La Presse Anarchiste

Informations objecteurs

Après la réu­nion com­mune des objecteurs de con­science actuelle­ment en ser­vice, les 19 et 20 novem­bre, la ligne de con­duite choisie est de con­tin­uer à exploiter les pos­si­bil­ités de ce ser­vice civ­il même oblig­a­toire. Dans sa nou­velle forme, le ser­vice civ­il des objecteurs de con­science n’a pas été exploré de façon à con­clure à l’impasse et à l’échec. Le tra­vail des objecteurs va donc con­sis­ter à ren­dre ce ser­vice plus con­forme à l’esprit qui les ani­me, tout en sachant par­faite­ment que ce ne sera qu’une réal­i­sa­tion lim­itée, et plus con­tes­ta­tif vis-à-vis de notre société par le tra­vail con­crète­ment entre­pris. Des efforts ont été faits dans ce sens, notam­ment à Oust où un sys­tème de coges­tion a été mis en place. De plus, il est envis­agé de recon­naître l’animation cul­turelle, que les objecteurs ont entre­prise dans l’Ariège, comme activ­ité prin­ci­pale et non plus comme activ­ité sec­ondaire au tra­vail de chantier. De nou­velles pos­si­bil­ités de tra­vail, notam­ment dans les Cévennes et dans l’Ariège même, sont actuelle­ment à l’étude.

Il est cer­tain que tous les objecteurs ne se pla­cent pas dans cette per­spec­tive et que cer­tains ne voient et ne sen­tent pas la pos­si­bil­ité qu’il y a d’effectuer un tra­vail véri­ta­ble­ment con­tes­ta­tif à l’égard du gou­verne­ment en restant dans le cadre restric­tif du statut. D’ailleurs, trou­vant cette sit­u­a­tion intolérable, l’un d’entre eux a préféré déserter.

En ce qui con­cerne la for­clu­sion, un avo­cat parisien ayant déposé un mémoire accu­sant d’illégalité la com­mis­sion juri­dic­tion­nelle, celle-ci sem­ble avoir pro­vi­soire­ment sus­pendu ses déci­sions. Un fait nou­veau vient d’apparaître, c’est le refus de la com­mis­sion pour “ motifs non val­ables ”. Un objecteur s’est vu refuser sa demande pour raisons ne con­sti­tu­ant pas une con­vic­tion philosophique.

C’est un jeune cama­rade, que l’on peut con­sid­ér­er comme anar­chiste, qui a déclaré que mon­ter la garde devant un morceau d’étoffe au bout d’un bâton et marcher au pas ne l’intéressait pas, ce qui fut con­sid­éré comme une insulte à l’armée et à la patrie. Par con­tre en rédi­geant sa demande autrement, en déclarant, par exem­ple, qu’il voulait être un homme respon­s­able de ses actes et suiv­re sa con­science, elle aurait été accep­tée. Ce qui mon­tre à quel point il est ridicule de vouloir juger du bien-fondé des con­vic­tions d’un indi­vidu. De plus, cette déci­sion de la com­mis­sion laisse sous-enten­dre qu’une prise de posi­tion anar­chiste ne peut être con­sid­érée que comme une insulte.

— O —

L’avocat Georges Pinet a été con­damné, le 27 juil­let 1966, à qua­tre mois de prison ferme et 1000 francs d’amende pour avoir ren­voyé son livret mil­i­taire, protes­tant ain­si con­tre la pré­pa­ra­tion de la guerre nucléaire et la course aux arme­ments, aux­quelles se livre le gou­verne­ment français. Depuis, il s’est pourvu en cassation.

Il avait déjà été, le 11 févri­er, con­damné à qua­tre mois de prison avec sur­sis, et, refu­sant la sen­tence, il avait fait alors appel.

Il est à not­er qu’en aucune manière il n’a demandé à ce qu’on lui accorde le statut des objecteurs de con­science, car il estime que, par l’article 12 (resté jusqu’alors sans appli­ca­tion, il est vrai), cette loi établit pour la pre­mière fois dans le droit français une dis­crim­i­na­tion entre les citoyens.

Si l’on peut regret­ter que Pinet ne pose pas son acte face à la mil­i­tari­sa­tion crois­sante et au total­i­tarisme de plus en plus accen­tué de l’appareil éta­tique, et qu’il le pose d’une manière indi­vidu­elle, on perçoit net­te­ment, mal­gré cela, la remise en cause des struc­tures de notre société qu’il implique : la force de frappe n’étant, en effet, qu’une des man­i­fes­ta­tions de cet appétit de sécu­rité et de pro­tec­tion dont ont besoin les “ nan­tis ” pour con­serv­er leurs richess­es et leurs priv­ilèges au détri­ment de ceux qu’ils spolient, tant sur le plan nation­al que sur le plan international.

Il ne faut pas oubli­er que si la force de frappe est des­tinée à main­tenir la sécu­rité face à l’extérieur, l’ordonnance du 7 jan­vi­er 1959 prévoit la mise en place du sys­tème assur­ant l’“ ordre ” intérieur en vue d’une défense “ totale ” aus­si bien en cas de con­flit inter­na­tion­al, qu’en cas de “ sub­ver­sion ” (enten­dez par là, grève, man­i­fes­ta­tion ou soulève­ment régional).

On ne peut rester indif­férent face à ce phénomène sans en devenir com­plice, il devient donc néces­saire de mar­quer publique­ment son désac­cord par un geste tel que celui de Pinet (cer­tains déjà l’ont fait, d’autres s’y pré­par­ent) que l’on pour­rait envis­ager sur un plan col­lec­tif, par le refus de rem­plir la fiche indi­vidu­elle de ren­seigne­ments devant servir à la con­sti­tu­tion du fichi­er nation­al, mis en place par ladite ordon­nance et que doit oblig­a­toire­ment rem­plir chaque Français occu­pant un emploi, et d’autres actes de désobéissance.