C’était en été 1921. Le 1er Congrès international devait incessamment se réunir à Moscou et nous attendions plusieurs délégués des pays étrangers. Les anarchistes résidant à Moscou étaient très occupés et une grande quantité de nos camarades étaient détenus dans les prisons de la R.S.F.S.R., et pour dire vrai, j’étais presque honteux et gêné d’être encore en liberté.
Nous étions anxieux et nous considérions comme un devoir de frapper l’attention de nos camarades étrangers, par la situation désespérée de nos frères persécutés, et aussi sur les conditions générales du pays et de la Révolution.
Quelques mois auparavant (pour être précis, le 25 avril 1921), les Anarchistes détenus à la prison Butirka de Moscou, furent, sans provocation aucune, attaqués par la Tcheka et leurs cachots furent la scène d’une révoltante et terrible brutalité. Sans secours, affaiblis par une détention déjà longue, et par le manque de nourriture, ils furent cependant frappés avec toute la sauvagerie d’une police américaine.
Les hommes furent impitoyablement assaillis par les Tchekistes et les soldats à coup de crosse de fusils, et les femmes traînées par les cheveux à travers les étages, sur les escaliers de pierre de la prison.
Plusieurs de nos camarades crurent leur dernière heure venue, et avec elle la fin de leurs souffrances, les exécutions capitales ayant toujours lieu la nuit, et sans aucun avis préalable, loin de tout public, et avec la même brutalité décrite ci-dessus.
Les jours qui suivirent ne nous apportèrent aucune nouvelle de nos pauvres prisonniers, et nous ignorions totalement ce qu’étaient devenus nos camarades de Butirka. Toute information nous était refusée, et cependant nous étions convaincus que quelque chose de terrible leur était arrivé, car ils avaient disparu de la prison.
Une semaine plus tard environ, quelques notes nous arrivèrent.
Une était de Ryazan, une autre d’Orel, une troisième de Vladimir. Nous sûmes alors que, de force, nos camarades avaient été enlevés de Butirka, séparés, et emmenés dans différentes prisons.
Thus A. Baron fut expédié à la prison d’Orel, alors que sa compagne Fanny Baron se retrouva à Ryazan. Quelque temps plus tard, certains de nos camarades mâles furent transférés à la prison Taganka de Moscou, parmi lesquels se trouvèrent Wolin, Yartchuk, Maximoff, Mratchny et plusieurs autres.
La plupart d’entre eux étaient détenus depuis décembre 1920, juste avant la Conférence Anarchiste qui devait avoir lieu à Kharkow, et qui avait été légalement autorisée.
Durant les mois de mai et de juin, les délégués commencèrent à arriver à Moscou pour le 3e Congrès Communiste International et pour le Congrès de l’Internationale Syndicale Rouge. Les Anarchistes de Moscou eurent un certain nombre d’entrevues avec ces délégués et certains Communistes même y assistèrent.
En dehors, nous eûmes des conversations suivies avec les délégués de l’Internationale Syndicale, leur fournissant les informations nécessaires, leur demandant, pour leur propre gouverne, d’enquêter sur les faits que nous leur présentions et sur la véracité de nos informations.
La plupart des délégués étrangers semblaient outrageusement indignés d’actes de brutalité, semblables à ceux de la prison de Butirka, les réprouvèrent avec véhémence et s’étonnèrent qu’un tel état de choses pût exister dans une République Révolutionnaire.
Ils étaient cependant enclins à douter que les Anarchistes, et bien d’autres éléments avancés de la Russie Rouge fussent persécutés et supprimés avec un tragique sang-froid.
Souvarine, leader des Communistes Français, nous avoua qu’en tant que Communiste et adhérant à Moscou, il lui était impossible de croire ce que nous avancions.
Hélas ! peu de temps après, il dut se rendre à l’évidence que nos rapports n’étaient nullement exagérés. Les délégués étrangers décidèrent de prendre des dispositions pour amener une entente et nouer des relations plus amicales entre le Gouvernement Bolchevick et l’élément Révolutionnaire de gauche.
