La Presse Anarchiste

Joan Baez

Un huma­nisme nou­veau s’est fait jour un peu par­tout au sein de la chan­son, empreint de non-confor­misme, de révolte, de conscience.

Ils n’ont pas décou­vert un lan­gage nou­veau, mais créé une manière d’être. Au sein de la machine sociale à uni­for­mi­ser les êtres et à nive­ler les consciences, ils élèvent leur voix, ils sont une source vive, leur chant est un cri de révolte.

Qui sont-ils ?

Les plus connus d’entre eux ont pour noms Peete Seger, Bob Dylan, Joan Baez, Woo­die Guthrie, Peter, Paul and Mary, Bar­ry McGuire. Ceux-ci s’insurgent contre l’agression amé­ri­caine au Viet-nam, contre le racisme, contre la misère. Mais ils ne sont pas le reflet d’un ter­roir ou d’une situa­tion, puisqu’ils ont pour homo­logue, et pour ne citer que ceux-là : Rai­mon en Espagne et Wolf Bier­man en Alle­magne de l’Est.

Récem­ment, Joan Baez, chan­teuse de folk-songs, est venue chan­ter à Paris ; ce qu’il y a de par­ti­cu­lier en elle, c’est qu’elle pro­longe son métier d’artiste par une prise de posi­tion non vio­lente, puisqu’elle a fon­dé, avec un vieil ami, Ira Sand­perl, un ins­ti­tut d’études non vio­lentes en Californie.

Lors de son pas­sage à Paris, s’est tenu un col­loque, orga­ni­sé par des étu­diants pari­siens, qui a réuni une nom­breuse assis­tance et au cours duquel de nom­breuses ques­tions lui ont été posées, prin­ci­pa­le­ment sur la non-vio­lence. En voi­ci l’essentiel :

En exergue quelques phrases d’Ira Sand­perl, direc­teur de l’Institut d’études non violentes :

« Tout doit être fait en ce monde de vio­lence, tant contre la vio­lence capi­ta­liste que com­mu­niste, en un mot, contre la vio­lence poli­tique et éco­no­mique. Pour cela, nous devons nous enga­ger fer­me­ment dans la non-vio­lence, car il ne doit plus y avoir de noble cause qui jus­ti­fie le meurtre de quelqu’un où que ce soit. »

Puis, le dia­logue s’instaura entre Joan Baez et les participants :

– Est-il vrai que vous avez refu­sé de payer à l’État la part des impôts militaires ?
– Oui, cet impôt consis­tait en 60 % de l’impôt global
– Quelle a été la réac­tion du gou­ver­ne­ment américain ?
– Le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain se réserve le droit de confis­quer l’argent ou les biens en com­pen­sa­tion ; ce qui fut fait dans mon cas.

Inter­ven­tion d’Ira Sandperl :

« Nous sommes ici pour dire que per­sonne n’a le droit de faire des actes vio­lents. Il y a des solu­tions plus humaines qu’utiliser une telle méthode. »

– Le Viet-cong, d’après vous, face à l’agression amé­ri­caine doit-il réagir vio­lem­ment ou non violemment ?
– Le Viet-cong réagit, et les réflexes ne se contrô­lant pas, la prise de conscience non vio­lente doit s’effectuer au sein même de l’opinion amé­ri­caine, car c’est aux Amé­ri­cains d’arrêter de faire tom­ber des bombes.
– La vio­lence se mani­feste par des actes, ne s’exprime-t-elle pas par­fois par des situa­tions ? Par exemple, la situa­tion actuelle des Noirs en Rho­dé­sie n’est-elle pas vio­lente ? Com­ment doivent-ils faire pour s’en sortir ?
– Toutes les situa­tions peuvent être vio­lentes, il peut y avoir vio­lence autre­ment que par les actes. Par exemple, le poten­tiel de vio­lence dans cette salle est immense. Il y a de nom­breux types de vio­lences, la vio­lence n’est pas seule­ment l’éclat d’une bombe.
– Il paraît que vous avez fon­dé une école non vio­lente. Qu’y enseigne-t-on ?
– On y apprend davan­tage à réflé­chir qu’à réagir. Si j’insiste sur la réflexion, c’est parce qu’il n’y a pas de recette toute faite, et qu’il fau­dra s’adapter à chaque situation.
– Que faites-vous si quelqu’un vous met un pis­to­let sous les yeux ?
– Per­sonne ne peut savoir com­ment il réagi­ra, moi la pre­mière. Je peux néan­moins vous don­ner un exemple :

