La Presse Anarchiste

Dossier Cuba, Annexe II

[[Asso­ci­a­tion Syn­di­cal­iste Lib­er­taire de Cuba]]

Contre l’État sous toutes ses formes

Les mem­bres de la Agru­pa­cion sindi­cal­ista lib­er­taria con­sid­èrent comme un devoir, avec lequel on ne peut ruser, d’af­firmer en cette étape de réal­i­sa­tions révo­lu­tion­naires de notre peu­ple, qu’ils se dressent non seule­ment con­tre cer­taines formes acces­soires de l’É­tat, mais con­tre l’ex­is­tence même de l’É­tat en tant qu’or­gan­isme dirigeant de la société, et de ce fait con­tre toute poli­tique ten­dant à provo­quer l’hy­per­tro­phie éta­tique, à dévelop­per les recours de l’É­tat et à lui con­fér­er un car­ac­tère total­i­taire ou dic­ta­to­r­i­al. Les mil­i­tants syn­di­cal­istes lib­er­taires cubains, de la même façon que les cama­rades des autres pays, esti­ment qu’on ne peut effec­tive­ment réalis­er une révo­lu­tion sociale authen­tique, s’il n’est pas procédé, en même temps qu’à la trans­for­ma­tion économique , à l’élim­i­na­tion de l’É­tat comme entité poli­tique et admin­is­tra­tive, en le rem­plaçant dans ses fonc­tions par des organ­ismes de base révo­lu­tion­naires tels que les syn­di­cats ouvri­ers, les com­munes libres, les coopéra­tives agri­coles et indus­trielles autonomes, les col­lec­tiv­ités paysannes ou de pro­duc­tion, libres d’ingérences autoritaires.

Les super­sti­tieux de la poli­tique croient que la société humaine est une con­séquence de l’É­tat, alors qu’en réal­ité l’É­tat sur­git comme l’ex­pres­sion la plus ter­ri­ble de la dégénéres­cence socié­taire, c’est-à-dire de la société divisée en class­es, qui aboutit aux dif­férences, aux injus­tices et aux antag­o­nismes bru­taux des régimes cap­i­tal­istes. L’É­tat, en défini­tive, n’est autre chose qu’une excrois­sance par­a­sitaire pro­duite par le sys­tème des class­es, fondé sur la pro­priété privée des moyens de pro­duc­tion, et doit com­mencer à dis­paraître avec l’é­tape de la trans­for­ma­tion révo­lu­tion­naire de la société bour­geoise en société socialiste.

La terre à celui qui la travaille

Les hommes et les femmes qui for­ment la Agru­pa­cion sindi­cal­ista lib­er­taria défend­ent aujour­d’hui plus que jamais la vieille con­signe révo­lu­tion­naire : « La terre à celui qui la tra­vaille. » Nous croyons que le cri clas­sique des paysans du monde entier : « Terre et lib­erté » est l’ex­pres­sion la plus juste des aspi­ra­tions immé­di­ates des paysans cubains. La terre pour la labour­er et la faire pro­duire, la lib­erté pour organ­is­er et gér­er les fruits de leurs efforts et selon leur volon­té : cul­ture indi­vidu­elle famil­iale en cer­tains cas ; créa­tion de libres coopéra­tives de pro­duc­tion en d’autres cas ; organ­i­sa­tion de fer­mes col­lec­tives là où c’est pos­si­ble ; mais tou­jours suiv­ant la volon­té la plus libre des paysans, sans jamais qu’une forme ou une autre soit imposée par des représen­tants de l’É­tat, lesquels peu­vent être des hommes très capa­bles du point de vue tech­nique, mais peu­vent aus­si ignor­er dans la plu­part des cas ce que sont les réal­ités matérielles de la cul­ture et ne rien con­naître des sen­ti­ments, des inquié­tudes et des aspi­ra­tions des hommes de la terre.