Dans l’intervalle, le Congrès de l’Internationale Syndicaliste Rouge s’était ouvert. Le temps passait et nos camarades étaient toujours en prison. Leurs conditions étaient de plus en plus mauvaises. La rigueur du régime était devenue plus sévère, la nourriture plus insuffisante et le traitement plus brutal. Plusieurs de nos camarades tombèrent malades et les prisonniers de Taganka furent particulièrement éprouvés par le nouveau régime.
Devant l’attitude de la Tcheka, ils comprenaient que leur détention ne serait pas qu’une question de jours, mais un long et douloureux calvaire. Ils en souffrirent moralement et désespérèrent.
Ils décidèrent cependant d’envoyer un appel au Gouvernement Bolchevique. Ils attirèrent son attention sur le fait que tous avaient été arrêtés arbitrairement et qu’ils étaient détenus sans aucune cause et sans aucune inculpation malgré les termes de la Constitution qui affirmait qu’aucun citoyen ne pouvait être prévenu pendant une période supérieure à quarante-huit heures. Ils demandaient la libération immédiate de tous, et, sauf une réponse satisfaisante dans les cinq jours, prévenaient le Gouvernement de leur intention de commencer la grève de la faim.
Les cinq jours passèrent et la réponse ne vint pas. En conséquence, la grève commença dans la nuit du 3 au 4 juillet 1921.
C’était le geste de désespérés, geste collectif et terrible, causé par l’attitude brutale et la sécheresse de cœur des gouvernants bolcheviks.
Considérant la condition physique de nos amis, leur geste pouvait leur être fatal.
Les Anarchistes de Moscou, encore en liberté, s’adressèrent à nouveau aux Syndicalistes délégués au Congrès et insistèrent avec acharnement auprès d’eux, afin que ceux-ci usent de toute leur influence pour sauver nos camarades persécutés.
Ce n’était pas seulement la vie de nos amis qui nous intéressait, quoique leur histoire fût suffisamment douloureuse, mais aussi tout l’avenir du Mouvement Anarchiste que l’on voulait étouffer et la défense des principes fondamentaux de la Révolution elle-même.
Nos efforts furent enfin couronnés de succès et un Comité de délégués fut formé.
Composé de représentants Français et Espagnols, le Comité fut appelé auprès de Djerzhinsky, chef de la Tcheka. Il fut très affable, déclarant que sans aucun doute l’on arriverait à une entente pour faire relâcher nos camarades Anarchistes. Il demanda au Comité de lui remettre une liste des individus que nous désirions voir libérer. Le Comité était à la joie.
Nous préparâmes une liste partielle de nos prisonniers. Elle portait les noms de nos camarades détenus dans les prisons de Moscou et de Petrograd, et aussi celui de certains de nos camarades que nous savions dans différentes prisons.
Seule, la Tcheka aurait été capable d’élaborer une liste complète, car seule elle avait connaissance de tous les prisonniers détenus dans le Sud, dans l’Est, et en Sibérie, et il ne fallait pas compter sur son concours.
Nous portâmes notre liste à Djerzhinski qui cette fois ne fut plus aussi aimable que lors de notre première entrevue.
Il s’excusa d’être obligé de nous faire remarquer que certains de nos amis ne pourraient être libérés, mais nous assura cependant que, dans la mesure du possible, il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour nous donner satisfaction.
La liste devait nous être retournée, après un jour ou deux, et nous faire connaître ceux de nos amis qui allaient bénéficier de la « clémence » des Bolcheviks.
Une semaine passa. Toutes les tentatives pour revoir Djerzhinsky échouèrent. Nous étions inactifs, ne sachant de quel côté porter nos efforts. Enfin, un jour, le chef de la Tcheka voulut bien nous faire « l’honneur » de nous recevoir à nouveau. Il fut brusque et bref. Il nous informa que les Anarchistes étaient trop dangereux pour être relâchés et prétendit que la plupart étaient des bandits qui ne présentaient aucun intérêt et que vraiment le Comité de délégation avait tort de s’occuper d’eux. Mais cependant, désireux de manifester sa considération envers les délégués étrangers, il nous remit une liste contenant quatre noms d’anarchistes à qui il allait donner la liberté.
C’étaient quatre étudiants qui avaient été arrêtés pour avoir lu, dans leur cercle, les œuvres de Kropotkine.
Aucun de nos vieux camarades Anarchistes n’était touché par le prétendu acte de clémence des Bolcheviks.
