La Presse Anarchiste

Organisons notre Presse

La force d’un par­ti ou d’une doc­trine se mesure à la puis­sance de sa presse et au nombre de ses lecteurs.

C’est une véri­té que maintes consta­ta­tions et recherches m’ont démontrée.

Nos socié­tés euro­péennes ont dépas­sé l’é­poque de la pro­pa­gande res­treinte à un cercle d’af­fi­liés du jour­nal, livre ou bro­chure lus en petite société.

Tout indi­vi­du, qui n’est pas un igno­rant et un indif­fé­rent abso­lu, lit aujourd’­hui régu­liè­re­ment son journal.

C’est même faire de la plus élé­men­taire psy­cho­lo­gie que d’af­fir­mer que l’on peut dire qu’elles sont les opi­nions de quel­qu’un, quand on connaît son jour­nal favori.

Autres remarques très sug­ges­tives. Le nombre des syn­di­qués a atteint en France, l’an­née der­nière, le chiffre impor­tant de deux millions.

Les élec­tions de novembre 1919 ont don­né un chiffre rond d’un mil­lion de voix, aux divers can­di­dats dits d’a­vant-garde, socia­listes. Et bien, nous pou­vons affir­mer que le nombre des lec­teurs des organes socia­listes et syn­di­ca­listes n’a jamais dépas­sé 200 000.

Ce qui prouve qu’il est plus facile de recru­ter un syn­di­qué ou d’in­fluen­cer un élec­teur que de faire un lec­teur régulier.

La fai­blesse des grou­pe­ments d’a­vant-garde est révé­lée par ces chiffres de façon évidente.

Ne nous frap­pons pour­tant pas trop de cette fai­blesse. La presse d’a­vant-garde est en géné­ral beau­coup plus lue qu’a­vant-guerre. Il y a pro­grès de ce côté.

Cepen­dant, quand on regarde la puis­sance et la dif­fu­sion de la presse bour­geoise, bour­reuse de crânes, on est obli­gé de consta­ter qu’il y a encore bien du che­min à faire, avant de prendre l’avantage.

Il ne faut pas non plus avoir peur de dire que notre presse anar­chiste est en état d’in­fé­rio­ri­té mar­quée. Nos cama­rades mili­tants n’ont pas su faire l’ef­fort métho­dique, constant, que néces­site la vie de nom­breux journaux.

Chaque centre impor­tant, presque chaque dépar­te­ment a son petit organe de pro­pa­gande socia­liste ou com­mu­niste. Nous brillons par notre absence.

Quelle force pour­tant lais­sons-nous échap­per là !

Le lec­teur qui lit un de nos jour­naux, chez lui, à tête repo­sée, pou­vant arrê­ter sa lec­ture pour réflé­chir sur un pas­sage saillant, et la conti­nuer ensuite, n’est-il pas plus influen­cé, plus ame­né à rai­son­ner, à se faire une convic­tion per­son­nelle, que l’au­di­teur d’un mee­ting quelconque ?

Quand on sait à quel prix revient un mee­ting, pour un résul­tat trop sou­vent maigre, et qu’on le com­pare à ce que revien­drait un numé­ro de jour­nal, l’a­van­tage, tant pour la qua­li­té que pour la quan­ti­té, reste à ce dernier.

La seule dif­fi­cul­té, c’est que, pour le jour­nal, il faut renou­ve­ler l’ef­fort à périodes fixes, toutes les semaines autant que possible.

L’ef­fort n’est pour­tant pas, à y bien réflé­chir, au des­sus des capa­ci­tés de nombre de nos groupes de pro­vince. Consi­dé­rons que chaque lec­teur régu­lier est ou devient un sym­pa­thique et effor­çons-nous, de cher­cher un nombre de plus en plus fort de ces lecteurs.

Pour en trou­ver beau­coup, il faut recher­cher toutes les condi­tions favo­rables. La presse bour­geoise, la presse socia­liste l’ont fait. Elles pos­sèdent des revues doc­tri­nales, lit­té­raires, humo­ris­tiques ; de grands quo­ti­diens s’a­dressent à l’en­semble de la nation. Elles pos­sèdent, en outre, des organes régio­naux qui répondent à ce besoin de connaître et de s’oc­cu­per des choses locales, qui est dans la men­ta­li­té de beaucoup.

La Revue Anar­chiste qui consti­tue un sérieux pro­grès pour notre mou­ve­ment, avec la col­la­bo­ra­tion de tous les copains du pays, peut et doit répondre à toutes les ques­tions de doc­trine, de théo­rie, d’é­tudes spé­ciales sur cer­tains points, de ren­sei­gne­ments géné­raux. Nous devons en faire une concur­rente sérieuse de toutes les revues précitées.

Le Liber­taire, notre organe natio­nal, vivant, actif, com­ba­tif, sui­vant les évé­ne­ments de très près, menant toutes les cam­pagnes utiles, doit être répan­du, dif­fu­sé, le plus lar­ge­ment possible.

