Pour mes FF ... des divers Rites.
J’ai fait partie de votre Société, et n’ayant jamais dit que je m’en séparais, il est possible que je lui appartienne encore ; j’ai omis de m’en informer ; le titre de franc-maçon ne me gêne pas : dans le sens que j’y attache, je m’en ferais plutôt un honneur.
J’entrai dans votre maison, attiré par sa réputation de libéralisme. Je m’en suis absenté, c’est bien le mot, sur cette constatation, qui n’enlève rien à l’estime, à la considération pour les personnes : La Franc-Maçonnerie est un vieil instrument de progrès, complètement usé. Or, il est rare qu’un mauvais outil fasse de bon travail.
Depuis, j’ai occupé quelques loisirs à tracer le plan, le portrait idéal d’une Institution similaire. À la lecture, cette esquisse terminée (sans que j’eusse apporté à ma besogne ni préméditation de ce genre ni le moindre parti-pris) mes deux modèles, celui qui m’avait servi de point de départ et celui que je venais de créer, présentaient, fond et forme, le contraste le plus absolu. Mieux que ceux que vous nommez les profanes, vous saisirez la différence.
Je place mon projet sous les yeux du public. Ce que j’attends de cet acte ? Peut-être la réalisation du plan exposé. Peut-être aussi, un effet de rénovation sur la Maçonnerie elle-même, capable qu’elle soit de l’effort à faire pour se libérer. La bonne volonté des loges est évidente, mais paralysée tout d’abord par une réglementation trop centralisatrice. Ce qu’il en reste après cela s’annihile en gestes et en formules hiératiques dans un cadre suranné : le signe mis à la place de l’idée. Vous restez prisonniers d’un passé révolu.
* * * *
L’énergie réformatrice qui vous fait défaut, des qualités privées, les vertus corporatives, votre solidarité confraternelle, par exemple, ne la remplacent qu’en partie. L’entr’aide, la bienfaisance adoucissent les rigueurs d’un monde mal fait, elles ne le changent pas. Disons mieux, elles atténuent pour certains les difficultés, les tristesses de la situation — faite toute des fruits amers de la concurrence — et les aggravent pour d’autres. On protège, on favorise celui-ci, mais au détriment de celui-là ; toujours le préjudice est pour quelqu’un, et, dans l’ensemble, l’organisation sociale n’a rien gagné, au contraire : la pratique des faveurs, des passe-droits attente au principe même de la justice — d’autant plus fâcheusement que sa répercussion en dommages tombe sur les faibles, les déshérités, dont les chances sont déjà si minimes. Neuf fois sur dix, ils sont par avance écartés au profit de compétitions patronnées. Quand ils ont tant de peine à vivre, vous liguer entre vous, c’est en quelque sorte vous allier contre eux.
Pour votre Association, elle aussi, pour sa valeur morale, cette pratique n’a‑t-elle pas ses inconvénients ? Combien viennent à vous pour trouver dans votre union un appui, rien de plus, à leurs petites combinaisons, et, quelques-uns, un marchepied. Enquêtes, épreuves questionnaire y sont vains, votre recrutement est vicié.
* * * *
Élargissons la notion de solidarité. La fraternité maçonnique n’est pas tout, elle n’est qu’un moyen, elle n’est pas le but.
Faire de la solidarité une chose vraie, sérieuse, de peuple à peuple et entre tous les individus, ce programme n’est pas au-dessus de vos moyens d’action, si vous voulez les utiliser. De plus, il concorde avec votre louable devise. « Vers la lumière », sont les paroles inscrites à l’entrée de notre antique édifice, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, m’avez-vous dit. Oui, comme sur un lieu d’asile dans lequel se réfugia la pensée humaine, menacée de périr étouffée sous les puissances de domination, et il est logique de croire que les premières assises en furent jetées dans ce monstrueux Orient, où le pouvoir des rois les mettait au niveau des dieux et de la bête. Certainement, la légende de Nabuchodonosor fut accrédité par l’un de vos ancêtres.
* * * *
À ces époques, l’amour du progrès était soustrait, par son objet même, aux mesquineries de l’intérêt personnel. En est-il ou peut-il en être ainsi aujourd’hui ? Je ne veux pas en douter et je termine ce préambule. La critique qui en fait le fond devait porter sur une méthode de travail uniquement, je me suis laissé aller à l’allonger. Cette méthode ne me paraît pas répondre aux nécessités de la situation. De quelques autres, on peut en dire autant, à juger par les résultats. La période d’où nous sortons accumula des ruines dont doit s’accuser notre paresse ou, pour l’indiquer plus exactement, l’impéritie de toutes les forces d’altruisme, Franc-Maçonnerie, Socialisme, Anarchie. Ce désordre, elles en ont, aussi bien que ses auteurs, la responsabilité. Puissent-elles mieux remplir désormais leur fonction moralisatrice. De belles paroles n’y suffiront point : l’égoïste en est prodigue jusque dans ses pires desseins. L’avenir s’annoncerait bien noir, si ce mot : altruisme, que je viens d’emprunter aux groupements d’avant-garde, n’était qu’un mensonge de plus.
(À suivre.)
Édouard Lapeyre.