Nous commencions à nous rendre compte que nos démarches auprès de Djerzhinsky n’aboutiraient à rien.
Il cherchait à gagner du temps et son offre de relâcher quatre de nos amis était un calcul dans l’espoir de briser la grève de la faim à Taganka.
C’était le huitième jour de la grève. La condition de nos camarades était critique. Aucun d’entre eux ne pouvait marcher, certains ne pouvaient plus parler ; l’un d’eux était devenu complètement sourd, un autre avait absolument perdu connaissance. Trois de ces malheureux étaient à la mort.
Un Comité de dix membres fut formé, représentant plusieurs pays et composé de Syndicalistes Anarchistes et de Communistes.
Lénine, trop « occupé », refusa d’abord de nous recevoir, mais considérant la gravité de la situation, et devant notre insistance, il consentit à nous écouler.
Il nous tint le même langage que Djerzhinsky. Les Anarchistes emprisonnés n’étaient pas intéressants, mais qu’il les ferait relâcher s’ils consentaient à être déportés hors de Russie.
« S’ils reviennent a jouta-t-il, ils seront fusillés ! »
Sur sa promesse que la question serait considérée le soir même et que la décision en serait communiquée au Comité le lendemain, nous prîmes congé de Lénine.
Le lendemain, à une heure de l’après-midi nous étions, je crois, le 12 ou 13 juillet, je fus convoqué à l’Hôtel de Luxe, dans la chambre de l’un des délégués. D’autres camarades étaient présents. Nous mandâmes Lénine au téléphone afin de connaître sa décision. Malade, il ne put nous causer. Nous insistâmes et il nous informa que le Gouvernement avait mandaté Trotsky auprès du Comité que nous avions formé et que dorénavant c’était à lui que nous devions nous adresser. Il refusa de nous faire connaître la décision du Comité central.
Ayant demandé Trotsky, celui-ci nous répondit qu’avant quatre heures de l’après-midi il nous ferait parvenir par message spécial la réponse du Gouvernement.
À quatre heures, exactement, nous avions en mains le document signé de Trotsky, au nom du Comité Central.
Les « bandits anarchistes » allaient être relâchés et expulsés, à condition que la grève de la faim cesse immédiatement à Taganka.
Les divers groupes Anarchistes de Moscou élirent Shapiro, et le Gouvernement Trotsky et Djerzhinsky, afin d’arranger avec nous la déportation de nos amis.
Nous leurs avions communiqué le résultat de nos démarches ; la grève cessa le onzième jour, après la visite d’un officiel du Gouvernement qui leur demanda s’ils acceptaient la décision du Comité Central.
Alors commença la Conférence où d’ailleurs n’assista ni Trotky ni Djerzhinsky. Le premier se fit représenter par Lunacharsky, le second par Unschlicht
La Tcheka avait reçu toute autorité pour traiter avec la délégation, et dès le début de la Conférence au Kremlin, nous eûmes la certitude qu’elle aillait à nouveau employer ses méthodes ordinaires.
À la première séance, Unschlicht nous informa que la décision du Comité Central ne s’appliquait seulement qu’aux treize camarades de Taganka.
Nous lui fîmes remarquer que le document signé par Trolsky ne pouvait prêter à confusion, que nous le considérions comme une promesse formelle du Gouvernement et que nous voulions que tous les Anarchistes détenus dans les prisons bolcheviks fussent relâchés.
Ce fut en vain. Unschlicht prétendit que son interprétation du document était différente de la nôtre et il refusa catégoriquement de discuter plus avant.
Il causait au nom de la puissante Tcheka et nous n’avions aucun doute. Il était venu pour commander, non pour discuter. Sa parole était brutale et pleine de dédain. Avant la fin de la séance il se leva et sans un mot, sortit de la salle.
«— Il aurait pu dire au revoir, remarquai-je.
«— Il n’est parti que pour un moment, me répondit un camarade Espagnol, il va revenir dans un instant. »
Il ne revint pas. Les relations devinrent difficiles et irrégulières. Unschlicht ne venait pas aux rendez-vous que nous lui fixions, et Lunacharsky, cependant du même avis que nous, prétendait qu’en l’absence d’Unschlicht il ne pouvait rien décider, bien que représentant de Trotsky à nos Conférences.
