La Presse Anarchiste

Violence constructive ou maladie de la violence

Il est assez déli­cat dans une revue à ten­dance non vio­lente de par­ler de vio­lence. Les anar­chistes ont tou­jours, en prin­cipe, reje­té la vio­lence parce que l’a­nar­chisme est amour de la nature, amour de l’hu­main. Nous lut­tons pour l’a­vè­ne­ment d’une socié­té sans haine, où tout serait har­mo­nie. La pro­duc­tion et la dis­tri­bu­tion seraient égales pour tous. Les enfants gran­di­raient sans inquié­tude ; leur édu­ca­tion se ferait selon leurs apti­tudes, leurs goûts ; ils s’o­rien­te­raient vers la vie dans la joie. Deve­nus adultes, aucune que­relle de peuples ne ris­quant de finir dans le char­nier de la guerre, ils choi­si­raient libre­ment une com­pagne et, à deux, bâti­raient leur foyer dans la com­mu­nau­té. Les liber­tés indi­vi­duelles seraient res­pec­tées ; toutes les opi­nions seraient dis­cu­tées, approu­vées ou reje­tées, mais tou­jours sans crainte ni haine.

Hélas ! de la théo­rie à la pra­tique, il y a un fos­sé énorme à com­bler. Le finan­cier, le prêtre, le mili­taire, le poli­cier, le magis­trat s’op­posent à cela, et, dans cer­tains pays où le libé­ra­lisme est rem­pla­cé par la dic­ta­ture, c’est la dépor­ta­tion, la tor­ture, le cachot.

Alors une ques­tion se pose : quelle doit être la posi­tion des révo­lu­tion­naires, et prin­ci­pa­le­ment de nos cama­rades anar­chistes (Espa­gnols, Bul­gares et ceux d’A­mé­rique latine)? Je pense que si ces cama­rades n’en­gagent pas d’ac­tion de répres­sion ; soit indi­vi­duelle, soit col­lec­tive, contre les monstres qui dirigent ces États, aucune autre pro­pa­gande ne peut avoir d’ef­fet. Dans quelle mesure ces cama­rades peuvent entre­prendre une action non vio­lente, puisque toutes les mani­fes­ta­tions sont inter­dites et quel effet pour­rait avoir cette pro­pa­gande sur des cama­rades qui res­sentent dans leur chair les dou­leurs de la liber­té pour laquelle ils luttent ?

Met­tons-nous deux secondes dans la peau d’un habi­tant d’une bour­gade du Nord-Viet-nam après un bom­bar­de­ment de l’a­via­tion sud-viet­na­mienne ou d’une esca­drille amé­ri­caine, lorsque son vil­lage est incen­dié, sa ferme, ses enfants tués. Cet homme ne peut avoir au cœur que de la haine.

Natu­rel­le­ment, nous pou­vons dire à ce pay­san que ce sont les inté­rêts du capi­ta­lisme pri­vé et des éta­tistes bol­che­vistes qui sont res­pon­sables de la guerre : il ne le com­pren­dra pas. Il n’a plus ni mai­son ni famille, celui d’en face doit payer ; il est mûr pour la guerre. La pro­pa­gande non vio­lente ne peut rien pour cet homme-là. Même les boud­dhistes qui, par tem­pé­ra­ment et idéo­lo­gie, sont non vio­lents en sont arri­vés à la vio­lence. Tous les pays qui se récla­maient de la phi­lo­so­phie de la non-vio­lence, Inde et Chine, ont abou­ti dans ce siècle à l’ex­trême de la vio­lence : guerre du Pakis­tan et de l’Inde, cam­pagne des gardes rouges en Chine.

Qui est res­pon­sable ? La socié­té telle qu’elle est conçue. Est-ce que les États à forme libé­rale, qui se dis­si­mulent der­rière un répu­bli­ca­nisme hypo­crite, sont meilleurs ? L’é­li­mi­na­tion phy­sique se fait exac­te­ment de la même façon, voir l’affaire Prince sous la IIIe Répu­blique et, plus près de nous, l’af­faire Ben Bar­ka où l’on s’a­per­çoit que tout citoyen peut être arrê­té sans motif par la police et dis­pa­raître. Voi­là la socié­té moderne qui n’a rien à envier ni à repro­cher à la socié­té moyen­âgeuse, où les sei­gneurs pou­vaient tout, y com­pris tuer impunément.

Le pro­cès de la socié­té n’est plus à faire, d’autres l’ont fait avant moi ; mais, de tout ceci ; il résulte que tout n’est que vio­lence sur l’in­di­vi­du comme sur des masses d’hommes et que lorsque la bour­geoi­sie, pour des inté­rêts qui n’ont rien d’hu­main, décide la guerre, même ther­mo­nu­cléaire, elle n’hé­site pas à employer une cer­taine forme de vio­lence, et des plus barbares.

Face à la socié­té telle qu’elle existe, c’est-à-dire sous sa forme de pro­fit et de tech­no­cra­tisme, car soyons justes il n’y a plus ni grande ni petite bour­geoi­sie, il y a une forme nou­velle de capi­ta­lisme cen­tra­li­sé qui, pour l’ins­tant, dans ce pays, revêt une cer­taine forme de pater­na­lisme, mais demain devant les reven­di­ca­tions et la révolte d’un cer­tain Lum­pen­pro­le­ta­riat, sera obli­gé d’employer la force, face à cette socié­té, quelle serait la posi­tion des syn­di­ca­listes et des révo­lu­tion­naires et en par­ti­cu­lier des anarchistes ?

Je ne pense pas que nous soyons mûrs pour le sacri­fice et il nous fau­dra employer les armes de la révo­lu­tion. Que sera cette vio­lence ? Nous ne pou­vons pas pour l’ins­tant lui don­ner un visage, mais il faut dès main­te­nant pré­pa­rer cette guerre révo­lu­tion­naire. Je pense que la guerre de bar­ri­cades n’est plus à envi­sa­ger ; la police comme l’ar­mée étant dotées d’un maté­riel moderne, une bar­ri­cade face à ce maté­riel serait une plai­san­te­rie. Le tra­vail des groupes anar­chistes révo­lu­tion­naires est de se pen­cher sur ce pro­blème : de quelle manière la révo­lu­tion se fera vio­lente ou non violente ?

Pour moi qui me réclame du fédé­ra­lisme de Prou­dhon et de l’ac­tion révo­lu­tion­naire de Bakou­nine, elle ne peut être que vio­lente, car il y a des castes avec les­quelles on ne peut dis­cu­ter. Seule l’ac­tion vio­lente peut leur faire com­prendre que leur règne a assez duré, et qu’une nou­velle socié­té doit naître de leurs cendres.

André Senez
de l’Al­liance ouvrière anarchiste


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