La Presse Anarchiste

À bas les vieux !

0 pri­ma­ve­ra gionenlé
0 Gio­ve­ri­tà pri­ma­ve­ra del­la vita
Dante

Je suis jeune et c’est pour­quoi je veux chan­ter la belle jeu­nesse, radieuse comme le soleil et féconde comme la vie.

Je veux aus­si par contraste, hon­nir la hideuse vieillesse, sombre comme la nuit et sté­rile comme la mort.

La jeu­nesse, c’est le prin­temps par­fu­mé qui s’a­vance cou­ron­né de roses et les mains pleines de fleurs. C’est le pré­sent heu­reux, tout en sou­rire, en grâce et en puis­sance ; et c’est aus­si l’a­ve­nir dans les fruits savou­reux qu’il promet.

La vieillesse, c’est l’hi­ver morose et gre­lot­tant, cou­ron­né de fri­mas. C’est le pas­sé gla­cé qui fuit sans espé­rance, non sans regret vers le sombre néant. C’est tout ce qui s’en va, usé, vidé, sali, com­pro­mis et fini.

Au phy­sique la beau­té, la force, la san­té, sont l’apanage de la jeu­nesse ; comme la lai­deur, la fai­blesse, la mala­die sont le lot de la vieillesse.

Au moral, les attri­buts de la jeu­nesse ne sont pas moins beaux, ni ceux de la vieillesse moins laids ; l’in­no­cence, la can­deur, la sin­cé­ri­té carac­té­risent l’une ; le vice, la ruse, l’hy­po­cri­sie sont les stig­mates .de l’autre.

Sur le large che­min de la vie, l’une vient, rieuse et chan­tante, en aimant ; l’autre s’en va, insi­dieuse et méchante, en cal­cu­lant et en combinant.

Tout ce qui est jeune est vir­tuel­le­ment bon, puis­qu’en pos­si­bi­li­té de le deve­nir. Tout ce qui est vieux est fon­ciè­re­ment mau­vais puis­qu’in­ca­pable de s’a­mé­lio­rer, se réno­ver et rajeu­nir. Et cela est vrai des choses, des idées et des ins­ti­tu­tions, comme des êtres. Sauf de rares excep­tions qui ne font que confir­mer la règle, tout ce qui est jeune est frais, pur, solide et sain ; tout ce qui est vieux est flé­tri, impur, débile et malsain.

Autant nous devons accueillir et aimer la gra­cieuse jeu­nesse, tou­jours franche, rayon­nante, inno­cente et sans tare ; autant il faut nous gar­der de l’hor­rible vieillesse tou­jours cau­te­leuse, téné­breuse et vicieuse ; car la vieillesse cor­rom­pue est aus­si corruptrice.

Faut-il illus­trer par des exemples ces affir­ma­tions dont les preuves sont fla­grantes ? Il suf­fit d’ou­vrir les yeux et regar­der le monde.

La vie est le champ clos où jeu­nesse et vieillesse s’af­frontent pour se dis­pu­ter le domaine du Pré­sent. La jeu­nesse veut vivre. La vieillesse ne veut pas mou­rir. Et ces deux forces, dont l’an­ta­go­nisme consti­tue le grand drame de la vie, s’é­treignent farou­che­ment, dans un corps à corps sans mer­ci, dont l’une, quoique plus faible par son igno­rance, sort tou­jours fata­le­ment vic­to­rieuse, mais cruel­le­ment meur­trie ; tan­dis que l’autre, plus forte de son expé­rience, doit rompre, néan­moins, jus­qu’à la défaite finale. Comme le Parthe, la vieillesse en fuyant, à frap­pé la jeu­nesse de ses flèches empoisonnées.

Quand la jeu­nesse insou­cieuse s’a­vance ingé­nu­ment, au milieu de la vie tou­jours jeune, s’il trouve des pièges sous ses pas pour sur­prendre son inno­cence, c’est la vieillesse qui les a ten­dus. C’est tou­jours l’i­gnoble vieillesse, qui souille la can­dide jeu­nesse de ses sanies et de sa bave.

Sour­noi­se­ment tapie dans la fange et dans l’ombre, la patiente vieillesse guette inces­sam­ment la pétu­lante jeu­nesse qui ne peut échap­per à ses atteintes, car si la vieillesse doit mou­rir, la jeu­nesse doit vieillir.

Mou­rir n’est rien. Pour les vieux, c’est la déli­vrance. Mais vieillir…

Vieillir ! C’est mou­rir tout vivant et tous les jours un peu, c’est assis­ter soi-même à. la dégra­da­tion de se propre jeu­nesse qui se dis­sout len­te­ment sous l’ac­tion cor­ro­sive de la vie. Vieillir, c’est subir toutes les injures du temps, des choses et des hommes ; c’est s’af­fai­blir, s’a­vi­lir et men­tir ; c’est dou­ter, se renier, se pros­ti­tuer ; c’est se lais­ser enta­mer et ces­ser, tous les jours un peu, d’être soi-même pour deve­nir n’im­porte quoi et finir dans l’op­probre, comme une loque sor­dide à la mer­ci de toutes les impul­sons inférieures.