Nous sommes con­va­in­cus, par une longue expéri­ence des luttes révo­lu­tion­naires paysannes, que la plan­i­fi­ca­tion de l’ex­ploita­tion de la terre, prob­lème vital pour notre peu­ple, ne peut être envis­agée comme un sim­ple procédé tech­nique, du fait que, à côté des fac­teurs inertes d’in­ter­ven­tion — terre et out­il­lage — le fac­teur décisif est le fac­teur humain, c’est-à-dire les paysans. C’est pourquoi nous nous prononçons en faveur d’une organ­i­sa­tion de tra­vail col­lec­tif et coopératif sur des bases absol­u­ment volon­taires, en four­nissant au paysan toute l’aide tech­nique et cul­turelle néces­saire, comme le moyen sans doute le meilleur de le per­suad­er des énormes avan­tages que présente l’ex­ploita­tion col­lec­tive de la terre sur le sys­tème de cul­ture indi­vidu­elle et famil­iale. Agir autrement, user de l’au­torité et de la force con­duirait en défini­tive à bris­er les bases mêmes de la révo­lu­tion agraire, c’est-à-dire à faire échouer la révo­lu­tion elle-même sous son aspect le plus important.

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La lutte contre le nationalisme, le militarisme et l’impérialisme

En tant que tra­vailleurs révo­lu­tion­naires, nous sommes inter­na­tion­al­istes, c’est-à-dire par­ti­sans fer­vents de l’en­tente paci­fique entre tous les peu­ples, par-dessus toutes les fron­tières, géo­graphiques, lin­guis­tiques, raciales, poli­tiques et religieuses. Nous ressen­tons un immense amour pour notre terre, le même amour que les hommes des autres pays éprou­vent pour la leur. En con­séquence, nous sommes enne­mis du nation­al­isme quel que soit le vête­ment qu’il porte ; nous sommes adver­saires réso­lus du mil­i­tarisme et de l’e­sprit belliqueux ; opposés à toutes les guer­res ; désireux de voir les énormes ressources économiques, aujour­d’hui employées aux arme­ments, servir à réduire la faim et les besoins des peu­ples appau­vris ; les instru­ments de mort, fab­riqués en quan­tités effrayantes par les grandes puis­sances, con­ver­tis en out­ils de tra­vail, pro­duc­teurs de bien-être et de bon­heur pour tous les hommes de la terre. Nous nous opposons résol­u­ment à l’é­d­u­ca­tion mil­i­tariste de la jeunesse, à la créa­tion d’ar­mées pro­fes­sion­nelles, et à l’or­gan­i­sa­tion de for­ma­tions mil­i­taires d’ado­les­cents et d’enfants[…]

Face à toutes les méth­odes impéri­al­istes, nous nous prononçons en faveur de l’in­ter­na­tion­al­isme révo­lu­tion­naire, par la créa­tion de grandes con­fédéra­tions de peu­ples libres unis entre eux par des intérêts com­muns, par des aspi­ra­tions sem­blables, par la sol­i­dar­ité et l’en­tr’aide. Nous sommes par­ti­sans d’un paci­fisme act­if et mil­i­tant qui rejette les sub­til­ités dialec­tiques con­cer­nant la « guerre juste » et la « guerre injuste », un paci­fisme qui impose l’ar­rêt de la course aux arme­ments et le rejet de tout type d’armes et notam­ment des engins nucléaires dévastateurs.

Au centralisme bureaucratique nous opposons le fédéralisme

Nous sommes, par nature, enne­mis de tout type d’or­gan­i­sa­tion poli­tique, sociale ou économique de car­ac­tère cen­tral­isa­teur. Nous esti­mons que l’or­gan­i­sa­tion de la société doit aller du sim­ple au com­posé, de bas en haut, c’est-à-dire en com­mençant par les organ­ismes de base — munic­i­pal­ités, syn­di­cats, coopéra­tives, cen­tres d’en­seigne­ment, asso­ci­a­tions paysannes, etc. — pour les inté­gr­er dans les grandes organ­i­sa­tions nationales et inter­na­tionales, sur la base du pacte fédéral entre égaux qui s’or­gan­isent libre­ment pour pour­suiv­re des objec­tifs com­muns, sans dom­mage pour aucune des par­ties con­trac­tantes, celles-ci ayant tou­jours la lib­erté de se sépar­er de l’ensem­ble quand elles l’es­ti­ment utile à leurs intérêts. Nous voyons l’or­gan­i­sa­tion, tant sur le plan nation­al qu’in­ter­na­tion­al, dans le sens et la forme de grandes con­fédéra­tions syn­di­cales, paysannes, munic­i­pales et cul­turelles, qui auront pour mis­sion de représen­ter les ensem­bles sans avoir d’autres droits que ceux qui leur sont con­fiés pour chaque cas par les organ­ismes de base fédérés. […]

