La Presse Anarchiste

REVUE DES JOURNAUX

Le Coin des Renégats

On pour­rait, sous ce titre, ouvrir une rubrique spé­ciale pour tous ceux qui ont, d’un cœur léger, changé leur fusil d’é­paule et se sont servis de la mis­ère humaine pour leur sat­is­fac­tion personnelle.

Avec autant d’in­con­science que lorsqu’il rédi­geait dans la Guerre Sociale ses appels au sab­o­tage et à la grève per­lée, Gus­tave Hervé, prince des Girou­ettes (on a bien un prince du Verbe et un roi du knock-out) écrit dans le Petit Parisien, sur un sujet ana­logue, la grève des cheminots alle­mands, mais en d’autres termes :

Mais si le régime répub­li­cain appa­raît à la grande masse des gens pais­i­bles qui for­ment sans doute la majorité en Alle­magne ain­si que dans tous les pays, comme syn­onyme de désor­dre, d’a­n­ar­chie, de bolchevisme, de rébel­lion d’employés des ser­vices publics, com­ment ne pas crain­dre que ces mêmes gens en vien­nent à souhaiter le retour de l’empire, qui pour eux représen­terait au moins l’or­dre et la discipline.

Atten­dons-nous donc à voir Gus­tave, l’ex-mau­vais sujet, crier : « Vive le Kaiser ! »

Le Pape

« L’or­dre et la dis­ci­pline » sem­blent être la marotte de l’ancien général de la G.S., qui achève de se ridi­culis­er, si c’est pos­si­ble, en par­lant dans la Vic­toire, de l’Ore­mus pronon­cé par le nou­veau pape à l’in­ten­tion du monde entier et qui prend, sous la plume de l’an­cien cham­bardeur, une sig­ni­fi­ca­tion inattendue :

Le geste du nou­veau Pape sig­ni­fie que dans tous les pays, au moment où le culte de la rai­son et les doc­trines de libre exa­m­en qui sont l’essence même de toutes les démoc­ra­ties mod­ernes, con­duiraient tous les par­tis d’ex­trême-gauche au grossier matéri­al­isme du social­isme de guerre civile, l’Église catholique va s’ef­forcer, par sa forte dis­ci­pline, par son sens de l’au­torité, par sa solide arma­ture matérielle et morale, de con­tribuer intel­ligem­ment à la défense de la civil­i­sa­tion menacée.

Ce « grossier matéri­al­isme du social­isme de guerre civile », cela vaut tout un poème !

L’ex sans-patrie gagne con­scien­cieuse­ment son argent. Mais qui peut le pren­dre au sérieux ?

Économie nou­velle

Le « cham­bardisme » mène à tout…même à l’Ac­tion Française, où, tous les lundis, Georges Val­ois fait, pour l’ad­mi­ra­tion des petits crevés et des vieilles badernes, l’ex­posé de son pro­gramme « économique et social»…

Certes, il a rai­son, en inti­t­u­lant sa chronique « La Finance inter­na­tionale con­tre la paix ». Sans doute, une réminis­cence, mais la teneur de l’article ne répond mal­heureuse­ment pas à un titre aus­si alléchant :

Il faut que la Finance rede­vi­enne la ser­vante des nations. Elle est inca­pable de les con­duire. Elle doit être remise à son rang, qui n’est point le pre­mier. Si elle veut con­tin­uer de domin­er, l’aven­ture se ter­min­era très mal. Il est encore temps pour elle de redress­er sa posi­tion. On espère qu’elle y sera aidée, dans ce pays, par la par­tie saine de la Banque qui s’ap­puie sur la province française, et où l’on trou­ve tant de ban­quiers qui n’ont jamais fail­li à leur rôle de gar­di­ens de l’é­pargne française.

Allons ! La Finance n’a rien à crain­dre des foudres dont la men­ace l’ex-chambardeur.

Il faut con­seiller aux financiers inter­na­tionaux qui opèrent en France de se retir­er de ce jeu s’ils ne veu­lent pas voir leurs ban­ques assiégées par les anciens com­bat­tants qui ne se sont pas bat­tus pour que leur vic­toire ne serve qu’à lancer une émis­sion de mau­vais papier.

