La Presse Anarchiste

Femmes et Guerriers

Par­ler encore de la guerre semble désuet, il parait, bien qu’on ait tout dit sur ce sujet et qu’il soit de mode d’en­tre­te­nir la foule du bon­heur des âges futurs plu­tôt que de la rame­ner vers cette période de désastres, leçon tra­gique d’hier, ensei­gne­ment de demain.

L’a­vè­ne­ment récent de celui dont les yeux vides, le teint gris singent le faciès de la Camarde, fait craindre le retour des années san­glantes et stu­pides pen­dant les­quelles les femmes s’é­bau­birent à la lec­ture du com­mu­ni­qué, prêtes à ouvrir les bras aux plus cha­mar­rés des por­teurs de galons, fran­çais, alliés, voire soi-disant ennemis.

Il semble que l’a­mour du guer­rier, et par consé­quent de la guerre, soit chez la femme le fait d’une très vieille hérédité.

Aux pre­miers temps de l’hu­ma­ni­té, la femme, sem­blable en cela aux autres femelles, dut tout d’a­bord accep­ter, puis dési­rer pour com­pa­gnon le plus fort d’entre les mâles. Dès que l’u­nion sexuelle fut autre chose que le rapt violent d’une femme par le mâle en désir, dès que celle-ci put exer­cer son choix, et sa ruse le lui per­mit bien­tôt, c’est vers celui qu’elle jugeait le plus apte à lui conqué­rir les meilleures nour­ri­tures, les plus belles peaux, pour satis­faire son appé­tit et sa coquet­te­rie nais­sante, le mieux armé pour la défendre contre les ani­maux et les autres hommes, qu’elle se tour­na, et, pour le gar­der près d’elle, puis aus­si pour évi­ter d’être l’ob­jet de ses vio­lences, elle se fit pour lui sou­mise et câline.

Bien que, depuis fort long­temps, le règne de la force bru­tale ait fait place à celui de la ruse, la femme reste sou­mise à son ata­visme et se pâme devant le don­neur de coups, qu’il soit Foch, Car­pen­tier, Jack John­son ou un autre.

Peu d’entre elles ont com­pris qu’au XXe siècle la vraie supé­rio­ri­té est celle de l’es­prit et telle, fière d’ex­hi­ber à son bras le « cos­taud » du quar­tier, dédai­gne­rait le poète ou le penseur.

Les hommes, comme en bien d’autres cas, n’ont rien fait pour gui­der et trans­for­mer le choix des femmes. Dans tous les milieux, ne peut-on voir le chef de famille nar­rer, devant l’élé­ment fémi­nin en extase, les beaux jours de sa jeu­nesse où les coups à don­ner ou à rece­voir étaient un inter­mède goû­té et recher­ché à ses tra­vaux d’ou­vrier ou d’é­tu­diant. Dans les écoles, dans les livres réser­vés à la jeu­nesse des deux sexes, ne pare-t-on pas les beaux vain­queurs de toutes les grâces de l’a­mour et le ciné­ma n’est-il pas plein de scènes où les poings s’a­battent avec entrain et où celui qui fut le plus habile à ouvrir les crânes et fra­cas­ser les mâchoires gagne, au der­nier tableau, le sou­rire et la main de la jeune héroïne ?

Il y aurait encore pour expli­quer, non pour jus­ti­fier, l’at­ti­tude hon­teuse des femmes devant la guerre, l’a­mour du clin­quant et des oripeaux.

Inutile d’in­sis­ter sur ce point. Ana­tole France nous a dit com­ment se trans­for­ma Sibe­rose pour avoir, selon le conseil du moine Magis, revê­tu un long voile et s’être cein­tu­rée. Ce qui lui plaît, la femme le cherche dans celui qu’elle aime ; ne cher­chons-nous pas tous, ain­si, bien plu­tôt notre reflet qu’un com­plé­ment et c’est ain­si que les beaux guer­riers font les bons amants.

* * * *

Il est un cli­ché dont on s’est ser­vi sou­vent pen­dant la guerre pour convaincre les femmes au paci­fisme. On a beau­coup fait appel à « l’ins­tinct mater­nel ». Cela serait fort bien, mal­heu­reu­se­ment en contra­dic­tion avec toute la nature.

