La Presse Anarchiste

Boycottage

Le boy­cot­tage, nous apprend le Larousse du XXe siècle, est : « L’entente tacite ou expresse pour infli­ger un dom­mage pécu­niaire ou moral à un indi­vi­du ou à un pays, en évi­tant toutes rela­tions avec lui, en refu­sant d’accomplir cer­tains tra­vaux, d’acheter cer­taines mar­chan­dises, etc. »

Les com­pa­gnon­nages l’ont connu, l’Église le pra­ti­quait et le pra­tique encore sous le nom d’excommunication, les socié­tés antiques pro­non­çaient l’interdiction de l’eau et du feu. Les États eux-mêmes en usent par­fois comme le fit, en 1908 – 1909, la Tur­quie contre l’Autriche-Hongrie. Il n’est autre chose, sous un nom nou­veau, que ce que nous appe­lions pri­mi­ti­ve­ment la mise à l’index.

L’origine du mot est connue : En Irlande, le régis­seur des énormes domaines du comte Erne, le capi­taine Boy­cott, s’était tel­le­ment ren­du impo­pu­laire par ses mesures de rigueur contre les pay­sans de l’Union agraire, que ceux-ci le mirent à l’index : lors de la mois­son de 1879, Boy­cott ne put trou­ver un seul ouvrier pour enle­ver et ren­trer ses récoltes ; par­tout en outre, on lui refu­sa le moindre ser­vice. Le gou­ver­ne­ment inter­vint, envoya des ouvriers pro­té­gés par la troupe, mais il était trop tard les récoltes avaient pour­ri sur pied. Boy­cott vain­cu, rui­né se réfu­gia en Amérique.

Le boy­cot­tage com­men­cé contre Boy­cott lui-même pas­sa rapi­de­ment en Angle­terre et se répan­dit bien­tôt sur tout le continent.

Si l’on dit que l’histoire humaine n’est qu’une longue suite de guerres, elle n’est pas moins aus­si une longue suite de luttes, et le boy­cot­tage fut de tou­jours un moyen des plus usités.

À Rome, en 494 avant l’ère chré­tienne, les pay­sans for­mant la plèbe romaine refusent leur col­la­bo­ra­tion aux patri­ciens, ceux-ci ne leur recon­nais­sant aucun droit en retour. Ils quittent la ville en masse et en fondent une nou­velle sur une col­line avoi­si­nante. Les patri­ciens par­le­mentent alors et acceptent de leur accor­der cer­tains droits, poli­tiques ou autres, contre le retour dans la ville.

À Ber­lin, en 1891, sous la pres­sion gou­ver­ne­men­tale, les bras­seurs refusent leurs salles de réunion aux socia­listes. Ceux-ci les boy­cottent et si rigou­reu­se­ment qu’au bout de quelques mois les bras­seurs se sou­mettent et prêtent à nou­veau leurs salles.

En Perse, en 1891, le shah ins­ti­tue une régie du tabac très lourde. Le peuple boy­cotte cette mar­chan­dise et le shah doit céder.

À Londres, en 1893, les patrons de cer­tains maga­sins refusent d’accorder la demi-jour­née de repos deman­dée par les employés chaque semaine. Ceux-ci les mettent à l’index et obtiennent presque immé­dia­te­ment satisfaction.

En mars 1896, la Bourse du tra­vail du Mans met à l’index un com­mer­çant voi­sin dont les agis­se­ments sont contraires aux inté­rêts des ouvriers. Le boy­cot­tage est si éner­gique que le com­mer­çant visé doit trans­por­ter son com­merce plus loin.

En France, en 1897, la CGT pré­co­nise le boy­cot­tage des fabri­cants de ver­re­rie concur­rents de la Ver­re­rie ouvrière d’Albi. En consé­quence, les ouvriers syn­di­qués sont invi­tés à ne pas se ser­vir chez les com­mer­çants n’utilisant pas les pro­duits de la Ver­re­rie ouvrière (limo­na­diers, cafe­tiers, liquo­ristes, etc.).

Au début du siècle des ligues d’acheteurs catho­liques sont fon­dées dans divers pays occi­den­taux pour boy­cot­ter les com­mer­çants qui ne res­pectent pas le repos dominical.

En Inde, en 1812, le gou­ver­ne­ment intro­duit un impôt nou­veau ; à Béna­rès, la popu­la­tion refuse et riposte par la non-coopé­ra­tion, para­ly­sant ain­si toute la vie sociale. L’impôt est retiré.

