La Presse Anarchiste

le communisme

Il est de toute évi­dence que, cha­cune à son heure, toutes les écoles révo­lu­tion­naires ont servi la cause social­iste. En sou­tenant les reven­di­ca­tions pro­lé­tari­ennes, cha­cune, à des degrés divers, a accéléré l’évo­lu­tion de l’hu­man­ité vers la liberté.

Le Com­mu­nisme, par ses antécé­dents, a pu paraitre représen­ter le par­ti des opprimés ; mais nous tenons à établir qu’il ne peut con­tin­uer à incar­n­er en lui la cause social­iste sans faire dévi­er le mou­ve­ment pro­gres­sif des sociétés mod­ernes, dont le principe virtuel tend à ren­dre à l’in­di­vidu sa com­plète indépen­dance par la sup­pres­sion de l’É­tat, con­séquence de l’Au­torité ou despotisme.

Le Com­mu­nisme n’a été que l’ex­agéra­tion d’un bon sen­ti­ment, le sen­ti­ment de la jus­tice ; main­tenant il ne peut être qu’une source d’ar­bi­traire. Si l’on s’est mépris jusqu’à ce jour sur la portée de son principe c’est que, pour ses adhérent, il a répon­du à des sen­ti­ments d’é­gal­ité et d’hu­man­ité dans des théories sim­plistes, utopiques et reli­giosâtres. Sa rai­son d’être a été de pro­test­er con­tre une société féo­dale ou bour­geoise basée sur l’iné­gal­ité et l’é­goïsme omnipo­tent, au nom de la Jus­tice et de l’Hu­man­ité. Son action a été réelle et néces­saire aux épo­ques de la méta­physique, mais elle doit com­plète­ment cess­er en présence des principes posi­tifs et rigoureuse­ment sci­en­tifiques des temps présents. Le Com­mu­nisme est la for­mule sim­pliste de la lutte de l’homme con­tre la nature, par l’as­so­ci­a­tion com­mu­nau­taire fondée sur l’é­gal­ité absolue. L’idée com­mu­niste a pris nais­sance dans le sen­ti­ment du bon­heur du genre humain et elle a eu pour but la pro­tec­tion du faible con­tre le fort, la répar­ti­tion égale du bien et du mal inhérents à la nature des choses.

Cette idée, essen­tielle­ment phil­an­thropique, a inspiré tous les sys­tèmes ou théories com­mu­nistes. Elle trou­ve dans Pla­ton — le plus grand philosophe du spir­i­tu­al­isme hel­lénique — son pre­mier développe­ment. Pla­ton se donne pour but la per­fec­tion de la société et des indi­vidus, et croit la trou­ver dans la com­mu­nauté des biens et des plaisirs répar­tis par l’É­tat, d’où sont exclus les esclaves : l’esclavage étant la base de tous les sys­tèmes poli­tiques et économiques anciens. L’É­tat devient une vaste famille dis­tribuant le bon­heur à tous ses mem­bres et dans laque­lle l’or­dre est établi par la sup­pres­sion de tous les mobiles ou expres­sions de la per­son­nal­ité humaine.

Les idées com­mu­nistes reçoivent un nou­veau développe­ment du chris­tian­isme, que l’on peut con­sid­ér­er, avec la philoso­phie pla­toni­ci­enne, comme la source d’in­spi­ra­tion de toutes les utopies communistes.

Le chris­tian­isme prêche l’é­gal­ité. Il annonce que le règne de Dieu est proche, appor­tant le règne de la Jus­tice sur la terre. Morale­ment, il émancipe les esclaves qui com­posent la plus grande par­tie des néo­phytes ; ceux-ci, d’ac­cord avec leurs principes, s’étab­lis­sent en com­mu­nautés. À l’é­tat prim­i­tif, ces com­mu­nautés étaient fondées sur le renon­ce­ment à tous les plaisirs matériels ; elles étaient com­posées d’ini­tiés se livrant aux seules pra­tiques religieuses et con­sid­érant le tra­vail manuel comme inutile et servile ; plus tard, elles se trans­for­ment en monastères. Mais des chris­tian­isme qui sem­blait devoir être la reli­gion des faibles et des opprimés devient oppres­sif, se fait l’in­stru­ment de dom­i­na­tion des princes et des grands et con­sacre leurs priv­ilèges ; sa puis­sance aug­ment et sans cesse, il s’en sert comme moyens d’ex­tor­sion, et tout en prêchant aux hommes la vie idéale par­faite les livre à l’inquisition.