Mais Georges Val­ois pour­rait-il nous expli­quer pourquoi, en réal­ité, ils se sont battus ?

Sport

Dans le Jour­nal du Peu­ple, Lucien Le Foy­er fait sur ce sujet de justes et pénibles constatations :

La car­ac­téris­tique de ce temps ? Ce ne sont plus seule­ment les enfants qui « jouent» ; ce sont les hommes. Ils jouent à la vio­lence, au geste du meurtre, ou au meurtre. Ils se réu­nis­sent autour d’un bal­lon, édictent et vénèrent les lois du bal­lon. Des spec­ta­teurs, par mil­liers, suiv­ent cette poche de cuir qui fait courir des hommes. L’hu­man­ité retombe en enfance, qui est « l’âge sans pitié»… Au mus­cle on immole l’e­sprit, et le cœur. L’in­tel­li­gence s’age­nouille devant le biceps. Le cerveau s’éblouit du coup de poing et de la bouche en sang.

Et, après un tableau non exagéré de la mis­ère présente : ruines non relevées, envahisse­ment du men­songe et de la bar­barie, famine, mas­sacres, etc., L. Le Foy­er conclut :

Mais les maîtres de l’opin­ion, et l’opin­ion, n’ad­mirent que les inutiles, dont les gestes dan­gereux tour­nent autour de la mort : l’e­scrimeur, le boxeur, l’ex­plo­rateur, l’ath­lète… Et Nansen perd son auréole, quand, ces­sant de vis­iter les neiges, il donne à manger à des enfants.

Aver­tisse­ment sans frais

Marc L. Lefort, dans l’Ordre Naturel, jour­nal indi­vid­u­al­iste pro­priétiste, met en garde les com­mu­nistes lib­er­taires (mer­ci en pas­sant) con­tre les visées des social­istes à la mode de Moscou :

Aux man­i­fes­ta­tions en faveur de Sac­co et Vanzetti, dont entre par­en­thès­es, je ne sais encore s’ils sont lib­er­taires ou autori­taires, vous vous mêlez volon­tiers aux prési­dents, juges, pro­cureurs et généraux des futurs Sovi­ets. Ils vous ont trahis hier. Ils vous trahi­ront demain. Bonnes dupes, vous n’en tra­vaillez pas moins à la même révo­lu­tion qu’eux.

Mais, elle se fera con­tre vous, n’en doutez pas. Nous représen­tons, vous comme nous, l’indépen­dance d’e­sprit, le libre exa­m­en. Nous gênons. Alors que tous les malins du régime actuel trou­veront leur place chez les com­mu­nistes autori­taires, il n’y aura que nous qu’on tien­dra en sus­pi­cion. Nous peu­plerons les pris­ons nou­velles, améliorées, sci­en­tifiques que le régime futur bâti­ra. Au fur et à mesure que l’un de vous s’étein­dra, le flam­beau de l’a­n­ar­chie brillera un peu moins et cela jusqu’à ce qu’il ne reste plus, de vous et de nous, que le souvenir…

Évidem­ment, c’est là le sort qui nous échoirait… si, en réal­ité, nous étions assez poires pour faire le jeu des dic­ta­teurs. Mais que M. Lefort se ras­sure, nous n’avons pas du tout l’in­ten­tion de nous laiss­er faire.

Jour­nal­isme

Dans l’Humanité, L.-O. Frossard par­le du Jour­nal­isme en des ter­mes que nous ne pou­vons mieux faire que d’approuver :

Jadis, aux temps héroïques d’Ar­mand Car­rel, le jour­nal­isme s’honorait de fidél­ité aux principes. Il était une libre tri­bune pour libres écrivains. Le développe­ment du Régime cap­i­tal­iste l’a indus­tri­al­isé et cor­rompu. Pour faire une belle car­rière dans la presse con­tem­po­raine, il faut avoir des con­vic­tions de rechange et une con­science com­plaisante. Moyen­nant quoi, la for­tune vous sourit. On entre dans la presse, comme on entre dans les huiles, ou dans les phos­phates. On ne con­sid­ère plus l’idée à défendre, la doc­trine à propager, mais l’af­faire à réus­sir, le béné­fice à réalis­er. Un grand jour­nal est une usine, un petit est un tripot. On peut devenir, au choix, le pre­mier employé de l’u­sine ou le ten­ancier du tripot.

