La Presse Anarchiste

Revue des revues

À pro­pos de ma pre­mière chro­nique, un cama­rade m’en­voie une lettre dont j’ex­trais le pas­sage suivant :

« J’ai lu avec plai­sir ton intro­duc­tion à la Revue des Revues dans la R.A.

« Mais ne seras-tu pas obli­gé néan­moins d’i­mi­ter les autres chro­ni­queurs en ceci : que tu seras tenu comme eux de par­ler des revues qui te seront par­ve­nues durant le mois écoulé ?

« J’ai­me­rais, quant à moi, que tu nous brosses par­fais un tableau d’en­semble. Cela nous per­met­trait, à nous qui ne lisons pas toutes les revues, de nous tenir à peu près au cou­rant de l’ac­ti­vi­té lit­té­raire. Je me sou­viens que, dans la Mêlée tu nous par­las ain­si des Revues de Bel­gique. Ne pour­rais-lu nous entre­te­nir, dans la R.A. des Revues d’a­vant-garde, des Revues réac­tion­naires, des Revues pro­vin­ciales, etc.?»

Inté­res­sante, cette sug­ges­tion. Et, à vrai dire, j’y avais déjà son­gé. Car, notre revue venant à peine de paraître, nous en avons reçu à ce jour fort peu d’autres en échange. S’il fal­lait nous en conten­ter ce mois-ci, le tableau serait peu four­ni et l’in­ven­taire vive fait.

Je vais donc tâcher cette fois de dres­ser la liste des Revues d’a­vant-garde. Je dis liste, à des­sein, car l’a­bon­dance des noms m’o­bli­ge­ra à écour­ter fort mes com­men­taires. Ce seront d’ailleurs des juge­ments tout personnels.

Natu­rel­le­ment, nous par­le­rons ici des revues dites d’art pur, de celles qui explorent plu­tôt le champ des idées (revues poli­tiques, dit-on par­fois, bien à tort), et aus­si de celles qui savent entre­mê­ler les deux : expri­mer des idées indé­pen­dantes et se sou­cier en même temps des cou­rants artis­tiques les plus modernes.

Mais nous ne pour­rons par­ler des revues qui, volon­tai­re­ment ou non, négligent de nous assu­rer le ser­vice gra­tuit. Certes, le Mer­cure de France, la Nou­velle Revue Fran­çaise, les Cahiers D’aujourd’hui, la Connais­sance, l’Es­prit Nou­veau sont des revues trop impor­tantes pour dai­gner s’a­bais­ser jus­qu’à nous. D’autres, comme Les Hommes du Jour, la Revue com­mu­niste, le Bul­le­tin com­mu­niste semblent mues sur­tout par la mes­qui­ne­rie ou la crainte de la dis­cus­sion. Peut-être consen­ti­ront-elles, toutes, avec la Revue anar­chiste, l’é­change refu­sé aux Humbles, trop modestes. Nous en par­le­rons alors, le cas échéant.

* * * *

Au moment de reprendre les trois clas­si­fi­ca­tions esquis­sées ci-des­sus, je suis bien embar­ras­sé. Mes lec­teurs com­pren­dront que ces divi­sions n’ont rien d’ab­so­lu. Tant et tant de revues che­vauchent sur l’un et l’autre domaine, sui­vant les cir­cons­tances, que le diable lui-même en per­drait la piste. (Peut-être aurais-je mieux fait, déci­dé­ment, d’a­dop­ter l’ordre alphabétique?)

Revues d’art pur

L’art pur ? Ah ! il y avait pen­dant la guerre de joyeux échan­tillons : Sic, que diri­geait P.-A. Birot, et Nord-Sud, où Apol­li­naire ensei­gnait l’art de lan­cer les pos­tillons et la science de roter, tan­dis que Max-Jacob chan­tait le dah­lia que Dali­la lia. Tout cela, au grand éba­his­se­ment des gens bien, qui n’au­raient vou­lu, à aucun prix, ne pas être dans le ton, ne pas suivre le mode, ne pas mon­ter dans le der­nier bateau.

Las, pour­quoi sont-elles dis­pa­rues ces bonnes revues qui nous dis­pen­saient, chaque fois, quelques minute de douce rigo­lade ? Mystère.