Mais la jeu­nesse est éphé­mère. Au contact des puru­lences et des immon­dices de la vieillesse, elle avance péni­ble­ment dans la vie ; en per­dant, peu à peu, de sa splen­deur pre­mière. À chaque étape du che­min, elle aban­donne quelque chose d’elle-même, et à mesure qu’elle s’en­gage dans la voie dou­lou­reuse, elle se trans­forme affreu­se­ment et devient mécon­nais­sable. Ce n’est plus l’ai­mable jeu­nesse ; c’est la détes­table vieillesse faite de toutes les hontes, de toutes les bas­sesses et de toutes les lâche­tés de la vie.

Quand, arri­vé au terme de sa route, le vieillard se retourne pour voir ce que fut sa vie, il n’a­per­çoit guère, le plus sou­vent, qu’une longue suc­ces­sion de choses laides, sales, méchantes, sombres et tristes, dont il n’est plus, lui-même, qu’un rési­du infect, un déchet sur­vi­vant à ses propres déchéances jus­qu’à la chute dernière.

Aus­si, les vieux sont féro­ce­ment égoïstes. Ils n’aiment plus rien que les tristes débris d’eux-mêmes. Pour pro­lon­ger de quelques jours la flamme vacillante de leur vie, ou pour satis­faire, un peu plus, les caprices mor­bides de leur ambi­tion ou de leur luxure, ils sacri­fie­raient sans pitié toute la fleur de la jeu­nesse humaine. Rien ne peut arrê­ter la cri­mi­nelle audace de leur abjecte sénilité.

L’im­mense héca­tombe où furent immo­lées dix mil­lions de jeunes exis­tences, a été l’œuvre des vieux.

C’est pour main­te­nir leur auto­ri­té, décli­nante comme leur vie, qu’ils ont noyé la terre du sang fécond de la jeu­nesse ardente ; qu’ils s’y sont vau­trés et s’en sont saou­lés comme des vampires.

Ce fut en vain, cepen­dant. Tant de jeu­nesse anéan­tie n’a pas rani­mé leur vieillesse. Tant de beau sang ver­meil et chaud, si stu­pi­de­ment répan­du, n’a pu réchauf­fer le sang pâle qui coule len­te­ment dans leurs veines refroi­dies. Ils devront s’é­teindre aus­si, les misé­rables vieillards et des­cendre enfin dans l’ou­bli et le néant du pas­sé, où leur art infer­nal a, sans pro­fit, fait des­cendre avant eux, la jeu­nesse toute en fleur et toute pleine de fruits de l’avenir.

Et, voyez-les, ces vieux : encom­brants, arro­gants, impor­tants. Ils obs­truent toutes les voies de leur pré­po­tence et de leur impo­tence ridi­cules. Par­tout où ils se can­tonnent il n’y a pas de place pour la jeu­nesse. Dans la science, les arts, la phi­lo­so­phie, la morale et même, et sur­tout la Révo­lu­tion, ce sont tou­jours les vieux qui se mettent en tra­vers du pro­grès et disent à la jeu­nesse : tu ne pas­se­ras pas. Car la vieillesse est auto­ri­taire comme la jeu­nesse est liber­taire. Bien mieux, la vieillesse, c’est l’au­to­ri­té ; la jeu­nesse, c’est la Liberté.

Enfin chez nous aus­si la vieillesse est tenace et elle sévit. Pour­quoi ne le dirait-on pas ? La véri­té doit s’ap­pli­quer à tous et si sa ver­tu puri­fi­ca­trice est bonne pour les autres, elle ne l’est pas moins pour nous. Nous nous la devons avant tout, sous peine de cor­rup­tion et de vieillesse. Oui, hélas ! Même chez nous, ce sont tou­jours les vieux qui tentent d’ar­rê­ter l’é­lan sin­cère et géné­reux des jeunes ; au pis aller de la faus­ser, l’é­ga­rer, le diri­ger à contre sens et l’exploiter.

Des preuves ? Elles sont signées. Il est un mani­feste dont les signa­tures seront à jamais la honte de leurs signa­taires. Le vieux Grave n’a-t-il pas gra­ve­ment opi­né pour l’u­nion sacrée qui sacra le mas­sacre ? Le vieux Kro­pot­kine n’a-t-il pas prê­ché la guerre du droit qui dénia le droit de vivre à dix mil­lions d’hommes ? Quant au sur­vieux Mala­to ne l’ai-je pas vu affu­blé de l’u­ni­forme des braves, enga­gé volon­taire au ser­vice des héros, dont, ne pou­vant faire mieux, il vidait glo­rieu­se­ment le goguenot ?