En désespoir de cause et certains que nous n’arriverions pas à un meilleur résultat, nous envoyâmes aux camarades de Taganka une lettre signée de tous les délégués présents, sauf un. J’avais refusé d’agréer aux conditions de cette lettre, qui exigeait que nos camarades quittent la Russie deux ou trois jours au plus tard après leur libération.
Nos amis étaient d’une faiblesse extrême par suite des privations et des brutalités dont ils avaient été victimes et, pour quiconque connaît l’état déplorable des moyens de transports en Russie, il y avait une impossibilité matérielle de se conformer aux clauses de la lettre.
Celle-ci fut cependant acceptée et signée par la délégation qui ne pouvait faire mieux et Unschlicht s’en trouva satisfait. La lettre fut cachetée et lui fut remise afin d’être envoyée aux camarades de la Taganka qui l’attendaient comme une délivrance.
Deux jours plus tard, nous apprenions qu’Unschlicht refusait de faire suivre notre lettre. Aucune raison de cette mesure n’était donnée.
Il était clair que, systématiquement, le Gouvernement créait des difficultés afin de retenir le plus longtemps possible nos camarades en prison. Son jeu était apparent. Il ne voulait pas que les Anarchistes fussent libres durant le Congrès de l’Internationale Syndicale Rouge.
Cependant, les prisonniers étaient visités fréquemment par les représentants de la Tcheka qui leur faisaient entrevoir leur libération prochaine qui, chaque jour, était remise au lendemain.
Trotsky nous assurait, de son côté, que tout allait bien et que nous pourrions participer aux arrangements pour le départ de nos camarades.
Les jours passèrent, puis les semaines. Malades, les nerfs excités par une longue attente, déprimés moralement et physiquement, nos pauvres camarades considéraient leur cause comme perdue, et, stoïquement, attendaient la mort qui mettrait fin à toutes ces souffrances.
C’est à ce moment que se réunit le Congrès de l’Internationale Syndicale Rouge.
Certains des délégués avaient eu l’intention de mettre sur le tapis la question des persécutions, mais devant l’assurance que tous les Anarchistes seraient libérés dans un très bref délai, et afin d’éviter un scandale, ils avaient décidé, d’un commun accord, de ne pas en causer.
Secrètement pourtant, le Gouvernement Bolchevick préparait une surprise. Le Congrès suivait son cours. L’on était à la veille de la dernière séance. Tout s’était passé pour le mieux. Soudain, Bukarine surgit à la tribune. Il déclare qu’il est délégué par le Comité Central du Parti Communiste et qu’il va entretenir le Congrès d’un sujet qui n’est pas à l’ordre du jour.
Et d’un bond, le voilà qui s’élève contre le mouvement Anarchiste Russe. Ce mouvement, dit-il, est une chose en Europe, elle en est une autre ici. Propagandisme là-bas, banditisme ici. Les Anarchistes Russes sont des meurtriers et des contre-révolutionnaires.
La preuve ? Voyez Makhno qui a fait sauter des ponts sur le territoire des Soviets et qui a passé par les armes des paysans qu’il suspectait d’être Communistes.
Par des statistiques « officielles », il démontra que Makhno combattait le régime Bolchevik et que le mouvement Anarchiste n’était le fruit que d’une agglomération de criminels.
La salle était houleuse, lorsque Bukarine descendit de la tribune. De tous côtés l’on demandait la discussion, mais le président Losovsky déclara que le sujet n’était pas à l’ordre du jour, qu’il ne valait pas la peine que l’on s’étendît dessus, et que, par conséquent, l’incident était clos.
Le tumulte grandissait. Les membres du Congrès ne semblaient pas du même avis.
Losovsky fut critiqué ouvertement pour sa façon d’agir et on lui fit remarquer que ce n’était pas à lui de décider si un sujet était intéressant ou non. Un délégué allemand s’éleva avec violence contre l’attitude du Président. Tous les délégués français étaient debout et avec toute la salle, réclamèrent que la discussion soit ouverte immédiatement afin qu’ils aient l’opportunité de répondre aux attaques outrageantes de Bukarine contre le mouvement anarchiste.
Jusqu’à l’incident Bukarine, Losovsky avait conduit le Congrès au gré de sa fantaisie.
