La Presse Anarchiste

Reconnaissance à François Mauriac

L’on ne peut venir d’horizons plus divers, voire oppo­sés, que les ani­ma­teurs de ce modeste bul­le­tin et l’écrivain très catho­lique et, à l’origine, fort mon­dain qu’est Fran­çois Mau­riac. L’on ne peut même moins que nous être spon­ta­né­ment por­té à accor­der à son œuvre roman­cée l’importance, la valeur insigne que cer­tains lui prêtent, – alors que nous osons être de son avis en pen­sant que le poème d’Attis est non seule­ment son œuvre majeure, mais un chef‑d’œuvre. (Il est vrai que ses deux der­niers ouvrages en prose, Le Sagouin et Gali­gaï, montrent chez Mau­riac, par le pro­bable effet d’une com­pé­ti­tion sans doute assez consciente avec les recherches de son grand enne­mi Sartre, un accom­plis­se­ment qu’il n’avait, croyons-nous, encore jamais atteint ; le scan­dale pro­vo­qué par Le Sagouin chez les bien-pen­sants en serait à lui seul une preuve.) Mais, depuis la guerre d’Espagne, cet écri­vain, autant que Ber­na­nos, a su mon­trer qu’il est aus­si un homme. Pre­nant au sérieux la foi que tant d’autres pro­fessent du bout des lèvres, il occupe aujourd’hui, par ses incom­pa­rables articles dans la presse, la place de pre­mier polé­miste de ce temps. Ce qui ne serait encore que lit­té­ra­ture. Mais tant par les incom­mo­di­tés que sa verve sus­cite aux « poli­tiques » de l’Église que par la conscience si claire, non point « de classe » mais tout humaine, qu’il a su prendre du dan­ger tota­li­taire camou­flé en com­mu­nisme, cet homme de droite (d’origine) se trouve aujourd’hui nous ven­ger tous et, par son exemple, nous per­mettre de ne pas tout à fait déses­pé­rer de la jus­tice et des valeurs de l’esprit.

Puisse-t-il, dis­ciple du par­fait non-confor­miste aux lois du monde que fut le mes­sie auquel il croit, juger, encore que peut-être para­doxal, en somme cepen­dant natu­rel de trou­ver ici l’expression de la pro­fonde recon­nais­sance des non-confor­mistes que nous sommes.

Un ami très cher nous écri­vait récemment :

« Il faut bien recon­naître… que nul, par­mi les écri­vains d’aujourd’hui, ne montre une pro­bi­té pareille à celle de Fran­çois Mau­riac. Tenant compte du grand bour­geois et du catho­lique qu’il est, on trouve bien du mérite à un effort de com­pré­hen­sion, à un sou­ci d’humanité tou­jours pré­sents tels que les siens. Et l’on est obli­gé de se dire que, dans la ques­tion colo­niale… mais sur­tout dans celle de la tur­pi­tude et de l’imposture sta­li­niennes, ce n’est pas tant de lui que d’autres, aux­quels il reve­nait plus natu­rel­le­ment de par­ler, qu’on atten­dait l’espèce de mis­sion qu’il s’est assi­gnée. Quand on pense à la pau­vre­té, à la fri­vo­li­té de ce dont nous entre­tiennent, dans leurs chro­niques, un Duha­mel ou un Romains dont on se rap­pelle tout de même qu’il a écrit Europe lors de la guerre 1914 – 1918 et qu’il a fait, à diverses reprises, pro­fes­sion de foi de « jau­res­sisme » ! Il y a pire. Il y a la com­pli­ci­té par le silence : Roger Mar­tin du Gard. Il y a pire encore : l’acoquinage par l’adhésion hon­teuse. Mais j’y pense : Gué­hen­no, est-elle donc bri­sée, sa fibre ? Et Cham­son, qui brigue l’académie ? Voi­là pour le côté « gauche ». Mais as-tu connais­sance de cette chose énorme : Paul­han devant figu­rer aux côtés de Valat, l’ex-commissaire aux juifs, à une célé­bra­tion à la mémoire de l’affreux Maurras?!»

Certes, nombre des hommes cités par notre cor­res­pon­dant ne dis­posent point d’une reten­tis­sante tri­bune comme celle que Mau­riac, pour notre chance à tous (n’en déplaise à Sartre), pos­sède au Figa­ro. Sinon, l’on s’affligerait bien plus encore du silence d’un Camus, cet Ora­nais, ou d’un Amrouche.

Mais que dis­po­sant de cette tri­bune, il en fasse l’usage que l’on sait, voi­là pro­pre­ment l’admirable.

Presque jamais, en le lisant, on ne se demande : « Est-il encore de son bord?»; on se dit tout bon­ne­ment : « Voi­là ce qu’il fal­lait dire, et qu’il dit, par-des­sus le mar­ché, bien mieux que je ne l’eusse fait. »

Aus­si bien la meilleure façon d’exprimer à Mau­riac la gra­ti­tude que nous nous hono­rons de lui devoir est-elle encore de le citer lui-même. Dans le Figa­ro du 8 avril, il écrivait :

« Je n’aurais quant à moi que trop ten­dance à suivre Julien Green écri­vant dans son Jour­nal du 15 octobre 1931 : “Que signi­fient dans l’éternité le putsch de Hit­ler, les muti­ne­ries à bord des croi­seurs anglais, la chute de la livre ? Tout est ailleurs. Rien n’est vrai que le balan­ce­ment d’une branche dans le ciel.” Mais au-delà de la branche, et par-delà le ciel nous retrou­vons, éter­nel­le­ment vivante, une exi­gence de jus­tice, et si indignes que nous soyons, la néces­si­té de rendre témoi­gnage, dans l’intervalle de temps et d’espace où nous sommes au monde. Vous me direz que d’autres chré­tiens ont esti­mé juste et légi­time ce dont nous nous sommes indi­gnés. Cela est vrai, et je ne les juge ni ne les condamne. Mais je demeure du côté de ceux qui se méfient des pré­textes et des excuses que la force invente pour faire croire qu’elle est le droit. »

S.


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