La Presse Anarchiste

Chronique du mois

Ce mois-ci, la « bagarre de Ménil­mon­tant » a ouvert le feu des cas de révolte. Varo­cot, Niquet et Méreaux ont été les vic­times de la bru­ta­li­té de la police en atten­dant qu’ils le soient, comme com­pen­sa­tion, de la risible mas­ca­rade qui prend pour nom Tri­bu­nal. Néan­moins, Méreaux a eu la satis­fac­tion de mon­trer aux dignes ser­vi­teurs de Gra­gnon qu’il n’est pas tou­jours sans dan­ger pour eux d’ap­por­ter la paix à coups de sabre dans les réunions anar­chiques, et Niquet et Varo­cot ont eu celle d’être remis en liber­té pro­vi­soire après quelques semaines d’une pré­ven­tion dénuée de tout sem­blant de motif.

Il a été fort heu­reux pour ces trois com­pa­gnons que leur arres­ta­tion a eu lieu avant la dis­tri­bu­tion gra­cieuse de bottes qui a été faite depuis aux ser­gots. Le « pas­sage à tabac » aus­si lâche que soi­gné dont ils ont été l’ob­jet à leur arri­vée au poste, les eût cer­tai­ne­ment lais­sés sur place. Je suis, par contre, presque satis­fait que les pre­miers essais coer­ci­tifs de ces élé­gantes chaus­sures se soient adres­sés aux col­lec­ti­vistes, aux­quels il est assez néces­saire d’in­fu­ser « de la haine ». L’en­ter­re­ment de Pot­tier et la hampe d’un dra­peau ont été le sujet de bous­cu­lades, du cof­frage, dénué de toute forme, du conseiller-ouvrier Jof­frin et de troubles inhar­mo­niques appor­tés dans la luxu­riante che­ve­lure du dépu­té-poète Clo­vis Hugues. Aus­si, dès le len­de­main, inter­pel­la­tions sur toute la ligne, cris de paon jetés par les organes col­lec­ti­vistes, mee­tings de pro­tes­ta­tion, d’in­di­gna­tion, reven­di­ca­tions de soli­da­ri­té émaillant la qua­trième du Cri. Résul­tats obte­nus : Avan­ce­ment d’Ho­no­rat ravi­taille­ment sérieux de la caisse du par­ti over­rier, séance déso­pi­lante au Par­le­ment, au cours de laquelle les graves repré­sen­tant, – aux­quels on se plai­gnait inno­cem­ment de ces bru­ta­li­tés et illé­ga­li­tés poli­cières, cepen­dant aus­si vieilles que le Monde – se sont tor­dus comme des carpes.

Il n’est pour­tant pas tou­jours rose d’être au ser­vice de laide et har­gneuse dame Police. Les constables anglais en savent quelque chose, et le mee­ting de Tra­fal­gar Square, où ils n’ont pas joué le beau rôle, nous fait consta­ter avec plai­sir que le temps des par­lot­tages com­mence à pas­ser de mode. Les misé­reux lon­do­niens ont, à leur tour, cogné ferme, et il ne tient plus guère qu’a eux, main­te­nant, de com­men­cer la danse tra­gique que la vieille Europe et la jeune Amé­rique enre­gis­tre­ront dans cette fin de siècle. Les quelques bour­geois des Deux-Mondes dont le gâtisme n’a pas encore entiè­re­ment obli­té­ré les facul­tés le sentent si bien que, dans leur affo­le­ment, ils en arrivent aux plus mons­trueux excès.

En Amé­rique, sept des nôtres ayant été condam­nés à mort en mai der­nier, l’exé­cu­tion de quatre d’entre eux vient d’a­voir lieu. Lingg, en se sui­ci­dant, n’a pas vou­lu lais­ser aux inqui­si­teurs modernes le bon­heur de jouir de son ago­nie. Nos cama­rades sont morts bra­ve­ment pour leur idée et – amère iro­nie – ont pu quit­ter la vie en tirant léga­le­ment la langue au Vieux-Monde. – À Paris, le com­pa­gnon Büchly, las d’une vie de misères et de pri­va­tions et de cher­cher un tra­vail impos­sible à trou­ver, brise avec un pavé la vitrine du « nègre de la Porte Denis » jette sur le trot­toir les bijoux ouvrés qu’il peut sai­sir et convie tous les meurt-de-faim à s’en empa­rer, plu­tôt que de conti­nuer à pas­ser, le ventre creux et l’ha­bit en loques, devant toutes ces inutiles et gogue­nardes richesses. Arres­ta­tion et condam­na­tion. Pour le bris d’une glace, sa qua­li­té d’a­nar­chiste lui fait octroyer six mois de pri­son. C’est roide. – À Saint-Quen­tin, Dever­tu, Bal et Mas­sey, pour­sui­vis en cour d’as­sises pour délit de paroles, crachent leur mépris a la face de leurs juges et trans­forment la salle d’au­dience en un lieu de pro­pa­gande pour nos idées. – En Bel­gique, Jahn s’en­tend condam­ner à 30 mois de pri­son pour exci­ta­tion à la des­truc­tion et vaga­bon­dage qua­li­fié. La défense de notre jeune cama­rade a été très éner­gique. Il reven­dique hau­te­ment la res­pon­sa­bi­li­té de ses actes et déclare qu’aus­si­tôt ren­du à la liber­té il repren­dra, sans trêve et sans mer­ci, la guerre à la classe bour­geoise et pos­sé­dante qui nous opprime.

L’a­go­nie de cette mori­bonde est d’ailleurs fort visible. Les der­nières tur­pi­tudes mises au jour ont jeté le désar­roi dans son camp dévasté.

Tan­dis que la foule idiote passe son temps à pour­chas­ser Lorentz et la Limou­zin du « Chat noir » à la bras­se­rie de « l’É­toile », de la rue Saint-Jacques jusque dans un fiacre qui pro­tège leur fuite – tout comme celle de M. Veto ; – pen­dant que le che­va­le­resque quar­tier latin assomme vic­to­rieu­se­ment un homme sans défense et se pour­lèche du peu attrayant spec­tacle offert par la vue in natu­ra­li­bus – face retro – de sa digne com­parse, – minis­tères et pré­si­dence se sont mis en grève, la presse bien pen­sante crie à l’a­nar­chie ! et nos bon bour­geois coassent le refrain connu des gre­nouilles de la fable.

Vrai­ment c’est pour le mieux ! Toute cette fange et l’ab­sence pro­lon­gée de direc­tion poli­tique ser­vi­ront sans nul doute à démon­trer à la masse l’i­na­ni­té de toute cette hié­rar­chie bud­gé­ti­vore. Elle fini­ra bien par se faire à l’a­vè­ne­ment pos­sible et néces­saire de l’An-archie que l’on a décriée, jus­qu’à ce jour, sur tous les tons, en l’ar­ran­geant à toute, les sauces indi­gestes qu’on a pu trou­ver. – Avant qu’il soit long­temps d’ailleurs, les anar­chistes conscients, se réser­vant la der­nière main, ser­vi­ront à leur tour à la Bour­geoi­sie et à l’Au­to­ri­té une sauce de leur façon, assai­son­née de telle sorte que la diges­tion leur en sera ren­due très facile et très prompte.

Nemo.


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