La Presse Anarchiste

L’Individualisme et l’asociation

Deux faits domi­nent l’hu­man­ité : la lib­erté indi­vidu­elle et les néces­sités sociales. De ces faits sont sor­tis arbi­traire­ment tous les sys­tèmes qui peu­vent se résumer dans ces deux principes antag­o­nistes : l’in­di­vid­u­al­isme et le communisme.

En philoso­phie sociale, le mot indi­vid­u­al­isme est employé générale­ment dans un sens défa­vor­able, soit par l’ac­cep­tion qu’en don­nent les com­mu­nistes, soit par l’emploi qu’en font les économistes.

En économie poli­tique, l’in­di­vid­u­al­isme a sa car­ac­téris­tique dans le Laiss­es faire, laiss­es pass­er qui, sous une apparence de lib­erté, est la con­sécra­tion et la sanc­ti­fi­ca­tion du despo­tisme, de l’au­torité arbi­traire, du priv­ilège et de l’iné­gal­ité sociale. C’est la préli­ba­tion organ­isée, c’est l’iniq­ui­té sociale systématisée.

Le com­mu­nisme, faisant abstrac­tion de la per­son­nal­ité humaine, voit dans l’in­di­vid­u­al­isme la néga­tion de toute civil­i­sa­tion et le con­sid­ère comme un retour à la vie sauvage ou comme l’ex­pres­sion de la Société actuelle, à laque­lle il oppose un sys­tème social basé sur l’é­gal­ité. Le com­mu­nisme con­sid­ère l’in­di­vidu comme un rouage de la machine sociale qui, con­fiée à une direc­tion cen­tral­isatrice, est chargée de veiller, de dis­tribuer avec le tra­vail le bien-être, le bon­heur aux mem­bres de la Société, à laque­lle sont immolées dig­nité, lib­erté, per­son­nal­ité, sous pré­texte d’égalité.

L’In­di­vid­u­al­isme social­iste révo­lu­tion­naire ou An-archisme, s’il doit être con­sid­éré comme une néga­tion, c’est comme celle de tout despo­tisme, de toute autorité con­traig­nant ou entra­vant, pour l’in­di­vidu, la fac­ulté d’a­gir libre­ment ou la libre sat­is­fac­tion des besoins nutri­tifs, sen­si­tifs, intel­lectuels. Il pose en principe : l’in­di­vidu libre, la sol­i­dar­ité mutuelle dans les rap­ports, les asso­ci­a­tions autonomes pour les intérêts.

Cette théorie est celle de la lib­erté con­sid­érée dans sa plus grande exten­sion ; elle s’ap­puie sur la sci­ence et la philoso­phie mod­ernes ; elle peut être com­parée, dans son développe­ment, à celui de l’e­sprit humain : « De temps à autre, l’e­sprit de l’homme nour­ri par un accroisse­ment de con­nais­sances se trou­ve à l’étroit dans son enveloppe théorique ; celle-ci se déchire, une autre doit lui suc­céder ». L’in­di­vidu, dans son dernier développe­ment, ne réclame pas une dose de lib­erté plus ou moins suff­isante, il exige cette lib­erté entière, absolue.

L’homme prim­i­tif dut être, d’après les dernières recherch­es sci­en­tifiques, un sauvage très grossier, à peu près muet qui, poussé par les besoins et le milieu naturels, s’él­e­va avec une extrême lenteur et des efforts inouïs à un cer­tain degré de civil­i­sa­tion. L’ef­fet de cette civil­i­sa­tion, c’est la lutte de l’homme con­tre la nature, réagis­sant et tri­om­phant des lois physiques, en prévoy­ant les résul­tats pour les neu­tralis­er ou les met­tre à son prof­it ; c’est la lutte de l’in­di­vidu con­tre les lois sociales, en s’a­chem­i­nant vers le pro­grès ; c’est sa con­stante révolte pour la con­quête de la lib­erté indi­vidu­elle — et l’idée de lib­erté indi­vidu­elle a été, par excel­lence, l’idée émancipatrice.

La marche de la civil­i­sa­tion qui se mon­tre partout est liée à l’é­man­ci­pa­tion de l’in­di­vid­u­al­ité et cette éman­ci­pa­tion, con­stante dans toutes ses phas­es, est le développe­ment réguli­er de l’idée de pro­grès qui a pour car­ac­téris­tique la ten­dance à l’in­di­vid­u­a­tion. Le pro­grès, dans sa marche, con­duit égale­ment à l’af­fran­chisse­ment des indi­vidus par les décou­vertes, les inven­tions nou­velles et le per­fec­tion­nement con­tinu des machines, qui ren­dront plus acces­si­bles les objets néces­saires à la sat­is­fac­tion des besoins tout en dimin­u­ant les heures de travail.

« Le but du pro­grès » a dit Stu­art Mill « n’est pas de met­tre les hommes dans une sit­u­a­tion où ils puis­sent se pass­er les uns des autres, mais leur per­me­t­tre de tra­vailler ensem­ble dans des rap­ports qui ne soient pas des rap­ports de dépendance ».

Sur le ter­rain économique, cette lib­erté devient un fait par la sup­pres­sion du cap­i­tal-exploiteur et du salari­at-exploité, rem­placés par le tra­vail-asso­cié répar­tis­sant l’in­té­gral­ité du pro­duit. — Aujour­d’hui, la ques­tion de tra­vailler isolé­ment ou de tra­vailler pour un maître ne s’im­pose plus ; la ques­tion est — après l’ex­pro­pri­a­tion, la social­i­sa­tion du sol et des instru­ments de tra­vail — de tra­vailler moins et mieux pour soi et pour tous en tra­vail­lant groupé libre­ment. Et si on a con­staté que le mou­ve­ment économique des sociétés mod­ernes tendait à sub­stituer l’in­dus­trie socié­taire à l’in­dus­trie pro­prié­taire, cette con­stata­tion n’im­plique pas qu’une autorité doive sub­sis­ter, que l’au­torité pro­prié­taire ou patronale doit être rem­placée par l’au­torité socié­taire, non, mais voir là, la marche pro­gres­sive de l’hu­man­ité vers les asso­ci­a­tions mutuelles autonomes, com­posées d’in­di­vidus libres, tous par­tic­i­pant aux béné­fices du tra­vail associé.

Julen­dré.


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