Une seule excep­tion : la nôtre.

Naturelle­ment!…

Mas­ca­rade
Dans le Jour­nal, E. Helsey rend compte dans tous ses détails de la céré­monie du couron­nement de Sa Sain­teté Pie XI. C’est une débauche de mise en scène et de fig­u­ra­tion qui laisse loin der­rière elle tout ce que peut enfan­ter l’imag­i­na­tion des revuistes de music-hall les plus réputés.

D’abord, ce sont les car­dinaux, archevêques, évêques, patri­arch­es, abbés mitrés et crossés qui renou­vel­lent l’ado­ra­tion. Tous se lèvent, et selon leur rang vont, bais­er le pied, la joue, la poitrine du Saint-Père qui siège, impas­si­ble sur son trône drapé de blanc.

On est ten­té de se deman­der s’il n’y a pas des croy­ants, autorisés par « leur rang » à lui embrass­er le derrière.

Prodigieuse apothéose de la bêtise humaine!…

La ques­tion des mutilés

Un rédac­teur du Gaulois a inter­viewé le min­istre de la Prévoy­ance sociale de Tché­co-Slo­vaquie sur la façon dont est com­prise, dans son pays, l’aide aux mutilés :

En effet, le prob­lème se posait de la façon suiv­ante : des hommes, afin de défendre leur pays et la société, ont per­du l’usage de leurs mem­bres. Com­ment ce pays et cette société peu­vent-ils, en recon­nais­sance de ce sac­ri­fice libre­ment con­sen­ti, les dédom­mager de la perte qu’ils ont subie.

Leur don­ner, ain­si qu’il e été fait dans la presque total­ité des pays ayant pris part à la guerre, une pen­sion for­cé­ment insuff­isante et leur per­me­t­tre, de cette façon, d’at­tein­dre le terme de leur exis­tence dans une médi­ocrité presque tou­jours mis­érable ? C’est là un point de vue, et nous n’avons pas voulu l’adopter.

C’est pour­tant le point de vue auquel s’est ral­lié le Gou­verne­ment français qui se venge de cette libéral­ité en faisant assom­mer, de temps à autre, ceux qu’une pre­mière expéri­ence ont dégoûtés à tout jamais de la boucherie humaine.

Mais le min­istre va un peu fort en par­lant de sac­ri­fice libre­ment consenti!…

Sur un « fait-divers »

C’est un mutilé, mais un mutilé sans gloire, sans médailles, qui en est le héros. Ayant per­du le bras droit en accom­plis­sant son tra­vail de mon­teur élec­tricien, il touchait, depuis, une mod­este rétri­bu­tion (11 francs pour le faire vivre lui et sa vieille mère). D’un coup, on lui sup­prime cette allo­ca­tion à laque­lle, sans doute, il n’avait plus droit, le sac­ri­fice n’ayant pas été assez libre­ment con­sen­ti!… Il réclame : on le flanque à la porte. Et alors, il se venge :

« Au cours de mon tra­vail à la Com­pag­nie générale, j’ai été, il y a deux ans, vic­time d’un acci­dent qui m’a coûté le bras droit. Je suis inscrit depuis lors à « l’as­sur­ance », car la com­pag­nie assure elle-même son per­son­nel. Mais depuis longtemps, on refuse de me pay­er. Je suis allé à plusieurs repris­es voir M. Arnoux. Il n’a jamais voulu me vers­er un cen­time. Je suis retourné à son bureau une dernière fois lun­di, sans plus de suc­cès qu’au­par­a­vant. C’est alors que j’ai résolu de le tuer. »