Il nous reste bien Aven­ture (6, rue de la Muette, Paris), dont je viens de rece­voir le numé­ro de jan­vier. Mais M. Tris­tan Tza­ra a beau me dire :

Je suis ligne qui se dilate et je veux croître dans 
un tube de fer d’étain
je dis cela pour t’amuser.

Il ne réus­sit guère et je n’ai pas du tout envie de rire. Quand M. Hen­ri Cli­quen­nois conclut :

« J’ai l’œil éteint, les dents molles, le nez creux…
 — Annon­cez la couleur…
 — Patron, ce sera un rouge et deux blancs… Qu’al­lez-vous pen­ser de moi, sinon qu’il faut avoir une concep­tion pes­si­miste de la vie et que c’est le meilleur moyen d’espérer. »

Il se trompe aus­si, il se flatte ; ce n’est pas cela que nous pen­sons de lui.

Mais pas­sons aux revues qui, tout en res­tant « d’art pur » semblent tout de même se moquer un peu moins de nous.

Action (à la librai­rie Stock, 7, rue du Vieux-Colom­bier, Paris), s’an­non­ça d’a­bord comme devant être la réa­li­sa­tion d’un pro­jet de Pierre Char­don : Cahiers indi­vi­dua­listes d’art et de pen­sée. Cela ne res­ta qu’un pro­jet et la réa­li­sa­tion fut tout autre. Les poèmes (?) et les proses (??) les plus incom­pré­hen­sibles abondent dans chaque numé­ro. Çà et là, un article clair et cou­ra­geux détonne agréa­ble­ment : tels les sou­ve­nirs que Sal­mon écri­vit à la mémoire de Mécis­las Golberg.

Les Feuilles Libres (81 ave­nue Vic­tor-Hugo, Paris), sacri­fient aus­si à la mode et publient maints poèmes… étranges. Une revue « d’a­vant-garde » se croi­rait désho­no­rée si elle n’in­sé­rait les œuvres de MM. X…, Y…, Z… (ne fai­sons à ces mes­sieurs nulle publi­ci­té, même légère!). Heu­reu­se­ment, ici, il y a autre chose ; il y a notam­ment la rubrique des Romans, tenue par René-Marie Her­mant, avec une rare com­pé­tence. Nous y trou­vons des études sur Kipling, le Roman d’a­ven­tures, le Roman moderne, soli­de­ment cam­pées, et, ce qui ne gâte rien, écrites en une langue savou­reuse et… compréhensible !

La Vie des Lettres (20, rue de Chartres, à Neuilly) suit aus­si la mode, par­fois. Mais nous y trou­vons aus­si des pages colo­rées de Mar­cel Millet. Nico­las Bean­douin sait trou­ver des vers remar­quables pour chan­ter l’Homme cos­mo­go­nique. Mais pour­quoi entre­mêle-t-il cela d’i­ta­liques, de capi­tales, de lettres grasses, voire même de chiffres ? J’a­voue en toute humi­li­té ne pas com­prendre. Et j’a­joute que cela me gâte mon plai­sir et ne m’en­cou­rage pas à lire les beaux vers, enca­drés par ces… excentricités.

La Revue de l’É­poque (3, ave­nue de la Bour­don­nais, Paris) est diri­gée par Mar­cel­lo-Fabri ; auteur d’un roman, ori­gi­nal sans per­son­nages. Elle est inté­res­sante, sur­tout par ses rubriques nom­breuses et variées qui per­mettent de se tenir au cou­rant de l’ac­ti­vi­té lit­té­raire et artis­tique contemporaine.

Le Cra­pouillot (5, place de la Sor­bonne) est encore plus exclu­si­ve­ment une revue de cri­tique, agréa­ble­ment illus­trée et bien pré­sen­tée. Elle publie peu d’œuvres ori­gi­nales mais on y étu­die tout : la lit­té­ra­ture, la pein­ture, le théâtre, le ciné­ma, etc., etc. Jean Gal­tier-Bois­sière qui dirige cette revue fit preuve pen­dant la guerre d’une rare indé­pen­dance d’es­prit. Et nous ne l’ou­blions pas : quand ses juge­ments actuels ne concordent pas avec les nôtres, nous savons que du moins ils sont sin­cè­re­ment exprimés.

