La Presse Anarchiste

M. Bergson, maître-à-penser de la 3e République

M. Berg­son fut le maître à pen­ser des « jeunes gens d’aujourd’hui 1 Jeunes Gens d’aujourd’hui, par Aga­thon, parut en 1913. Ce livre, comme fait sur com­mande, eut une grosse influence dans la jeu­nesse des Uni­ver­si­tés, pour la pré­pa­rer à l’idée de la guerre.». Son nom figu­re­ra dans l’histoire de M. Poin­ca­ré, comme celui de Des­cartes dans l’histoire de Louis XIV. M. Berg­son a été le Des­cartes du Natio­na­lisme bour­geois. Comme l’auteur du « Dis­cours sur la Méthode », il a ven­du sa pen­sée à la force sociale de son temps ; il a renon­cé aux pures joies du phi­lo­sophe pour goû­ter aux jouis­sances de l’homme célèbre. Il s’est pros­ti­tué à la gloire de son siècle.

Hen­ri Berg­son avait un tré­sor unique, un sur­hu­main tré­sor. Il l’a mon­nayé en pièces cou­rantes à l’effigie d’un Pré­sident de Répu­blique. M. Berg­son a per­du son âme. Il lui reste la popu­la­ri­té et les hon­neurs, c’est bien peu de chose pour le pen­seur des « Don­nées immé­diates de la Conscience ».

Loin du grand fleuve de col­lec­tive rai­son où s’en viennent boire et se laver et navi­guer et faire leur com­merce de vie sociale les hommes à la pra­tique acti­vi­té, loin de ses plaines indus­trieuses qu’il arrose de ses canaux en scien­ti­fiques irri­ga­tions, loin des cités qu’il fait naître sur ses bords pour y orga­ni­ser toutes choses en fonc­tion de com­mune mesure, le jeune phi­lo­sophe Hen­ri Berg­son était par­ti vers les soli­taires hau­teurs où la mon­tagne crée des sources. Long­temps il avait cher­ché aux replis des roches la source mira­cu­leuse : celle que n’appelait pas dans sa course la ser­vi­tude du grand fleuve de rai­son. Sou­vent, la croyant trou­ver, ses pas bon­dis­sants sui­virent, fré­né­tique course, quelque tor­rent où sem­blaient dan­ser plus libre­ment les reflets du monde. Ses pieds sai­gnants et les halè­te­ments de sa poi­trine ne condui­saient de causes en causes, le long de la pente de maté­rielle néces­si­té, que vers les eaux aux mornes flots où tout s’enchaîne vers la mort.

Mais un matin, alors qu’il ne cher­chait pas et que, vaga­bon­dant dans le vent des cimes, son âme par tous ses sens flot­tait har­mo­nieu­se­ment sur les clar­tés et les par­fums et les caresses de la mon­tagne en une rêve­rie d’enfance pour la seule joie de sen­tir, une musique s’éveilla, en ce moment — une musique d’il ne savait où — une musique qui le chan­tait dans les choses et qui sem­blait chan­ter en lui les choses — une musique sans lien — une musique sans fin, une musique indé­com­po­sable et toute une et si pres­ti­gieu­se­ment mul­ti­forme qu’il lui était impos­sible de la fixer en nulle forme — une musique de liber­té. Et le phi­lo­sophe errait de monts en monts, de val­lées en val­lées et du matin jusqu’au soir — et durant la nuit encore et la musique chan­tait tou­jours. Elle nar­guait temps et espace. Alors il com­prit qu’il la por­tait en lui et comme il ne rai­son­nait pas en ce moment, et que sa pen­sée, depuis le matin ne s’était dres­sée aucun plan et n’avait sui­vi aucun enchaî­ne­ment d’idées finies, le phi­lo­sophe com­prit que ce n’était pas son intel­li­gence qui chan­tait ain­si dans son être. Alors il s’endormit. Et la musique chan­ta encore jusqu’à matin en des songes qu’il n’oublia pas. Et quand Hen­ri Berg­son s’éveilla à la lumière ses yeux virent enfin la source dont la musique l’avait enchan­té. Il décou­vrit, sour­dant de ses sens en fré­mis­santes ondes sym­pho­niques, le libre cours de l’intuition. Celui-là n’allait pas vers les plaines. Il ne se per­dait pas dans les mornes et com­munes eaux de la rai­son humaine. Il ne cou­lait pas ; il jaillis­sait. Il ne sui­vait les acci­dents d’aucun lit. Il s’élançait vers les cimes sans avoir besoin, pour se mou­voir, d’obéir aux lois cau­sales. Rien ne pous­sait son cou­rant. Il s’attirait lui-même vers ses propres fins. En se dési­rant il se créait, et l’harmonie était la seule loi de son acti­vi­té. Ses vagues de clar­tés musi­ciennes libé­raient la sen­sa­tion du joug du ratio­na­lisme. Elles la déli­vraient des des­sé­chantes étreintes de la col­lec­tive intel­li­gence pour la rendre à son éclo­sion, au rythme de la per­son­na­li­té. En se replon­geant aux intui­tives ondes, la sen­sa­tion ces­sait d’être le pon­dé­rable élé­ment d’universelle ser­vi­tude pour deve­nir l’infini géné­ra­teur d’individuelle liberté !

