La Presse Anarchiste

Anarchisme et non-violence

Cet article inti­tu­lé « anar­chisme and non-vio­lence » est extrait de la revue anglaise « anar­chist student » d’avril 1963, et a été tra­duit par Paul Sempe.

 

La non-vio­lence n’est pas la même chose que le paci­fisme. Ce der­nier est contre la guerre et traite des rela­tions inter­na­tio­nales. Il n’af­fecte pas la vie dans sa tota­li­té quoi­qu’il puisse le faire comme une consé­quence de la conduite indi­vi­duelle. Mon but est de mettre la mora­li­té pri­vée et poli­tique sur la même base, ou de m’oc­cu­per de la vie comme un tout. La poli­tique est une forme imper­son­nelle et vaste des rela­tions per­son­nelles. Cette dif­fé­rence de degré est trai­tée par notre culture comme une dif­fé­rence de genre et les résul­tats en sont la guerre totale et les États tota­li­taires. Max Weber, dans sa confé­rence La poli­tique est une voca­tion, don­née à Munich en 1918, classe les sys­tèmes éthiques en deux groupes : l’«éthique de la res­pon­sa­bi­li­té » et l’«éthique des buts finaux ». Ce der­nier groupe implique un dédain à peu près abso­lu des effets immé­diats de nos propres actions, pour­vu qu’elles soient en accord avec la morale abso­lue que nous sui­vons, ou les buts finaux que nous recher­chons. Ceci implique une déci­sion au sujet de ce qui est « bon » et la croyance que tout est bien si seule­ment ce « bon » est accom­pli. Le pre­mier groupe est plus com­pli­qué. Weber accep­tait la pen­sée domi­nante de son temps concer­nant les moyens et les fins. Il trou­vait qu’il était pos­sible de les dis­tin­guer entre eux, et ne les trou­vait pas intrin­sè­que­ment reliés. Ceci lui per­met­tait d’ac­cep­ter que les « mau­vais » moyens puissent être uti­li­sés pour obte­nir de « bonnes » fins. La res­pon­sa­bi­li­té pour lui signi­fie la pré­ci­sion de l’ef­fet immé­diat de nos propres actions, mais aus­si, et sur­tout, la néces­si­té d’être effi­cace sur le plan poli­tique. Ceci implique la vio­lence qu’il accepte comme un « mal » (néces­saire).

Voi­là donc, briè­ve­ment, com­ment Weber a vu les dif­fé­rents types de poli­tique et la manière dont elle dépend du pou­voir, et, par consé­quent, de la vio­lence. Que cela ait été vrai ou non en 1918… cela n’est pas vrai main­te­nant. Conce­voir la guerre pour des fins poli­tiques, à l’âge des armes nucléaires et des mis­siles inter­con­ti­nen­taux, ne peut pas être valable, que ce soit dans les termes de Weber ou dans des termes actuels. Aller de cette posi­tion de paci­fisme à la concep­tion d’une socié­té non vio­lente est plus dif­fi­cile. L’exis­tence des États tota­li­taires et la puis­sance gran­dis­sante de l’exé­cu­tif dans notre propre socié­té « libre » sont des indi­ca­tions que l’au­to­ri­té, dépen­dante, comme cela a tou­jours été le cas, de la vio­lence, est abu­sée. La com­plexi­té de la vie mène les gens à aban­don­ner volon­tai­re­ment leur propre res­pon­sa­bi­li­té et à pla­cer leur confiance dans l’É­tat. L’af­fir­ma­tion infâme de la pen­sée moderne que l’É­tat ne doit être, sous aucun pré­texte, défié, montre à l’é­vi­dence que plus nous dépen­dons de l’É­tat, plus il pèse sur nous.

La néces­si­té de s’op­po­ser à l’É­tat est évi­dente, et la néces­si­té d’éviter la vio­lence à cause de ce qu’elle apporte et de son incom­pa­ti­bi­li­té avec nos buts est aus­si évi­dente. Cette opi­nion peut venir de la simple évi­dence que nous ne pou­vons pas for­cer les gens à être libres. La coer­ci­tion n’ac­com­plit pas nos buts, car elle amène le rem­pla­ce­ment d’une tyran­nie par une autre. Il n’y a qu’à regar­der la Révo­lu­tion russe de 1917 pour en voir un exemple. La haine est aug­men­tée par la vio­lence, ren­dant une solu­tion com­plète impos­sible et ouvrant le champ à une contre-révolution.

