La Presse Anarchiste

La Franc-maçonnerie — parallèle

Pour mes FF ... des divers Rites.

J’ai fait par­tie de votre Socié­té, et n’ayant jamais dit que je m’en sépa­rais, il est pos­sible que je lui appar­tienne encore ; j’ai omis de m’en infor­mer ; le titre de franc-maçon ne me gêne pas : dans le sens que j’y attache, je m’en ferais plu­tôt un honneur.

J’entrai dans votre mai­son, atti­ré par sa répu­ta­tion de libé­ra­lisme. Je m’en suis absen­té, c’est bien le mot, sur cette consta­ta­tion, qui n’enlève rien à l’estime, à la consi­dé­ra­tion pour les per­sonnes : La Franc-Maçon­ne­rie est un vieil ins­tru­ment de pro­grès, com­plè­te­ment usé. Or, il est rare qu’un mau­vais outil fasse de bon travail.

Depuis, j’ai occu­pé quelques loi­sirs à tra­cer le plan, le por­trait idéal d’une Ins­ti­tu­tion simi­laire. À la lec­ture, cette esquisse ter­mi­née (sans que j’eusse appor­té à ma besogne ni pré­mé­di­ta­tion de ce genre ni le moindre par­ti-pris) mes deux modèles, celui qui m’avait ser­vi de point de départ et celui que je venais de créer, pré­sen­taient, fond et forme, le contraste le plus abso­lu. Mieux que ceux que vous nom­mez les pro­fanes, vous sai­si­rez la différence.

Je place mon pro­jet sous les yeux du public. Ce que j’attends de cet acte ? Peut-être la réa­li­sa­tion du plan expo­sé. Peut-être aus­si, un effet de réno­va­tion sur la Maçon­ne­rie elle-même, capable qu’elle soit de l’effort à faire pour se libé­rer. La bonne volon­té des loges est évi­dente, mais para­ly­sée tout d’abord par une régle­men­ta­tion trop cen­tra­li­sa­trice. Ce qu’il en reste après cela s’annihile en gestes et en for­mules hié­ra­tiques dans un cadre sur­an­né : le signe mis à la place de l’idée. Vous res­tez pri­son­niers d’un pas­sé révolu.

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L’énergie réfor­ma­trice qui vous fait défaut, des qua­li­tés pri­vées, les ver­tus cor­po­ra­tives, votre soli­da­ri­té confra­ter­nelle, par exemple, ne la rem­placent qu’en par­tie. L’entr’aide, la bien­fai­sance adou­cissent les rigueurs d’un monde mal fait, elles ne le changent pas. Disons mieux, elles atté­nuent pour cer­tains les dif­fi­cul­tés, les tris­tesses de la situa­tion — faite toute des fruits amers de la concur­rence — et les aggravent pour d’autres. On pro­tège, on favo­rise celui-ci, mais au détri­ment de celui-là ; tou­jours le pré­ju­dice est pour quelqu’un, et, dans l’ensemble, l’organisation sociale n’a rien gagné, au contraire : la pra­tique des faveurs, des passe-droits attente au prin­cipe même de la jus­tice — d’autant plus fâcheu­se­ment que sa réper­cus­sion en dom­mages tombe sur les faibles, les déshé­ri­tés, dont les chances sont déjà si minimes. Neuf fois sur dix, ils sont par avance écar­tés au pro­fit de com­pé­ti­tions patron­nées. Quand ils ont tant de peine à vivre, vous liguer entre vous, c’est en quelque sorte vous allier contre eux.

Pour votre Asso­cia­tion, elle aus­si, pour sa valeur morale, cette pra­tique n’a‑t-elle pas ses incon­vé­nients ? Com­bien viennent à vous pour trou­ver dans votre union un appui, rien de plus, à leurs petites com­bi­nai­sons, et, quelques-uns, un mar­che­pied. Enquêtes, épreuves ques­tion­naire y sont vains, votre recru­te­ment est vicié.

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Élar­gis­sons la notion de soli­da­ri­té. La fra­ter­ni­té maçon­nique n’est pas tout, elle n’est qu’un moyen, elle n’est pas le but.

Faire de la soli­da­ri­té une chose vraie, sérieuse, de peuple à peuple et entre tous les indi­vi­dus, ce pro­gramme n’est pas au-des­sus de vos moyens d’action, si vous vou­lez les uti­li­ser. De plus, il concorde avec votre louable devise. « Vers la lumière », sont les paroles ins­crites à l’entrée de notre antique édi­fice, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, m’avez-vous dit. Oui, comme sur un lieu d’asile dans lequel se réfu­gia la pen­sée humaine, mena­cée de périr étouf­fée sous les puis­sances de domi­na­tion, et il est logique de croire que les pre­mières assises en furent jetées dans ce mons­trueux Orient, où le pou­voir des rois les met­tait au niveau des dieux et de la bête. Cer­tai­ne­ment, la légende de Nabu­cho­do­no­sor fut accré­di­té par l’un de vos ancêtres.

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À ces époques, l’amour du pro­grès était sous­trait, par son objet même, aux mes­qui­ne­ries de l’intérêt per­son­nel. En est-il ou peut-il en être ain­si aujourd’hui ? Je ne veux pas en dou­ter et je ter­mine ce pré­am­bule. La cri­tique qui en fait le fond devait por­ter sur une méthode de tra­vail uni­que­ment, je me suis lais­sé aller à l’allonger. Cette méthode ne me paraît pas répondre aux néces­si­tés de la situa­tion. De quelques autres, on peut en dire autant, à juger par les résul­tats. La période d’où nous sor­tons accu­mu­la des ruines dont doit s’accuser notre paresse ou, pour l’indiquer plus exac­te­ment, l’impéritie de toutes les forces d’altruisme, Franc-Maçon­ne­rie, Socia­lisme, Anar­chie. Ce désordre, elles en ont, aus­si bien que ses auteurs, la res­pon­sa­bi­li­té. Puissent-elles mieux rem­plir désor­mais leur fonc­tion mora­li­sa­trice. De belles paroles n’y suf­fi­ront point : l’égoïste en est pro­digue jusque dans ses pires des­seins. L’avenir s’annoncerait bien noir, si ce mot : altruisme, que je viens d’emprunter aux grou­pe­ments d’avant-garde, n’était qu’un men­songe de plus.

(À suivre.)
Édouard Lapeyre.


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