Hen­ri Berg­son mon­trait ain­si qu’une sen­sa­tion n’est pas cet iden­tique atome avec lequel les psy­cho-phy­si­ciens pré­tendent recons­truire par de pré­cises for­mules mul­ti­pli­ca­tives la com­po­si­tion des dif­fé­rentes âmes. En une simple sen­sa­tion se mani­feste le sub­jec­ti­visme avec autant de confuse richesse syn­thé­tique que dans le plus com­plexe des sen­ti­ments. En une fugi­tive sen­sa­tion s’irradie la vie psy­chique d’un être dans toute sa force de créa­tive per­son­na­li­sa­tion, tout comme en l’imagination la plus féconde. L’individu spi­ri­tuel n’est pas un com­po­sé, il est un com­po­sant infi­ni. En lui toute l’activité n’a qu’une fin : l’harmonie de son tout, et en le moindre ins­tant de sa vie il ne cesse de pas­ser lui-même tout entier. On pour­rait appli­quer jus­te­ment à l’individu psy­chique la for­mule que les théo­logues accordent à Dieu : il est fout entier lui-même par­tout et nulle part, en tous ins­tants et en tous lieux de sa créa­tion. À chaque point de sa vie il se crée.

Mais c’est à la sen­sa­tion qu’il se crée avec le moins de res­tric­tives luttes, dans toute sa pure­té éclo­sive, en sa fleur unique. À la sen­sa­tion, l’individu se déploie avec toute sa liber­té et en pleine vie.

Déjà un sen­ti­ment s’embarrasse d’abstractives formes. Il peut se rai­son­ner. Il contient en lui une idée. Or les idées s’associent. Elles se tiennent entre elles comme les suc­ces­sifs maillons d’une chaîne qui lie l’individu à la col­lec­ti­vi­té humaine. Elles viennent du dehors toutes faites et entrent dans une conscience afin d’en vio­ler l’intimité. Car elles ne se contentent pas de se grou­per entre elles afin d’enchaîner la vie intel­lec­tuelle de l’individu sui­vant les lois de l’humaine rai­son. Elles ont aus­si l’objective ten­dance de s’emparer de sa vie affec­tive afin d’en fixer les mani­fes­ta­tions sui­vant les formes pré­con­çues d’un col­lec­tif idéal. Ce qu’on appelle le cœur humain n’est pas autre chose que le pro­duit de cet asser­vis­se­ment des indi­vi­duelles sen­si­bi­li­tés aux pré­ju­gés de l’idéalisme d’une époque sociale. La vie sen­ti­men­tale de la plu­part des êtres consti­tue la néga­tion de leur libre arbitre parce qu’au lieu de sur­gir toute nue et vibrante des ondes intimes de leur sen­si­bi­li­té, elle se pare de tra­di­tion­nels concepts afin de suivre les cou­rants de l’imagination col­lec­tive. Ain­si défor­més, les sen­ti­ments ne méritent plus que d’être trai­tés comme ils le sont par les psy­cho­logues de la Nou­velle-Sor­bonne. Ils ne mani­festent plus rien de l’âme indi­vi­duelle. Ils ne sont plus que d’épidémiques mala­dies de la conscience sociale.

Alors Berg­son nous chan­ta la vie sen­ti­men­tale se libé­rant des chaînes de l’intelligence pra­tique, oubliant tout ce qu’elle avait appris — et retrou­vant aux sources d’intuition la sève ascen­dante de sa liber­té. Et le phi­lo­sophe fut un poète qui nous révé­la par quel rythme de pous­sée musi­cale l’intuitive conscience allait de la sen­sa­tion au sen­ti­ment comme en « une sym­pho­nie où un nombre crois­sant d’instruments se feraient entendre ».