Revues d’idées

Clar­té (16 rue J‑Callot, Paris 6°) est un organe com­mu­niste, qu’on le veuille ou non. Certes, on y trouve bien de ci, de là, quelques noms d’in­dé­pen­dants (Vil­drac, Bazal­gette, Millet) quelques pages poé­tiques, mais c’est l’ex­cep­tion, l’in­fime excep­tion. La plu­part des colonnes de ce jour­nal trans­for­mé en revue depuis quelques mois, sont consa­crées à la défense et à l’illus­tra­tion de la doc­trine com­mu­niste. Et vous voyez d’i­ci les para­graphes com­pacts et bien, tas­sés que cela sous-entend.

L’i­dée libre que rédige André Loru­tot à Conflans-Hono­rine (S‑et-Oise) est à pro­pre­ment par­ler une revue de vul­ga­ri­sa­tion à l’u­sage des auto­di­dactes, des cama­rades qui com­plètent eux-mêmes leur ins­truc­tion. Chaque mois, elle publie une étude sur un sujet d’ac­tua­li­té On sur l’œuvre d’un grand homme. Besogne excel­lente, ingrate par­fois, mais qui a bien son utilité.

Deux revues d’é­du­ca­tion, rédi­gées par des édu­ca­teurs : L’É­cole Éman­ci­pée (15 rue Far­deau, Sau­mur). Organe de la Fédé­ra­tion des syn­di­cats de l’En­sei­gne­ment laïque et la Mère Édu­ca­trice, rédi­gée par Made­leine Ver­net à l’orphelinat ouvrier d’E­pone (S‑et‑O). L’École Éman­ci­pée est natu­rel­le­ment le plus impor­tant organe : elle parait toutes les semaines tan­dis que la Mère Édu­ca­trice est seule­ment men­suelle : À coté de sa par­tie sco­laire et cor­po­ra­tive, elle a une par­tie géné­rale inté­res­sante et consacre bien sou­vent quelques pages à l’ac­tua­li­té lit­té­raire ou artis­tique. Il serait seule­ment regret­table que quelques com­mu­nistes imposent, là aus­si leur tyran­nie et leur cen­sure, com­mune cer­tain inci­dent récent ten­drait à le faire craindre.

Le Bul­le­tin de la Ligue des Droits de l’homme et du citoyen (ouf!) est… ce que vous pen­sez bien qu’il peut être. On y savoure de ces études sur les ori­gines de la guerre qui ne sont pas dans une main de musette et la pauvre démo­cra­tie est encen­sée de main de maître. On y verse un pleur chaque fois qu’elle est vio­lée et ça fait une belle fon­taine per­ma­nente. Ne rions pas trop tou­te­fois : il y a à gla­ner là-dedans comme par­tout. Et notam­ment sur les Crimes de la Guerre (j’entends ceux com­mis par cette can­dide armée fran­çaise!): on y trouve une docu­men­ta­tion de pre­mier ordre.

Je ne sais si je dois ajou­ter ici les Libres Pro­pos Jour­nal d’A­lain, parais­sant chaque same­di (3, rue de Gre­nelle, Paris). Au début ils m’é­taient fort sym­pa­thiques. Depuis, je n’ai pas approu­vé. L’éreintement (que j’es­ti­mais un peu outran­cier) de Flau­bert. C’é­tait là ques­tion de goût per­son­nel. Mais, il y eut der­niè­re­ment un pro­pos qui me fit tiquer et qui com­men­çait à peu près ain­si : « J’ai fait la guerre et je ferais encore la guerre selon mes forces, si l’oc­ca­sion reve­nait » Cette sainte rési­gna­tion peut mener loin, fort loin.

* * * *

Par­mi les revues mixtes, celles qui s’in­té­ressent à la fois aux idées d’a­vant garde et aux mou­ve­ments artis­tiques les plus récents je cite­rai, Mont­par­nasse (129, bou­le­vard de Mont­par­nasse, Paris). C’est l’or­gane d’un groupe d’ar­tistes de la rive gauche. Petite revue mince et modeste, qui étu­die beau­coup l’ac­tua­li­té pic­tu­rale. Mais on sait y expri­mer de nobles idées, on y reste crâ­ne­ment indé­pen­dant. Et je me sou­viens d’une belle page où Mar­cel Say dit rude­ment son fait à Une gouge, à la com­pagne de Mecis­las Gol­berg qui n’hé­si­ta pas à baver sur le sou­ve­nir de ce mort dans les colonnes de quo­ti­diens d’affaires.