Après un long règne d’op­pres­sion et d’iniq­ui­té, après la Réforme, l’idée com­mu­niste trou­ve dans les Let­tres quelques con­sciences révoltées qui, sans se sous­traire au joug de la reli­gion, rêvent le bon­heur de l’hu­man­ité. L’U­topie de Thomas Morus, La Cité du Soleil de Cam­panel­la, L’O­ceana d’Har­ring­ton, La République de J. Bod­in sont l’ex­pres­sion de sen­ti­ments généreux, mais où la pen­sée religieuse domine elle est la résul­tante des con­cep­tions sociales de leur époque.

Morel­ly, après avoir pub­lié La Basil­i­ade, con­dense dans le Code de la Nature toutes les idées com­mu­nistes qui inspireront le sys­tème de Babœuf et des Égaux. Il pose en principe que l’homme étant né bon, s’il devient per­vers cela provient des lois et des préjugés. De cela il déduit que toutes les pas­sions sont légitimes et qu’il est néces­saire de les sat­is­faire par la mise en com­mun de tous les biens, source véri­ta­ble du bon­heur. Son sys­tème social est établi sur une longue suite d’oblig­a­tions, comme le mariage dès l’âge nubile, comme les fonc­tions publiques rem­plies à tour de rôle. Ce sys­tème devait être con­sid­éré comme la dernière des per­fec­tions et défense était faite d’y rien chang­er sous les peines les plus sévères.

Puis les utopies sociales et human­i­taires pren­nent une forme plus dog­ma­tique, philosophique et même para­doxale dans Mably et Rousseau qui exerceront une cer­taine influ­ence sur la Révolution.

Au milieu de l’ef­fon­drement de tout l’or­dre poli­tique et social, devant la curée de la Bour­geoisie cap­tant la Révo­lu­tion, Babœuf et les babou­vistes élèvent une protes­ta­tion indignée. Le Man­i­feste des Égaux, rédigé par S. Maréchal, réclame l’é­gal­ité non seule­ment dans les lois mais dans les foy­ers. Il n’ex­iste, dit-il, aucune dif­férence entre les hommes, tous ayant les mêmes fac­ultés et les mêmes besoins, des intel­li­gences égales récla­mant une même édu­ca­tion dans la com­mu­nauté. La protes­ta­tion est étouf­fée par la Révo­lu­tion qui avait été faite au nom de la lib­erté. La Révo­lu­tion n’avait fait que ren­vers­er une aris­to­cratie pour la rem­plac­er par une autre, elle avait sup­primé d’an­ciens priv­ilèges pour en établir de nou­veaux. L’aris­to­cratie bour­geoise, con­tin­u­ant à asservir et à exploiter les mass­es, décore son règne nou­veau du nom de par­lemen­tarisme pour con­sacr­er sa tyran­nie ; elle éla­bore son évangile économique pour jus­ti­fi­er ses spo­li­a­tions. Con­tre son arbi­traire et ses injus­tices, con­tre son cru­el et étroit égoïsme se sont élevés des hommes qui ont ouvert les voies au social­isme moderne.