Tan­dis que les psy­cho­lo­gies anté­rieures, avec leur ratio­na­lisme, ne don­naient à la vie affec­tive qu’un rôle d’auxiliaire devant se plier aux besoins de la connais­sance afin de lui four­nir les ins­tru­ments de son per­fec­tion­ne­ment — la psy­cho­lo­gie de Berg­son mon­trait que la vraie créa­tion psy­chique est l’œuvre du sub­jec­ti­visme affec­tif. La sen­si­bi­li­té intui­tive n’est plus l’esclave de l’intelligence ration­nelle. Celle-ci n’est consi­dé­rée que comme la somme des moyens dont se sert l’individualité afin d’agir pra­ti­que­ment par­mi le milieu objec­tif. Les idées ne sont plus que des tra­duc­tions arti­fi­cielles, afin de fixer momen­ta­né­ment en sym­boles exté­rieurs un ins­tant de la sub­jec­tive infi­ni­té. Elles ne sont que des ins­tru­ments de com­mu­ni­ca­tion entre les diverses per­son­na­li­tés. Chaque conscience ne leur doit rien. Les idées sont exté­rieures à la vie de l’âme. Elles ne com­posent pas plus la réa­li­té psy­chique que les signes du télé­graphe ne consti­tuent la parole d’un homme. Loin que les indi­vi­dua­li­tés sen­tantes doivent s’asservir aux idées — ce sont les idées qui ne peuvent être que les ins­tru­ments modi­fiables et réfor­mables d’une per­son­na­li­té qui se veut libre­ment éclore en son intui­tive vie.

Il est assez curieux de remar­quer que le règne des idées qui impo­sait à l’âme indi­vi­duelle une sou­mis­sion aux formes pra­tiques de l’être col­lec­tif pou­vait en même temps conduire l’être au renon­ce­ment à toute vie active. En fai­sant de la vie spi­ri­tuelle un enchaî­ne­ment d’idées en Dieu ou en la rai­son humaine ou en l’universelle har­mo­nie ou en tout autre lieu de com­mune pen­sée, on ne refu­sait pas seule­ment à l’individu l’irréductible ori­gi­na­li­té de son âme, mais encore pou­vait-on lui nier l’importance de son action. Il ne res­tait que la toute puis­sance du verbe : « Veri­tas in dic­to, non in re consis­tit » 2La véri­té consiste dans le mot et non dans la chose. tel pou­vait être le pré­cepte de toutes les phi­lo­so­phies édi­fiées sur les ruines de la pure affec­ti­vi­té. Toutes par­laient comme s’il n’y avait que le « verbe » et la « chose » : « Dic­tum et res ». — Berg­son leur pou­vait répondre : « Veri­tas non in dic­to, neque in re, sed in sen­so consis­tit » 3La véri­té ne consiste ni dans le mot, ni dans la chose, mais dans la sen­sa­tion..

Mais, dédai­gnant, tor­tu­rant ou bafouant la sen­sa­tion, les phi­lo­sophes de l’idéalisme ont tous pla­cé la suprême noblesse en 1’«ataraxie ». Que ce soit par l’abstinence stoï­cienne, par la rési­gna­tion chré­tienne, par la « dis­cré­tion » ryné­rienne ou par l’ironie délec­tive de Rémy de Gour­mont, c’est tou­jours la même contem­pla­tion du cours des idées uni­ver­selles, en son pas­sage au tra­vers de l’âme d’un pen­seur. C’est tou­jours aus­si le renon­ce­ment à vivre sa vie selon soi-même, sous le même pré­texte que les « pen­sées sont faites pour être pen­sées et non pour être agies ».