Maxi­mi­lien Gau­thier rédige seul La Chro­nique de L’Ours (6, rue Notre-Dame-de-Naza­reth, Paris). C’est avec joie que nous retrou­vons le Max Goth des Hommes du Jour. Il exprime ici, cou­ra­geu­se­ment, son avis sur les mani­fes­ta­tions artis­tiques. Ce qu’il en dit est tou­jours intéressant.

Les Cahiers idéa­listes fran­çais (Gale­rie La Licorne, 110, rue La Béo­tie., Paris) méritent une place à part dans cette énu­mé­ra­tion qui com­mence à deve­nir longue. Ils la clô­tu­re­ront digne­ment. Édouard Dujar­din com­men­ça leur publi­ca­tion pen­dant la guerre. Et nous la saluâmes avec joie. Après tant et tant de renie­ments, voi­ci enfin qu’un lit­té­ra­teur sut nous ins­pi­rer quelque ami­tié. À côté de Romain Rol­land, de Han Ryner et de quelques autres, peu nom­breux, cet homme, qui avait déjà un beau pas­sé der­rière lui sut en res­ter digne. Nous ne l’en remer­cie­rons jamais assez. Ses Cahiers furent le centre de ral­lie­ment où se retrou­vèrent les quelques anciens demeu­rés fidèles et les jeunes qui se lan­çaient dans la mêlée à une époque où il était dan­ge­reux de prendre par­ti — où bien peu osèrent prendre parti.

La col­lec­tion des Cahiers idéa­listes fran­çais res­te­ra une belle antho­lo­gie où se retrouvent les plus nobles pages écrites pen­dant la guerre. L’on crut un moment que la revue dis­pa­raî­trait avec la paix enfin retrou­vée. Mais Dujar­din ne désarme pas ain­si et il n’a­ban­donne pas la lutte : sa revue conti­nue à paraître. Et chaque numé­ro est un régal. Ce n’est pas que j’aime tous les poèmes que l’on y donne dans le louable des­sein de faire connaître au lec­teur tous les aspects de la lit­té­ra­ture moderne. Mais chaque numé­ro est si soi­gneu­se­ment com­po­sé, forme un tout si com­plet ! Des poèmes en prose et en vers, puis des articles de cri­tique courts et sub­stan­tiels sur les livres, les mani­fes­ta­tions lit­té­raires, artis­tiques et théâ­trales, et aus­si sur les évé­ne­ments sociaux et poli­tiques. Ou se prend à regret­ter que cette revue soit tri­mes­trielle et ne nous arrive pas tous les mois.

* * * *

Et les Humbles ? me souffle un ami mali­cieux ose­ras-tu en par­ler toi-même ? Mais pour­quoi pas ?

Je les ai gar­dés pour la fin, après cette troi­sième caté­go­rie où il me semble, ils trou­ve­raient le plus faci­le­ment leur place. Je veux apprendre ici aux lec­teurs qui ne les connaissent pas encore, que, repa­rais­sant depuis le 1er mai 1916, ils sont actuel­le­ment la plus ancienne des « Revues de guerre » (par­mi celles com­bat­tant la guerre, s’en­tend, car les autres pul­lu­le­ront comme mouches sur fumier). Je ne veux pas m’at­tar­der à ce que Les Humbles ont fait : on trou­ve­ra d’ailleurs à la Librai­rie Sociale la plu­part de leurs édi­tions et de leurs numé­ros spé­ciaux. Cette année la revue conti­nue­ra à paraître men­suel­le­ment par cahiers de 32 pages ou plus, selon les dis­po­ni­bi­li­tés finan­cières. Elle conti­nue­ra à faire alter­ner les numé­ros de revue pro­pre­ment dite avec les numé­ros spé­ciaux consa­crés à une seule œuvre. Elle fera ce qu’elle pour­ra et sui­vant que vous l’ai­de­rez, ami lecteur.

Sur ce, à la pro­chaine. Nous ver­rons ensemble le tas des revues qui arri­ve­ront pen­dant ce mois de février.

Mau­rice Wullens.


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