groupe Fresnes-Antony de la Fédéra­tion Anar­chiste a ou va éditer deux tra­duc­tions réal­isées par Iztok dans la col­lec­tion Volon­té Anarchiste :

« L’idée des sovi­ets » de Pano VASSILEV, Volon­té Anar­chiste nº 23, 34 p., 25 francs.

Cette brochure, écrite en 1933 par un mil­i­tant anar­cho-syn­di­cal­iste bul­gare et pub­liée pour la pre­mière fois en tra­duc­tion, abor­de le prob­lème de l’his­toire des sovi­ets, dont l’idée a été inven­tée et dévelop­pée sous dif­férents noms par les lib­er­taires et qui ont été récupérés et dénaturés par les bolcheviks en 1917 en Russie. C’est une syn­thèse entre con­seils ouvri­ers et syn­di­cal­isme révo­lu­tion­naire, pleine de références fondamentales.

« Makhno et la ques­tion juive » de V. Litvi­nov : nous vous avons présen­té dans notre nº6 ce samiz­dat paru à Moscou en 1982 qui démonte les accu­sa­tions (fauss­es) d’an­tisémitisme portées con­tre le mou­ve­ment makhno­viste et son prin­ci­pal ani­ma­teur. Cette tra­duc­tion française con­stituera le nº 24 de Volon­té Anar­chiste et paraî­tra au print­emps 1984.

À l’oc­ca­sion de ce numéro con­sacré à la Bul­gar­ie en grande par­tie, nous vous rap­pelons que le nº16–17 de Volon­té Anar­chiste s’in­ti­t­ule « His­toire du mou­ve­ment lib­er­taire en Bul­gar­ie » de G. Balka­n­s­ki et coûte 25 francs.

Groupe FRESNES-ANTONY, 34 rue de Fresnes, 92160 Antony, chèques au nom de A.S.H., CCP 21600 42 C Paris. 


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