Au règne divin de la pen­sée, l’idéal du sage est de souf­frir et de sup­por­ter indif­fé­rem­ment les indi­vi­duelles affec­tions de la vie sen­sible comme des acci­dents qui ne doivent prê­ter qu’au dédain ou à la risée, afin de s’accorder tout entier à la contem­pla­tion pas­sion­née ou sereine ou dilet­tante de l’universel cours des idées. Et ce sage, qu’il soit Jésus ou Épic­tète ou Rémy de Gour­mont ou Ryner, pour­ra comme Jésus se lais­ser souf­fle­ter par la sol­da­tesque et por­ter cha­ri­ta­ble­ment la croix de son mar­tyre jusqu’au cal­vaire, il pour­ra comme Épic­tète être esclave et se faire tordre la jambe par un maître jusqu’à ce qu’elle en casse, il pour­ra comme un Han Ryner subir durant toute une vie de pauvre labeur quo­ti­dien le sup­plice de par­ler par­mi le silence, ou comme Rémy de Gour­mont se sou­mettre aux exi­gences rape­tis­santes de la condi­tion d’écrivain pour qui pré­tend en vivre à la fin du XIXe siècle, tout cela n’importera pas plus à Jésus qu’à Gour­mont, à Épic­tète qu’à Ryner, l’essentiel pour eux tous est, quelque nom qu’ils lui veuillent don­ner, l’identique royaume du Père, 1’«éternel et uni­ver­sel » pays des idées. Ils sacri­fient leur vie par­ti­cu­lière à la pen­sée géné­rale. Cha­cun à leur mode, tra­gi­que­ment, quiè­te­ment ou iro­ni­que­ment ils sont les mar­tyrs de l’esprit. Ils affirment l’existence de l’être sur la mort de la sen­sa­tion, sur la néga­tion de toute joie de vivre affec­ti­ve­ment. Avec tous ces grands pen­seurs se déve­loppe en idéo­lo­gies sereines ou tra­giques, har­mo­nieuses ou sub­tiles, le « je pense, donc je suis », que Des­cartes n’exprima que pour le tra­ves­tir aus­si­tôt à la mode de son temps. Mais les sin­cères amants comme l’astucieux mar­lou sont éga­le­ment les esclaves de la même divine pros­ti­tuée : l’humaine spi­ri­tua­li­té. Que ce soit Des­cartes for­mu­lant l’honnête homme pour les inté­rêts de la France du XVIIe siècle, ou le Christ se fai­sant « homme » pour l’amour de l’Humanité, ou Épic­tète pro­cla­mant « la paren­té qui unit les hommes entre eux et avec les Dieux », et ensei­gnant « les véri­tés géné­rales » qui font « l’homme de bonne volon­té» ; ou Han Ryner contant au « cœur des hommes » l’Idée d’Amour avec la voix de leur rai­son ; ou Rémy de Gour­mont appre­nant à l’homme l’art d’éprouver l’ivresse spi­ri­tuelle, tous, par un iden­tique juge­ment men­tal, « com­mu­nient à plu­sieurs tables, sous toutes les espèces humaines », et, « ayant écou­té les mur­mures, ils y répondent par toutes les paroles ». Ils perdent l’individu dans l’homme. Ils se noient dans le col­lec­tif. Ils se sou­mettent à un ordre. Pour Des­cartes, c’est l’ordre de l’État ; pour Jésus, c’est l’ordre du Père ; pour Épic­tète, c’est « l’ordre du Monde des néces­si­tés pour qui­conque ne ferme pas sa rai­son ». Pour Han Ryner, comme pour Gour­mont, c’est l’ordre du Tout, où tout vit éter­nel­le­ment pour qui­conque ne ferme pas son cœur, selon Psy­cho­dore, et pour qui­conque sait ouvrir son intel­li­gence, selon Dyo­mède. Tous, aus­si bien que Des­cartes. ne s’affirment par leur pen­sée que pour dire au Sou­ve­rain : « Que ta volon­té soit faite, et non la mienne. » Ils se recon­naissent l’existence en se niant la liber­té. Ils s’accordent la rai­son d’être par­ti­cu­liè­re­ment en une sou­mis­sion aux lois de l’être géné­ral. Pour eux tous, la vie se fonde sur les prin­cipes d’égalité et d’identité, et « aucun geste n’est supé­rieur ni dif­fé­rent, et toutes les mani­fes­ta­tions de l’activité vitale, ou spé­cia­le­ment humaine, semblent bien équi­pol­lentes ». Au règne uni­ver­sel de l’intelligence, l’être humain vit selon l’idéale boue du stoï­cien qui disait : « Si la boue avait le sen­ti­ment et la pen­sée, elle se réjoui­rait d’être fou­lée aux pieds des pas­sants, car elle sau­rait que cela est dans sa des­ti­née, et elle s’y sou­met­trait avec empressement. »

Au règne indi­vi­duel de l’intuitive sen­sa­tion, l’être affirme son exis­tence en même temps qu’il se recon­naît vivant en ses jouis­sances actives : il trouve sa liber­té en réa­li­sant la beau­té de ses actes. En un même geste d’harmonie, il se crée sen­tant, vivant et libre.

Avec le « je pense, donc, je suis », Des­cartes, par une opé­ra­tion men­tale, n’affirmait d’autre exis­tence que celle de l’homme abs­trait. Ce n’était pas Des­cartes se sai­sis­sant dans sa vie per­son­nelle, mais le phi­lo­sophe trou­vant la preuve de l’existence humaine dans l’humaine fonc­tion de pen­ser. Des­cartes don­nait la vie à l’être géné­ral en le pla­çant par­mi l’enchaînement des idées.

Avec l’intuition, Berg­son eût pu dire : « Je sens, donc je suis libre. » Car la sen­sa­tion, libé­rée de ses défor­ma­tions pra­tiques dans l’espace et sai­sie intui­ti­ve­ment, est, comme dit le phi­lo­sophe, « un com­men­ce­ment de liber­té, ou elle ne l’est pas. » Tan­dis que la pen­sée peut « être com­prise par plu­sieurs, et, par consé­quent, être sus­cep­tible de créer des liens de col­lec­ti­vi­té, la sen­sa­tion est vrai­ment l’unique. C’est en elle que l’individu fonde sa liber­té et son uni­té. Son entière auto­no­mie. La sen­sa­tion ne se répète pas, elle ne se donne pas, elle ne s’étale pas. Elle n’est sus­cep­tible d’aucune mesure. Elle n’a de lien avec rien en dehors de l’individu qui la sent. Elle est irré­duc­ti­ble­ment un phé­no­mène sub­jec­tif. Par elle seule se mani­feste la dif­fé­ren­cia­tion d’un être. Elle est la seule géné­ra­trice d’un indi­vi­dua­lisme inté­gral. En disant : « Je sens, donc je suis », ce n’est pas un savant qui éta­blit sur la sen­sa­tion humaine les condi­tions de la conscience humaine. mais c’est moi-même qui, me sen­tant sen­tir comme je suis seul à sen­tir, par cela même, me sens vivre dans mon indi­vi­duelle vie. Je me sens vivant en me vivant sen­tir. Ce n’est pas une démons­tra­tion écrite de mon exis­tence d’homme, c’est l’expérience que je suis seul à pou­voir sen­tir et en laquelle je me trouve dans ma réa­li­té et dans ma liber­té.