La majorité des délégués étaient des habitants de Moscou et acceptaient presque intégralement toutes les propositions du président de séance. Mais devant l’attaque sinistre, si inattendue et si honteuse de Bukarine, le sens critique se réveilla même chez les Communistes qui appuyèrent la motion des délégués Français et Allemands.
Losovsky demeurait inébranlable et refusait la discussion, malgré le désir manifeste de tout le Congrès.
Mais voici que, malgré le bruit, Arlandis, le délégué Espagnol réussit à se faire entendre. Défenseur du Bolchevisme, et grand ami de Losovsky, il refusa cependant de garder le silence devant l’autocratie du Président. D’une voix tremblante d’indignation et en termes acerbes, il demanda que les délégués Français qui avaient été en rapport avec le Gouvernement au sujet des Anarchistes fussent entendus.
Ne pouvant se disculper plus longtemps, Losovsky mit aux voix dans l’espoir d’avoir la majorité pour lui, mais son attente fut déçue et la majorité fut si écrasante pour la discussion, que contrairement aux règles établies par le Congrès, il n’annonça pas le nombre des votants pour et contre.
Sirolle prit la parole au nom de la délégation française. D’une voix digne, claire, puissante, il s’éleva contre l’attaque de Bukarine. « L’Anarchisme, dit-il, n’a qu’une doctrine et qu’une philosophie. Partout elle est la même. En France comme en Angleterre, en Allemagne comme en Russie. Confondre le mouvement Anarchiste avec le Makhnovstchina, ainsi que l’avait fait Bukarine était une manœuvre honteuse pour influencer les délégués étrangers qui n’étaient pas familiers avec la Révolution Russe. »
Il porta l’attention de la salle sur le fait que jamais les Anarchistes n’avaient considéré les partisans de Makhno comme étant des leurs. Que même la Fédération des Groupes Anarchistes de l’Ukraine, qui cependant sont bien prêts du mouvement Makhno, ne l’avait reconnu comme mouvement anarchiste et la résolution de la Conférence de la Fédération Nabat, tenue en septembre 1920 en est une preuve suffisante.
« Au sujet de l’Armée Révolutionnaire, sous les ordres de Makhno, il est utile de spécifier que c’est une erreur de considérer son action comme faisant partie du Mouvement Anarchiste. »
« Présenter des statistiques, ajouta Sirolle, dans lesquelles l’on étale l’œuvre destructive de Makhno est de la pauvre démagogie.
« Faire un parallèle entre l’activité de Makhno et celle des Anarchistes Russes, est une infâmante mésinterprétation. »
Avec une précision et une clarté sans égales, Sirolle détruisit tous les arguments de Bukarine.
Sa sincérité évidente, son attitude personnelle combinée avec sa voix plaisante et mélodieuse, impressionnèrent favorablement la majorité de l’assemblée.
Il appuya sur la sinistre diplomatie du Comité Central amenant le sujet des Anarchistes à la fin du Congrès, avec l’espoir de justifier leur persécution.
Il rappela l’intention de ne pas discuter cette affaire publiquement si le Gouvernement avait tenu ses promesses.
El maintenant, au dernier moment, alors qu’un arrangement avait été conclu, le parti communiste voulait exploiter la situation en faveur de sa propagande contre le mouvement Anarchiste Russe?…
« L’attitude de Bukarine est une honte pour la Révolution et une disgrâce pour le Gouvernement Révolutionnaire. »
Sirolle termina sa harangue sous un flot d’applaudissements.
La ruse du gouvernement bolchevik était démasquée et, pour la première fois, durant tout le Congrès, la vérité triomphait.
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Ce ne fut que deux mois plus tard, le 17 septembre 1921, que nos treize camarades de Taganka furent libérés.
Ils sortirent de prison dans un état déplorable. Le traitement misérable dont ils furent victimes après leur libération, la déception et la déportation sans passeport régulier, qui fut la cause première de leur arrestation à Stettin, présentent une page éloquente de la malveillance et de la brutalité bolchevique.
Avec justesse, le Bolchevisme a été décrit par le camarade Maximoff, une autre victime de l’État Communiste, comme le Judas de la Révolution Russe.
Alexandre Berkman
(Traduit du l’Anglais par J. Resse.)