Le Petit Parisien, qui relate l’ar­resta­tion, écrit :

« Sur le boule­vard, il fut accueil­li par des huées et frap­pé par la foule. »

Et sans doute aus­si par quelque glo­rieux com­bat­tant de la « grande guerre » qui n’a pas encore com­pris que le tra­vail est le plus noble des champs de bataille et que ses blessés ont des droits égaux, sinon supérieurs, à ceux des guerriers!…

Gênes

L’ar­rivée de Poin­caré au pou­voir risque fort de faire reculer la date de la fameuse con­férence de Gênes. Le prési­dent de la guerre ne sem­ble pas pressé de se ren­con­tr­er avec Lénine. Il fau­dra bien pour­tant qu’il en prenne son par­ti, car presque tous les jour­naux acceptent cette con­férence, les uns avec ent­hou­si­asme, les autres la mort dans l’âme.

Tel le Gaulois :

Faut-il ou non don­ner la main aux Soviets ?

Dans la vie privée une ques­tion pareille ne se pose pas. Les assas­sins vont générale­ment an bagne, et à moins de les suiv­re dans les lieux du châ­ti­ment, on n’a pas d’oc­ca­sion d’en­tr­er en con­tact avec ce genre de personnages.

Dans la vie poli­tique, c’est autre chose. Le pou­voir peut bien tomber dans les mains de brig­ands et, dans ce cas, on a beau se détourn­er avec répug­nance, on finit tout de même par avoir affaire aux assas­sins. Les affaires sont les affaires.

C’est en effet ce que nous con­sta­tons depuis que nous étu­dions l’His­toire. Mais ne croyez-vous pas qu’en fait d’as­sas­sins, la con­férence de Gènes en con­stituera une belle réu­nion de famille ?

Curieux assem­blage

Un nou­veau groupe par­lemen­taire vient de se for­mer : « le groupe de défense des Tra­vailleurs intellectuels ».

Ce groupe sera en rela­tions étroites avec la C.T.I. (Con­fédéra­tion des Tra­vailleurs Intel­lectuels), qui compte, si j’en crois mon jour­nal, 120.000 adhérents.

Le Bureau est ain­si, constitué :

Prési­dent : M. Viviani ; vice-prési­dents : MM. Mau­rice Bar­rès, Léon Blum, Gas­ton Deschamps, Guibal, Her­riot, abbé Lemire, Painlevé ; secré­taire général : M. Bokanows­ki ; secré­taires : MM. Pierre Rameil, Boissard.

Bar­rès et Blum!… Her­riot et l’ab­bé Lemire!… Bien des ten­dances… de façade, mais qui dis­parais­sent vite devant une ques­tion d’in­térêt. Et puis, cela leur rap­pelle l’Union sacrée…

Faites des gosses

Dans le Jour­nal, Clé­ment Vau­tel fait ces con­sta­tions sur la crise des nais­sances, dans les familles bourgeoises :

Dans les maisons neuves, les maisons bour­geois­es, il y a beau­coup de pianos et beau­coup de chiens, mais pas de gosses.

C’est le cou­ple bour­geois qui a adop­té la devise : « Après nous, le déluge », et qui, sans atten­dre les cataractes célestes, noie sans retard toute espérance ou plutôt toute crainte, de progéniture.

Com­men­tant ces lignes, l’Action Française donne cette explication :

Mais, s’il est vrai que la crise de la natal­ité sévit surtout dans la classe bour­geoise, n’est-ce pas en par­tie la faute des lois qui s’at­taque­nt aux for­tunes moyennes et, en décourageant l’é­conomie qui était la car­ac­téris­tique de cette classe, la poussent à se restrein­dre. Cela n’est pas une excuse, assuré­ment, mais une explication.

Mais c’est une excuse, et une excuse égale­ment pour les nom­breux ouvri­ers que les impôts, le chô­mage, la mal­adie, la vie chère oblig­ent à des restric­tions nom­breuses et var­iées et les inci­tent à faire atten­tion et à ne pas créer à tort et à tra­vers de la chair à souffrances.

Pierre Mualdès


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