En fon­dant sur l’intuitive sen­sa­tion la vie psy­cho­lo­gique, Hen­ri Berg­son don­nait à l’âme indi­vi­duelle la pos­si­bi­li­té d’éclore en se refu­sant à la science psy­cho­lo­gique aus­si bien qu’à la reli­gion, sous toutes ses formes. Par l’intuition, la vie spi­ri­tuelle pou­vait échap­per aux lois du type col­lec­tif. Elle s’individualisait. Dès lors, chaque per­son­na­li­té se crée­ra sa libre psy­cho­lo­gie, car seul l’individu peut sen­tir en lui-même, par­mi l’intuitive sym­pho­nie, les rythmes indé­fi­nis­sables de son unique et inces­sante autocréation.

L’intuitionnisme berg­so­nien était l’unique source de l’individualisme inté­gral. En une pré­cé­dente élude 4 Aux sources de l’Héroïsme Indi­vi­dua­liste. « De Berg­son au Ban­di­tisme » (L’Action d’Art, 1913)., j’ai conté par quelle pente de natu­relle expan­sion on va de la psy­cho­lo­gie intui­tive de Berg­son à l’héroïsme anar­chiste de Bon­not. Et, cepen­dant, les « jeunes gens d’aujourd’hui » ont trou­vé moyen de par­tir de la même source d’intuition pour aller vers un tout autre héroïsme : celui de M. Poin­ca­ré. Et, non seule­ment M. Berg­son les a lais­sés faire, mais encore il s’est joint à eux, afin de diri­ger d’une main de cher maître les manœuvres de ces mau­vais dis­ciples, qui for­çaient le libre cours de l’individuelle intui­tion pour ali­men­ter de ses eaux cana­li­sées toutes les natio­nales Wal­laces de France.

Aga­thon et ses amis n’avaient atta­qué les méthodes expé­ri­men­tales de la Nou­velle Sor­bonne que dans le but poli­tique de heur­ter l’influence alle­mande. Ils se firent admi­ra­teurs de la phi­lo­so­phie berg­so­nienne pour des rai­sons ana­lo­gue­ment pra­tiques. Les jeunes par­ti­sans de M. Poin­ca­ré n’allaient vers l’intuition que pour repê­cher en ses eaux trou­blées tous les vieux fan­tômes du spi­ri­tua­lisme auto­ri­taire. Avec la conscience intui­tive, ils vou­laient faire res­sus­ci­ter l’âme obs­cure de la théologie.

Hen­ri Berg­son, en outre d’un ori­gi­nal phi­lo­sophe, est un par­leur sédui­sant. Il a la voix qui plaît aux femmes. Aus­si, mal­gré qu’elles ne sai­sissent grand’chose de l’intérieure sym­pho­nie du maître, les dames du Tout-Paris ne man­quèrent-elles pas de se mon­trer ses assi­dues audi­trices. Ces belles « par­fu­mées » allaient se ber­cer aux onc­tueuses pro­non­cia­tions du psy­cho­logue, afin de s’accorder heb­do­ma­dai­re­ment leur petite illu­sion d’Idéal. M. Berg­son leur accor­dait cet encens de mys­ti­ci­té, qui convient à la com­po­si­tion de leur « chic ». Il rem­pla­çait le Père Oli­vier. Grâce à lui, le Col­lège de France devint à la mode. Pour entendre son cours, on y fai­sait rete­nir ses places par des lar­bins, comme à Notre-Dame, le jour d’un grand prêche, et à Saint-Augus­tin, pour la soi­rée musi­cale et vocale d’une nuit de Noël ou doit chan­ter Lucienne Bréval.

En Berg­son le phi­lo­sophe se dou­blait d’un « m’as-tu-vu ». Afin de faire chan­ter celui-là, les com­mis-voya­geurs en grande guerre sur­ent à mer­veille tou­cher les cordes de celui-ci. Tout mar­cha selon les dési­rs de M. Poin­ca­ré. M. Berg­son fut assez cabo­tin pour faire mon­ter son pur génie sur les planches du petit théâtre où se devait répé­ter, entre pre­miers rôles, les pre­mières scènes de la « Cochon­ne­rie sanglante ».

