La Presse Anarchiste

L’île

De Robert Mer­le, nous con­nais­sons déjà Week-End à Zuid­coote, bien con­nu main­tenant par son adap­ta­tion ciné­matographique, et aus­si La Mort est mon méti­er. L’Île a pour point de départ l’his­toire des révoltés du Boun­ty qui s’ap­pellera ici le Blos­som. Mason, sec­ond à bord du Blos­som, tue le cap­i­taine Burt, dont la cru­auté a révolté l’équipage. Les mutins fuient avec les Tahi­tiens, dans une île déserte, les rigueurs de l’ami­rauté bri­tan­nique. Un « par­lement » s’in­stalle dans l’île, dom­iné par un marin rusé et sans scrupule, Mac Leod, et les marins rejet­tent l’au­torité des officiers. Le refus de Mac Leod de partager équitable­ment les ter­res entre les Tahi­tiens et les Anglais amène une guerre à mort entre les deux com­mu­nautés. Le lieu­tenant Pur­cell refuse seul de pren­dre les armes dans le con­flit qui met aux pris­es ses amis tahi­tiens et ses com­pa­tri­otes. L’his­toire se passe à la fin du XVIIIe siècle.

Roman d’aven­ture ? Oui, mais sans rien de péjo­ratif, avant tout un roman très riche, dans lequel on peut trou­ver plusieurs thèmes mêlés : la révolte con­tre l’au­torité, la lib­erté sex­uelle, le racisme et, enfin, la non-vio­lence. L’au­teur s’est bien gardé, en tout cas, de tomber dans un exo­tisme bavard et inutile ; tout ce qui touche au cadre, à la vie des Tahi­tiens est dit sans sur­charges et sans romantisme.

Nous voici donc dans une société en minia­ture, car tout de suite, au-delà du temps et de l’e­space, on peut com­par­er cette « Île » à notre société actuelle. Mais revenons au roman, un antag­o­nisme naît entre deux groupes eth­niques dif­férents : marins anglais et pêcheurs tahi­tiens, et cet antag­o­nisme est causé par deux choses : la pos­ses­sion de femmes tahi­ti­ennes, d’une part, et un mode de vivre et sub­sis­ter, d’autre part. Au milieu de ces deux groupes hos­tiles, un homme seul, Pur­cell, qui va chercher à con­cili­er les intérêts de tous, qui lou­voie, qui dis­cute pied à pied avec une grande logique et une clarté inat­taquable ; un homme qui refuse de régler ces prob­lèmes par la force et par la vio­lence. La cause des Tahi­tiens est juste, et l’auteur prend par­ti pour eux, par l’en­trem­ise de Pur­cell, mais ils veu­lent défendre par la force, et, bien sûr, le drame éclate à cet instant. La vio­lence se déchaîne, et par l’« escalade » — pour employ­er un mot à la mode — arrivera à détru­ire la com­mu­nauté. Pur­cell n’est pas non vio­lent par tac­tique ou par faib­lesse, il ne manque pas de courage, il n’est ni fatal­iste ni « surhomme » : il vit, il pense, il doute quelque­fois, mais il est tou­jours con­scient et respon­s­able. Son prob­lème est celui, véri­ta­ble­ment, d’un homme qui refuse la vio­lence et qui, automa­tique­ment, est mis en accu­sa­tion par les fac­tions opposées. Peut-être est-ce là le véri­ta­ble intérêt du livre d’avoir décrit un homme de chair et de sang qui choisit la posi­tion la plus dif­fi­cile et qui n’est pas un héros, mais un homme comme les autres. Les mobiles qui poussent les antag­o­nistes sont vrais : le prof­it, les sen­ti­ments racistes de supéri­or­ité ; il n’y a qu’à ouvrir un jour­nal ou à tourn­er un bou­ton de tran­sis­tors pour se con­va­in­cre que rien n’a changé.

Bien sûr, il s’ag­it d’un roman, et si Pur­cell arrive vivant à la fin du livre, c’est bien par la volon­té de l’au­teur : nous ne sommes pas dupes.

André Por­tal