La Presse Anarchiste

La violence et la dérision

Oppos­er la déri­sion à la dic­tature est une forme de lutte qui peut paraître futile aux yeux de cer­tains ; dans ce roman, l’au­teur nous mon­tre qu’il n’en est rien et que la déri­sion bien employée peut amen­er la chute d’un « régime fort ».

Dès le début du livre, nous sommes dans le vif du sujet par la rela­tion d’un inci­dent met­tant aux pris­es un gen­darme avec un men­di­ant instal­lé sur le seuil d’un immeu­ble cos­su, bra­vant ain­si l’in­ter­dit des autorités. Le gen­darme se pré­cip­ite sur lui, l’ac­ca­ble d’im­pré­ca­tions, puis de coups de en plus bru­taux et finit par le désar­tic­uler. La foule, qui assiste à la scène, est scan­dal­isée, hor­ri­fiée, puis soudain forte­ment amusée aux dépens du représen­tant de l’or­dre, car le men­di­ant n’é­tait qu’un man­nequin habile­ment grimé, placé en ce lieu très pas­sager par nos amis subversifs.

Au fil des pages, nous décou­vrons d’autres actions orig­i­nales dans la forme et dans l’e­sprit, notam­ment la pose d’af­fich­es louant à l’ex­trême la dic­ta­teur et aus­si l’ou­ver­ture d’une souscrip­tion des­tinée à l’érec­tion d’une gigan­tesque stat­ue du même personnage.

Le cli­mat, entretenu par ces actions, ridi­culise le gou­verneur, qui est prêt à démis­sion­ner lorsque inter­vi­en­nent les « révo­lu­tion­naires qui se pren­nent au sérieux ». Ceux-ci vont faire avorter in extrem­is le pro­jet mûri par les adeptes de la déri­sion en assas­si­nant le dictateur.

Nous ne pou­vons faire mieux que de citer les dernières lignes du livre situ­ant exacte­ment l’er­reur de cet atten­tat qui « d’un bour­reau avait fait une vic­time, un exem­ple glo­rieux de civisme et de sac­ri­fice pour les généra­tions futures, per­pé­tu­ant ain­si l’éter­nelle imposture ».

Ceci est la trame de ce roman, mais nous avons égale­ment le plaisir de décou­vrir au tra­vers de per­son­nages, dont l’analyse psy­chologique est bien menée, une mise en valeur de qual­ités humaines qui nous sont chères : sens de l’ironie, non-con­formisme, goût de la lib­erté, amour de la vie. Nous dirons, pour ter­min­er, que c’est là un ouvrage qui donne envie de lire les autres œuvres d’Al­bert Cossery, notam­ment : Les Fainéants dans la val­lée fer­tile et Men­di­ants et Orgueilleux.

M. Viaud