Voi­là com­ment se joua la farce de la « Conver­sion de Bergson ».

Quelque temps, M. Berg­son lais­sa faire d’elle seule la mali­cieuse igno­rance de ses inté­res­sés dis­ciples. Les col­la­bo­ra­teurs de l’Opinion en même temps que ceux de la catho­lique Revue heb­do­ma­daire, se mirent sou­dain à enton­ner un can­tique d’enthousiasme à la gloire de l’auteur de « Matière et Mémoire ». Tous n’eurent qu’une voix pour pro­cla­mer la mort de l’analytique intel­li­gence et le salut de l’âme par l’intuition. Dès lors ce fut comme une vague d’admiration qui se pro­pa­gea en tous les pério­diques du clé­ri­ca­lisme et du natio­na­lisme. Dans tous les cercles pieux de la jeu­nesse stu­dieuse, les direc­teurs de conscience lais­sèrent de recom­man­der à leurs fidèles la dan­ge­reuse médi­ta­tion tou­jours prête à s’empoisonner de cri­tique, afin de lais­ser leurs âmes de bre­bis vaguer au flot qui les emporte confu­sé­ment en l’intuition divine. Ces Mes­sieurs, dans leur pro­sé­ly­tisme berg­so­nien, fei­gnaient d’ignorer l’essentiel de l’enseignement du maître et leurs com­men­taires men­son­gers de son chant assas­si­naient l’intuition libre. Hen­ri Berg­son, loin de les démen­tir pour défendre l’âme de son âme, vint à leur aide et diri­gea leurs coups. Il accep­ta sur sa face le bai­ser des mul­tiples Judas et le leur ren­dit en plu­sieurs reprises sur cha­cune de leurs fesses généreusement.

Avec son état-major d’Iscariotes, le géné­ral Berg­son fai­sait de l’intuition la neuve stra­té­gie de l’obscurantisme social. Ain­si la direc­tion de la vie psy­cho­lo­gique n’était niée à l’intelligence rai­son­neuse qu’afin de sup­pri­mer dans la conscience de l’individu toute pos­si­bi­li­té de libre exa­men. Tan­dis que les œuvres capi­tales de Berg­son repous­saient en l’analytique pen­sée la force de tota­li­sa­tion domi­na­trice, les nou­veaux articles de Berg­son dans l’Opi­nion et dans les Études, niaient sur­tout en elle l’instrument de l’individuelle libération.

Berg­son chez les patriotes et chez les Jésuites vou­lait oublier les Don­nées immé­diates de la Conscience et les fines pré­ci­sions de l’analyse qui lui ser­vit à déga­ger la sen­sa­tion de l’artificielle enve­loppe d’objectivité phy­sique en laquelle elle s’atrophiait au ser­vice de l’action col­lec­ti­ve­ment pra­tique. Aus­si fei­gnit-il d’ignorer, comme ses nou­veaux admi­ra­teurs, qu’afin de retrou­ver l’âme intui­tive dans l’âme d’un homme, il fal­lait aupa­ra­vant, pour la faire éclore dans toute sa pure­té sub­jec­tive, user de la même ana­lyse avec l’individualité entière afin de la libé­rer de la vieille gangue d’objectivité sociale qui l’opprime jusqu’à l’étouffement.

Car le phi­lo­sophe de l’intuition savait ce qu’il devait à l’intelligence. Si les méthodes de la connais­sance ne valent pas plus en leur logique qu’en leur expé­ri­men­ta­tion pour fouiller aux vierges pro­fon­deurs de sub­jec­ti­vi­té psy­chique, elles sont au contraire d’une incon­tes­table uti­li­té pour s’appliquer aux faits de l’objectivité pra­tique. Si la science ne peut rien pour créer dans l’impalpable infi­ni de la per­son­nelle spi­ri­tua­li­té, elle peut tout pour détruire dans le domaine col­lec­tif de la Matière. Si l’on ne peut jamais atteindre l’âme que par l’âme même — et si les argu­ments de force exté­rieure ne peuvent ni contraindre ni anéan­tir l’individualité qui se sent par­fai­te­ment libre en son har­mo­nie inté­rieure, de la même façon on ne peut jamais se défendre des attaques de la Matière qu’avec des objets de Matière. On ne détruit les faits qu’en leur oppo­sant les faits. On ne se sauve de la Brute qu’en lui oppo­sant ses propres ins­tru­ments. Pour échap­per à l’étreinte du col­lec­tif il faut user des armes qui ont prise sur lui. Le réfrac­taire qui à déser­té les armées pour ne pas accom­plir par ordre la fonc­tion de meur­trier, ne craint pas, quand il est tra­qué par les gen­darmes qui menacent de leurs fusils la liber­té de son être, de répondre à leurs injonc­tions de se rendre ou de mou­rir, par le seul argu­ment que puissent com­prendre des repré­sen­tants de la force : le revol­ver. Ain­si l’âme qui se veut vivre har­mo­nieu­se­ment en dehors des néces­si­tés qui lui sont étran­gères, fuit les col­lec­tives clas­si­fi­ca­tions de la Rai­son humaine pour se retrou­ver en la liber­té de son intui­tion, mais quand les concepts géné­raux, vieux gen­darmes de la Rai­son, dressent encore leurs menaces d’autorité autour de sa jeune éclo­sion, pour sa défense per­son­nelle elle aus­si sait user de l’arme qui convient, l’arme des­truc­tive : un peu de rai­son char­gée d’analyse bra­qué contre les monstres du ratio­na­lisme analytique.