Le jour où nous aurons su le faire connaître au grand public, lui trou­ver une clien­tèle assi­due, l’ap­puyer de tous nos moyens, peut-être pour­rons-nous en faire le quo­ti­dien dont nous sen­tons tous l’utilité.

C’est un rêve dans l’é­tat actuel. Mais que de rêves deviennent réa­li­té, quand la volon­té intervient !

Il est un autre genre de jour­naux éga­le­ment très répan­dus, je veux par­ler de la presse régio­nale. La mul­ti­pli­ci­té des jour­naux régio­naux — quo­ti­diens ou heb­do­ma­daires — bour­geois ou socia­listes — prouve sur­abon­dam­ment qu’ils répondent à un besoin.

Mieux même. La créa­tion de ces organes, en élar­gis­sant le rayon de péné­tra­tion de cer­tains par­tis, a eu comme résul­tat de dif­fu­ser davan­tage la presse géné­rale de ces partis.

Aban­don­ner ce ter­rain, c’est lais­ser incultes les meilleurs champs où pour­raient ger­mer nos idées.

Un organe régio­nal à faire vivre, n’est pas un miracle à réaliser.

Je crois, avec Vil­le­mes­sant, que « tout homme est capable d’au moins un excellent article », que beau­coup de mili­tants sont aptes — avec un peu de volon­té et d’en­traî­ne­ment — à rédi­ger une rubrique de journal.

Du moment qu’un seul cama­rade a suf­fi­sam­ment de com­pé­tence au point de vue ortho­graphe, gram­maire, syn­taxe et style, pour don­ner quelques petites retouches à la forme des articles, un groupe de copains sera tou­jours capable de pré­sen­ter un jour­nal convenable.

C’est d’ailleurs une bonne école pour les mili­tants. Pour écrire, il faut mettre de l’ordre dans ses propres idées, étu­dier, com­pa­rer. Com­bien de cama­rades inaptes à la pro­pa­gande sont deve­nus de bons mili­tants par cette filière.

Les condi­tions d’im­pri­me­rie et le prix du papier — plus favo­rables que l’an­née der­nière — per­mettent de faire un petit jour­nal (for­mat de « La Vague »), ayant un tirage de 1.000 pour la somme ronde de 400 francs.

Ren­dez-le inté­res­sant, vigou­reux, com­ba­tif, mor­dant, et ce n’est pas tom­ber dans l’exa­gé­ra­tion de pré­tendre qu’il sera alors facile à une équipe dévouée de cama­rades ven­deurs d’en pla­cer au moins 2.500 dans toutes les grosses agglo­mé­ra­tions ouvrières. (Nous avons de beau­coup dépas­sé ce chiffre à Amiens, ville de 92.000 habi­tants : Cas­teu a atteint le nombre de 1.200 à Beau­vais, ville de 20.000 habi­tants, chiffres régu­liers, ne variant presque pas depuis des mois.)

2.500 à 11 cen­times (4 cen­times res­tant au ven­deur qui peut encore les lais­ser pour le jour­nal, si c’est un copain), cela fait 265 fr, Soit 135 francs nets de défi­cit par numéro.

Les abon­ne­ments dimi­nuent ce défi­cit. L’aug­men­ta­tion de la vente le dimi­nue aus­si, tout ce qu’on tire au-des­sus du pre­mier mille revient moins cher que le prix de vente (entre 7 et 8 cen­times l’exemplaire).

Donc, la chasse aux abon­nés, la chasse aux lec­teurs, la chasse aux sous­crip­tions. Des soi­rées orga­ni­sées en faveur du journal.

La vie d’un jour­nal crée une agi­ta­tion indis­pen­sable, ne fut-ce que pour le faire vivre.

À ces res­sources, d’au­cuns estiment qu’on peut ajou­ter quelques annonces com­mer­ciales propres. D’au­cuns com­battent cela. C’est une ques­tion de point de vue et de possibilités.

La créa­tion de ces petits jour­naux n’est pas une impos­si­bi­li­té maté­rielle. Dans toute ville de cent mille habi­tants où existe un noyau d’une dizaine de copains, elle reste dans les choses possibles.

Pour me résu­mer, je dirai qu’il est sou­hai­table et pos­sible de voir notre mou­ve­ment se ser­vir de la presse comme d’un moyen de pro­pa­gande, comme d’un levier moral très influent sur les masses.

Orga­ni­sons notre presse dans tous les genres. Revue, pour per­fec­tion­ner nos mili­tants, étu­dier le pro­blème social sous toutes ses faces ; grands organes géné­raux de pro­pa­gande, com­bat et infor­ma­tion ; nom­breuse presse régionale.

Il y a là un champ d’ac­ti­vi­té pour tous les mili­tants anar­chistes, un ter­rain fécond où nous pour­rons semer lar­ge­ment les véri­tés de notre idéal.

Georges Bas­tien


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