La Presse Anarchiste

Sous l’angle de l’humour

Un de mes amis est un per­son­nage ori­gi­nal, en ce sens qu’il a une manie peu com­mune : il nour­rit et affirme en toute occa­sion une admi­ra­tion déli­rante pour la Prin­ci­pau­té de Mona­co. Pour lui, tout ce qui est moné­gasque, ins­ti­tu­tions, mœurs, prin­cipes de gou­ver­ne­ment, repré­sente l’idéal vers lequel doit tendre toute socié­té civile. Il est inutile de dire que, dans le chaos où nous vivons, les des­tins de la prin­ci­pau­té le pré­oc­cupent vive­ment. Quand il ima­gine les périls qui la guet­te­ront dans une seconde guerre mon­diale, son plexus se crispe, il perd l’appétit, il dort mal.

Mais, l’autre jour, je l’ai vu venir vers moi lit­té­ra­le­ment trans­fi­gu­ré. « J’ai trou­vé, s’écria-t-il. Ou plu­tôt, l’exemple d’autrui m’a ins­pi­ré une solu­tion qui per­met­trait de sau­ve­gar­der cette chère prin­ci­pau­té. » Et il m’expliqua gra­ve­ment que, ne croyant plus guère aux gou­ver­ne­ments des grandes puis­sances, à l’O.N.U. et autres fari­boles, il pro­je­tait de s’adresser aux peuples eux-mêmes. L’idée lui en était venue en voyant s’amorcer la pro­pa­gande com­mu­niste au sujet d’une guerre pos­sible contre la Rus­sie. Son plan était simple, puisqu’il ne s’agissait que de reprendre à son compte la tech­nique du Par­ti, et celle qu’on lui prête : grande cam­pagne par affiches pour aler­ter l’opinion ; pres­ta­tion de ser­ment par les jeunes conscrits de ne jamais por­ter les armes contre la Principauté. 

Et, dans un élan de lyrisme : « Jure-moi, ajou­ta-t-il, jure-moi solen­nel­le­ment que tu n’iras jamais affir­mer notre volon­té de gran­deur en allant guer­royer contre les Moné­gasques ! » Inutile de vous dire que je me suis « enga­gé » à fond. Per­son­nel­le­ment, je suis prêt à signer d’avance un pacte de paix sépa­rée avec n’importe quel homme d’État qui aurait la fan­tai­sie de tenir compte de ma modeste per­sonne. À plus forte rai­son un pacte de non-agres­sion. Mais comme je n’ai pas une dou­zaine de dra­gées ato­miques à ma dis­po­si­tion, je doute fort que jamais pareille pro­po­si­tion me soit faite.

Ceci dit, l’idée de mon cama­rade n’est pas si bête si on vou­lait l’élargir. Les com­mu­nistes n’ont pas tort de ne pas vou­loir se battre contre l’U.R.S.S. Et pour un tas de rai­sons sur les­quelles nous sommes tous d’accord. Alors, puisqu’ils s’inspirent prin­ci­pa­le­ment d’un idéal paci­fiste dont le fon­de­ment est que la Rus­sie a besoin de la paix, je leur pro­pose de dou­bler leur ser­ment, de lui don­ner une effi­ca­ci­té réelle, de lui reti­rer tout ce qu’il com­porte d’équivoque, en jurant solen­nel­le­ment de ne jamais se battre contre les U.S.A. Quelle por­tée consi­dé­rable aurait un tel geste à l’heure actuelle ! On me dira qu’il ne serait pas sin­cère. Qui sait ? Les membres du par­ti, avant d’être com­mu­nistes, sont tout de même des hommes. Et, in pet­to, je les soup­çonne fort de ne pas tenir tel­le­ment à aller au casse-pipe, fût-ce pour voir leurs petits-neveux pro­fi­ter d’un régime idéal comme on sait qu’il en existe un der­rière le rideau de fer.

D’ailleurs, ils seraient rela­ti­ve­ment pri­son­niers de leur ser­ment. Si quelques ini­tiés se livraient, en le prê­tant, à quelque res­tric­tion men­tale, la masse des braves gars qui les suivent iraient sans doute franc jeu. En outre, je sup­pose que la plu­part des Fran­çais, à part quelques exci­tés qui rêvent de nous faire mas­sa­crer pour défendre le capi­ta­lisme amé­ri­cain, seraient pris d’un viril enthou­siasme et leur emboî­te­raient le pas aus­si­tôt. Alors, en cas d’occupation russe, si un Mar­ty ou un Fajon quel­conque vou­lait col­ler à quelques mil­lions de Fran­çais l’uniforme russe, il y aurait peut-être du tirage, et ces col­la­bo­ra­teurs d’un nou­veau genre éprou­ve­raient quelques déboires.

Je ne sais pas si les cama­rades du par­ti goû­te­ront ma pro­po­si­tion. Mais, pour ma part, j’affirme solen­nel­le­ment dès aujourd’hui ma volon­té de ne jamais faire la guerre contre l’U.R.S.S., la prin­ci­pau­té de Mona­co, et les États-Unis. On pour­rait, bien enten­du, élar­gir cette posi­tion à toutes les nations des cinq par­ties du monde. Et si quelques mil­liers de Fran­çais l’affirmaient défi­ni­ti­ve­ment, ils seraient bien­tôt sui­vis par quelques cen­taines de mil­liers, et il est pro­bable que cette nou­velle tech­nique du paci­fisme débor­de­rait vite nos frontières.

Le doc­teur Evatt répond aujourd’hui à Gar­ry Davis que « l’O.N.U., et en par­ti­cu­lier l’assemblée géné­rale n’a pas le pou­voir géné­ral ou la pré­ro­ga­tive de faire la paix ». C’est bien ce qui m’ennuie, et c’est pour­quoi, en me ser­vant de ce qui existe déjà, à savoir la prise de posi­tion des com­mu­nistes, je pro­pose une solu­tion qu’on juge­ra fort médiocre, mais qui n’est pas exclu­sive d’une ini­tia­tive plus intel­li­gente pour que les grands États modernes, s’ils tiennent abso­lu­ment à en découdre, finissent par foutre la paix aux Euro­péens réso­lu­ment paci­fistes que nous sommes à peu près tous.

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