L’intelligence ne doit pas être ma fin, mais elle reste un ins­tru­ment dont il me faut apprendre l’usage indi­vi­duel, afin de ne m’en ser­vir que dans les cir­cons­tances qui le réclament, afin de savoir en user quand il est utile à mon bien et de pou­voir le repous­ser quand il risque de pas­ser les limites de mon ser­vice pour conti­nuer son œuvre de des­truc­tion ana­ly­tique au-delà de son domaine d’objectivité, jusqu’en l’harmonie de sub­jec­tive syn­thèse qui vit en moi par l’intuition.

Le rai­son­ne­ment intel­lec­tuel pour l’individu qui cherche son âme de libre beau­té aux pro­fon­deurs de sa vie telle que la lui ont condi­tion­née les bru­tales lois de l’hérédité et de la socié­té, est comme le pic entre les mains du fouilleur d’archéologie. Aux pro­fon­deurs du sol, il sait que vit l’œuvre d’art.

Il faut déga­ger des étreintes sales de la terre les lignes qui chantent en la sta­tue le rêve d’une âme. Le pic est là. L’ouvrier sait que ce mor­ceau de fer est façon­né pour la des­truc­tion et qu’un seul coup de son poids peut aus­si bien bri­ser le roc bru­tal que le marbre ani­mé. Mais le cher­cheur sait aus­si ce qu’il veut. Il entend les plaintes vers la lumière des courbes où sur­vit l’amour de l’artiste, et il sait que de la créa­tion lutte là-des­sous tout au fond avec la des­truc­tive matière. Alors il n’hésite pas. Il prend le pic et vio­lem­ment il oppose à la force bru­tale qui pèse de son poids de mort sur de la vie, l’élan contraire d’une iden­tique bru­ta­li­té. Il frappe la terre avec une métho­dique force, il creuse, il fouille ; le roc jaillit en éclats, la bles­sure s’élargit en coups pré­ci­pi­tés dans le sol hos­tile, tant qu’il entend encore, loin­tains, les appels de l’harmonieuse ense­ve­lie. Mais voi­ci que la voix s’éclaircit et qu’elle se fait déjà musique d’enchantement aux approches de la clar­té… La terre n’est plus sur l’œuvre d’art qu’une mince couche de pour­ri­ture… Alors le cher­cheur sait aban­don­ner le pic dont les coups trop pré­cis ris­que­raient de bles­ser l’ensevelie, et, accrou­pi contre le sol où ses genoux tremblent d’émoi, de ses mains d’hésitante déli­ca­tesse, en des mou­ve­ments ryth­més comme des caresses, il achève de déli­vrer la beau­té de son cilice de boue.

C’est à cette libre recherche que M. Berg­son s’est refu­sé du jour où il devint le maître des jeunes poli­ti­ciens de l’Opi­nion. Il n’a pas eu le cou­rage de prendre la pioche afin de libé­rer l’ensevelie. Il a nié l’intelligence à la libre-cri­tique de l’individu vou­lant déga­ger de tout le poids étouf­feur de l’éducation sociale l’harmonieuse vie de son âme. Il a lais­sé l’intuition enfouie sous la terre, avec son cilice de vieille boue. Il l’a condam­née au sup­plice de la pro­fonde obscurité.

Et quand il en fit entendre la voix aux jeunes gens bien pen­sants de France, ce n’en pou­vait être que l’horrible lamen­ta­tion aux accents défor­més par les mil­lé­naires pri­sons, une voix sem­blable à celle de ces tor­tu­rés que l’Inquisition fai­sait par­ler en l’épouvante de la roue de feu ou du tenaille­ment des chairs, une voix de ser­vi­tude dans les ténèbres.

En prê­chant l’abandon de toute ana­ly­tique fonc­tion intel­lec­tuelle, il pri­vait l’individu de son unique ins­tru­ment de défense, il lui ren­dait impos­sible cette cri­tique anar­chiste qui seule pou­vait lui per­mettre de se déga­ger de la col­lec­tive rai­son pour éclore à l’intuitive créa­tion. L’être social que l’on prive d’intelligence est comme le for­çat à qui son gar­dien arrache les cisailles avec les­quelles il espé­rait rompre sa chaîne. Il ne retrou­ve­ra jamais la liberté.