En 1830, dans l’État de Mysore, pour lut­ter contre la tyran­nie du gou­ver­ne­ment, la popu­la­tion refuse de tra­vailler, refuse le paie­ment des impôts et décide le retrait dans la forêt.

Au début du XXe siècle au Ben­gale, Auro­bin­do-Ghose engage le com­bat contre les mesures du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique par un mou­ve­ment de non-coopé­ra­tion. Ce mou­ve­ment est appuyé par le boy­cott des mar­chan­dises anglaises et la des­truc­tion des tis­sus et autres mar­chan­dises d’importation. Le mou­ve­ment bien démar­ré traîne hélas ! en lon­gueur, les masses décou­ra­gées emploient la vio­lence. La répres­sion s’accentue alors et le mou­ve­ment est écrasé.

En 1921, pen­dant la guerre d’Indépendance, Gand­hi appelle à la déso­béis­sance civile, les écoles sont déser­tées, la jus­tice ne fonc­tionne plus, les impôts ne sont pas payés, les décrets et lois igno­rés. Des grèves éclatent et le boy­cott des pro­duits anglais est appli­qué notam­ment sur le sel, l’alcool, les tis­sus. Gand­hi engage alors à prendre le sel au bord de la mer, à filer au rouet les pro­duits natio­naux et à ne pas consom­mer d’alcool.

En Chine, en 1884, à la suite de divers inci­dents, le boy­cott des pro­duits amé­ri­cains est décré­té et appliqué.

Entre 1914 et 1918, c’est contre les impor­ta­tions japo­naises que le boy­cott est déci­dé, les bateaux cir­culent à vide, les res­tau­rants japo­nais sont déser­tés, etc.

Le 31 mai 1925, à la suite d’une mani­fes­ta­tion d’étudiants chi­nois, la police anglaise tire dans la foule. Les Chi­nois décident le boy­cott de l’Angleterre. Trois mois plus tard, 1 850 000 francs étaient per­dus pour le com­merce anglais, 200 mai­sons de com­merce firent faillite. En 1926, les Anglais renoncent à la conces­sion de Han­kou, deve­nue non ren­table en rai­son du boy­cott per­sis­tant. La résis­tance s’amplifie néan­moins et s’étend au refus de tra­vail pour les Anglais, refus de leur livrer l’eau et l’électricité, etc. En 1927, la part bri­tan­nique des impor­ta­tions en Chine était tom­bée ain­si de 40% à 9%. L’Angleterre per­dit bien­tôt le contrôle éco­no­mique de la Chine.

Pen­dant la guerre d’Indochine, vers 1950, le boy­cott des bateaux des­ti­nés aux troupes fran­çaises d’Indochine est déci­dé et appli­qué à plu­sieurs reprises par les dockers de Mar­seille. Ceux-ci refusent de pro­cé­der au char­ge­ment de matériel.

Vers 1960, pen­dant la guerre d’Algérie, le FLN apprend que des mili­tants algé­riens ont été tor­tu­rés dans les caves de Bas­tos, fabri­cant de ciga­rettes. Le boy­cott est déci­dé sur-le-champ et se pour­suit pen­dant de nom­breux mois.

En 1966, c’est le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique qui appelle au boy­cott de la Rho­dé­sie rebelle.

Et tout der­niè­re­ment diverses orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales oppo­sées à la guerre menée par les USA au Viet­nam décident d’un boy­cott des pro­duits amé­ri­cains dans les com­merces de détail.

Claude Bour­det, pré­sident du MCAA, explique ain­si cette déci­sion : « Il s’agit avant tout d’une action psy­cho­lo­gique, d’une action com­plé­men­taire à la lutte contre la guerre au Viet­nam. Elle est des­ti­née à sen­si­bi­li­ser l’opinion, donc il n’est pas essen­tiel qu’elle ait des réper­cus­sions éco­no­miques impor­tantes. » (Il serait trop dif­fi­cile de chan­ger brus­que­ment et momen­ta­né­ment les habi­tudes des consom­ma­teurs.) « Il faut sur­tout qu’elle cris­tal­lise une oppo­si­tion à cette guerre dans toutes les couches de la popu­la­tion non mili­tante, mais néan­moins sen­ti­men­ta­le­ment oppo­sée à celle-ci. »

Lucien Gre­laud


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