Owen reprend les théories babou­vistes et les élar­git en niant Dieu, morale, reli­gion, source des préjugés qu’il veut détru­ire. Ni le vice ni la ver­tu n’ex­iste, il ne doit y avoir ni blâme ni louange, l’homme est irre­spon­s­able n’é­tant pas libre ; de même, dans la con­cur­rence et la spécu­la­tion com­mer­ciales réside tout le mal social. Saint-Simon se donne pour mis­sion l’amélio­ra­tion du sort de la classe pau­vre et laborieuse ; par ses recherch­es et ses travaux s’il pro­duit une pal­ingénésie religieuse, il for­mule la philoso­phie de l’in­dus­trie et du tra­vail. Fouri­er fait le procès de la société et il doit surtout être con­sid­éré par la force de sa cri­tique. Dans une sorte de com­mu­nauté qu’il appelle pha­lanstère, l’har­monie résulte de l’at­trac­tion pas­sion­nelle qui rend les indi­vidus socia­bles ; il établit, selon les fac­ultés et les tal­ents, hiérar­chique­ment, les fonc­tions ren­dues agréables par une loi séri­aire appliquée au tra­vail ; il décrit les avan­tages de l’as­so­ci­a­tion, sans toute­fois admet­tre l’é­gal­ité. Puis vien­nent les com­mu­nistes purs qui, par l’ex­agéra­tion de leurs théories fra­ter­ni­taires ou égal­i­taires, les dis­crédi­tent et les puérilisent pour tomber dans les rêver­ies icari­ennes. Tout en subis­sant l’in­flu­ence de Fouri­er et d’Au­guste Comte, Proud­hon, le pre­mier, déter­mine exacte­ment le social­isme, en for­mule les idées philosophiques et sci­en­tifiques. Il définit le Com­mu­nisme, en démon­tre l’i­nanité et con­state que « les autorités et les exem­ples qu’on allègue en faveur de la com­mu­nauté se tour­nent con­tre elle la République de Pla­ton sup­pose l’esclavage, celle de Lycur­gue se fait servir par des ilotes. Les com­mu­nautés de l’Église prim­i­tive ne purent aller jusqu’au 1er siè­cle et dégénèrent bien­tôt en moiner­ies ; dans celles des jésuites du Paraguay, la con­di­tion des noirs apparut aux voyageurs aus­si mis­érable que celle des esclaves. On le voit, la com­mu­nauté n’est qu’iné­gal­ité, oppres­sion et servitude. »

Proud­hon a établi puis­sam­ment que les indi­vidus n’avaient nul besoin d’être gou­vernés pour être heureux et libres. Il est l’in­sti­ga­teur du par­ti des tra­vailleurs aux­quels il a don­né con­science de leur force organ­isatrice et productrice.

La com­mu­nauté a été le thème de con­cep­tions sen­ti­men­tal­istes qui, en tant que fait, deviendraient la prédéter­mi­na­tion de l’op­pres­sion et de la servi­tude. Le sys­tème com­mu­niste a pour base fon­da­men­tale la toute puis­sance de l’É­tat, puis­sance con­fiée à des autorités décré­tant et répar­tis­sent le tra­vail et le bien-être — bien-être, chose aléa­toire, qui ne saurait com­penser la lib­erté indi­vidu­elle com­plète­ment détruite.

La lib­erté étant sac­ri­fiée à l’é­gal­ité celle-ci devient illu­soire, car l’é­gal­ité ne peut découler que d’une lib­erté absolue. L’é­gal­ité présen­tée comme la panacée uni­verselle ayant qual­ité de par­faire à toutes les défec­tu­osités sociales et naturelles n’est que la théorie du nive­lage et de l’abaisse­ment de l’in­di­vidu. En philoso­phie sociale, il est admis sci­en­tifique­ment qu’il ne peut être fait abstrac­tion de la lib­erté indi­vidu­elle sans anni­hiler tout élé­ment de pro­grès. Pour assur­er l’évo­lu­tion pro­gres­sive, il est donc néces­saire d’ac­corder à l’in­di­vid­u­al­ité son com­plet développe­ment. — Et com­ment l’obtenir, si ce n’est en répu­di­ant toute autorité. toute action d’É­tat et d’hommes prov­i­den­tiels, en sup­p­ri­mant toute entité con­sacrant une supéri­or­ité sociale. Si les théories du com­mu­nisme utopique qui vien­nent d’être décrites à grands traits dans ses divers développe­ments ont été reniés par le com­mu­nisme sci­en­tifique, le col­lec­tivisme n’en est pas moins établi sur la com­mu­nauté. — Ses principes essen­tielle­ment cen­tral­isa­teurs et autori­taires fer­ont l’ob­jet d’une prochaine étude.

Julen­dré.


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