Aux jeunes gens de la patrie fran­çaise et à l’Église catho­lique, M. Berg­son tra­dui­sit ain­si sa philosophie :

« En moi est l’intuition — vague et fluide mou­ve­ment de ma vie inté­rieure. C’est elle qui me donne le sens de la vie. Je pense, donc je suis. Mais cette intui­tion à l’état pre­mier n’est qu’un sens informe qui ne suf­fit pas à créer l’harmonie inté­rieure. Écou­tons donc la voix humaine qui chante en nous. Sui­vons les conseils de cette ancienne. Elle s’exerce depuis les com­men­ce­ments, comme un écho de la créa­tion. Écou­tons la voix humaine, la géné­rale intui­tion qui sym­pho­nise en elle seule toutes les par­ti­cu­lières sym­pho­nies intui­tives. Elle nous indique quel est le sens, le grand sens — c’est le Bon Sens. Et dites : Je sens bien, donc je suis esclave. » Et il ajou­tait : « Cepen­dant, s’il est en vous quelque élan qui veut dépas­ser le sens com­mun des hommes, s’il chante encore en vos pro­fon­deurs une voix qui ne s’accorde pas avec celle du Bon sens, ne soyez pas orgueilleux, mes fils, et ne vous croyez pas pour cela en dehors de l’universel. Cette voix d’au-delà vous appar­tient moins encore que votre chant d’en deçà. Ce sens qui vous fait dépas­ser le Bon sens n’est pas votre indi­vi­duelle clar­té. Il ne signi­fie pas votre pou­voir de créa­tion. Il est, tout au contraire, en vous une clar­té d’universel, un éblouis­se­ment de Dieu, c’est le sens divin. Avec l’intuition cha­cun de vous porte en soi un frag­ment de Dieu. Mais ce ne sont là en vous que d’infinitésimales petites ondes qui ne peuvent avoir aucune puis­sance sur l’harmonie du Grand Créa­teur. Car Dieu qui est un peu dans toutes les intui­tions n’est tout vou­lant et tout puis­sant que dans sa par­faite tota­li­té. Il est la grande intui­tion, la seule libre. Cha­cun de nous n’est libre qu’en par­ti­ci­pant à sa liber­té. Pour connaître Dieu en cha­cun de vous, cher­chez en votre âme la voix du Don Dieu. Car vous êtes une créa­ture de Dieu. Et dites : « Je crois en Dieu, donc je suis libre ».

Ain­si Berg­son fai­sait son Des­cartes. Le ratio­na­liste du « Dis­cours sur la Méthode » avait pro­non­cé « Je pense, donc je suis », puis, sans plus de dis­cours, il avait noyé l’esprit dans le Saint-Esprit. Le père de l’intuition ne fut pas plus tendre pour sa jeune pro­gé­ni­ture. D’un air ins­pi­ré, il chan­ta : « Je sens, donc je suis » puis en quelques can­tiques d’agenouillement au pied du dra­peau et de l’autel, il pros­ti­tua le « sens » au « Bon Sens » et fit se noyer l’âme libre aux fonts bap­tis­maux du Bon Dieu.

Une fois de plus la France était sau­vée. Elle rede­ve­nait la fille chère de l’Église. Berg­son n’avait trou­vé l’individuelle clef du monde inté­rieur que pour la vendre au Saint-Pierre-Bon-Sens afin d’enrichir de sa dorure le tra­di­tion­nel trous­seau de ses innom­brables clefs de vieux Para­dis. Grâce à M. Berg­son, la France pos­sé­dait une âme, une seule âme sou­mise et fidèle. Elle était mûre pour le maître : M Poin­ca­ré pou­vait venir.

Cela se pas­sait eu 1912…

Dix ans ont pas­sé. La Guerre a fau­ché le Monde. M. Berg­son conti­nue à philosopher…

« Pri­mun vivere…» lui clament les mil­lions de morts. Oui, d’abord vivre, et ne phi­lo­so­pher que pour mieux vivre.

André Colo­mer.

  • 1
     Jeunes Gens d’aujourd’hui, par Aga­thon, parut en 1913. Ce livre, comme fait sur com­mande, eut une grosse influence dans la jeu­nesse des Uni­ver­si­tés, pour la pré­pa­rer à l’idée de la guerre.
  • 2
    La véri­té consiste dans le mot et non dans la chose.
  • 3
    La véri­té ne consiste ni dans le mot, ni dans la chose, mais dans la sensation.
  • 4
     Aux sources de l’Héroïsme Indi­vi­dua­liste. « De Berg­son au Ban­di­tisme » (L’Action d’Art, 1913).

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