Si, dans tout le règne ani­mal, la femelle donne ses soins aux petits, si elle est prête, pour les défendre, au meurtre et même à la mort, il n’y a pas d’exemple que cette sol­li­ci­tude dépasse le moment où le petit est en état de se suf­fire à lui-même. Si donc on peut faire appel à l’ins­tinct mater­nel en faveur du bébé, cet ins­tinct s’af­fai­blit au fur et à mesure que l’en­fant gran­dit pour dis­pa­raître au moment de la puber­té, ou à peu près, c’est-à-dire quand la mère se trouve devant une autre femme ou devant un homme qui n’ont plus que faire de ses soins et cherchent à leur tour à s’ac­cou­pler. Ce fut ain­si aux âges bar­bares et main­te­nant encore chez les peu­plades moins civilisées.

Il est évident qu’il existe, de nos jours, dans l’es­pèce humaine, un sen­ti­ment plus durable. Mais alors cet « amour mater­nel » est une super­fé­ta­tion, un sen­ti­ment arti­fi­ciel dû à notre sen­si­bi­li­té plus affi­née, aux cou­tumes, vie de famille, etc., et il n’est plus sur­pre­nant que celui-ci se trompe. Si l’ins­tinct est sûr, ce sen­ti­ment est variable et l’a­mour mater­nel, tout comme l’a­mour sexuel, par­fois déri­vé de celui-ci, aura des mani­fes­ta­tions dif­fé­rentes, sui­vant chaque tem­pé­ra­ment. Nous ne savons pas aimer, seul Tol­stoï com­prit et sut dire ce que pour­rait être un tel sen­ti­ment. Ce que nous appe­lons amour n’est le plus sou­vent qu’un redou­ble­ment d’é­goïsme qui nous fait comp­ter sur autrui pour accroître notre bon­heur ; et, alors, pour­quoi s’é­ton­ner que telle mère, dési­rant pour son fils les hon­neurs et la gloire, l’en­voie à la bataille et peut-on affir­mer qu’elle aime moins son enfant que telle autre qui l’au­ra mis à l’abri ?

Ceci revient à dire qu’il faut fort peu comp­ter sur l’im­pul­sion, l’ins­tinct, pour ame­ner les femmes à une plus juste concep­tion de leurs devoirs, notam­ment mises en face de cette force bou­le­ver­sante qu’est la guerre. Si quelques-unes d’entre elles, mieux douées sous le rap­port de la sen­si­bi­li­té et de l’i­ma­gi­na­tion, ont per­çu l’hor­reur du car­nage, les autres, pas­sives en cette cir­cons­tance, comme en toute autre de leur vie, n’ont pu trou­ver en elles autre chose que l’at­ti­tude mil­lé­naire de leur sexe.

Seule l’é­du­ca­tion, l’ha­bi­tude du rai­son­ne­ment pour­ront modi­fier en elles les images et les idées dépo­sées depuis tant de siècles.

C’est là l’œuvre des com­pa­gnons déjà déli­vrés des pré­ju­gés ata­viques, qui devront aller aux femmes et se mon­trer pitoyables plu­tôt que sévères à leur erreur.

C’est sur­tout le tra­vail des quelques femmes qui, ayant trou­vé pour elles le véri­table devoir le vou­dront indi­quer à leurs sœurs déshé­ri­tées de l’in­tel­li­gence et du cœur.

C’est pour­quoi on ne sau­rait trop louer l’i­ni­tia­tive de Made­leine Ver­net qui, aidée par des cama­rades dévouées, Fan­ny Clar, L. Rys et autres encore, a fon­dé l’œuvre des « Femmes contre la guerre », œuvre qui, par des tracts, des confé­rences, la publi­ca­tion d’un bul­le­tin, fait œuvre de pro­pa­gande ration­nelle et utile. Que toutes celles dont le désir est d’a­gir pour évi­ter le retour des bou­che­ries aillent à cette œuvre, lui offrent leur concours et coopèrent ain­si à aug­men­ter l’é­lite des femmes qu’on vit, au milieu de la tour­mente, com­prendre leur rôle, tout d’a­mour et de paix.

Hen­riette Marc


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