Sans liberté individuelle il n’est point de liberté collective

Nous syn­di­cal­istes lib­er­taires, sommes des par­ti­sans décidés des droits indi­vidu­els. Il n’y a pas de lib­erté pour l’ensem­ble si la par­tie est esclave ; il ne peut exis­ter de lib­erté col­lec­tive là où l’homme, indi­vidu­elle­ment, est vic­time de l’op­pres­sion. Nous con­sid­érons qu’il est urgent de garan­tir les droits humains, c’est-à-dire la lib­erté d’ex­pres­sion, le droit au tra­vail, à une vie digne, la lib­erté de reli­gion, l’in­vi­o­la­bil­ité du domi­cile, le droit d’être jugé par des per­son­nes impar­tiales et justes, le droit à la cul­ture et à la san­té, etc., sans quoi il n’est pas de normes civil­isées pour la coex­is­tence entre hommes. Nous sommes con­tre la dis­crim­i­na­tion raciale, con­tre les per­sé­cu­tions poli­tiques et l’in­jus­tice économique et sociale. Nous sommes par­ti­sans de la lib­erté et de la jus­tice pour tous les hommes, y com­pris pour les enne­mis de la lib­erté et de la justice.

La révolution appartient à tous

La Agru­pa­cion sindi­cal­ista lib­er­taria réaf­firme sa volon­té d’ap­puy­er la lutte pour la libéra­tion inté­grale de notre peu­ple, et rap­pelle que la révo­lu­tion n’ap­par­tient à per­son­ne en par­ti­c­uli­er mais au peu­ple dans sa total­ité. Nous sou­tien­drons, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, toutes les mesures révo­lu­tion­naires qui visent à guérir les vieux maux qui nous affli­gent, mais nous lut­terons aus­si, sans trêve, con­tre les ten­dances autori­taires qui sur­gis­sent au sein même de la révo­lu­tion. Nous fûmes con­tre la bar­barie et la cor­rup­tion du passé ; nous lut­terons con­tre toutes les dévi­a­tions qui pré­ten­dent mouler notre révo­lu­tion suiv­ant les mod­èles total­i­taires, avilis­sant la dig­nité humaine, qui exis­tent dans d’autres pays.

L’É­tat, en dépit de ce que dis­ent ses ado­ra­teurs de droite ou de gauche, est quelque chose de plus qu’une excrois­sance par­a­sitaire de la société des class­es : c’est la source généra­trice de priv­ilèges poli­tiques et économiques et, par con­séquent, créa­trice de nou­velles class­es priv­ilégiées. Les vieilles class­es réac­tion­naires qui lut­tent dés­espéré­ment pour recon­quérir leurs priv­ilèges abo­lis nous trou­vent face à elles ; les nou­velles class­es oppres­sives et exploiteuses qui déjà sur­gis­sent à l’hori­zon révo­lu­tion­naire nous trou­veront aus­si face à elle. Nous sommes pour la jus­tice, pour le social­isme et pour la lib­erté ; nous lut­tons pour le bien-être de tous les hommes, quelles que soient leur orig­ine, leur reli­gion ou leur race.

Sur cette ligne révo­lu­tion­naire, tra­vailleurs, paysans, étu­di­ants, hommes et femmes de Cuba, nous tien­drons jusqu’au bout. Pour ces principes nous ris­querons la lib­erté et, si néces­saire, la vie.

La Havane, juin 1960 


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