Cet article est tiré de la publication d’un groupe de jeunes pacifistes de Hanovre. Sans représenter toute l’opinion du groupe, il se veut une contribution à sa réflexion et à la définition de ses tâches.
Le périodique Direkte Aktion fur Gewaltlosigkeit in Der Gesellschaft, « Action directe pour la non-violence dans la société », est né d’une situation particulière du mouvement pacifiste allemand. Quelle est aujourd’hui la situation ?
La forme d’organisation des associations pacifistes d’Allemagne fédérale peut avoir convenu il y a un demi-siècle, aujourd’hui elle est désuète. Le principe autoritaire et centralisé domine le mouvement pacifiste (et malheureusement la campagne pour le désarmement – marche de Pâques – n’a pas échappé à cette évolution). Les fonctionnaires des associations pacifistes commettent sans doute une erreur fondamentale lorsqu’ils pensent devoir opposer au caractère monopolistique de l’armée allemande et de l’industrie de guerre un mouvement pacifiste monopolisé.
Quels sont les effets de cette erreur fatale sur les groupes et les membres isolés des associations ? On observe – conséquence de la centralisation monopolistique – un processus de bureaucratisation du travail pacifiste. Les idées du pacifisme, du désarmement, de la non-violence sont réifiées parce qu’elles sont administrées par des oligarchies surorganisées et transmises vers la base à travers des instances bureaucratiques.
L’effet sur le mode de travail en a été que l’initiative a passé de l’individu à la bureaucratie. Nous y avons perdu des qualités aussi importantes que la spontanéité et l’initiative créatrice, qualités que nous, membres du mouvement pacifiste, devions opposer à l’appareil militaire. À cela s’ajoute que le membre individuel d’un groupe doit abandonner son indépendance en faveur d’une unification de l’action et se soumettre aux directives de fonctionnaires, qu’il connaît personnellement dans bien peu de cas. Devant les grandes hiérarchies classiques d’Allemagne : l’Église, les partis, les industries, l’armée, s’est dressé un nouveau partenaire : l’organisation pacifiste.
Pour que l’on ne se méprenne pas, je donnerai ici une indication complémentaire. Les groupes locaux sont petits, leur travail et leurs activités relativement insignifiants, c’est pourquoi l’appareil de l’organisation peut se permettre de leur accorder une certaine « indépendance ».
Mais c’est la liberté d’un rouage dans une machine, qui peut certes tourner sur lui-même et maintenir la machine en marche, mais sans initiative propre. L’indépendance ne suffit donc que tant que les structures ou la position monopolistique de l’organisation ne sont pas mises en question. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si la campagne pour le désarmement (marche de Pâques) a refusé à Direkte Aktion l’emploi de l’emblème antiatomique sur sa page de couverture sous le prétexte de ce monopole.
L’initiative du travail pacifiste passant de l’individu à la bureaucratie, cela signifie qu’un fonctionnariat exerce, avec une administration indépendante, interchangeable avec celle de n’importe quelle société de tir, un contrôle total sur le travail et le développement de l’organisation. L’action créatrice et la recherche de nouvelles voies pour le travail pacifiste se heurtent au règlement de l’appareil bureaucratique.
Les responsables de ces inconvénients ne sont évidemment pas les seuls fonctionnaires.
Il est bien clair que la passivité de la plupart des membres de groupes locaux a mené tout droit au centralisme. D’ailleurs, des groupes déjà faibles peuvent être maintenus en vie plus facilement avec l’aide d’une bureaucratie organisée. Mais il faut mettre en lumière le fait que c’est la forme d’organisation des associations pacifistes qui a provoqué en grande partie le manque de vitalité et de vivacité des membres.
Le refus qu’exprime le sommet de la hiérarchie de transférer à la base la responsabilité d’un bon travail pacifiste ôte au membre individuel la confiance dans ses sentiments impulsifs et dans ses capacités créatrices.
Revenons-en à Direkte Aktion. Il est possible que les choses soient allées particulièrement mal à Hanovre, peut-être la vie des groupes pacifistes est-elle plus animée et plus créatrice dans les autres villes d’Allemagne fédérale.
Je ne parle pas du nombre des adhérents, mais de l’impression profonde de ceux qui participent au travail. Des conversations avec d’autres amis m’ont cependant assuré que ces circonstances ne sont pas limitées localement.
À Hanovre s’établirent donc une discussion et une correspondance avec des amis d’Allemagne et de l’étranger. Où le mouvement pacifiste traditionnel fait-il échec ?
Que peut-on opposer à la bureaucratie des organisations pacifistes ?
Qu’est-ce qu’une action directe ?
Comment lier et renforcer les contacts internationaux ?
Une question néanmoins resurgissait sans cesse : pourquoi ne pas créer un organe qui offrirait la possibilité de mener la discussion sur une base plus large ?
Cet organe fut Direkte Aktion. Et voici ses tâches propres :
- Discussion sur la question : une action directe non violente est-elle le moyen approprié de remporter des succès locaux sur l’appareil totalitaire de l’État et de l’armée ?
- Dépassement de l’action pacifiste monopolistique dont la bureaucratie aliène l’individu à l’idée de paix.
- Tentative de réorienter le mouvement pacifiste selon des normes décentralisées.
- Formation d’un groupe local. Ce groupe réduit revêt une signification particulière en servant de champ d’expérience pour des tentatives analogues en Allemagne fédérale,
Un groupe qui, à mon avis, ne doit pas compter plus de dix ou quinze membres peut fournir un travail considérable. Je voudrais ici expliquer quelles sont ses possibilités :
- Travail pacifiste intensif, hors de toute bureaucratie.
- Vie communautaire plus stable, puisque le groupe reste un cercle d’amis grâce à son nombre restreint.
- Réalisation d’une démocratie directe et libertaire dans le cadre du groupe, puisque statuts et charte sont inutiles.
Les possibilités qui conduisent d’une communauté de travail à une communauté plus large ne peuvent être qu’indiquées et non discutées ici.
Il faut le dire clairement, le cercle qui soutient Direkte Aktion n’est pas encore sorti du stade de la discussion. Ce que nous avons obtenu est d’avoir gagné de nouveaux amis qui s’intéressent aux questions posées dans cet essai. De plus, nous avons affermi notre groupe à travers le travail commun. Nous entreprenons aussi maintenant des actions propres. Je ne sais où cela nous conduira ; je me permets néanmoins de parler au nom de mes amis en disant qu’à côté des succès nous avons aussi prévu des contrecoups dans notre travail.
Joachim Dunz