Cela prouve assez la per­ver­si­té et la lubri­ci­té des vieux qui, tou­jours libi­di­neux, ont le sadisme du sang quand ils n’ont pas celui du sexe ou les deux à la fois.

La légende des ogres man­geurs d’en­fants est la légende des vieux. De quelque manière que ce soit, il leur faut de la chair fraiche pour assou­vir tous leurs mons­trueux appé­tits sur la jeu­nesse, dont ils pré­tendent faire indé­fi­ni­ment leur pâture.

Est-ce que vrai­ment cela peut durer ? Est-ce que le pas­sé auto­ri­taire pour­ra tou­jours impu­né­ment dévo­rer le pré­sent, comme Saturne ses enfants ? Est-ce que les vieux vont tou­jours trom­per et man­ger les jeunes ?

C’est aux anar­chistes de répondre. Ils sont, par défi­ni­tion, les amis de la liber­té et les enne­mis de l’au­to­ri­té. Com­ment pour­raient-ils ne pas mettre leur théo­rie en pra­tique, et, prê­chant d’exemple, secouer réso­lu­ment le joug avi­lis­sant de l’au­to­ri­té du pas­sé et des vieux ? Il le faut, ils le doivent, pour être logiques avec eux-mêmes, s’ils com­prennent leur propre doc­trine. N’ont-ils donc jamais recher­ché le prin­cipe qu’ils com­battent spé­cia­le­ment et ne savent ils pas que cette auto­ri­té néfaste qu’ils exècrent si jus­te­ment découle de la vieillesse domi­na­trice, conser­va­trice et cor­rup­trice, de la per­sis­tance direc­trice du Pas­sé sur le Présent ?

Ce n’est cer­tai­ne­ment pas la jeu­nesse, ni la force, ni l’in­tel­li­gence qui auraient jamais créé l’au­to­ri­té dont le rôle est de les conte­nir, les dimi­nuer, les exploi­ter et les asser­vir. C’est, la vieillesse, la fai­blesse et la ruse.

L’au­to­ri­té pro­cède de l’i­dée de Dieu qui vient de l’i­dée du père, cause et auteur de ses enfants aux­quels il fait la loi. Elle fut d’a­bord pater­nelle, puis divine, puis gou­ver­ne­men­tale ou politique.

C’est en sor­tant des limites logiques de sa stricte anté­rio­ri­té, en se pro­lon­geant au-delà de sa sphère natu­relle et phy­sique pour entrer dans la méta­phy­sique, qu’elle est deve­nue une calamité.

Réduite à son rôle logique, l’au­to­ri­té consi­dé­rée comme une cause, ne peut s’exer­cer qu’an­té­rieu­re­ment sur son effet, et doit ces­ser d’a­gir dès que cet effet tend, lui-même à deve­nir cause à son tour.

Le rôle du pas­sé est d’a­voir pré­cé­dé et pré­pa­ré le pré­sent, qui, lui, doit se bor­ner à pré­cé­der et pré­pa­rer l’a­ve­nir. Mais le pas­sé doit ces­ser d’être dès que naît le pré­sent qui, lui-même, devra s’ef­fa­cer devant te futur.

C’est pour n’a­voir pas res­pec­té cet ordre natu­rel des choses, que les hommes sont vic­times de ce pou­voir redou­table et contre nature du pas­sé sur le pré­sent et de cette tutelle injus­ti­fiée des vieux sur les jeunes qu’on nomme Autorité.

Ils n’ont pas vu, ils n’ont pas com­pris que tout doit vivre et se déve­lop­per libre­ment, en sui­vant, sans regim­ber, le rythme har­mo­nieux des choses qui, toutes, ont droit au soleil et à la liber­té ; que tout doit pas­ser, suivre son cours et dis­pa­raître, non per­du­rer ; que les puis­sances invin­cibles de la vie ne peuvent admettre aucun arrêt, aucune halte, puisque, par­tout et tou­jours, elles font sur­gir, sans dis­con­ti­nuer, des ruines du pas­sé et des auto­ri­tés défaillantes, les liber­tés irré­sis­tibles de l’a­ve­nir éter­nel comme elles font renaître des décré­pi­tudes de la répu­gnante vieillesse la pure­té liliale et fra­gile de l’im­mor­telle jeunesse.

Je me hâte d’a­jou­ter, pour les per­sonnes ombra­geuses et sus­cep­tibles, qu’il est des vieux tou­jours jeunes et des jeunes tou­jours vieux.

Ce qui ne m’empêche pas de conclure :

À bas l’autorité !
À bas le Passé !
À bas les vieux !
Vive la Liberté !
Vive le Présent !
Vivent les jeunes !

Lejeune


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