Un jour un de mes amis, non violent, a été atta­qué. Son agres­seur lui a deman­dé de l’argent. Mon ami lui a répon­du qu’il vou­lait bien par­ta­ger son argent. L’autre insis­ta en disant qu’il en exi­geait la tota­li­té. Le non-violent lui dit alors : « Tu as les traits d’un homme qui souffre de la faim, allons man­ger, nous par­ta­ge­rons le reste de l’argent ensuite. » Le repas ter­mi­né, au moment de par­ta­ger l’argent, l’agresseur refu­sa le par­tage et s’en alla amicalement.

Joan Baez, après avoir affir­mé que cette his­toire n’était pas une plai­san­te­rie, mais au contraire très réelle, cita un autre exemple :

En Ala­ba­ma, les Blancs ont fait savoir que si les lumières n’étaient pas éteintes dans le quar­tier noir à une cer­taine heure, un Noir serait brû­lé. À l’heure dite, tous les Noirs étaient dans la rue avec des ban­de­roles com­por­tant des slo­gans de bien­ve­nue. L’affaire en res­ta là. Il faut réflé­chir, c’est une manière plus intel­li­gente d’aborder les pro­blèmes humains.

– Prô­ner la non-vio­lence, n’est-ce pas cau­tion­ner les pou­voirs en place ?
– Je ne pense pas qu’on puisse dis­so­cier l’individuel du social. La lutte sociale part de l’individu, et les racines de la vio­lence doivent d’abord être arra­chées de soi-même. Les racines de la vio­lence, on les trouve en moi, en vous, de même les racines de la non-vio­lence. La non-vio­lence peut être aus­si pour l’ouvrier un moyen de lut­ter contre les natio­na­lismes économiques.
– Com­ment êtes-vous deve­nue non violente ?
– Contrai­re­ment à ce que l’on pour­rait sup­po­ser, ma non-vio­lence n’est pas liée au mou­ve­ment pour les droits civiques. Elle pro­cède d’une prise de conscience indi­vi­duelle. Je suis non vio­lente par réci­pro­ci­té et esprit de conser­va­tion. De là aus­si est par­tie une idée de créer une école de non-vio­lence, car si nous nous entê­tons encore à faire che­min dans la vio­lence, nous allons tous nous sabor­der, aus­si le but de l’Institut d’études non vio­lentes est d’étudier tous les aspects moraux et pra­tiques de la non-violence.
– Com­ment travaillez-vous ?
– Le stage est d’environ trois semaines, quel­que­fois davan­tage. Nous tra­vaillons par groupes de trente, mais le meilleur chiffre se situe autour de quinze.
– Seriez-vous prête à enta­mer une grève de la faim pour la paix au Viet-nam ?
– Si je fai­sais une grève de la faim, je m’y enga­ge­rais tota­le­ment ; et il est fort vrai­sem­blable que j’en mour­rais. Pour le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain, cela n’aurait pas grande impor­tance. De toute façon, il fau­drait faire cela à grande échelle, mais notre orga­ni­sa­tion serait, à mon sens, insuf­fi­sante pour y par­ve­nir. Peut-être n’avons- nous plus assez de temps pour nous organiser.

En conclu­sion, Ira Sand­perl pro­non­ça encore quelques paroles en disant que, depuis le début de leur action, la non-vio­lence avait fait un grand pas et réuni de nom­breux suf­frages. Il rap­pe­la enfin que la non-vio­lence n’est pas uni­que­ment morale, mais aus­si poli­tique, éco­no­mique et sociale.

Pro­pos recueillis par Jean-Pierre Laly


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