Depuis la confé­rence de Weber, il y a eu des cam­pagnes non vio­lentes réus­sies qui ont eu une effi­ca­ci­té poli­tique et sont res­tées en accord avec les buts d’une socié­té libre. Les cam­pagnes du satya­ha­gra­ha, le boy­cott des auto­bus à Mont­go­me­ry, l’a­gi­ta­tion japo­naise contre le pacte de sécu­ri­té amé­ri­cain sont tous des exemples de cam­pagnes effec­tives légales et illé­gales. Il y a là une force, mais elle n’est pas fon­dée sur la vio­lence comme Weber pen­sait que cela devait être.

Weber a dit qu’un homme qui n’é­tait pas « un enfant en poli­tique » devait réa­li­ser un com­pro­mis entre ces deux éthiques, mais il n’a don­né aucune indi­ca­tion sur la façon de le faire. Il admet­tait aus­si que les hommes disent : « Je m’en tiens à ceci. Je dois res­ter fidèle à ma morale » lors­qu’ils étaient sur le point de renier l’éthique de la res­pon­sa­bi­li­té. Quant à savoir quand ce point était atteint, Weber non plus n’a don­né aucune indi­ca­tion et n’a pro­po­sé aucune solu­tion. Je main­tiens que les cam­pagnes non vio­lentes sont une solu­tion sur ce point. Je main­tiens aus­si qu’elles démontrent que les idées de Weber sont main­te­nant fausses. Car une com­bi­nai­son de ces deux éthiques est accom­plie sur toute la ligne et il n’y a plus besoin de compromis.

Quels sont les résul­tats pos­sibles de cette nou­velle manière de pen­ser la poli­tique ? Sur le plan inter­na­tio­nal, les résul­tats doivent être évi­dents pour tous ceux qui sont d’ac­cord avec la cam­pagne du désar­me­ment nucléaire et dési­rent, comme ils le doivent, rem­pla­cer la vieille poli­tique par une poli­tique nou­velle et effi­cace. Socia­le­ment cela implique une res­pon­sa­bi­li­té indi­vi­duelle accrue et la ces­sa­tion de l’op­pres­sion poli­tique. L’a­dop­tion d’une poli­tique offen­sive non vio­lente de chan­ge­ment social serait à la fois la cause et la consé­quence de ces der­nières. Elle devrait être employée pour secouer le joug de l’op­pres­sion poli­tique et sup­pri­me­rait ain­si la néces­si­té d’une oppres­sion poli­tique, car l’au­to­ri­té d’op­pres­sion se trou­ve­rait elle-même impuis­sante. Cette sup­pres­sion de l’au­to­ri­té poli­tique basée sur la force amè­ne­rait la sup­pres­sion des autres formes de l’op­pres­sion. Par­mi celles-ci se trouve l’op­pres­sion éco­no­mique qui est impor­tante dans notre socié­té et beau­coup moins évi­dente que l’op­pres­sion poli­tique. Le licen­cie­ment de dix-sept meneurs de grève de la Ford est une excep­tion à la règle de la modé­ra­tion, mais non à la règle de l’efficacité.

Ceci mène-t-il à une socié­té anar­chiste ? Ce que je veux dire par une socié­té anar­chiste n’est pas ce que la plu­part des anar­chistes mettent sous ce nom. Même ain­si, cela mène à une socié­té libre et l’ap­pel­la­tion est sans impor­tance. Pour les rai­sons que j’ai sou­li­gnées ci-des­sus, je consi­dère comme néces­saire à la fois une socié­té libre et une socié­té non vio­lente. Je pense avoir mon­tré qu’il y a une solu­tion. Je crois qu’une syn­thèse des idées clas­siques anar­chistes et des idées de non-vio­lence est néces­saire avant que la réponse ne soit don­née sous une forme plus nette que celle à laquelle je suis par­ve­nu. Il existe, aujourd’­hui, de grandes pos­si­bi­li­tés pour une phi­lo­so­phie poli­tique nou­velle, dyna­mique et effi­cace, qui reste à développer.

John Whi­te­field


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