Dans la confusion créée parmi les phénomènes sociaux par la volonté des politiciens, deux phares éclairent le prolétariat mondial et lui permettent de se reconnaître sur la voie de son émancipation totale. Bien de louches manœuvres tramées dans l’ombre pour assujettir le mouvement ouvrier sont, par les lueurs convergentes de ces deux foyers de clarté, vouées à l’avortement.
Le Comité Confédéral National de la C.G.T. unitaire et le Congrès de l’Union Syndicale Italienne viennent d’assurer la vitalité du syndicalisme international.
Les partis socialistes ont commencé par se disputer la suprématie totale du prolétariat. Tant que chacun d’eux espérait vaincre dans cette lutte et remporter pour prix du match l’excellente matière électorale d’une classe ouvrière soumise aux mirages des programmes, on fut intransigeant pour faire prévaloir telle ou telle doctrine. On prêcha la scission au sein des organisations ouvrières.
L’Internationale communiste de Moscou posait ses 22 conditions et l’Internationale syndicale rouge prétendait s’édifier en imposant aux syndicats du monde entier la dictature du bolchevisme. D’autre part, les socialistes réformistes, partisans de la collaboration de classe, inspiraient directement les chefs de l’Internationale syndicale d’Amsterdam et, ayant confiance dans l’autorité de ceux-ci sur la masse des prolétaires, leur donnaient les conseils d’une dictature non moins rigoureuse et non moins absolue que celle de Moscou. Ce fut dans toutes les sections de l’Internationale syndicale d’Amsterdam, le mot d’ordre des exclusions contre les révolutionnaires, lancé par l’intermédiaire de Jouhaux, Gompers, Legien, etc. mais, par les ordres des ministres ou apprentis ministres de la démocratie sociale, les Hébert, Noske, Albert Thomas, Paul-Boncour, etc…
Entre les mains de ces hommes d’État, le syndicalisme n’est qu’un instrument de gouvernement. Ils en usent, les uns et les autres, avec une incohérence apparente de méthode, qui manifeste leur unique fin : Assurer un ordre social dans le présent ou préparer le nouvel ordre dont ils sont les agents précurseurs. L’intérêt du travailleur, dans cette affaire, leur importe peu. Le succès de leur parti, voilà l’important.
Mais, entre partis, comme entre États, la guerre ne peut pas durer, il est des conciliations nécessaires quand il s’agit d’équilibrer des forces d’autorité. Ces conciliations sont impossibles quand il s’agit uniquement d’affirmer la réalité douloureuse du prolétariat qui éprouve, à tous les moments de son calvaire, l’horrible nécessité de la lutte de classe et le seul espoir de son émancipation, par la destruction du capitalisme et par la suppression de toutes les formes de gouvernement.
Moscou, ne pouvant pas imposer internationalement sa dictature, et les démocraties d’Europe ne pouvant pas réduire Moscou par le blocus ; le gouvernement syndical de Monsieur Jouhaux, d’autre part, se voyant menacé par le syndicalisme révolutionnaire toujours croissant, il y eut, de part et d’autre, un enchaînement de désirs pacifiques qui alla de Lénine jusqu’à M. Poincaré, en passant par Cachin, Lozowsky, Panl-Boncour, Albert Thomas, et en dernier ressort M. Jouhaux. C’est ça le front unique du prolétariat.
Mais le prolétariat ne marche pas. On lui a suffisamment appris, en socialisme que « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », qu’il a fini par le croire, et il n’entend pas que sous le prétexte de son émancipation on le prive des seules armes dont il dispose, des seules forces qu’il ait : la puissance autonome de son organisation.
Si les ouvriers de ce pays, à un certain moment, ont grossi les rangs du parti communiste, c’était uniquement afin de marquer son hostilité aux chefs réformistes de la C.G.T. et dans l’espoir, au lendemain de la guerre, de hâter l’œuvre révolutionnaire. Ce fut une illusion et un tort de leur part. Mais, quoi qu’il en soit, le sentiment qui les guidait n’était pas mauvais et il est certain que le grand nombre de ceux chez qui ce sentiment ne s’est pas modifié ne seront pas dupes de la manœuvre des chefs du parti communiste. Ils ne marcheront pas pour le front unique, et quand on voudra leur faire comprendre la nécessité de se mettre d’accord avec Jouhaux et Renaudel, ils s’indigneront et lâcheront les conseilleurs qui ne sont pas les payeurs.
Malgré toutes ces embûches, le syndicalisme révolutionnaire a fait son chemin. Si nous avons chassé les traîtres du mouvement ouvrier, si nous avons rompu avec les dirigeants de la rue Lafayette et avec les troupeaux qui les suivent, c’est en toute conscience et en dehors de tous conseils extérieurs.
Le parti communiste a pu s’illusionner un temps sur son influence dans les milieux syndicalistes. Le comité confédéral national de la C.G.T. unitaire lui démontre que la volonté du prolétariat est une force intuitive qui brise les cadres, dépasse les prévisions des socialistes en chambre et détruit tous les calculs des tacticiens. Le mouvement ouvrier ne se réduit pas à une « algèbre sociale ». Les travailleurs français en ont donné la preuve en manifestant leur désir de créer définitivement une C.G.T. sur des bases vraiment fédéralistes, et avec un programme hardiment révolutionnaire, en dehors de l’influence des partis et contre l’autorité arbitraire de tous les gouvernements.
Enfin le Congrès de l’Union Syndicale Italienne s’est affirmé nettement pour la fondation d’une internationale syndicale révolutionnaire qui, n’ayant pas son siège à Moscou, et tenant son Congrès constitutif hors de Russie, resterait libre de tout lien avec les partis politiques, et travaillerait à la destruction de l’État sous toutes ses formes, afin de permettre à l’organisation des travailleurs d’assurer à chacun le maximum de bien-être et de liberté.
Et si nous sommes satisfaits de tout cela, qu’on ne prétende pas nous assimiler aux dirigeants du Parti Communiste. L’Anarchie n’est pas plus une secte qu’un parti. L’Anarchie est une force d’émancipation qui se manifeste individuellement. Chaque anarchiste, en entrant dans le mouvement ouvrier, apporte cette force au service du Prolétariat. Si le syndicalisme s’imprègne d’anarchie, cela signifie que l’organisation des travailleurs, en se libérant de toute autorité extérieure, n’entend pas s’ériger elle-même en autorité supérieure. Le syndicalisme libertaire est l’émanation directe et bienfaisante des individus qu’il représente. Son rôle, incessamment révolutionnaire, est d’opposer la dynamique des producteurs à la statique des politiciens.
André Colomer